Crise de l’automobile: les défaillances stratégiques ne doivent pas occulter les conséquences de l’austérité budgétaire

Par Jean-Luc Gaffard

La crise de l’automobile, qu’illustre la fermeture du site PSA d’Aulnay, révèle des difficultés structurelles en même temps que des erreurs stratégiques commises en matière d’organisation industrielle et de positionnement de gamme de la part des constructeurs. La nécessité des restructurations à laquelle l’industrie est confrontée ne saurait, cependant, occulter la dimension proprement macroéconomique et à très court terme de cette crise.

Les immatriculations de voitures neuves en France ont chuté de 15,5% en juillet en données corrigées des jours ouvrables et en rythme annuel. Sur les sept premiers mois de l’année, la baisse du marché automobile s’établit à 13,5% en données brutes et à 14,1% en données corrigées. Le groupe PSA a perdu 9,9% en juillet en données brutes. Le groupe Renault a vu pour sa part ses immatriculations reculer de 11,2% avec une chute de 26,6% pour la marque au losange mais un quasi-doublement des immatriculations de la marque à bas coût Dacia. Toujours en juillet, les ventes de voitures neuves en Espagne ont accentué leur chute, avec un repli de 17,2 %. En Italie, les immatriculations de voitures neuves ont plongé de 21,4 %. Enfin, si la production allemande a augmenté de 5% grâce aux exportations, les immatriculations de voitures neuves en Allemagne ont reculé de 5%.

Ces chiffres catastrophiques sont en tout premier lieu la conséquence de l’affaissement de la demande globale dans les pays de l’Union européenne qui résulte de la chute des revenus combinée à un creusement des inégalités de répartition. La classe moyenne maintient ou accroît son taux d’épargne et reporte ses achats dans le temps ou sur des produits à moindres coûts au premier rang desquels les automobiles quand, dans le même temps le creusement des inégalités rend le marché des véhicules haut de gamme particulièrement porteur en Europe comme en Chine.

Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que PSA positionné en milieu de gamme enregistre une chute de ses ventes et que Renault ne limite la casse que grâce aux ventes de sa marque à bas coût. Il n’est pas davantage étonnant de constater la nette progression des marques asiatiques, notamment coréennes, également positionnées sur ce segment du marché. Il n’est pas étonnant, enfin, que les groupes allemands enregistrent des résultats exceptionnels en étant fortement positionnés sur le haut de gamme : BMW, Audi et Porsche ont enregistré une augmentation de leurs ventes au premier semestre respectivement de 8%, 22,5% et 12,3%.

Cet état de fait ne saurait naturellement exonérer les constructeurs de leurs responsabilités stratégiques, mais il devrait conduire le gouvernement à hiérarchiser les causes et, plus encore, à prendre la mesure de ce qui est nécessaire à court terme en même temps qu’il s’engage dans un soutien à long terme de la filière.

Personne ne peut douter de la pertinence et de l’efficacité de la stratégie des entreprises allemandes basée sur la fragmentation internationale de leur production, la conservation et le développement sur le territoire national de leur capacité technologique et une meilleure analyse des attentes du marché dans les pays émergents au premier rang desquels la Chine. Cette stratégie s’est avérée d’autant plus gagnante que les dévaluations compétitives étaient devenues impossibles avec l’avènement de la monnaie unique et que cette impossibilité a fini par mettre à nu les erreurs de positionnement de leurs concurrents français, notamment de PSA, face à la réalité des marchés mondiaux. La rivalité accrue entre entreprises, du fait de l’affaiblissement progressif et récemment accéléré de la demande intérieure européenne, ne pouvait que conduire à creuser les écarts de performance en termes de volumes vendus, de parts de marché et finalement de marges bénéficiaires.

Il n’est certes pas discutable que l’avenir de l’industrie automobile française passe par un effort substantiel d’innovation organisationnelle et technologique couplant internationalisation de l’activité de production et renforcement des relations productives locales, ainsi que par la recherche de niches rendant la concurrence moins sensible aux prix. Les mesures publiques destinées à renforcer le tissu productif grâce à une politique de site et un soutien de la sous-traitance répondent à ce défi stratégique. L’accent mis sur le développement des véhicules électriques et hybrides est, en revanche, discutable. Le marché des véhicules électriques pourrait bien rester marginal et ce n’est pas un prix fortement subventionné permettant de doper les ventes auprès d’un public urbain spécifique qui changera la donne. Quant au marché des véhicules hybrides, encore limité en volume, c’est un marché où la concurrence étrangère (japonaise) existe déjà fortement. Ne faudrait-il pas s’interroger sur le devenir des véhicules de gamme moyenne, qui subissent à l’évidence le contrecoup de la crise en Europe, mais dont le marché pourrait redevenir florissant au sortir de la crise en Europe et se développer dans les pays émergents à mesure que s’y constitue une véritable classe moyenne. En d’autres termes, le redressement productif dans le secteur de l’automobile, s’il doit passer par des améliorations de qualité, reste une affaire de demande, une demande qui doit se concevoir à l’échelle du monde et commander en conséquence les choix stratégiques d’implantation et de segmentation des activités de production.

En toute hypothèse, un redressement productif dans une direction ou dans une autre demandera du temps, et ce temps risque fort de manquer si, à court terme, il n’y a pas de redressement de la demande. En d’autres termes, le problème immédiat est autant, sinon plus, macroéconomique que microéconomique. Le plus sûr moyen d’enterrer l’industrie automobile française, de perdre ainsi un important capital humain accumulé, est de poursuivre une austérité budgétaire qui ne fait que déprimer la demande sans pour autant résoudre la question des dettes souveraines.

 




La situation sur le marché du travail en France*

Par Eric Heyer

 

L’économie française fait face à de nombreux déséquilibres dont les deux principaux sont :

– le déficit public qui devrait s’établir fin 2012 à près de 4,5 points de PIB, soit près de 100 milliards d’euros ;

– le déficit d’emplois qui induit un chômage de masse.

Si le premier fait l’objet de toutes les attentions, s’il fut et reste la préoccupation principale pour ne pas dire unique de tous les sommets européens depuis 3 ans et s’inscrit au cœur de la stratégie européenne de sortie de crise, force est malheureusement de reconnaître qu’il n’en est pas de même pour le second. Or, on est en droit de se demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les déficits publics coûte que coûte au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Car depuis le début de la crise qui a débuté en début d’année 2008, l’économie française a détruit plus de 300 000 emplois et le nombre de chômeurs a augmenté de 755 000 au sens du Bureau International du Travail, touchant plus de 2 millions 700 mille Français soit 9,6 % de la population active.

Et ce chiffre sous-estime sans aucun doute la réalité : actuellement l’économie française ne crée que des mini jobs à temps partiel et de durée très faible : au cours du dernier trimestre, 4,5 millions de contrats ont été signés : 3 sur 4 sont des contrats de moins de 1 mois (essentiellement de 1 jour à 1 semaine). Ainsi donc, une personne ayant signé ce type de contrat au cours du mois et étant à la recherche d’un emploi à la fin du même mois n’est pas considérée comme chômeur. Leur prise en compte alourdirait le bilan et enfoncerait un peu plus l’économie française dans un chômage de masse.

Par ailleurs, et cela est plus inquiétant, ces chômeurs vieillissent au chômage – le nombre de chômeurs de longue durée continue à exploser – et ce faisant perdent à la fois en termes de compétence mais aussi en termes financier en sortant de l’indemnisation chômage et en tombant dans les minima sociaux ; dans une étude que nous avons effectué à l’OFCE pour l’Observatoire national sur la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons estimé qu’en France, 100 chômeurs supplémentaires au cours de cette crise entraîneraient une augmentation de 45 pauvres en 2012. Ainsi, même une stabilisation du chômage ne serait pas le signe de l’arrêt de la dégradation de la situation des Français, bien au contraire.

Il est donc urgent d’inverser la tendance sur le front de l’emploi et du chômage.

La façon la plus sûre d’y arriver est de remettre l’économie française sur un sentier de croissance dynamique : rappelons qu’une croissance positive mais faible ne suffit pas pour que l’économie française recommence à créer des emplois : compte tenu des gains de productivité, l’activité dans l’hexagone doit progresser de plus de 1% pour  que s’enclenche la spirale des créations d’emplois. Par ailleurs, eu égard à une démographie toujours dynamique et au report de l’âge légal de la retraite, la population active progresse de 150 000 personnes chaque année. Il faut donc créer plus de 150 000 emplois pour que le chômage commence à baisser en France, ce qui correspond à une croissance supérieure à 1,5 %.

Or compte tenu des politiques d’austérité mises en place en France et chez nos partenaires européens, une telle croissance semble inenvisageable en 2012 et en 2013.

Comment alors empêcher le chômage d’exploser à cet horizon ?

La première solution est de changer la stratégie européenne en définissant, entre autres choses, une austérité « plus tempérée ».

