Budget britannique : du soutien à l’austérité

par Hervé Péléraux

Alors que les derniers comptes nationaux publiés le 22 décembre 2022 font état d’un recul du PIB de 0,3% au troisième trimestre 2022, succédant à une progression de 0,1 % au trimestre précédent, l’inquiétude grandit sur l’éventualité d’une entrée en récession de l’économie britannique. Dans un contexte inflationniste exacerbé depuis le début de 2021, en particulier du fait de la hausse des prix de l’énergie, les gouvernements successifs, Johnson, Truss puis Sunak, ont instauré des mesures de soutien à l’économie en vue d’amortir le choc de pouvoir d’achat et tempérer son impact négatif sur l’activité.



Le 17 novembre dernier, le gouvernement Sunak, entré en fonction le 24 octobre, a présenté un budget qui tranche singulièrement avec les intentions de son prédécesseur, conduit par Liz Truss, démissionnaire après seulement 44 jours de mandat. En effet, l’annonce par l’ancien gouvernement de la mise en place, d’un côté, d’un vaste plan budgétaire de soutien aux ménages et aux entreprises face à la crise énergétique et, de l’autre, de baisse de la fiscalité sur un horizon de cinq ans a laissé dubitatif sur sa viabilité en l’absence de financement et a affolé les marchés.

Pour le moyen terme, le budget présenté par le ministre des Finances britannique, Jeremy Hunt, prend le contrepied de la ligne promue par l’ancien gouvernement et table au contraire sur la rigueur pour prolonger l’effort d’assainissement budgétaire après le choc de la Covid-19 et garantir la maîtrise des finances publiques à cinq ans dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement est toutefois pris en tenaille face à des objectifs contradictoires, entre le soutien aux ménages et aux entreprises à court terme pour atténuer les effets du choc inflationniste et la volonté de garantir la stabilité des finances publiques à moyen terme. Le plan annoncé le 17 novembre se décompose ainsi en trois parties.

L’État pare-chocs contre l’inflation

Un premier train de mesures est mis en œuvre à court terme pour soutenir les ménages confrontés à la hausse des prix, notamment énergétiques. Le dispositif élaboré par le précédent gouvernement pour cet hiver, à savoir le plafonnement des prix du gaz et de l’électricité, est reconduit. Ainsi, pendant l’hiver 2022/2023, les ménages verront en moyenne leur facture d’énergie limitée à 2 500 livres par an, ce qui représente une économie de 900 livres prise en charge par les finances publiques pour un coût global de 24,8 milliards de livres. Ce coût reste bien sûr incertain car il dépend du prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Les dispositions seront moins généreuses durant l’exercice 2023/2024[1], avec une remontée du plafond à 3 000 livres par an, soit une réduction de l’aide de 500 livres et un coût global de la mesure ramené à 12,8 milliards selon le budget. Par rapport aux annonces du gouvernement Truss (26,8 milliards de bouclier fiscal en 2023/2024), 14 milliards pourraient ainsi être économisés sur l’exercice prochain grâce au relèvement du plafond.

Le gouvernement prévoit de réinjecter 90 % de ces 14 milliards en 2023/2024 dans des dispositifs de soutien aux ménages les plus fragiles, avec des versements à 8 millions de ménages : les bénéficiaires de prestations sociales sous condition de ressources recevront des versements de 900 livres, les retraités recevront 300 livres et les bénéficiaires de l’allocation pour les handicapés 150 livres. Le gouvernement a aussi décidé de suivre la recommandation de la Commission sur les bas salaires d’une hausse du salaire minimum de 9,7 % en avril 2023 et les prestations sociales et les retraites publiques augmenteront du montant de l’inflation en octobre 2022, soit de 10,1%.

D’autre part, pour soutenir le secteur productif, le gouvernement a maintenu, tout en le rabotant, le dispositif du gouvernement Truss d’encadrement des factures d’énergie pour les entreprises confrontées à la hausse du coût de l’énergie. Les mesures, instituées pour six mois entre le premier octobre 2022 et le 31 mars 2023, coûteraient 18,4 milliards (contre 29 milliards prévus par l’ancien gouvernement).

La reconduction des mesures d’aides aux entreprises sur l’exercice 2023/2024 n’était pas programmée au 17 novembre 2022, mais une évaluation devait être conduite par le gouvernement afin d’éclairer les décisions futures. Le 9 janvier 2023, le gouvernement a précisé ses intentions quant à la pérennité du « bouclier énergie » pour les entreprises. Ce dernier sera maintenu durant l’exercice 2023/2024, mais sera considérablement diminué en comparaison des dispositions actuelles eu égard à leur coût jugé non soutenable par Jeremy Hunt pour les finances publiques du pays. C’est ainsi que 5,5 milliards de livres sont budgétés pour l’exercice 2023/2024.

