L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ?

Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Publié au Journal officiel le 21 juillet dernier, le décret sur l’encadrement des loyers dans les zones  où la hausse et le niveau des loyers sont particulièrement élevés[1], entre en vigueur le 1er août 2012 pour une durée d’un an. La mesure avait été annoncée lors de la campagne présidentielle de François Hollande en janvier 2012. La voilà adoptée, en attendant la grande réforme sur les rapports locatifs entre bailleurs et propriétaires prévue en 2013.

La difficulté de se loger et la dégradation des conditions de vie pour une partie croissante de la population soulignent la montée des inégalités face au logement. Ces inégalités fragilisent une cohésion sociale déjà affectée par la crise économique. Pour beaucoup, l’accès à la propriété est rendu difficile avec l’envolée des prix d’achat, les demandes d’attribution d’un logement social restent en attente, faute de place et le marché locatif privé devient de plus en plus cher dans les grandes villes, du fait de l’envolée du prix des biens. Dès lors, l’encadrement des loyers dans ces agglomérations apparaît comme une mesure d’urgence pour freiner ces hausses. La difficulté est malgré tout de maintenir les investisseurs sur le marché locatif privé, déjà marqué par l’insuffisance de l’offre de logement et un rendement locatif très bas (1,3 % à Paris après dépréciation du capital).

Le décret a pour objectif une baisse significative des loyers de marché[2], tirés à la hausse par les loyers à la relocation, c’est-à-dire lors d’un changement de locataire. Contrairement aux loyers en cours de bail ou lors du renouvellement de bail qui sont indexés sur l’Indice de référence des loyers, les loyers des nouveaux locataires étaient jusqu’au 31 juillet 2012, fixés librement. En 2010, cela concernait près de 50 % des relocations dans l’agglomération parisienne (60 % à Paris).  Désormais, en l’absence de gros travaux, ils seront encadrés. Seuls les loyers des logements neufs mis en première location ou ou  des logements rénovés (dont les travaux représentent plus d’un an de loyer) resteront libres (tableau 1).

 

En utilisant les données de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, et sous les hypothèses décrites dans la Note de l’OFCE (n° 23 du 26 juillet 2012), « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », nous avons évalué l’impact de ce décret s’il avait été mis en place au 1er janvier 2007 et pérennisé jusqu’en 2010. D’après nos calculs, ce décret aurait eu pour conséquences non seulement de ralentir assez fortement les hausses des loyers à la relocation dès la première année d’application (+1,3 % dans l’agglomération parisienne, contre +6,4 % observés), mais aussi de les stabiliser, voire de les baisser au moment de la relocation suivante, soit 3 ans après dans notre exemple (0 % à Paris, -0,6 % dans l’agglomération parisienne en 2010). Au final, en 2010, les loyers seraient inférieurs de 12,4 % à Paris et 10,7 % dans l’ensemble de l’agglomération parisienne à ce qu’ils auraient été sans la mesure. A Paris, le loyer se situerait à 20,1 €/m2 au lieu de 22,6 €/m2 effectivement observé (tableau 2). Pour une surface moyenne des logements reloués à Paris de 46 m2, le loyer mensuel aurait été ainsi de 924 € au lieu de 1039 €, soit un gain pour le locataire de 115 € par mois. Dans l’ensemble de l’agglomération parisienne, et selon les mêmes hypothèses, le loyer à la relocation aurait baissé en moyenne à 15,9 €/m2, au lieu de 17,8 €/m2 observé. Pour une surface moyenne de 50 m2 mise en relocation, le gain est de 95 € par mois !

A plus long terme, le décret permettrait d’atténuer l’écart entre les loyers des locataires en place depuis plus de 10 ans et ceux des nouveaux locataires (écart qui se situe en 2010 à 30 % dans l’agglomération parisienne et 38 % à Paris) et d’améliorer la fluidité du marché.

Actuellement, quelle est la possibilité de déménager si le seul fait de s’agrandir pour un couple qui vient d’avoir des enfants accroît le prix du m2 de plus de 15 % dans l’agglomération parisienne ? De même, l’incitation financière à déménager pour un couple habitant dans un logement de 4 pièces de 80 m2 et dont les enfants ont quitté le domicile familial est nulle puisque le loyer d’un logement de 3 pièces de 60 m2 est équivalent. Cette prime à la sédentarité accroît les tensions sur le marché de la location et conduit les ménages à occuper des logements inadaptés à leur besoins, voire à freiner la mobilité sur le marché du travail.