La deuxième solution est d’adopter la stratégie allemande au cours de la crise, c’est-à-dire réduire le temps de travail en recourant massivement au travail à temps partiel et aux dispositifs de chômage partiel. Rappelons que 35 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiels contre 17 % en France et qu’au cours de la crise 1,6 million d’Allemands sont passés dans un dispositif de chômage partiels contre 235 000 en France, ce qui leur a permis de continuer à réduire le chômage pendant la crise.

La dernière solution vise à recourir au traitement social du chômage. Le secteur privé continuant à détruire des emplois, le secteur public compenserait une partie de ces destructions avec la création d’emplois aidés.

Le gouvernement semble s’engager dans cette dernière voie : 100 000 emplois d’avenir devraient voir le jour en 2013 et 50 000 en 2014.

A court terme, et compte tenu de la conjoncture, cette stratégie semble être la plus efficace et la moins onéreuse. Cependant, à moyen terme, elle ne pourra pas remplacer une politique de croissance.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture.

 




La saison 1 s’achève

Après 11 mois d’activité éditoriale intense,  OFCE le blog s’interrompt quelques semaines, juste le temps de prendre un peu de repos avant d’entamer une deuxième saison. Toute l’équipe de l’OFCE espère vous retrouver en septembre, pour de nouvelles aventures.




La tarification des produits pétroliers au Maroc revisitée : un éléphant qui accouche d’une souris

par Yasser Yeddir-Tamsamani[1]

Le pétrole et ses dérivés constituent une source d’énergie à caractère stratégique pour maintenir les équilibres socio-économiques d’un pays. Conscientes d’une telle spécificité, les autorités Marocaines fixent[2] les prix des produits pétroliers à des niveaux jugés acceptables et d’une manière ad-hoc. Nous revenons sur la réforme du 2 juin 2012, qui a vu les prix à la pompe augmenter fortement.

Avec la montée des prix du pétrole brut, un système de subvention explicite s’est mis en place résultant de l’écart entre le prix du marché des produits pétroliers et leurs niveaux ciblés. L’ampleur de cet écart détermine le montant des subventions apportées par la caisse de compensation[3] dont l’évolution dépend des facteurs à la fois exogènes et endogènes de l’économie nationale : le prix international du pétrole brut, les variations du taux de change, les comportements des agents économiques, et le système fiscal.

Le Maroc n’est pas l’exception dans ce domaine. Le système de subvention des produits pétroliers caractérise la plupart des pays émergents et en développement, et représentait environ 193 milliards de dollars en 2010[4], hors les subventions de la production de l’électricité. Ces dernières années, plusieurs pays se sont engagés dans la voie de la réforme de leurs systèmes de subventions en général. Cette dynamique devrait s’accélérer à la suite des travaux du sommet du G20 de Cannes 2011[5] qui ont mis un accent particulier sur la nécessité de réduire les distorsions des prix et de promouvoir la protection de l’environnement, notamment dans un contexte de crise et de réflexion sur un modèle de croissance alternatif.

Une réforme dans le bon sens, mais incomplète

Si ce système de subvention présente l’avantage de lisser la volatilité des cours du pétrole raffiné coté sur le marché international et de maintenir à un certain niveau le pouvoir d’achat des ménages, il a en revanche des effets pervers qui le rendent insoutenable à moyen et long terme. La raréfaction de cette ressource est bien une réalité qui devrait être intégrée dans les choix des acteurs économiques via le signal prix, afin de se préparer correctement au nouveau contexte économique. Dissimuler cette réalité renforce la myopie dans les choix des agents et retarde le pays à prendre le chemin de la transition vers un modèle économique sobre et soutenable.

En outre, le système de subvention tel qu’il est mis en place au Maroc est régressif et profite davantage aux couches sociales les plus favorisées. Du point de vue redistributif aussi, le système est fort inéquitable, à cause de la place non négligeable qu’occupent les activités informelles au Maroc. Ces dernières bénéficient des prix subventionnés sans pour autant contribuer aux recettes fiscales.

Dans ce contexte, une réforme générale du système devient urgent afin d’ancrer les bonnes anticipations sur l’évolution future des prix des produits pétroliers et ceux des biens et services qui les utilisent comme consommation intermédiaire, d’appréhender les mutations en cours aux niveaux des systèmes de consommation et de production à l’échelle internationale, et de rendre le système fiscal national plus redistributif en ciblant la population nécessiteuse en termes d’aide et de soutiens directs.

Ainsi, le 2 Juin 2012, le gouvernement marocain a décidé soudainement une augmentation des prix à la pompe des produits pétroliers destinés aux ménages et du fuel industriel, dans le cadre d’une réforme générale, selon le gouvernement, de la caisse de compensation, chargée de réguler les prix à la vente de certains produits de première nécessité.

Les nouvelles mesures révisant la tarification des produits pétroliers prévoient une augmentation de 20 % en termes nominal du prix final de l’essence, passant de 10,18[6] à 12,18 dirhams le litre, et une hausse du prix du gasoil et du fuel industriel respectivement de 14 % et de 27 %. Ces augmentations correspondent à une  baisse de 14 points du poids de la subvention dans le coût de revient de l’essence et du fuel industriel et de 8 points pour le gasoil.

En revanche, la variation de la valeur unitaire de la subvention après la réforme par rapport à celle de 2011 reste marginale pour les carburants à destination des ménages et du secteur des transports. La subvention a baissé à peine de 0,64 centimes pour l’essence et 0,09 centimes pour le gasoil. Elle s’est même appréciée légèrement pour le fuel industriel (1% de plus). Ainsi, l’ampleur de ces variations semble montrer que les mesures prises ont pour seul objectif d’inclure dans les prix finaux à la pompe le différentiel au niveau des conditions d’achat des produits pétroliers sur le marché international entre les cinq premiers mois de 2012 et celles de l’année 2011, sans pour autant remettre à plat toute la structure du système de compensation.

Plusieurs zones d’ombre persistent après la réforme, ce qui limite ses apports, notamment le passage sous silence des subventions du kérosène et des hydrocarbures utilisés dans la production de l’électricité[7]. In fine, la réforme est née handicapée.

Gouverner est-il prévoir ?

La réforme de la tarification des produits pétroliers mise en place au courant du mois de juin 2012 au Maroc n’a été précédée ni d’une annonce offrant aux agents économiques une marge temporelle leur permettant de s’adapter graduellement au nouveau contexte économique et d’amortir l’ampleur du choc[8], ni par un débat public garantissant l’implication de l’ensemble des composantes de la société dans ce processus et donc l’appropriation de ces mesures par les différents acteurs économiques concernés.

Pis encore, jusqu’à ce jour aucune trajectoire n’a été donnée sur l’évolution future des prix des produits pétroliers, pas plus qu’une règle d’indexation sur les prix mondiaux. Ceci ne devrait pas inciter les agents économiques à se préparer à une nouvelle ère caractérisée par un pétrole cher, et promouvoir un autre modèle de production et de consommation basée sur des ressources alternatives.

En ce sens, la réforme s’apparente plutôt à un choc pétrolier exogène, à une différence près relative à l’amélioration des soldes budgétaire et commercial en l’occurrence, dont les répercussions seront négatives sur le plan économique et social[9], qu’à une réforme structurelle bien réfléchie dont l’objectif est une réallocation optimale des ressources et une mobilisation des potentialités locales.

Par ailleurs, le fardeau de la subvention directe des produits pétroliers pèse lourdement sur les comptes publics, il représente 5,38 % du PIB en 2011, soit environ la totalité du déficit budgétaire de la même année. En rajoutant à cela le manque à gagner de l’application d’un taux de TVA réduit, le coût total incluant la subvention directe et indirecte des produits pétroliers serait encore plus élevé. Tous ces éléments justifient l’esprit purement comptable et budgétaire derrière l’élaboration de cette réforme qui n’est guère dissimulée, et qui limite largement son rôle incitatif consistant à infléchir les comportements dans le sens de plus de sobriété et d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Dans le même ordre d’idées, la nouvelle réforme ne prévoit aucunement des politiques d’accompagnement en faveur des ménages les plus touchés par ces augmentations et des secteurs productifs fragilisés.

La hausse des prix à la pompe des produits pétroliers est inévitable

Tendance du prix de pétrole

L’ère du pétrole bon marché fluctuant autour de 20 dollars le baril au début des années 2000 est derrière nous. L’irréversibilité de la tendance haussière du prix du pétrole à moyen et long terme est incontestable, du fait de la situation des fondamentaux du marché : bien que la demande des pays industrialisés connaisse un ralentissement, excepté le Japon qui est en phase de reconstruction après la catastrophe de Fukushima[10], la dynamique de la demande énergétique provenant des pays émergents conjuguée à une absence de convention internationale contraignante en termes de réduction des émissions de CO2, fait plus que compenser l’atonie de la demande des pays industrialisés et tire la demande mondiale en pétrole vers le haut.

A court et à très court terme, les prix du pétrole brut fluctuent autour de la tendance haussière de moyen et long terme, avec une alternance des périodes de pic et de creux dont l’ampleur serait déterminée par les facteurs géopolitiques dans les régions productrices de la ressource et par le degré de frénésie des marchés financiers[11] : après une forte chute au premier trimestre 2009 qui a fait baisser le prix du pétrole rejoignant son niveau de 2005 (44 USD/bl), il a augmenté pour atteindre un nouveau pic au premier trimestre de cette année (124 USD/bl). Le deuxième trimestre de 2012 a été marqué par un léger ralentissement du prix du pétrole qui s’est stabilisé à 97 USD le baril durant le mois de juin.

