Par Éloi Laurent
« Sommes-nous capables de repenser un monde dans lequel les économies privilégient la santé et le bien-être ? ». C’est avec ces mots que l’OMS a choisi d’interpeller les gouvernements et les citoyen(ne)s du monde entier à l’occasion de la journée mondiale de la santé, le 7 avril 2022, qui marque le 74e anniversaire de sa fondation et de l’entrée en vigueur de sa Constitution.
Cet anniversaire dont le thème est « notre planète, notre santé », intervient quelques semaines après la publication de trois articles importants qui permettent d’en saisir toute la pertinence et la portée.
Les deux premiers articles témoignent des progrès des connaissances quant à l’émergence du SARS-CoV-2 à l’origine de la pandémie de Covid-19. Leurs auteur(e)s affirment que, d’une part, « très probablement », la pandémie résulte bien d’une zoonose (c’est-à-dire d’une transmission d’un animal à l’espèce humaine), comme ce fut le cas du SARS-CoV-1 en 2002/2003 et que, d’autre part, c’est bien sur le marché d’animaux vivants de Wuhan que cette transmission a eu lieu pour la première fois. C’est une avancée majeure dans un débat scientifique qui a été âprement disputé depuis deux ans et où toutes les hypothèses ont été sérieusement considérées.
Le troisième article porte sur les conséquences de la pandémie de Covid-19 et permet de mesurer l’ampleur du choc sanitaire que celle-ci a engendré. Ses auteur(e)s estiment la surmortalité due à la pandémie mondiale dans 191 pays et territoires du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2021 pour conclure à un écart de 1 à 3 entre leurs estimations et les chiffres officiels : compte tenu d’erreurs et de fautes dans le recensement des morts par Covid, il ne faudrait pas déplorer 5 940 000 morts au plan mondial sur cette période, mais 18 200 000 (une surmortalité mondiale de l’ordre de 16%).
Pour certains pays, comme l’Inde, l’écart est véritablement considérable : de 489 000 officiels à 4 070 000 morts estimés. Pour la France, ce même écart est substantiel : de 122 000 à 155 000, soit une différence équivalente aux morts officiels de la première vague du printemps 2020. Et encore cette estimation mondiale repose-t-elle sur le chiffre de 17 900 morts chinois (près de 4 fois plus qu’annoncé officiellement), auquel il est tout bonnement impossible de croire.
Il est donc manifeste que la santé humaine est « inextricablement liée » à la santé des écosystèmes et de la biodiversité, ce qui implique, comme le souligne à juste titre l’OMS, que le lien santé-environnement doit devenir la colonne vertébrale d’une économie du bien-être calibrée pour le 21e siècle.
Cette colonne vertébrale est notamment constituée, sur le plan académique, de l’approche « One Health » (« Une seule santé ») qu’un panel d’experts de haut niveau sur le sujet, dont Serge Morand est le seul membre français, a été chargé en novembre 2020 de consolider et d’institutionnaliser sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et de l’OMS. Santé humaine, santé animale, santé végétale, santé environnementale, nous apprennent ces experts, sont complémentaires et interdépendantes.
Le défi climatique met de la même manière en évidence l’intersection des thématiques sanitaire et environnementale. Le deuxième volet du Rapport AR6 du GIEC, qui porte sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité et compte 3 676 pages, ne comporte ainsi pas moins de 4 853 occurrences du mot « santé ».
Dans ces conditions, l’OMS elle-même pourrait vouloir actualiser sa propre définition de la santé, qui date de 1948 : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Afin d’actualiser cette définition, on peut vouloir définir la « pleine santé » comme « un état continu de bien-être : physique et psychologique, individuel et social, humain et écologique ». L’important dans cette définition est de bien souligner le caractère holistique de la démarche, la continuité de la santé, qui lie la santé mentale à la santé physiologique, la sante individuelle à la santé collective et la santé humaine à la santé planétaire. La pleine santé est donc une santé d’interfaces, de synergies, de solidarités.
Cette redéfinition et son adoption par les États membres de l’OMS permettrait par exemple qu’en France, les questions sanitaires soient systématiquement étudiées sous l’angle environnemental, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui comme le montre le foisonnement de rapports et de propositions sur l’avenir du système de santé français, et plus largement sur l’Assurance maladie et son financement, dont le point commun est de faire à peu près complètement l’impasse sur l’enjeu écologique. Or s’il y a une « Grande Sécu » à inventer, c’est une Sécurité sociale-écologique.
La pandémie de Covid-19 a montré combien la santé est une affaire collective que les appels à la « responsabilité individuelle » brouillent et dénaturent, mais le collectif dont il faut prendre acte et devenir partenaire dépasse de loin la seule espèce humaine.