Hélène Périvier, Bruno Palier, Bernard Gazier
C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Robert Castel. Il aura marqué la sociologie française, mais au-delà les sciences sociales, par son analyse de la société salariale et de ses évolutions. Dans les métamorphoses de la question sociale, il avait mis en évidence le pouvoir émancipateur de la société salariale, qui a doté les travailleurs d’une « propriété sociale ». Ce concept facilite la compréhension des enjeux liés à l’acquisition de droits sociaux dans certaines économies de marché. Au terme d’Etat providence, il préférait celui d’Etat social, car il voyait dans l’appellation d’Etat providence, largement répandue, l’idée d’un Etat social tombé du ciel, alors même qu’il est le fruit de combats et de négociations, et qu’il s’est construit sur le long terme. La flexibilisation du marché du travail, l’amoindrissement des droits sociaux et la précarisation du travail, ont conduit selon lui aux phénomènes de désaffiliation, certains individus étant hors d’atteinte de la protection de l’Etat social.
Nous avons eu la chance de collaborer avec lui sur un projet visant à repenser une nouvelle génération de droits sociaux. Toujours prêt à échanger, à s’enrichir de débats multiples, nous avons également découvert un homme d’une grande humilité, à l’écoute des autres de leur apport et aussi de leur critique. Notamment celles des féministes qui ont pointé son silence sur la division sexuée du travail. Il acceptait et reconnaissait la pertinence de ces remarques. Lors de nos échanges, il s’inquiétait de l’évolution de nos organisations économiques et sociales, laissant de côté les plus fragiles : les jeunes, et notamment ceux qui vivent dans les zones les plus défavorisées, qui partent avec un faible bagage éducatif. Il revendiquait l’égalité comme un principe fondateur de notre contrat social. Mais pensait l’égalité comme l’égalité des possibles. Il plaidait pour une société de semblables, tel Léon Bourgeois à son époque.
Dans notre monde marqué par la crise et l’accroissement violent des inégalités, il était présent dans le débat public, et apportait un éclairage de long terme sur les dérives de nos systèmes sociaux, ainsi que sur les principes qui peuvent guider leur réforme. Son absence affectera la qualité de ce débat. Si nous pourrons toujours profiter de l’immense apport de ses travaux, nous regretterons ses interventions toujours pertinentes, son honnêteté intellectuelle, sa gentillesse avec toutes et tous. Plus qu’un chercheur, nous perdons un penseur, un ami.