Au total, le bouclier énergie ainsi que le soutien aux ménages vulnérables et aux entreprises engage 43,2 milliards de livres pour l’exercice 2022/2023 et 30,6 milliards en 2023/2024. En ajoutant les mesures déjà prises par le gouvernement Johnson depuis mars 2022, l’engagement public atteint 64,2 milliards sur l’exercice 2022/2023 et 45,3 sur le suivant. Ramené à une base calendaire, ce soutien représente 48,2 milliards en 2022 (soit 2,2 points de PIB de 2019) et 50 milliards en 2023, ce qui place, un peu plus tardivement que les autres, le Royaume-Uni parmi les pays du continent européen les plus généreux en termes de soutien à l’économie face au choc inflationniste[2].

L’État garant de la soutenabilité des finances publiques

Au-delà du soutien à l’économie à court terme qui implique une politique très expansionniste, le nouveau gouvernement a exprimé son souci d’afficher une trajectoire des finances publiques « soutenable », c’est-à-dire qui conduit à une baisse du ratio dette/PIB à un horizon de cinq années et à une réduction du déficit en dessous de 3 % du PIB. Pour ne pas entrer en contradiction avec les mesures de soutien décidées pour les exercices 2022/2023 et 2023/2024, alors que le risque d’entrée en récession de l’économie britannique est élevé, le gouvernement a pris soin de n’enclencher le resserrement de la politique budgétaire qu’en 2024/2025.

Le plan d’austérité budgétaire dégage des ressources supplémentaires montant en charge progressivement jusqu’à 55 milliards de livres en 2027/2028, réparties entre des hausses d’impôts à hauteur de 45 % (25 milliards en 2027/2028) et des baisses de dépenses à hauteur de 55 % (30 milliards). Côté impôts sur les ménages, le gouvernement a prévu d’abaisser le seuil d’imposition des revenus au taux de 45 % de 150 000 à 125 140 livres en avril 2023, de geler les barèmes de l’impôt sur le revenu et les droits de succession aux niveaux actuels pendant deux années supplémentaires jusqu’en avril 2028, de diviser par quatre les crédits d’impôts sur les dividendes et les plus-values à partir de 2024/2025 et de limiter au 31 mars 2025 la baisse des droits sur les transactions immobilières décidée par le précédent gouvernement.

La baisse de l’impôt sur les sociétés à 19 % envisagée par Liz Truss est annulée et le taux sera porté  à 25% en avril 2023, comme annoncé avant l’arrivée de Liz Truss. Le barème des cotisations sociales sera maintenu au niveau actuel entre avril 2023 et avril 2028. En outre, les superprofits des entreprises énergétiques seront davantage taxés, avec la prolongation du dispositif actuel jusqu’en mars 2028 et l’augmentation du taux d’imposition de 25 à 35 % le premier janvier 2023 (14 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). De plus une taxe de 45 % sur les profits des producteurs d’électricité sera créée en janvier 2023 (4 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). Le gouvernement reste toutefois préoccupé par les tensions que génère l’inflation sur le système productif et a prévu une aide cumulée aux entreprises de 13,6 milliards jusqu’à 2027/2028, passant principalement par le levier des impôts locaux.

Côté dépenses, le gouvernement prévoit la mise en place d’un plan d’économies s’appuyant principalement sur le ralentissement de la progression des dépenses publiques qui ne devra pas excéder l’inflation de plus de 1 point. L’effort sera toutefois engagé à partir de l’exercice 2025/2026 tandis que certaines dépenses concernant les services publics prioritaires (santé, protection sociale et écoles) seront augmentées au cours des deux prochains exercices.

Les marchés rassérénés

En termes d’impulsion budgétaire, l’année calendaire 2022 apparaît comme la plus dispendieuse en réponse à la situation d’urgence créée par la hausse spectaculaire de l’inflation (graphique 1). En 2023, le redéploiement de la quasi-totalité des ressources libérées par la diminution du bouclier énergie vers les ménages les plus fragiles et le maintien d’un « bouclier entreprises » permettra de maintenir globalement l’engagement du gouvernement dans le plan d’urgence, sans toutefois générer d’impulsion supplémentaire significative. En revanche, en 2024, le retrait des dispositifs d’aide à court terme et l’entrée en vigueur du plan d’économies budgétaires seront à l’origine d’une impulsion budgétaire très négative, de -1,2 point de PIB. À l’horizon 2027, les dispositions annoncées par le gouvernement Sunak maintiendront une impulsion budgétaire négative, voisine de 0,5 point de PIB chaque année.

