par Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux
À la fin du mois d’avril, ou à la mi-mai pour certains pays, les instituts statistiques nationaux des pays développés ont publié une première version des comptes du premier trimestre. Marquée d’abord par la détérioration des perspectives du commerce et du tourisme, puis progressivement à partir de la mi-mars par l’instauration de mesures de confinement destinées à lutter contre la propagation du virus, l’activité économique était attendue en forte baisse sur l’ensemble du trimestre. Sans surprise, les chiffres de croissance du PIB ont déjà concrétisé, dans leur version provisoire, les effets économiques de ce confinement durant les deux dernières semaines du trimestre.
Parmi les pays industrialisés ayant publié leurs premiers comptes, les États-Unis et le Royaume-Uni paraissent moins affectés que les pays européens et, parmi les pays européens, la France, l’Italie et l’Espagne affichent les chutes du PIB les plus fortes (Graphique). À l’autre bout du spectre, la Pologne, l’Australie, la Suède et l’Irlande ressortent pour le moment quasiment indemnes de la crise en comparaison des pays ayant subi les contractions les plus fortes.
Ces disparités observées de l’effet de la pandémie et du confinement sur la croissance proviennent en premier lieu des chocs d’origine interne subis par les économies, avec la durée du confinement qui détermine le temps de mise en veille de l’activité ainsi que son intensité qui régit l’étendue des arrêts d’activité. Elles s’expliquent aussi par le degré d’ouverture des pays et leur exposition différenciée aux chocs subis par leurs partenaires commerciaux. Elles peuvent enfin résulter des problèmes de construction des comptes nationaux dans le contexte inédit de la crise du Covid-19 et de la manière dont les instituts statistiques nationaux ont remédié aux difficultés inhérentes à la situation[1].
La plupart des instituts statistiques souligne que ces résultats sont davantage susceptibles qu’à l’accoutumée d’être révisés. L’expérience passée illustre à cet égard la difficulté de prendre la mesure de l’impact des chocs majeurs sur l’activité économique. Lors de la grande récession de 2008/09, les révisions des comptes nationaux entre la première version publiée à l’époque et la version d’aujourd’hui ont quasiment toujours été faites à la baisse, tant pour les trimestres de grande récession que pour l’évaluation de la croissance en moyenne annuelle (Tableau 1). Dans la situation actuelle, incommensurablement plus grave qu’en 2008/09 et où les chiffres de récession se comptent en points de PIB et non plus en dixièmes de points, les révisions des comptes nationaux risquent de revêtir une ampleur jamais vue.
Le processus de révision des comptes du premier trimestre 2020 a d’ailleurs été engagé un mois après la publication de leur version préliminaire. La contraction du PIB français, initialement estimée à -5,8 % le 30 avril, ce qui plaçait l’Hexagone en queue de peloton, a été révisée à la baisse à -5,3 % selon la deuxième estimation rendue publique le 29 mai. Symétriquement, l’Italie qui avait publié une contraction de son PIB de -4,7 % dans sa version provisoire de fin avril, l’a révisée à -5,3 % le 29 mai. Au final, en l’état de l’information à la fin mai, la France et l’Italie affichent des résultats égaux au premier trimestre 2020 (Graphique).
D’autres pays ont également révisé leurs comptes, certains à la baisse, d’autres à la hausse (Tableau 2). En tout état de cause, ce processus de révision des comptes n’en n’est qu’à son début. Une étape majeure sera franchie l’année prochaine une fois que les comptes trimestriels auront été calés sur les comptes annuels de 2020. Ces comptes annuels, révisés à deux reprises jusqu’à leur version définitive en 2023, révéleront alors progressivement l’ampleur d’une récession incomparable dont on ne perçoit actuellement que les prémisses.
[1] Voir sur ce point Eurostat, « Guidance on quarterly national accounts estimates in the context of the covid-19 crisis », Methodological Note, 24 avril 2020. Voir aussi pour la France, « La statistique publique à l’épreuve de la crise sanitaire », Jean-Luc Tavernier, blog de l’INSEE, 6 mai 2020.
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