La décomposition des prix à la pompe des produits pétroliers

Les prix des carburants à la pompe au Maroc se décomposent (Figure 1) en une partie fixe déterminée par les pouvoirs publics et une partie variable dépendante du marché international du pétrole raffiné et de la situation sur le marché de change.

La composante fixe du prix contient deux éléments : la taxe intérieure à la consommation et les frais et marges de transport et de distribution qui constituent ensemble 38 % du coût de revient de l’essence, 26 % de celui du gasoil, et 4 % pour le fuel industriel. La grande partie des prix à la pompe est donc formée du prix des produits raffinés à raison de 53 % pour l’essence, 65 % pour le gasoil, et 87 % pour le fuel industriel. La TVA, fixée à un taux réduit de 10 %, vient en deuxième position des composantes variables des prix à la pompe. Enfin, la subvention est aussi un élément variable dépendant des composantes précédentes et calibrée périodiquement afin de garantir des prix à la pompe prédéterminés.

Ainsi, le poids de la subvention des produits pétroliers dépend essentiellement des cotations du pétrole raffiné sur le marché de Rotterdam[12], qui réagit à son tour à l’évolution du prix  du pétrole brut. Le renchérissement de ce dernier augmente les prix de ses dérivés, ce qui en corollaire alourdit le poids de la subvention.

Par ailleurs, la variation de la parité de change MAD/USD a un effet non négligeable sur le degré d’intervention des pouvoirs publics sur les prix des produits pétroliers. Entre le point le plus bas du taux de change MAD/USD au 26/02/2012 depuis le début de l’année et le pic atteint au 30/05/2012 (

Graphique 2), la monnaie nationale s’est dépréciée d’environ 7 % renchérissant le prix du baril en Dirhams, et alourdissant dans la même proportion les subventions pour des prix à la pompe inchangés. Cette tendance ne devrait pas se renverser dans les prochains mois tant que les perspectives économiques des pays de la zone euro resteront dans le rouge et le choix actuel de l’ancrage du Dirham sur un panier de devises dominé par l’euro sera maintenu.

Conclusion : quelle politique de tarification des produits pétroliers ?

L’objectif d’une tarification régulée du prix des produits pétroliers est d’assurer la stabilité des prix en lissant à court terme les fluctuations de ses composantes variables ; et dans un cadre macroéconomique plus large, de maintenir le pouvoir d’achat des ménages et de soutenir les coûts de production des entreprises ouvertes à la concurrence internationale. A moyen et long terme, la politique de tarification devrait inclure progressivement les grandes tendances qui se dessinent sur le marché mondial de la ressource, ainsi qu’encourager les mutations au niveau des comportements de production et de consommation.

Entre une libéralisation totale des prix à la pompe en appliquant le principe de la « vérité des prix » d’une part, et une tarification fixée d’une manière ad hoc et imprévisible de l’autre, une position médiane semble la plus appropriée et la moins risquée dans le cas du Maroc, au moins dans une période de transition économique et politique. Une position qui consiste à déterminer les prix à la pompe à partir d’une règle de calcul simple et connue, intégrant les contraintes budgétaires de court terme des différents agents économiques (ménages, entreprises et administrations publiques) et tolérant une variation instantanée des prix que ce soit vers le haut ou le bas à l’intérieur d’une fourchette jugée acceptable.

Par ailleurs, le maintien des subventions en faveur des secteurs particuliers, producteurs de biens et services alternatifs (transports en commun, énergie renouvelable, etc.), ou jugés sensibles en termes d’emplois et de ressources en devises, pourrait s’avérer indispensable pour assurer une transition en douceur vers un modèle de croissance économe en ressources fossiles. Dans la même lignée, une politique d’accompagnement devrait se mettre en place au profit des ménages à bas et moyen revenus et pour ceux qui habitent les zones rurales.


[1] Chercheur affilié à l’OFCE.

[2] Conformément aux dispositions de la Loi 06-99 modifiée et complétée par la Loi 30-08.

[3] La caisse de compensation est un établissement public chargé de la mise en œuvre de la politique de stabilisation des prix des produits de base du gouvernement marocain.

[4] IEA , 2011, “World Energy Outlook 2011” Paris, OECD Publishing.

[5] OECD, 2011, “Joint report by IEA, OPEC, OECD and World Bank on fossil-fuel and other energy subsidies: An update of the G20 Pittsburgh and Toronto Commitments”.

[6] A la date d’entrée en vigueur de la réforme : 1 MAD = 0,11 USD

[7] Les exemptions dont bénéficient le secteur de l’électricité et autres pourraient relever d’un problème de constitutionnalité en termes de rupture du principe d’égalité devant les charges publiques.

[8] Le risque de voir apparaître des comportements spéculatifs à la suite d’une annonce à l’avance de la mesure s’estompe si la modulation des prix se fait sur plusieurs étapes étalées dans le temps et avec une règle claire d’indexation sur les prix mondiaux.

[9] Haut Commissariat au Plan, « Simulation de l’impact de l’augmentation des prix des produits pétroliers sur les principaux agrégats de l’économie nationale » note du 13 juin 2012. Cette étude prévoit une baisse du PIB de 0,4 % et de la consommation de 1 % en écart au compte central à la suite de ce choc sur les prix des produits pétroliers. Néanmoins, elle surestime les effets récessifs du fait qu’elle n’inclut pas une boucle rétroactive de l’amélioration du solde budgétaire sur la demande autonome et éventuellement sur le taux public, et suppose que la dynamique des effets de second tour du choc inflationniste s’enclenche, ce qui n’est pas mécanique comme dans le modèle.

[10] Ducoudré B. « La reconstruction japonaise contrainte par la situation dégradée des finances publiques» Blog de l’OFCE, 5 juin 2012.

[11] Antonin, C. « Pétrole : vers un troisième choc pétrolier ? »  Revue de l’OFCE, n° 123, 2012.

[12] Même si le coût de revient des produits pétroliers raffinés au Maroc devrait être différent de la valeur des importations, les prix déterminés sur le marché de Rotterdam restent actuellement les références dans le calcul du montant des subventions.




Les emplois d’avenir : quel impact sur l’emploi et les finances publiques ?

Éric Heyer et Mathieu Plane

Le projet de loi visant à créer 150 000 emplois d’avenir pour les jeunes au chômage sera soumis au Parlement en octobre 2012. Ces 150 000 emplois d’avenir devraient être réservés en priorité aux jeunes issus des quartiers en difficulté. Quels en seront les effets nets sur l’emploi et sur les finances publiques ?

Ces emplois à temps plein, prévus pour une durée maximale de 5 ans, rémunérés au minimum au SMIC seront financés à 75 % par l’État, le reste étant à la charge des collectivités locales, associations, fondations ou entreprises. Selon le Ministre du Travail et de l’Emploi, Michel Sapin, l’objectif est de mettre en œuvre 100 000 emplois dès 2013.

Le coût ex ante de la mesure

Le coût annuel super brut d’un contrat d’avenir rémunéré au SMIC sur la base d’un temps plein à 35 h est de 24 807 euros. Le coût par emploi pour les finances publiques est de 12 831 euros au titre de l’aide de 75 % sur le salaire brut et de 4 807 euros au titre des exonérations de charges patronales. Il convient d’ajouter le coût restant à la charge de l’employeur, soit 7 276 euros, lorsque cet employeur n’est pas une structure publique. En partant de l’hypothèse que les créations de ces emplois d’avenir seraient réparties pour 2/3 dans le secteur non marchand et 1/3 dans le secteur marchand, le coût total annuel moyen pour les finances publiques est donc de 23 015 € par contrat. Le coût de la création de 150 000 emplois d’avenir est estimé à 3,45 milliards d’euros par an en rythme de croisière.

L’impact de la mesure

En supposant la création de 100 000 emplois aidés dans le secteur non marchand et 50 000 dans le secteur marchand, nous arrivons aux effets suivants :

Avec des effets d’aubaine et de substitution dans le secteur non marchand assez faibles (20 % selon Fontaine et Malherbet, 2012), les 100 000 emplois d’avenir permettent la création nette de 80 000 emplois sur le mandat. Le coût annuel ex ante sur les finances publiques des 100 000 emplois d’avenir dans le secteur non marchand serait de 0,12 point de PIB mais de seulement 0,07 point de PIB ex post en raison du supplément de revenu et donc de recettes fiscales et sociales générées par les emplois créés.

Les aides de l’État (75 % du salaire brut) permettent une baisse du coût du travail de 52 %  au niveau du SMIC, soit une réduction totale de 71 % du coût réel d’un emploi au SMIC si l’on inclut les allègements de charges. Avec des effets d’élasticités de l’emploi au coût du travail maximum au niveau du SMIC (1,2 selon l’étude de la DGTPE en 2007), les 50 000 emplois d’avenir dans le secteur marchand généreraient 27 300 emplois. Le coût ex ante pour les finances publiques serait de 0,05 point de PIB et de 0,03 point de PIB ex post.

