par Vincent Touzé
Décédé à l’âge de 102 ans le 2 septembre 2013, l’économiste américain Ronald Coase nous laisse une œuvre exceptionnelle du fait de sa simplicité et sa pertinence.
Précurseur de la théorie de la firme, il voit dans cette ce type de structure une capacité indéniable à réduire les coûts de transaction et organiser ainsi efficacement l’activité économique en dehors des marchés (« The Nature of the firm », Economica, 1937). Le dilemme de la firme est le suivant : faire (c.à.d. produire soi-même) ou faire faire (recourir au marché). En l’absence de coûts de transaction sur les marchés, il n’y aurait pas de firme mais seulement des petites unités autonomes de production. Les coûts de transaction résultent de l’ensemble des dépenses associées à l’acquisition ou à la vente d’un produit : rémunération d’intermédiaires, acquisition d’information, recherche du meilleur prix, etc. Ainsi, lorsque ces coûts sont trop élevés, il est opportun de produire soi-même le bien ou le service. Toutefois, les firmes font également face à des coûts pour s’organiser. La théorie des organisations est née.
Défenseur de la libre concurrence, il attribue aux défaillances des marchés une mauvaise définition des droits de propriété (« The Problem of social cost », 1960, Journal of Law and Economics, 3: 1-44). Il se méfie des réglementations coûteuses. Il s’oppose à Pigou (The Economics of Welfare, 1932, Macmillan and Co. Ed.) qui recommande l’intervention publique pour gérer les externalités négatives. Au contraire, il préconise une meilleure identification des droits de propriété, le rôle de l’Etat devant se limiter à être garant du respect de ces droits. Cette idée a été synthétisée sous la forme du « théorème de Coase » en 1966 par George Stigler dans son ouvrage The Theory of Price (MacMillan Ed.). En s’intéressant précisément aux interactions entre droit (définition de la propriété, fondements et conséquences des décisions de justice, etc.) et économie, Coase apparaît comme un des pères-fondateurs d’une discipline nouvelle, celle de l’analyse économique du droit.
Dans les années 1990, le protocole de Kyoto a popularisé le « théorème de Coase » en proposant la mise en place d’un commerce de droits d’émissions pour réguler la quantité de gaz à effet de serre, les fameux « droits à polluer ». Pour contrôler les émissions de gaz à effets de serre, deux approches sont possibles : la vente de droits à polluer ou la taxation à la Pigou. La première approche consiste à attribuer des droits à émettre du gaz en quantité limitée. Pour produire, il faut détenir des droits. Ces droits s’échangent sur un marché où le prix des émissions de gaz résulte de la confrontation de l’offre à la demande. La seconde approche consiste à attribuer un prix ad hoc (taxe pigouvienne) au coût social marginal de l’externalité. Cette taxe est payée par les entreprises émettrices des gaz. Le principe des droits à polluer est souvent considéré comme plus exigeant (et donc contraignant pour les entreprises) car le prix de l’émission de gaz est endogène et la quantité totale limitée. Avec une taxe pigouvienne, c’est l’inverse. Le prix est fixe (ou faiblement endogène en cas de taxation progressive) et la quantité potentiellement illimitée.
Attaché à la simplicité de l’exposé, Coase n’hésite pas à dénoncer le recours à un formalisme mathématique trop excessif. Dans un portrait publié par l’Université de Chicago en 2012, il regrette ainsi que l’économie soit « devenue un sujet axé sur la théorie et les mathématiques ». Selon lui, « l’approche devrait être empirique. Vous étudiez le système comme il est, comprenez pourquoi il fonctionne de cette façon et considérez quels changements pourraient faire en sorte de l’améliorer ». Modeste, il confie : « Je n’ai jamais fait quelque chose qui n’était pas évident, et je ne sais pas pourquoi d’autres personnes ne le font pas » et aussi « Je n’ai jamais pensé que les choses que j’ai faites étaient si extraordinaires ».
Son œuvre a été couronnée par un prix Nobel en 1991.