La réalisation de telles projections à un horizon de cinq années reste toutefois hypothétique. Tout d’abord, un nouveau budget sera présenté le 15 mars. Ensuite, des élections générales auront lieu d’ici la fin 2024. Une grande incertitude prévaut donc sur l’application de ce plan. Quoi qu’il en soit, les annonces de novembre 2022 ont atteint l’objectif d’apaiser les marchés financiers puisque le rendement des obligations d’État à 10 ans était retombé, au premier décembre 2022,à son niveau d’avant les annonces budgétaires du gouvernement Truss à la rentrée (graphique 2). Dans la foulée, la livre, après s’être dépréciée de 5 % entre le 6 et le 28 septembre 2022, était aussi revenue à son niveau de début septembre.


[1] Au Royaume-Uni, l’exercice budgétaire commence le 1er avril et se termine le 31 mars de l’année suivante.

[2] Voir « Du coup de chaud au coup de froid », Département Analyse et Prévision, Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, 12 octobre 2022, pp. 35-41.




L’Europe de la défense

Compte rendu du séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », Cevipof-OFCE, séance n° 8 du 18 novembre 2022

Intervenants : Jean BELIN (Chaire Économie de la défense), Jérôme CLECH (Centre d’études stratégiques aérospatiales de l’armée de l’Air et de l’Espace) et Pierre HAROCHE (Queen Mary University of London).



Le séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », organisé conjointement par le Cevipof et l’OFCE (Sciences Po), vise à interroger, au travers d’une démarche pluridisciplinaire systématique, la place de la puissance publique en Europe, à l’heure du réordonnancement de l’ordre géopolitique mondial, d’un capitalisme néolibéral arrivé en fin du cycle et du délitement des équilibres démocratiques face aux urgences du changement climatique. La théorie politique doit être le vecteur d’une pensée d’ensemble des soutenabilités écologiques, sociales, démocratiques et géopolitiques, source de propositions normatives tout autant qu’opérationnelles pour être utile aux sociétés. Elle doit engager un dialogue étroit avec l’économie qui elle-même, en retour, doit également intégrer une réflexivité socio-politique à ses analyses et propositions macroéconomiques, tout en gardant en vue les contraintes du cadre juridique.

Réunissant des chercheurs d’horizons disciplinaires divers, mais également des acteurs de l’intégration européenne (diplomates, hauts fonctionnaires, prospectivistes, avocats, industriels etc.), chaque séance du séminaire donnera lieu à un compte rendu publié sur les sites du Cevipof et de l’OFCE.

1. La perspective politiste : l’émergence d’une vision européenne capacitaire et (en partie) supranationale

Pierre Haroche, Lecturer à la School of Politics and International Relations de la Queen Mary University of London et ancien chercheur en sécurité européenne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), divise les études en matière d’Europe de la défense en deux grands champs de recherche : 1/ l’approche géosécuritaire (les instruments économiques deviennent des outils de politique étrangère, avec l’idée de déglobalisation, de sécurisation/weaponisation des échanges internationaux), et qui correspond au tournant géoéconomique du marché intérieur ; 2/ les interactions de l’économie avec la défense.

La politique de défense européenne connaît depuis quelques années un renversement historique de son cours habituel. Au départ, la politique de défense reposait sur deux caractéristiques : elle était tournée vers l’opérationnel (l’enjeu de la capacité à lancer des opérations militaires de l’UE de manière autonome, en dehors du cadre de l’OTAN lorsque celui-ci ne permettait pas de telles opérations) et était de nature entièrement intergouvernementale. Aujourd’hui émerge une approche inverse : une vision capacitaire et en partie supranationale.

Sur les liens fonctionnels entre le marché intérieur et l’industrie de la défense, une première tentative fut la voie juridique avec les directives de 2009 d’harmonisation des règles de passation des contrats d’armement[1] et de transferts intracommunautaires de matériels de défense[2]. Mais le principal saut correspond à l’initiative du Fonds européen de la défense (FED) doté d’un budget européen de près de 8 milliards d’euros (pour la période 2021-2017) destiné à financer la recherche et développement des programmes d’armement. Il constitue une avancée importante depuis l’essoufflement des opérations militaires de l’UE du début des années 2000. Le FED a permis de relancer la défense européenne.