Au final, la mesure permettrait de créer à terme 107 300 emplois (dont environ 25 % dans le secteur marchand), soit un taux de création nette de 72 %. Le coût ex ante pour les finances publiques serait de 0,17 point de PIB mais l’impact de la mesure ex post sur le solde public ne serait que de -0,1 point de PIB en raison du supplément de recettes fiscales et sociales généré par les créations d’emplois et les gains de revenus (tableau 1).

Selon les déclarations du ministre du Travail et de l’Emploi, les 2/3 de ces emplois d’avenir seraient mis en place dès 2013. Pour évaluer l’impact de cette mesure au cours du mandat, nous sommes partis de l’hypothèse que 25 000 emplois d’avenir à temps plein et d’une durée de 5 ans seraient créés chaque trimestre à partir du début de l’année 2013 et ce jusqu’à la mi-2014.

Selon le profil retenu de montée en charge des emplois d’avenir, les créations nettes d’emploi à attendre sont de 71 600 en 2013 et 35 700 en 2014, puis 0 de 2015 à 2017. L’impact sur le solde public ex post serait de 0,04 point de PIB en 2013 et 0,06 en 2014, soit un effet cumulé sur les finances publiques de 0,1 point de PIB à terme.

Bibliographie

DGTPE, 2007, annexes « Évaluation macroéconomique de la TVA sociale » in TVA sociale, sous la direction d’Éric Besson, septembre.

Fontaine F. et F. Malherbet, 2012, « Les effets macroéconomiques du Contrat unique d’insertion », LIEPP policy brief, n° 2.

Fougère D., 2007, « Faut-il encore évaluer les dispositifs d’emplois aidés ? », Économie et Statistique, vol. 408-409.




L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ?

Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Publié au Journal officiel le 21 juillet dernier, le décret sur l’encadrement des loyers dans les zones  où la hausse et le niveau des loyers sont particulièrement élevés[1], entre en vigueur le 1er août 2012 pour une durée d’un an. La mesure avait été annoncée lors de la campagne présidentielle de François Hollande en janvier 2012. La voilà adoptée, en attendant la grande réforme sur les rapports locatifs entre bailleurs et propriétaires prévue en 2013.

La difficulté de se loger et la dégradation des conditions de vie pour une partie croissante de la population soulignent la montée des inégalités face au logement. Ces inégalités fragilisent une cohésion sociale déjà affectée par la crise économique. Pour beaucoup, l’accès à la propriété est rendu difficile avec l’envolée des prix d’achat, les demandes d’attribution d’un logement social restent en attente, faute de place et le marché locatif privé devient de plus en plus cher dans les grandes villes, du fait de l’envolée du prix des biens. Dès lors, l’encadrement des loyers dans ces agglomérations apparaît comme une mesure d’urgence pour freiner ces hausses. La difficulté est malgré tout de maintenir les investisseurs sur le marché locatif privé, déjà marqué par l’insuffisance de l’offre de logement et un rendement locatif très bas (1,3 % à Paris après dépréciation du capital).

Le décret a pour objectif une baisse significative des loyers de marché[2], tirés à la hausse par les loyers à la relocation, c’est-à-dire lors d’un changement de locataire. Contrairement aux loyers en cours de bail ou lors du renouvellement de bail qui sont indexés sur l’Indice de référence des loyers, les loyers des nouveaux locataires étaient jusqu’au 31 juillet 2012, fixés librement. En 2010, cela concernait près de 50 % des relocations dans l’agglomération parisienne (60 % à Paris).  Désormais, en l’absence de gros travaux, ils seront encadrés. Seuls les loyers des logements neufs mis en première location ou ou  des logements rénovés (dont les travaux représentent plus d’un an de loyer) resteront libres (tableau 1).

 

En utilisant les données de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, et sous les hypothèses décrites dans la Note de l’OFCE (n° 23 du 26 juillet 2012), « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », nous avons évalué l’impact de ce décret s’il avait été mis en place au 1er janvier 2007 et pérennisé jusqu’en 2010. D’après nos calculs, ce décret aurait eu pour conséquences non seulement de ralentir assez fortement les hausses des loyers à la relocation dès la première année d’application (+1,3 % dans l’agglomération parisienne, contre +6,4 % observés), mais aussi de les stabiliser, voire de les baisser au moment de la relocation suivante, soit 3 ans après dans notre exemple (0 % à Paris, -0,6 % dans l’agglomération parisienne en 2010). Au final, en 2010, les loyers seraient inférieurs de 12,4 % à Paris et 10,7 % dans l’ensemble de l’agglomération parisienne à ce qu’ils auraient été sans la mesure. A Paris, le loyer se situerait à 20,1 €/m2 au lieu de 22,6 €/m2 effectivement observé (tableau 2). Pour une surface moyenne des logements reloués à Paris de 46 m2, le loyer mensuel aurait été ainsi de 924 € au lieu de 1039 €, soit un gain pour le locataire de 115 € par mois. Dans l’ensemble de l’agglomération parisienne, et selon les mêmes hypothèses, le loyer à la relocation aurait baissé en moyenne à 15,9 €/m2, au lieu de 17,8 €/m2 observé. Pour une surface moyenne de 50 m2 mise en relocation, le gain est de 95 € par mois !

A plus long terme, le décret permettrait d’atténuer l’écart entre les loyers des locataires en place depuis plus de 10 ans et ceux des nouveaux locataires (écart qui se situe en 2010 à 30 % dans l’agglomération parisienne et 38 % à Paris) et d’améliorer la fluidité du marché.

Actuellement, quelle est la possibilité de déménager si le seul fait de s’agrandir pour un couple qui vient d’avoir des enfants accroît le prix du m2 de plus de 15 % dans l’agglomération parisienne ? De même, l’incitation financière à déménager pour un couple habitant dans un logement de 4 pièces de 80 m2 et dont les enfants ont quitté le domicile familial est nulle puisque le loyer d’un logement de 3 pièces de 60 m2 est équivalent. Cette prime à la sédentarité accroît les tensions sur le marché de la location et conduit les ménages à occuper des logements inadaptés à leur besoins, voire à freiner la mobilité sur le marché du travail.

Cette mesure peut-elle favoriser la mobilité et redonner du pouvoir d’achat aux ménages? A court terme, elle va certes bénéficier aux ménages les plus mobiles en limitant la hausse de la part des dépenses de logement dans leur budget[3]. Or ces ménages sont ceux pour lesquels la contrainte de revenus joue le moins, c’est-à-dire ceux qui ont des revenus élevés ou un taux d’effort relativement faible. Elle va également bénéficier aux ménages qui sont dans l’obligation de déménager ou de ceux qui sont à la limite de leur contrainte financière. Pour tous ceux là, la hausse du taux d’effort sera moindre que ce qu’elle aurait été sans le décret. En revanche pour les ménages ayant déjà un taux d’effort élevé et un faible revenu[4], le décret ne devrait rien changer puisqu’ils peuvent difficilement supporter le surcoût d’une relocation.

 

Quels sont les risques ?

Si les bénéfices attendus pourraient être réels, encore faut-il que l’application de ce décret, –ou en tous cas de la prochaine loi – les permette. Outre la difficulté de mise en application de ce décret (absence d’observatoires des loyers fiables dans les zones concernées et de cadre juridique permettant aux locataires de faire valoir leurs nouveaux droits), l’impact de cette mesure ne sera positif pour les locataires que si l’offre locative ne se réduit pas (maintien des investisseurs actuels sur le marché, poursuite des nouveaux investissements) et que les bailleurs ne cherchent pas à compenser l’encadrement des loyers futurs par un loyer plus élevé lors la première mise en location du bien.

De même, la réalisation de travaux d’amélioration dans la perspective du Grenelle 2 de l’environnement ou simplement de travaux d’entretien pourrait s’en trouver abandonnée du fait de l’allongement de la durée d’amortissement pour les propriétaires par rapport à la situation qui prévalait jusqu’alors. A l’inverse, certains propriétaires pourraient être incités à faire de gros travaux (montant supérieur à 1 an de loyer) et à « monter le logement en gamme » pour fixer librement le loyer. Une marge de sécurité serait ainsi prise par le bailleur pour compenser le manque à gagner ultérieur. Ces hausses, si elles avaient lieu, pénaliseraient les locataires les moins solvables et favoriseraient le phénomène de gentrification déjà à l’œuvre dans les zones les plus tendues. On pourrait donc constater des écarts divergents entre les loyers de marché des logements « dégradés » et des logements remis à neuf.

