par Jérôme Creel
La nouvelle édition de L’économie européenne 2022 se concentre cette année sur les enjeux de l’après-crise de la Covid-19 pour le fonctionnement de l’Union européenne et principalement sur les questions budgétaires et monétaires. Elle éclaire ainsi quelques-uns des projets annoncés fin 2021 pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Depuis le 1er janvier 2022, la France a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne pour un semestre. À ce titre, la France va établir les objectifs à long terme de l’Union européenne et élaborer un programme définissant les thèmes et les grandes questions qui seront traités par le Conseil. Elle ne le fera cependant pas seule et pas seulement pour six mois car la règle en vigueur inscrite dans le Traité de Lisbonne depuis 2009 veut que chaque État membre présidant le Conseil de l’Union européenne établisse ses objectifs et le programme avec les deux autres États qui le précéderont ou lui succéderont dans ce rôle. La France formera ainsi un trio avec la Tchéquie et la Suède. La continuité des travaux du Conseil est donc assurée sur des périodes successives de 18 mois.
Toujours depuis 2009 et le Traité de Lisbonne, la présidence du Conseil de l’Union européenne se distingue de la présidence permanente du Conseil européen dont le rôle est principalement d’ordre administratif (préparation des Conseils) ou de représentation (lors des sommets internationaux). La présidence du Conseil de l’Union européenne conserve un rôle d’impulsion des travaux législatifs du Conseil tandis qu’elle partage avec la présidence du Conseil européen un rôle d’intermédiaire et de producteur de consensus entre les États membres, objectif devenu de plus en plus complexe et donc crucial, à réaliser au fil des élargissements de l’Union européenne.
La présidence française a ceci de particulier qu’elle précédera une période de vacance d’une année d’un représentant de la zone euro à la présidence tournante. Cela n’est sans doute pas sans importance dans le choix de la France de certains grands chantiers de réforme pour le premier semestre 2022, notamment celui du cadre budgétaire européen.
Les priorités de la présidence française se reflètent dans la devise qu’elle a adoptée : « Relance, Puissance, Appartenance » : la relance pour permettre à l’Union européenne de réussir les transitions écologique et numérique ; la puissance pour défendre et promouvoir les valeurs et les intérêts des Européens ; et enfin l’appartenance par la culture, les valeurs et l’histoire commune. Dans son discours du 9 décembre 2021 en vue de présenter les priorités de la présidence française, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a défini trois grands axes autour desquels s’articuleront les activités de la présidence : mettre en œuvre un agenda pour une souveraineté européenne, bâtir un nouveau modèle européen de croissance et créer une Europe à taille plus « humaine » dont le point d’orgue pourrait être la conclusion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en mai 2022.
La défense de la souveraineté européenne consistera à maîtriser les frontières en poursuivant trois axes : la gestion des flux migratoires, la politique de défense et la stabilité et la prospérité du voisinage direct de l’Union européenne. La gestion des flux migratoires passera par un pilotage politique plus régulier de l’espace Schengen de libre circulation des personnes et par une meilleure organisation des flux migratoires extra-européens, notamment par l’harmonisation des règles en matière d’asile ou d’accompagnement des réfugiés ou des migrants. Sur les questions de défense, devenues sans doute plus urgentes après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la présidence française ambitionne de présenter l’état des menaces stratégiques qui pèsent sur l’Union européenne et d’aboutir, après les travaux menés depuis la présidence allemande notamment, à la définition d’une souveraineté stratégique européenne. Pour assurer une meilleure stabilité de son voisinage direct, principalement l’Afrique et les Balkans, la présidence française vise à intensifier les investissements européens, y compris dans les domaines de l’éducation, de la santé et du climat.
Du côté de l’agenda de croissance, la France poursuit les ambitions de la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen en faveur de la transition vers une économie bas carbone et vers la digitalisation et la création d’un marché unique du numérique. Pour cela, la présidence française souhaite parachever l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux. Elle envisage également que les règles budgétaires européennes accordent la priorité aux investissements nécessaires à l’achèvement de cette double transition. La présidence française souhaite aussi améliorer l’équilibre entre ambition climatique, justice sociale et maintien de la compétitivité. Pour cela, elle espère la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et l’adoption de clauses de réciprocité (ou clauses miroirs) dans les exigences environnementales et sociales des futurs accords commerciaux. Enfin, la France veut contribuer à la création de « bons emplois », qualifiés, de qualité et mieux rémunérés. Sur le plan européen, cela passera par l’adoption des directives sur le salaire minimum en Europe et sur la transparence salariale pour renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes.