Cette mesure peut-elle favoriser la mobilité et redonner du pouvoir d’achat aux ménages? A court terme, elle va certes bénéficier aux ménages les plus mobiles en limitant la hausse de la part des dépenses de logement dans leur budget[3]. Or ces ménages sont ceux pour lesquels la contrainte de revenus joue le moins, c’est-à-dire ceux qui ont des revenus élevés ou un taux d’effort relativement faible. Elle va également bénéficier aux ménages qui sont dans l’obligation de déménager ou de ceux qui sont à la limite de leur contrainte financière. Pour tous ceux là, la hausse du taux d’effort sera moindre que ce qu’elle aurait été sans le décret. En revanche pour les ménages ayant déjà un taux d’effort élevé et un faible revenu[4], le décret ne devrait rien changer puisqu’ils peuvent difficilement supporter le surcoût d’une relocation.

 

Quels sont les risques ?

Si les bénéfices attendus pourraient être réels, encore faut-il que l’application de ce décret, –ou en tous cas de la prochaine loi – les permette. Outre la difficulté de mise en application de ce décret (absence d’observatoires des loyers fiables dans les zones concernées et de cadre juridique permettant aux locataires de faire valoir leurs nouveaux droits), l’impact de cette mesure ne sera positif pour les locataires que si l’offre locative ne se réduit pas (maintien des investisseurs actuels sur le marché, poursuite des nouveaux investissements) et que les bailleurs ne cherchent pas à compenser l’encadrement des loyers futurs par un loyer plus élevé lors la première mise en location du bien.

De même, la réalisation de travaux d’amélioration dans la perspective du Grenelle 2 de l’environnement ou simplement de travaux d’entretien pourrait s’en trouver abandonnée du fait de l’allongement de la durée d’amortissement pour les propriétaires par rapport à la situation qui prévalait jusqu’alors. A l’inverse, certains propriétaires pourraient être incités à faire de gros travaux (montant supérieur à 1 an de loyer) et à « monter le logement en gamme » pour fixer librement le loyer. Une marge de sécurité serait ainsi prise par le bailleur pour compenser le manque à gagner ultérieur. Ces hausses, si elles avaient lieu, pénaliseraient les locataires les moins solvables et favoriseraient le phénomène de gentrification déjà à l’œuvre dans les zones les plus tendues. On pourrait donc constater des écarts divergents entre les loyers de marché des logements « dégradés » et des logements remis à neuf.

Ce décret devrait à court terme limiter l’ampleur des disparités dans les zones les plus tendues avec un coût nul pour le gouvernement. Mais il ne résoudra pas le problème de taux d’effort des ménages les plus modestes : pour cela, il faudrait augmenter le parc de logement social, améliorer sa fluidité et revaloriser fortement les aides au logement[5], ce qui suppose des moyens financiers importants. Le problème fondamental demeure celui de l’insuffisance de l’offre, notamment dans les zones urbaines, où par définition le foncier disponible est rare et cher, la hausse des loyers ne faisant que répercuter celles des prix de l’immobilier. Or une détente des prix passe par une plus grande disponibilité du foncier, une augmentation de la densité là où c’est possible, le développement des transports pour faciliter les déplacements entre le logement et le lieu de travail sur grande distance, …  C’est sur ces leviers qu’il faut agir pour améliorer les conditions de logement des plus modestes.

 


[1] Le décret s’applique dans les communes où la hausse des loyers observée sur la période 2002-2010 est supérieure à deux fois la hausse de l’IRL (soit 3,2 % par an) et le loyer de marché au m2 dépasse de 5 % la moyenne nationale hors Ile-de-France (soit 11,1 euros/m2). Cela concerne près de 1 400 communes situées dans 38 agglomérations (27 en métropole et 11 outre-mer).

[2] On distingue deux types de loyers : le loyer moyen est le loyer de l’ensemble des logements en location, qu’ils soient vacants ou occupés ; le loyer de marché est le loyer de l’ensemble des logements disponibles sur le marché pour la location, donc des nouveaux logements mis en location et des relocations. Il est très proche du loyer des relocations, les logements mis en location pour la première fois ne représentant qu’une faible part de l’offre disponible.

[3] Part qui a progressé depuis 15 ans pour les ménages du parc locatif privé et notamment les plus modestes.

[4] En 2010, plus de la moitié des locataires du secteur privé a un taux d’effort (net des aides au logement) supérieur à 26,9 %, mais surtout, pour les 25 % des ménages les plus modestes, le taux d’effort moyen atteint 33,6 %.

[5] Selon le rapport « Evaluation des aides personnelles au logement » de l’IGAS, en 2010, 86,3 % des loyers dans le secteur libre des allocataires étaient supérieurs au loyer plafond pris en compte pour le calcul des aides au logement. Toute augmentation de loyer est donc intégralement supportée par le locataire.