Ce décret devrait à court terme limiter l’ampleur des disparités dans les zones les plus tendues avec un coût nul pour le gouvernement. Mais il ne résoudra pas le problème de taux d’effort des ménages les plus modestes : pour cela, il faudrait augmenter le parc de logement social, améliorer sa fluidité et revaloriser fortement les aides au logement[5], ce qui suppose des moyens financiers importants. Le problème fondamental demeure celui de l’insuffisance de l’offre, notamment dans les zones urbaines, où par définition le foncier disponible est rare et cher, la hausse des loyers ne faisant que répercuter celles des prix de l’immobilier. Or une détente des prix passe par une plus grande disponibilité du foncier, une augmentation de la densité là où c’est possible, le développement des transports pour faciliter les déplacements entre le logement et le lieu de travail sur grande distance, …  C’est sur ces leviers qu’il faut agir pour améliorer les conditions de logement des plus modestes.

 


[1] Le décret s’applique dans les communes où la hausse des loyers observée sur la période 2002-2010 est supérieure à deux fois la hausse de l’IRL (soit 3,2 % par an) et le loyer de marché au m2 dépasse de 5 % la moyenne nationale hors Ile-de-France (soit 11,1 euros/m2). Cela concerne près de 1 400 communes situées dans 38 agglomérations (27 en métropole et 11 outre-mer).

[2] On distingue deux types de loyers : le loyer moyen est le loyer de l’ensemble des logements en location, qu’ils soient vacants ou occupés ; le loyer de marché est le loyer de l’ensemble des logements disponibles sur le marché pour la location, donc des nouveaux logements mis en location et des relocations. Il est très proche du loyer des relocations, les logements mis en location pour la première fois ne représentant qu’une faible part de l’offre disponible.

[3] Part qui a progressé depuis 15 ans pour les ménages du parc locatif privé et notamment les plus modestes.

[4] En 2010, plus de la moitié des locataires du secteur privé a un taux d’effort (net des aides au logement) supérieur à 26,9 %, mais surtout, pour les 25 % des ménages les plus modestes, le taux d’effort moyen atteint 33,6 %.

[5] Selon le rapport « Evaluation des aides personnelles au logement » de l’IGAS, en 2010, 86,3 % des loyers dans le secteur libre des allocataires étaient supérieurs au loyer plafond pris en compte pour le calcul des aides au logement. Toute augmentation de loyer est donc intégralement supportée par le locataire.

 




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




Pas de “TVA sociale” mais une “CSG sociale” ?

par Jacques Le Cacheux

La dégradation de l’emploi et du solde des échanges extérieurs de la France incite à une réflexion sur la compétitivité des entreprises françaises. Mais comment rétablir cette compétitivité ? Est-ce un problème de coût du travail, comme l’affirme avec insistance le MEDEF ? Ou ce facteur n’entre-t-il finalement que pour une faible part dans l’explication de ces médiocres performances ?En choisissant, au printemps dernier, l’option de la « TVA sociale » – augmentation de 1,6 point du taux normal de TVA et affectation du surcroît de recettes à une baisse des cotisations sociales patronales, de l’ordre de 13 milliards d’euros, ciblée sur les salaires compris entre 1,3 et 1,6 SMIC –, le précédent gouvernement avait clairement privilégié la stratégie de baisse – modérée – du coût de la main-d’œuvre. En décidant de revenir sur cette hausse de TVA, qu’il considère injuste, le gouvernement actuel semble indiquer que l’allègement du coût du travail n’est pas sa priorité. Dans le même temps, pourtant, le discours du Président de la République en ouverture de la Conférence sociale ouvre la voie à une réflexion sur le financement de la protection sociale, suggérant ainsi que la question de l’allègement du coût du travail n’est pas close, mais que l’instrument préféré pourrait être la Contribution sociale généralisée (CSG). Sans craindre le pléonasme, certains évoquent désormais une « CSG sociale » !

1 – Coût du travail : la France a-t-elle un problème ?

Le coût de la main-d’œuvre est-il plus élevé en France que chez nos partenaires, notamment au sein de la zone euro ? Le diagnostic n’est, en réalité, pas aisé, et les avis divergent. Selon les données publiées par Eurostat, et qui concernent l’ensemble du secteur marchand, le coût horaire de la main-d’œuvre atteignait, en 2011, 34,20 euros en France, soit près de 7 euros de plus que la moyenne des pays de la zone euro. En Allemagne, il n’était que de 30,1 euros, mais dépassait 39 euros en Belgique. Pourtant, cet indicateur ne renseigne guère sur la compétitivité-coût, puisqu’il faut prendre en compte les différences de productivité de la main-d’œuvre. C’est donc habituellement sur la base du coût unitaire de main-d’œuvre – ou coût salarial unitaire, c’est-à-dire le coût de main-d’œuvre par unité produite – que l’on compare les compétitivités ; mais on ne dispose pas de mesure fiable des niveaux relatifs, de sorte qu’il faut se contenter d’indice et de variations.

En se référant toujours aux données fournies par Eurostat, on peut se faire une idée de l’évolution relative des positions compétitives des différents pays européens. Pour tenir compte d’éventuels effets des variations de change entre les monnaies, l’indicateur de compétitivité-coût retenu ici est le taux de change effectif réel, calculé sur la base des coût salariaux unitaires, qui pondère les coûts relatifs des partenaires commerciaux en fonction de leur part dans les échanges extérieurs du pays considéré : une hausse de cet indice mesure donc une perte de compétitivité des entreprises du pays. Plusieurs mesures sont disponibles, couvrant des champs géographiques ou sectoriels différents.

Si l’on se penche d’abord sur les compétitivités relatives au sein de la zone euro, où, par définition, il n’y a pas d’effet de change (Graphiques 1 et 2), le message est ambigu : pour l’ensemble de l’économie, les évolutions de la compétitivité française sont très voisines de celles de l’Allemagne, depuis le lancement de la monnaie unique, l’une et l’autre tendant à améliorer leur compétitivité-coût par rapport à leurs partenaires de la zone. Certes l’Allemagne faisait un peu mieux jusqu’en 2008 ; mais la récession de 2009 y a si fortement ralenti la productivité de la main-d’œuvre – du fait notamment d’un recours massif au chômage partiel – que les gains relatifs par rapport à la France s’en sont trouvés pratiquement effacés.

Source : Eurostat.

Pourtant, l’indicateur se référant à la seule industrie manufacturière délivre un message bien différent (graphique 2) : en moyenne depuis le lancement de l’euro, la compétitivité-coût de l’industrie française par rapport à ses partenaires de la zone s’est sensiblement maintenue, se dégradant très légèrement sur la période ; mais dans le même temps, l’industrie allemande a, quant à elle, très substantiellement amélioré la sienne – de près de 20%.

Source : Eurostat.

Si l’on se penche, maintenant, sur la compétitivité-coût française vis-à-vis des pays tiers, hors zone euro, les évolutions sont, de manière peu surprenante, dominées par les variations du taux de change externe de l’euro : l’appréciation réelle de la monnaie européenne depuis 2000 a dégradé la compétitivité-coût des économies française et allemande dans des proportions comparables (graphique 3). Mais dans l’industrie (graphique 4), la modération salariale allemande a permis de limiter la dégradation à un peu plus de 10 % entre 2000 et 2011, tandis que, sur la même période, la dégradation subie par l’industrie française est voisine de 25 % ; elle a même dépassé 40 % pendant la période où le taux de change de l’euro battait des records (été 2008).

Il est difficile, dans ces conditions, de nier la dégradation de la position compétitive de l’économie française et, singulièrement, de son industrie. Certes, la dépréciation récente de l’euro lui permet de réduire un peu les pertes de compétitivité subies au cours des années antérieures ; mais elle ne modifie pas les positions relatives au sein de la zone euro, qui concentre environ 2/3 du commerce extérieur de ses membres.

Source : Eurostat.

Au contraire, la stratégie compétitive de l’Allemagne – notamment grâce à une politique soutenue de modération salariale, mais aussi à des choix de restructuration industrielle et de spécialisation – se reflète dans la progression spectaculaire de son taux d’ouverture commerciale (graphique 5) : proche de celui de la France en 1995, il a doublé en Allemagne, alors qu’il est demeuré sensiblement constant en France.

Source : Eurostat.

2 – Une réforme fiscale pour alléger le coût du travail

Le coût de la main-d’œuvre n’est sans doute pas le seul facteur de dégradation de la compétitivité de l’économie française et, notamment, de son industrie ; mais ses évolutions comparées à celles observées chez nos principaux partenaires, et singulièrement en Allemagne, suggèrent qu’elles contribuent aux mauvaises performances enregistrées ces dernières années tant en matière d’emploi que de commerce extérieur. Il apparaît donc légitime de s’interroger sur les moyens de l’alléger, en particulier en réformant le financement de la protection sociale, qui en constitue une composante importante. D’où le débat sur la baisse des cotisations patronales, et sa compensation par la hausse d’un autre prélèvement : TVA ou CSG ?

Beaucoup de choses ont été dites sur les avantages et les inconvénients de chacune des deux options[1]. Mais quelques éléments de comparaison des évolutions récentes permettront sans doute d’éclairer ce débat. En premier lieu, le poids respectif de la fiscalité pesant sur la consommation et sur les revenus du travail a connu, au cours des dernières années, des évolutions sensibles en France et en Allemagne (graphiques 6 et 7) : tandis que le taux implicite d’imposition de la consommation n’a cessé de se réduire en France depuis la fin des années 1990, sous l’effet de la baisse d’un point du taux normal de TVA et de mesures sectorielles (restauration et travaux dans les logements anciens), il a augmenté en Allemagne du fait de la hausse de 3 points du taux normal de TVA en 2007 ; dans le même temps, le taux implicite d’imposition du travail est demeuré assez stable, à un niveau élevé, en France, tandis qu’il se réduisait en Allemagne.

