par Jérôme Creel et Francesco Saraceno
(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)
Trop longue, trop technique, la déclaration finale d’action collective du Sommet du G20 à Cannes montre qu’aucune vision claire et partagée des turbulences économiques et financières qui secouent l’économie mondiale ne s’est dégagée lors du Sommet. Et Sénèque de nous rappeler que la déception aurait été moins pénible si l’on ne s’était pas d’avance promis le succès.
Après les annonces officielles, la déception était palpable à l’issue d’un sommet du G20 au cours duquel aucune avancée significative n’a été réalisée pour les dossiers les plus importants du moment, la relance de la croissance notamment. Les questions agricoles et financières, cruciales elles aussi, n’ont donné lieu qu’à des déclarations d’intention, avec le rappel pour ces dernières des engagements pris… en 2008 ! Cette déception doit être cependant relativisée car le G20 est principalement une instance de discussion plutôt que de décision. Que reste-t-il en effet des engagements pris par le G20 de Londres d’avril 2009 en pleine récession mondiale ? Les politiques budgétaires expansionnistes ? Oubliées, sous l’effet de l’endettement public qu’elles ont produit, endettement qui, soit dit en passant, était parfaitement prévisible. La régulation financière renforcée ? Ressassée, mais point encore mise en œuvre, malgré la détermination affichée à Paris les 14 et 15 octobre 2011. La volonté d’échapper au protectionnisme ? A peine mentionnée, elle n’aura d’ailleurs pas empêché la constitution de 36 cas de différends commerciaux portés auprès de l’OMC, dont 14 impliquant la Chine, l’UE et/ou les Etats-Unis. Il ne reste plus que les politiques monétaires, « expansionnistes aussi longtemps que nécessaire » dans les déclarations préalables au Sommet. Le sort du système monétaire international ne dépend-il que du bon vouloir des banquiers centraux, indépendants de surcroît ?
La réunion a en outre été perturbée par la crise qui secoue la zone euro, qui a quasiment effacé de l’agenda des dossiers importants comme cette réapparition du protectionnisme, reléguée aux paragraphes 65 à 68 d’un document en comportant 95. A Cannes les pays émergents et les Etats-Unis ont été spectateurs d’un drame qui se déroulait entre Paris, Berlin, Rome et Athènes.
Cette crise qui secoue la zone euro découle de l’hétérogénéité des pays qui la constituent, comme la crise financière déclenchée en 2007 fut causée, outre l’absence de réglementation financière, par l’hétérogénéité croissante entre pays mercantiles et pays supposés être les eldorados de l’investissement, d’un côté la Chine et l’Allemagne, de l’autre, les Etats-Unis et l’Irlande. L’hétérogénéité européenne, l’une des quatre déficiences de la zone euro, a conduit les pays disposant d’un excédent de leur balance des comptes courants à financer les pays en situation de déficit. Seule et avec la priorité donnée à la lutte contre l’inflation que le Traité de l’UE lui a imposée, la BCE est impuissante à renforcer la convergence au sein de la zone euro. Cependant, à court terme elle peut mettre fin à la crise de l’euro en acceptant d’apporter une garantie intégrale sur les dettes publiques de la zone euro (voir [1], [2] ou [3]), et en augmentant sensiblement ses acquisitions de titres de dette publique européenne. Ceci préserverait la stabilité financière européenne et engendrerait peut-être des anticipations inflationnistes, contribuant ainsi à sortir l’économie européenne de la trappe à liquidité dans laquelle elle se trouve depuis le début de la crise financière. Notons que malgré son activisme, la Réserve fédérale américaine n’a pas jusque-là réussi à engendrer de telles anticipations et reste engluée dans une même trappe à liquidités.
A plus longue échéance, il convient de revoir la gouvernance économique européenne. L’usage actif des politiques économiques aux Etats-Unis et en Chine contraste avec la prudence affichée par la BCE et avec les réticences européennes à mener des politiques budgétaires expansionnistes, et plus généralement avec le choix de bâtir la gouvernance économique européenne sur le refus des politiques discrétionnaires. Ainsi serait-il souhaitable que, tout en préservant son indépendance, la BCE puisse poursuivre un double mandat d’inflation et de croissance, et que les règles qui disciplinent la politique budgétaire soient plus « intelligentes » et flexibles.
Donner aux autorités de politique économique la possibilité de mener des politiques discrétionnaires ne doit pas faire oublier le risque de manque de concertation, qui peut amener le Congrès américain à menacer unilatéralement de taxes compensatoires les marchandises importées de pays dont la monnaie serait sous-évaluée. Une telle volonté fait resurgir le spectre du protectionnisme, et les pays du G20 devraient envisager un mécanisme pour coordonner les politiques, et éviter ainsi des guerres commerciales plus ou moins explicitement déclarées.
En outre, une guerre des monnaies ne semble pas une façon efficace de protéger nos économies : la sous- ou surévaluation d’une monnaie est un concept complexe à appliquer, et l’incidence de la valeur d’une devise sur les exportations et importations est rendue très incertaine par la fragmentation internationale de la production de marchandises et de services. A une politique défensive, il vaut donc sans aucun doute mieux substituer une politique industrielle active, permettant de tirer profit de nouvelles niches technologiques créatrices d’activités et d’emplois.
Au final, pour que les mots aient un sens concret – pour « engendrer la confiance et la croissance » dans les économies avancées et « soutenir la croissance en contenant les pressions inflationnistes » dans les économies émergentes (Communiqué du G20, Paris, 14-15 octobre 2011) -, il faut remettre en cause la « contagion des contractions budgétaires » qui secoue aujourd’hui la zone euro et, plutôt qu’une phase supplémentaire de rigueur, mettre à l’ordre du jour des plans de relance dans les économies avancées pendant que les taux d’intérêt sont encore bas. Ces plans doivent être ciblés pour engendrer de la croissance et ne pas mettre en péril la solvabilité des finances publiques : il faut donc favoriser les investissements publics. Ils doivent être coordonnés entre eux pour en maximiser l’impact global, mais aussi avec l’action des banques centrales, afin que celles-ci les accompagnent par le maintien de taux d’intérêt bas. Le Sommet de novembre 2011 arrivait à point nommé pour qu’une telle concertation émerge. Il n’en fut malheureusement rien.