L’ouvrage L’économie européenne 2022, s’il cherche à analyser en priorité les enjeux de l’après-crise de la Covid-19 pour le fonctionnement de l’Union européenne, et principalement les débats budgétaires et monétaires qu’ils soulèvent, éclaire également certains projets de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
L’ouvrage présente tout d’abord un état des lieux conjoncturel de la zone euro. Coordonné par Christophe Blot, le chapitre expose les conditions de la reprise économique en 2022, notamment le maintien de conditions monétaires souples et le renoncement à l’austérité budgétaire précoce dans un contexte sanitaire en voie d’amélioration. L’incertitude prévaut cependant quant à l’intensité de la reprise attendue, et ce d’autant plus désormais qu’à la crise sanitaire succède une crise géopolitique majeure sur le continent européen.
L’ouvrage dresse ensuite un premier bilan du nouvel outil de gestion Next Generation EU (par Caroline Bozou, Jérôme Creel et Francesco Saraceno). Ce programme européen est dédié à la reprise et à la résilience après la crise de la Covid-19. Le chapitre présente les différentes innovations du programme, ses effets économiques attendus et les conséquences qu’elles pourraient avoir sur l’intégration budgétaire future des États membres.
Le chapitre suivant (par Christophe Blot, Caroline Bozou et Jérôme Creel) revient sur la révision stratégique de la Banque centrale européenne intervenue en juillet 2021. Le chapitre discute des raisons qui doivent inciter les banques centrales à revoir leur stratégie de politique monétaire à intervalles réguliers. Il présente ensuite les différents éléments de cette révision en mettant l’accent sur la définition de la cible d’inflation avant d’exposer des stratégies de révision alternatives qui tolèreraient des écarts plus durables et plus importants de l’inflation à sa cible.
Le quatrième chapitre (par Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco et Matthieu Tarbé) s’interroge sur la nature des relations entre politique monétaire et politique budgétaire : complémentaires afin de poursuivre les mêmes objectifs ou substituables car poursuivant des objectifs distincts ? Dans le premier cas, le besoin de coordination est généralement moins grand que dans le second. Le chapitre montre qu’avec l’avènement des politiques monétaires non conventionnelles, les besoins de coordination se sont plutôt renforcés, un point à garder à l’esprit dans les réformes à venir du cadre budgétaire européen.
Les deux chapitres qui suivent (l’un par Jérôme Creel et Xavier Ragot, l’autre par Xavier Timbeau) reviennent sur plusieurs changements structurels qui modifient la réflexion sur les règles budgétaires européennes : la montée importante des dettes publiques nationales, les charges d’intérêt au plus bas et l’émission d’une dette européenne commune. Le premier des deux chapitres expose les nombreuses propositions de réforme. Dans ce contexte inédit, deux voies de réforme du cadre budgétaire européen semblent souhaitables : l’une, radicale, avec le passage d’une coordination par des critères numériques à une coordination politique des politiques budgétaires, et l’autre, plus incrémentale, avec des règles assouplies associées à la pérennisation de NGEU. Le deuxième chapitre utilise la modélisation Debtwatch pour quantifier l’impact de différents scénarios de réduction des dettes publiques en Europe. La réduction des dettes imposerait à une bonne partie des États membres de la zone euro une austérité longue et peu compatible avec les autres objectifs à moyen et long terme, et ce sans gain économique véritable par ailleurs.
Le septième chapitre (par Catherine Mathieu) présente un bilan de l’application de l’accord du 24 décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le commerce de marchandises, la pêche, les services financiers, et l’Irlande du Nord. Les indicateurs suggèrent que le Brexit a eu un impact sur l’économie britannique qui reste cependant difficile à distinguer de celui du choc provoqué par la crise sanitaire.
Enfin, le dernier chapitre (par Tom Bauler, Vincent Calay, Aurore Fransolet, Mélanie Joseph, Eloi Laurent et Isabelle Reginster) expose les enjeux et les défis de la « transition juste » en Europe en proposant une définition claire et opérationnelle de cette notion. Il en explore ensuite les voies d’opérationnalisation au niveau politique. Enfin, il propose l’ébauche de tableaux de bord utiles à la mise en place d’une action publique dédiée aux objectifs de transition juste.
Le présent ouvrage ne traite pas de l’ensemble des grands axes de la présidence française du Conseil de l’Union européenne mais les lecteurs intéressés pourront toujours utilement se reporter aux éditions précédentes qui livrent des analyses toujours d’actualité sur certains d’entre eux. Je pense notamment aux chapitres sur « L’Europe au défi de la nouvelle immigration » (par Grégory Verdugo), sur « L’Europe face aux défis numériques » (par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou) et sur les « Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen » (par Éric Heyer et Pierre Madec) de l’édition de 2019, à ceux sur « La dette climatique en Europe » (par Paul Malliet et Xavier Timbeau) et sur « Polarisation et genre sur le marché du travail » (par Guillaume Allègre et Grégory Verdugo) de l’édition de 2020, ou encore à celui sur « Le Green Deal européen : juste une stratégie de croissance ou une vraie transition juste ? » (par Éloi Laurent) de l’édition de 2021.
Le présent ouvrage partage ainsi avec son objet, l’économie européenne, une dimension de continuité et de longue haleine.