Source : Eurostat.

Et cette réduction a été obtenue en partie grâce à une baisse significative – environ 1 point de PIB – des cotisations sociales employeurs, qui sont, au contraire, restées à un niveau élevé en France (graphique 8).

Dans ces conditions, des marges de manœuvre semblent exister du côté de la fiscalité pesant sur la consommation, ce qui avait incité le précédent gouvernement à opter pour un alourdissement de la TVA, compensé par une réduction de cotisations sociales employeurs, que l’actuelle majorité vient d’abroger.

Parmi les défauts d’une hausse de la TVA, deux caractéristiques ont été mises en exergue dans les débats récents. En premier lieu, une telle hausse est, de fait, une « dévaluation fiscale », qui peut dès lors être considérée comme non coopérative et inamicale par nos partenaires au sein de la zone euro, d’où proviennent plus de la moitié de nos importations. Bien sûr, mais de leur côté, presque tous nos partenaires n’ont pas hésité à augmenter la TVA ces dernières années, et certains prévoient même de l’alourdir encore ; la France a donc, effectivement subi les « dévaluations fiscales » de ses voisins. Bien sûr, une stratégie européenne coordonnée serait préférable ; mais la France doit-elle décider de subir seule les coûts économiques de l’absence d’une telle coopération ?

Source : Eurostat.

En second lieu, les détracteurs de la hausse de la TVA pointent son caractère « injuste » et les risques d’amputation du pouvoir d’achat, donc de freinage de la croissance. Mais, comme le soulignait la précédente note sur ce thème, la hausse des prix résultant d’une augmentation du taux de TVA devrait être très limitée et, dans l’éventualité d’une hausse, les procédures d’indexation des minima sociaux, du SMIC et des retraites sont telles que les catégories disposant des revenus les plus modestes ne devraient pas subir de baisse de pouvoir d’achat. Sauf, bien sûr, si le gouvernement envisageait de suspendre les mécanismes d’indexation, ce qui constituerait une manière particulièrement opaque de rogner la générosité de la protection sociale et le salaire minimum.

La CSG est-elle plus « juste » ? On fait volontiers valoir qu’avec son assiette large – la quasi-totalité des revenus –, elle frappe les revenus du patrimoine. Mais elle frappe aussi tous les bas revenus, qu’ils soient du travail, de remplacement, ou de retraite, dès le premier euro, car elle est proportionnelle : pour les détenteurs de revenus modestes, elle pèsera donc plus lourdement sur le pouvoir d’achat que la hausse de la TVA.

On peut souhaiter, malgré tout, privilégier la CSG, instrument de prélèvement à assiette large qui permet de faire contribuer l’ensemble des revenus au financement de la protection sociale : c’était, dès le départ, sa justification et sa raison d’être. Mais dans ce cas, le souci de justice exigerait que l’on accompagne cette montée en puissance d’une réforme fiscale plus ambitieuse, qui redonne une véritable progressivité à l’ensemble de prélèvements directs et, si possible, aux transferts sociaux sous condition de ressources.

Alléger le coût du travail en transférant la charge d’une partie du financement de la protection sociale vers des prélèvements autres que les cotisations sociales apparaît souhaitable et possible, tout en rendant le système fiscal français plus juste. Pour ce faire, il convient de compenser la baisse des cotisations sociales, patronales, mais aussi éventuellement salariés, par un alourdissement des prélèvements pesant sur la consommation et sur les activités polluantes, afin de modifier résolument les prix relatifs, donc les incitations qui pèsent sur les entreprises et les ménages dans leurs choix de techniques de production et d’emploi et dans leurs choix de consommation ; et de conduire en même temps une réforme de la fiscalité directe qui permette de compenser les effets négatifs de ces modifications sur le pouvoir d’achat des détenteurs de revenus modestes et de rendre l’ensemble des prélèvements directs plus progressifs. Alourdir la CSG sans conduire cette grande réforme[2] serait léser ces catégories.

 

 

 


[1] Voir notamment, J. Le Cacheux, 2012a, « La TVA « sociale », antisociale ? », Blog de l’OFCE, 6 janvier, et E. Heyer, M. Plane et X. Timbeau, 2012, « Impact économique de la « quasi TVA sociale ». Simulations macroéconomiques et effets sectoriels », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale », mars.

[2] Pour une exposition plus précise des principes d’une telle réforme, voir J. Le Cacheux, 2012b, « Soutenabilité et justice économique. Finalités et moyens d’une réforme fiscale », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale ».

 




La ré-industrialisation ou le retour de l’âge du “faire”

par Sarah Guillou et Lionel Nesta

« Faire ou faire faire ? » pourrait bien être la nouvelle question existentielle des anciennes puissances industrielles. De David Cameron à François Hollande, les appels à la ré-industrialisation expriment l’inquiétude causée par les pertes d’emplois industriels, comme chez PSA,  mais également l’angoisse de la disparition de nos savoir-faire dans la fabrication elle-même.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste et s’inquiètent également de leur devenir industriel devant la désolation que manifestent certains territoires, comme par exemple l’Etat du Michigan ( New York Times, August 24 2011, Does America need Manufacturing ? Les experts alimentent le désarroi, tels Patrick Artus et Marie-Paule Virard qui questionnent ce que serait « La France sans ses usines » (Edition Fayard, 2011), ou Dani Rodrick qui vante les mérites de l’industrie manufacturière (The Manufacturing Imperative – Dani Rodrik – Project Syndicate ). S’il fallait caricaturer la pensée dominante en cours en matière de politique industrielle, on pourrait sans forcer le trait la qualifier de retour à l’âge du « faire ».

Nous mettons en débat la désindustrialisation et la ré-industrialisation pour mieux questionner les objectifs du ministère du Redressement Productif.

La désindustrialisation s’illustre d’abord par les pertes d’emplois manufacturiers

La désindustrialisation désigne la diminution des emplois manufacturiers ainsi que la baisse de la part de l’industrie dans le Produit Intérieur Brut. En 1980, la France comptait plus de 5,1 millions d’emplois alors qu’elle en compte 3,1 millions en 2008, avant la crise récente. Entre 1980 et 2008, la France a donc perdu presque 2 millions d’emplois manufacturiers[1], soit une diminution relative de 38%. De même en 1980, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB s’élevait à 19,2% diminuant à 14,7% en 2008, soit une baisse de 23%. Toutefois, la baisse de la part de la valeur ajoutée dans le PIB ne doit pas être confondue avec la baisse de la valeur ajoutée elle-même. Entre 1980 et 2008, la valeur ajoutée manufacturière en volume a augmenté de 36%, ce qui avec la baisse concomitante de l’emploi manufacturier, révèle des gains de productivité du travail tout à fait substantiels.

La désindustrialisation n’est pas plus sévère en France qu’ailleurs

Les discours sur le « déclin » de la France des uns et des autres suggèrent une exposition singulière de la France à la désindustrialisation structurelle. Il n’en est rien. Si on prend la période 1992-2008, la France comme l’Allemagne observe une baisse de 21% de l’emploi manufacturier, le Royaume-Uni et le Japon une diminution de 31 et 28% respectivement. Les Etats-Unis connaissent une baisse de 18% et l’Italie de 6%. Ces pourcentages cachent des volumes d’emplois perdus très importants. Alors que la France détruit ainsi presque 900 000 emplois, l’Allemagne en perd plus de 2 millions, les Etats-Unis 3,3 millions et le Japon 4,3 millions.

Tertiarisation, productivité, et nouvelle division internationale du travail sont les causes principales de la désindustrialisation

La désindustrialisation des années 1980 et 1990 s’explique avant tout par la tertiarisation qui découle du développement des activités au service de l’industrie et qui est elle-même alimentée par deux moteurs : l’externalisation des activités de services des entreprises manufacturières et le changement qualitatif de la production qui incorpore de plus en plus de contenu en services. Ce double mouvement est le propre des économies technologiquement avancées et est amené à se poursuivre. Ensuite, la désindustrialisation est plus fondamentalement la conséquence du progrès technique. Ce dernier entraîne immanquablement des gains de productivité qui eux-mêmes diminuent le contenu en travail de l’unité de production. Le même niveau de production demande moins de travail. Enfin et plus récemment, la globalisation de l’économie a accéléré la mutation industrielle en cours en raison de l’arrivée de nouveaux producteurs comme la Chine (sans une augmentation équivalente de la demande pour le moment) et en raison de l’intensification des opportunités pour les entreprises de division internationale du travail.

