Le décès de Jean-Paul Fitoussi le 15 avril 2022 nous plonge dans la plus grande tristesse. Bien plus qu’un président de l’OFCE, il nous a toutes deux, à des moments divers, accompagnées dans nos projets avec bienveillance. En particulier, c’est grâce à son soutien que le programme PRESAGE a pu voir le jour.
Jean-Paul Fitoussi était un grand économiste, beaucoup l’ont déjà souligné. Ses apports à la théorie économique, ses contributions aux débats de politique économique et ses talents d’enseignant ont été décrits dans les multiples hommages qu’a suscités sa disparition.
L’analyse des inégalités socioéconomiques tenait une place majeure dans ses réflexions, notamment celles dues au chômage. Il a dénoncé l’injustice sociale sous toutes ses formes. Lorsque nous lui avons pointé l’absence de perspective en termes d’inégalités femmes-hommes dans les travaux de l’OFCE, thème pourtant essentiel à la compréhension du fonctionnement de nos sociétés et de nos économies, il nous approuva immédiatement. Ainsi, en 2004 pour la première fois, la Revue de l’OFCE éditait un numéro spécial Travail des femmes et inégalités. Une conférence de presse fut organisée pour en faire la promotion et elle fut l’occasion pour Jean-Paul Fitoussi de marquer ce nouvel élan pour notre institution.
Puis, lorsque nous lui fîmes part de notre projet de créer un programme académique dédié à ces questions et plus largement à la perspective de genre en sciences sociales, son enthousiasme fut immédiat. Economiste engagé qui prenait part aux enjeux de la cité, il se laissa vite convaincre de l’intérêt de notre démarche. Il s’agissait d’institutionaliser les études sur le genre à Sciences Po, en créant un programme de recherche pluridisciplinaire et d’enseignements destinés à diffuser ces thématiques auprès des élèves par un vaste ensemble de cours intégrés au collège universitaire et aux écoles.
Il n’en fut pas seulement la caution, certes indispensable pour porter un projet d’une telle ampleur au sein de Sciences Po, mais il en fut partie prenante. C’est grâce à lui que nous avons pu échanger avec Amartya Sen, qui a accepté d’être membre du Conseil scientifique de PRESAGE, un atout incontestable pour ancrer ce projet dans l’international. Il s’impliqua personnellement dans l’émergence du programme en 2010, y compris dans les méandres de la définition des contours institutionnels que nous pouvions lui donner (une chaire, un pôle, un programme… ?) et pour vaincre les résistances que toute nouvelle initiative suscite. Il défendit le projet à Sciences Po et il mit sa notoriété à son service. Allez-y ! Foncez ! nous dit-il. Comment espérer mieux… Comment expliquer autrement que ce programme, à vocation intrinsèquement transversal et pluridisciplinaire, ait été ancré à l’OFCE ? Et que cela ait perduré ? Avec le soutien de Jean-Paul Fitoussi, tout était possible !
Au quotidien, les discussions avec Jean-Paul Fitoussi étaient toujours un moment de plaisir et de défi. Sa voix basse vous obligeait à prêter attention à son propos, son flot lent et ponctué de « hum » et de « je réfléchis tout haut » vous laissait le temps d’affûter vos arguments. Il n’avait que faire des idées reçues, lui qui dénonçait « le débat interdit », lui que la pensée unique indignait, lui que le point de vue dominant inquiétait. Être à contrecourant d’une pensée dominante ne lui faisait pas peur ; il y trouvait même un certain plaisir.
Au quotidien, il était facile d’être gagné par son enthousiasme et sa détermination. Sa persévérance était réconfortante, encourageante.
Au quotidien, nous avons eu la chance de côtoyer un homme chaleureux qui marquera à jamais nos mémoires.
Merci cher Jean-Paul !