par Jérôme Creel
Avant une étude plus approfondie de la crise chypriote, et de ses conséquences sur la zone euro, voici quelques réflexions sur le projet d’accord intervenu ce matin entre la Présidence chypriote et certains bailleurs de fonds.
Ce projet prévoit la faillite d’une banque privée, la Laiki, et la mise à disposition de ses dépôts sécurisés (en deçà de 100 000 euros) auprès d’une autre banque privée, la Bank of Cyprus afin de participer à sa recapitalisation. Dans cette banque, les dépôts au-delà de 100 000 euros seront gelés et convertis en actions. In fine, la Bank of Cyprus devrait pouvoir atteindre un ratio de fonds propres de 9%, conformément à la législation bancaire appliquée dans l’UE. En échange de ces dispositions, auxquelles s’ajoutent des augmentations des taxes sur les revenus du capital et sur les bénéfices des entreprises, les institutions européennes verseront 10 milliards d’euros à Chypre. Les dépôts bancaires garantis selon les règles en vigueur dans l’UE vont le rester, en même temps que la hausse des taxes sur les revenus du capital va réduire la rémunération excessivement attractive des dépôts chypriotes au regard de la moyenne européenne.
En une semaine, les négociations entre les autorités chypriotes, le FMI et les institutions européennes ont abouti à des résultats radicalement différents. Pour le volet du plan de sauvetage correspondant à la viabilité du système bancaire, le président chypriote a semble-t-il été confronté à un arbitrage entre la taxation de tous les déposants, y compris les « petits épargnants », et la faillite bancaire n’entraînant de pertes financières que pour les actionnaires, les détenteurs d’obligations et les « grands épargnants » (ceux dont les dépôts dépassent 100 000 euros). Il aura donc fallu une semaine pour que le représentant démocratiquement élu d’un Etat membre de l’Union européenne cède et défende l’intérêt du plus grand nombre (l’intérêt général ?) au détriment des intérêts particuliers de quelques banquiers.
Dans le projet d’accord intervenu ce matin figure aussi une mention fort intéressante aux questions de blanchiment d’argent. Les banques chypriotes vont subir des audits permettant de mieux connaître l’origine des fonds perçus. Cette fois-ci, il n’aura pas fallu une semaine, mais bien plutôt des années pour que les membres de l’Eurogroupe s’emparent aussi officiellement d’une question fondamentale sur le fonctionnement de l’économie chypriote. Au-delà du cas chypriote, il est permis de douter que l’argent n’ait pas d’odeur dans l’UE.
Dernière réflexion à propos du Fonds monétaire international, bailleur de fonds associé dans la troïka à la Banque centrale européenne et à la Commission européenne. Il semblerait que ses exigences aient été très nombreuses : doit-on en conclure que le FMI a un pouvoir de négociation bien supérieur à ceux de la BCE et de la Commission européenne, qu’il est le leader de cette troïka ? Si tel était le cas, cela poserait problème : d’une part, la BCE et la Commission sont supposés défendre les intérêts européens, ce qui serait infirmé si ces deux institutions étaient sous la coupe du FMI. D’autre part, il ne faudrait pas oublier que lors de sa recapitalisation d’avril 2009, le FMI a bénéficié de fonds supplémentaires en provenance des pays de l’UE, sage décision de leur part si leurs représentants anticipaient d’avoir bientôt recours à des plans de sauvetage, les fonds attribués au FMI revenant dans l’UE sous forme de prêts. Ceci étant, se voir dicter par le FMI des conditions drastiques pour bénéficier de plans de sauvetage au financement duquel on a somme toute largement contribué, est contestable; et ceci fragilise le processus d’intégration européenne.