La désindustrialisation résulte de l’interaction de ces trois causes ­– tertiarisation-productivité-globalisation – dont il faut rappeler qu’elles participent a priori à une dynamique positive pour la croissance économique. Toutefois les changements induits ne sont pas neutres sur la nature des emplois et les qualifications « employables ». Les emplois de fabrication disparaissent au profit d’emplois de gestion de la fabrication – de la conception à la distribution. En théorie, cela s’accompagne d’une diminution de la pénibilité des tâches productives et d’une libération de ressources en emplois susceptibles de générer des richesses par ailleurs. Mais le redéploiement de ces ressources se heurte à des barrières à la mobilité du travail, principalement en raison de la spécificité des compétences et des qualifications.

Toute politique de croissance ne devrait a priori pas empêcher le mouvement de fond de désindustrialisation qui traduit en fait une mutation du système productif, mais elle ne peut se soustraire à considérer très sérieusement les conséquences sur la nature des emplois. Cette préoccupation devient même critique en temps de crise.

La crise a révélé la fragilité du système productif français

La crise a indéniablement constitué un choc négatif sur l’emploi manufacturier. La dynamique de l’emploi dans l’industrie connaît depuis 2007 deux phases bien distinctes : une accélération des destructions d’emplois jusqu’en 2010 puis une stabilisation de son niveau (voir graphique 2). Cette stabilisation, sur la dernière période, rétablit le rythme de désindustrialisation à son niveau antérieur. Précisément, les statistiques sur l’emploi de l’INSEE montrent qu’entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2012, l’industrie a détruit 301 000 emplois. Sur une période identique, mais de croissance économique plus soutenue, entre le premier trimestre 2003 et le premier trimestre 2007, l’industrie avait détruit 325 000 emplois.

La surprise vient davantage du marché de l’emploi dans les services marchands. Alors que durant la période de croissance 2003-2007, les services créaient plus d’un million d’emploi, largement de quoi absorber les emplois perdus dans l’industrie, ces mêmes services n’en créent pas plus de 180 000 sur la dernière période. Le rôle des services comme pourvoyeur essentiel des emplois est rompu dès le premier trimestre 2008 (graphique 2). Cela explique peut-être pourquoi aujourd’hui plus qu’auparavant, la désindustrialisation est devenue bien plus difficile à tolérer.

On pourrait se satisfaire de l’augmentation de la production industrielle depuis fin 2008 et de la stabilisation de l’emploi manufacturier depuis 2010. Mais le tassement de l’indice de la production industrielle ne présage rien de bon. On peut en effet craindre que les entreprises aient joué sur la dualité du marché du travail en se séparant d’abord de leur main-d’œuvre précaire. De plus, les fermetures d’usines et les annonces récentes de plans sociaux laissent penser qu’une reprise de la désindustrialisation est en cours et que la stabilisation de la période précédente reflète plutôt un report de décisions de licenciements. Ces évolutions révèlent l’attentisme des acteurs dans le contexte électoral récent mais aussi la fragilité du système productif français et sa dépendance à la conjoncture européenne incertaine.

L’évolution récente a ainsi accentué l’inquiétude sur la vitalité de nos industries. Cette inquiétude naît du rôle central de l’industrie manufacturière dans la croissance économique.  Représentant moins d’un emploi sur sept, l’industrie manufacturière concentre cependant 75% des exportations et 80% de l’effort de recherche national privé. Renouveler l’industrie française, c’est donc encourager les activités de R&D, promouvoir à terme les exportations et enfin espérer créer des emplois nouveaux.  D’où la question suivante : faut-il réindustrialiser, et revenir à l’âge du « faire » ?

La ré-industrialisation est-elle un moyen d’équilibrer la balance commerciale ?

Plus de 75% des exportations sont constituées de produits manufacturés. Autrement dit, 12% de notre production est responsable directement de 75% des exportations. Donc, il semblerait qu’à défaut de produire des produits manufacturés, on serait condamné au déficit commercial. Mais attention, il ne faut pas produire forcément un grand volume de produits, il faut : (1) surtout produire une grande valeur de produits, ce qui peut se faire avec beaucoup de R&D et moins d’emplois ; (2) en consommer moins que l’on en produit. Cela signifie qu’un pays peut très bien avoir un excédent commercial avec une forte valeur ajoutée industrielle, une consommation intérieure atone relativement au reste du monde, et une forte désindustrialisation. Autrement dit, il n’existe pas de relation bijective entre déficit commercial et désindustrialisation. Une augmentation des exportations n’assurerait pas nécessairement une création nette d’emplois, si par exemple elle résultait d’innovation de procédés économes en travail, ou si encore elle s’accompagnait en retour d’un accroissement des importations de biens intermédiaires.

Ceci posé, soutenir l’industrie avec succès pourrait-il permettre une relance des exportations ? Oui, à condition que ce soutien renforce l’attractivité des produits domestiques et réponde à la demande mondiale. Mais vouloir un haut niveau d’exportation est une conséquence de l’amélioration préalable des gammes produites. C’est parce que les produits de nos industries seront attractifs qu’ils satisferont la demande mondiale et augmenteront les exportations.

La ré-industrialisation est-elle nécessaire au maintien des investissements en R&D ?

L’industrie manufacturière est le lieu majeur des investissements en Recherche et Développement. Faut-il alors s’inquiéter du recul de l’industrie manufacturière au regard du niveau des investissements dans la R&D ? L’inquiétude ne serait sérieuse que si la valeur ajoutée manufacturière diminuait. Car comme on l’a vu, la désindustrialisation est elle-même en partie causée par les conséquences en termes de productivité des investissements de R&D. En conséquence, il existe une certaine contradiction à vouloir une augmentation des investissements en R&D – et donc une augmentation de la productivité – et à refuser  le processus de désindustrialisation. La seule manière de réconcilier l’investissement en R&D et la création d’emplois dans l’industrie est de créer de nouvelles activités, de favoriser les innovations en produits afin d’augmenter le niveau de la production à productivité du travail constante. Mais cela suppose une modification de la spécialisation productive, comme nous l’expliquons ci-dessous.

La ré-industrialisation est-elle créatrice d’emploi ?

Retrouver les emplois perdus de l’industrie semble être le motif principal d’une politique de ré-industrialisation pour l’économie française, si marquée par le chômage. Deux cas de figures sont à alors envisager : le ré-industrialisation s’opère sur des activités existantes, la structure de la spécialisation productive restant identique (autrement dit, on conserve les mêmes parts dans le PIB des industries/produits) ; le ré-industrialisation est basée sur des activités nouvelles, nécessairement innovantes, la structure de la spécialisation étant alors modifiée.

Le premier cas est selon nous le plus délicat. Il consiste à persévérer dans des activités existantes en soutenant la création d’emplois. Pour ce faire, on peut diminuer l’intensité capitalistique (le rapport capital sur travail) et substituer du travail au capital. Mais il faut reconnaître que remplacer des machines par des ouvriers revient à accepter une forme de régression technologique, rendant nos activités encore moins compétitives. Une autre solution consisterait à accroître la production pour augmenter les facteurs consommés (capital et travail). Cela suppose un surcroît de demande (mais dans ce cas-là, d’où viendrait-elle ?) et/ou une amélioration des conditions de l’offre (baisse du coût du travail, baisse des barrières à l’entrée). Mais attention, toute amélioration des conditions de l’offre n’est pas forcément créatrice d’emploi. Une stratégie d’externalisation à l’étranger, par exemple, peut diminuer et les coûts de production, et l’emploi.

Dans le deuxième cas, il s’agit de conduire une politique industrielle qui modifie la structure de la spécialisation du pays. Cette ré-industrialisation doit s’effectuer autour d’activités nouvelles, créatrice de croissance, plus adaptée à la demande interne et mondiale. Ces activités nouvelles doivent être génératrices d’externalités positives et d’effets de diffusion dans l’ensemble du tissu industriel. Il ne s’agit pas d’envisager une politique industrielle dirigiste qui décide ex ante des activités futures, mais plutôt de définir une politique qui autorise et incite à la création d’activités et de gammes nouvelles. C’est en effet en dégageant une valeur ajoutée (par travailleur) plus importante que les termes de l’échange deviendront plus favorables. Une telle politique, menée avec succès, ne peut cependant pas garantir un solde net d’emplois créés positif. Rien ne dit que les nouvelles activités auront un contenu en emplois supérieur aux activités sur le déclin.

Le retour à l’âge du « faire » n’est pas simplement un jeu de mot

Cette expression suggère que la ré-industrialisation risque d’aller à rebours du changement technique, de la croissance de la productivité, de l’extension du libre-échange et de la division internationale du travail qui sont des moteurs de la croissance économique.

La ré-industrialisation du pays ne peut se décréter ex nihilo. Elle doit procéder d’une politique de formation de la main-d’œuvre, seule garante d’une production à haute valeur ajoutée, d’une exigence de qualité via des normes ambitieuses, de programmes de recherche et de développement de technologies hautement génériques. C’est sur le maintien ou le développement de cette compétitivité que le gouvernement doit travailler et qu’une politique industrielle doit être définie. S’il faut en attendre la création d’emplois, alors ces derniers ne peuvent résulter que d’un regain de compétitivité.

Nous pensons enfin que ré-industrialisation et redressement productif ne sont pas synonymes. Le premier terme définit un résultat, en termes d’emploi, mais ne s’exprime pas sur les conditions de sa mise en œuvre. Le redressement productif implique des politiques créant les conditions de la croissance des entreprises françaises que les nombreux rapports économiques n’ont cessé de réclamer[2]. Il importe donc que la politique industrielle ne se confonde pas avec l’objectif de ré-industrialisation.


[1] Exactement 1 970 000, source OCDE 2012, base de données OCDE-STAN.

[2] Rapport Cahuc-Kramarz, 2004 ; Rapport Attali, 2008 ; Rapport Aghion et al., 2006 et 2010.




La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires va-t-elle créer des emplois ?

par Eric Heyer

Avant la conférence de presse du 26 juillet 2012 au cours de laquelle l’OFCE présentera une évaluation du projet économique du gouvernement Ayrault, nous dressons un bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires et de son exonération de cotisations sociales, puis évaluons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de la suppression de cette mesure.

Le nouveau gouvernement a décidé de revenir sur la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales qui s’appliquait depuis le 1er octobre 2007 à l’ensemble des salariés des secteurs public et privé en France. A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés sera supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, ne sera maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés. Enfin, les heures supplémentaires effectuées à partir du 1er août 2012 seront soumises à l’impôt sur le revenu.

Dans ce billet, nous tenterons dans un premier temps de dresser un bilan de cette mesure en s’intéressant tout particulièrement à ses conséquences sur l’emploi et les finances publiques (1). Dans un deuxième temps, nous évaluerons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de cette réforme pour les années à venir (2).

1.     Quel bilan peut-on tirer de la défiscalisation des heures supplémentaires ?

a) Quel coût ex-ante sur les finances publiques ?

En 2011, selon l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires exonérées au titre de la loi TEPA s’est élevé à 739 millions. Plus de la moitié de ces heures ont été réalisées dans les entreprises de plus de 20 salariés (57,7 %)[1]. Le montant des exonérations afférentes a été de 3,107 milliards d’euros dont plus de 77 % proviennent des baisses de charges salariales. Concernant les baisses de cotisations patronales, elles représentent 693 millions d’euros en 2011 dont 65,5 % sont en faveur des entreprises de moins de 20 salariés[2] (tableau 1).

Par ailleurs, cette mesure permettait aux salariés d’exonérer d’impôt sur le revenu les rémunérations versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d’une majoration de 25 %. D’après le PLF 2012, cela a entraîné un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros pour les finances publiques en 2011. Au total, le coût ex-ante pour les finances publiques de cette mesure s’est élevé à environ 4,5 milliards d’euros en 2011.

b) Cette mesure a-t-elle induit  une augmentation du nombre d’heures supplémentaires ?

Un des objectifs de cette mesure était d’inciter à une durée du travail plus longue par le biais d’un recours accru aux heures supplémentaires. Cela fut-il le cas ? Compte tenu de la faiblesse de la longueur des séries et d’une impossibilité de comparaison avec un épisode conjoncturel similaire, il apparaît difficile de répondre catégoriquement à cette question. Il nous semble toutefois possible, à la lecture des données fournies par l’ACOSS, de formuler une hypothèse de travail.

Comme l’illustre le graphique 1, après une montée en charge progressive du dispositif au cours des premiers trimestres d’application, le nombre d’heures supplémentaires a atteint un premier pic en fin d’année 2008 avec près de 188 millions au quatrième trimestre. Au cours du premier trimestre 2009, le nombre d’heures supplémentaires s’est effondré de près de 12 %, s’établissant à 165 millions. Si cette baisse est cohérente avec la forte dégradation d’activité observée en France à cette époque, la remontée du volume d’heures supplémentaires depuis est plus surprenante : alors que l’activité ne repartait pas suffisamment pour permettre une décrue du chômage, rendant compte d’une position cyclique dégradée de l’économie, le volume d’heures supplémentaires a franchi un nouveau pic en 2011, atteignant plus de 190 millions au quatrième trimestre. Ce rebond contra-cyclique peut être dû à la défiscalisation associée aux heures supplémentaires : sans elle, compte tenu de la situation conjoncturelle toujours dégradée, leur nombre aurait dû rester voisin de celui observé en début d’année 2009.

Sous cette hypothèse, en 2011, cette mesure aurait favorisé une hausse de près de 80 millions d’heures supplémentaires, soit un supplément de 11 %.

c) Quel impact sur l’emploi ?

L’impact  sur l’emploi est ambigu. En effet, deux effets de sens contraire se superposent :

  1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d’achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d’œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie, santé ou éducation). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d’achat irriguant l’ensemble de l’économie avec un effet positif sur l’emploi ;
  2. Le deuxième est négatif pour l’emploi : en abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs). Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l’économie française mais défavorable à l’emploi à court terme. Dans un travail antérieur (Heyer, 2011a), mené sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, nous avons estimé qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 800 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les trois quarts seraient des emplois intérimaires ;

D’après nos simulations, réalisées à l’aide du modèle macroéconomique de l’OFCE, emod.fr, et dont les principaux résultats sur l’emploi sont résumés dans le tableau 2, l’effet négatif l’emporterait sur l’effet positif : la défiscalisation des heures supplémentaires aurait détruit plus de 30 000 emplois en 2011.

Ce résultat conforte l’idée selon laquelle, dans un contexte conjoncturel dégradé, comme cela est le cas dans la période récente, la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît clairement inadaptée et contre-productive pour l’emploi (Heyer, 2011b). Face à un choc négatif imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques.

Par ailleurs, la baisse des charges salariales et patronales ainsi que l’exonération d’impôt sur le revenu,  coûtent 4,5 milliards d’euros ex-ante (0,22 point de PIB) et ne sont pas financés. En tenant compte de plus du coût pour les finances publiques de la dégradation du marché du travail (-30 000 emplois), cette mesure aurait creusé le déficit public de 6,8 milliards d’euros, soit 0,34 point de PIB en 2011.

Le financement de cette mesure alourdirait son bilan sur l’emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois auraient finalement été comprises entre 52 000 et 95 000 postes en 2011 (tableau 3).

2.     Quel impact de cette réforme ?

A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés est supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, n’est maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés.

a) Cette réforme  va-t-elle induire  une baisse du nombre d’heures supplémentaires ?

En maintenant l’exonération de charges patronales pour les entreprises de moins de 20 salariés, il est possible d’imaginer que cette réforme n’aura pas d’impact sur le volume d’heures supplémentaires effectuées dans ces PME. En revanche, pour les autres entreprises, l’incitation à un plus fort recours disparaissant, on peut supposer que ce volume diminuera en revenant vers un niveau plus compatible avec le cycle conjoncturel.

Nous faisons alors l’hypothèse qu’à compter de 2013, le volume d’heures supplémentaires dans les entreprises de moins de 20 salariés se maintiendrait à plus de 310 millions. Dans les autres entreprises, nous faisons l’hypothèse que le volume annuel d’heures supplémentaires en 2013 reviendrait vers celui enregistré fin 2009-début 2010, à savoir proche de 380 millions (graphique 2).

Au total, selon nos hypothèses, la baisse des heures supplémentaires pourrait être de 1,2 % en 2012 et de 5,9 % en 2013, soit une baisse de 7,1 % par rapport au niveau observé aujourd’hui.

b) Quel impact sur l’emploi et les finances publiques à l’horizon 2014 ?

Sur la période 2011-2014, si la baisse des heures supplémentaires prévue se réalise, cette réforme permettra la création ou la sauvegarde de 17 900 emplois. Ce résultat est la conséquence de deux effets de sens inverse (tableau 4) : le premier est négatif et est lié à la baisse du pouvoir d’achat des salariés bénéficiant des heures supplémentaires (-29 000 emplois) ; le second est positif et résulte de la réduction du recours aux heures supplémentaires dans les entreprises de plus de 20 salariés (46 900 emplois).

Sur la même période, la suppression de la défiscalisation permettra d’économiser 2,6 milliards d’euros d’exonération de charges sociales et permettra d’engranger un surplus de 1,3 milliard d’euros d’impôt sur le revenu. Par ailleurs, les créations d’emplois supplémentaires entraîneront un supplément de recettes fiscales et une économie de dépenses sociales de 1,3 milliard d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique réalisé, cette réforme permettra de réduire le déficit des APU de 5,2 milliards, soit 0,26 point de PIB en 2014 (tableau 4).

Références bibliographiques

Heyer É. (2011a), « Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ? Simulation et première évaluation de ce dispositif», Note de l’OFCE, n° 2, septembre.

Heyer É. (2011b), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle: the case of tax reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 2, summer.

Sévin É. et Y. Zhang (2012), « Les heures supplémentaires au premier trimestre 2012 », Acoss Stat, n°150, mai.


[1] Rappelons toutefois que près de 70 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 20 salariés.

[2] Rappelons que cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 euro  par heure supplémentaire effectuée dans les entreprises de moins de vingt salariés et de 0,5 euro dans les entreprises de plus de vingt salariés. Pour plus de détails sur la mesure, se référer à Heyer (2011b).