Aujourd’hui, en 2022, on observe des tensions entre les objectifs affichés et la réalité des choses. La Boussole stratégique a été adoptée en mars 2022 et fait office de livre blanc de la défense européenne (elle inscrit l’objectif de 5 000 hommes déployables immédiatement dans un contexte non permissif). La guerre en Ukraine bouleverse les priorités : aujourd’hui, ce qui compte c’est la défense territoriale. Au sommet de l’OTAN de Madrid en juin 2022, un nouveau modèle de force a été présenté, avec l’ambition très forte pour les Européens d’être capables de déployer sur le flanc est-européen 100 000 soldats en moins de dix jours, et 200 000 en moins de deux mois. Une telle exigence opérationnelle en Europe soulève la question de la possibilité de maintenir en même temps une force expéditionnaire européenne de 5 000 hommes sur des théâtres lointains.

Sur la dimension capacitaire, l’UE s’est dotée en 2021 d’une Facilité européenne pour la paix qui permet aujourd’hui de financer certaines livraisons d’armes à l’Ukraine, instrument financier qui permet à l’UE de jouer un rôle à soi et de trouver sa place vis-à-vis de l’OTAN. Au Sommet de Versailles des 10 et 11 mars 2022, les Etats membres de l’UE ont affirmé leur volonté commune de se réarmer de manière collaborative et coopérative en se donnant des priorités capacitaires et de favoriser les achats en commun. Cela se fera en deux temps, à partir d’un programme pilote doté de 500 millions d’euros qui a vocation de préparer un programme de plus long terme.

Si la valeur ajoutée propre de l’UE est plus difficile à prouver dans le domaine opérationnel, faire de l’UE un chef d’orchestre en matière budgétaire et industrielle de défense est une approche intéressante car l’UE contribue, en s’appuyant sur ses points forts, aux mêmes objectifs que l’OTAN et fait ce que l’OTAN ne fait pas (le financement et la politique industrielle de défense).

Enfin, Pierre Haroche dresse les perspectives de la mutualisation de l’entretien, de l’entraînement, d’infrastructures communes et de certaines acquisitions en commun, avec l’idée de stock commun.

2. La perspective stratégique : la capacité européenne à déployer une gamme d’effets (économiques, industriels, culturels…) sur des conflits du bas du spectre

Jérôme Clech, Chef du pôle prospective et stratégie du Centre d’études stratégiques aérospatiales de l’armée de l’Air et de l’Espace (CESA), enseignant à Sciences Po et ancien conseiller militaire au cabinet du ministre des Armées, estime qu’en 4 ou 5 ans, on en a fait plus pour la défense européenne qu’en 40 ans. Mais il constate une rechute en 2020 et plus récemment avec la guerre en Ukraine qui marque le réinvestissement de l’Europe par l’OTAN et les États-Unis. Comment relancer, consolider l’Europe de la défense et viser une architecture de sécurité européenne ? C’est forcément se positionner par rapport à la Russie.

Jérôme Clech pose ensuite la question de l’utilité de la PSDC (politique de sécurité et de défense commune) et de l’intérêt de la France et de l’Allemagne de se lancer dans l’Europe de la défense. La France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et dispose de la dissuasion nucléaire. L’Allemagne trouve dans l’OTAN la garantie de sa sécurité. Dans ce contexte, quelle est donc la plus-value de l’Europe de la défense ? Car au bout du compte ce qui compte sont les opérations sur le terrain. Or l’UE n’offre que bien peu de résultats en matière opérationnelle.

L’intérêt de l’Europe de la défense est de stabiliser à moindre coût ce que ne peut pas faire l’OTAN, c’est-à-dire tout ce qui ne relève pas du conflit de haute intensité interétatique : par exemple, la menace terroriste. L’UE a la capacité de déployer tout une gamme d’effets (économiques, industriels, culturels, etc.) selon une approche globale et sur des conflits du bas du spectre. L’UE peut mettre sur pied des missions d’accompagnement d’États tiers comme la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali)[3], des opérations de combat comme EUNAVFOR MED opération Sophia (lutte contre le trafic de migrants)[4] qui, en raison de son relatif échec, a été remplacée par EUNAVFOR MED opération Irini (embargo sur les ventes d’armes destinées à la Libye)[5].

L’UE dispose également d’instruments pour accroître l’effort capacitaire des États membres comme la coopération structurée permanente (CSP)[6] pour inciter les États membres à renforcer leur effort de défense dans les différentes composantes (terre, mer, air, espace). L’approche de l’UE en matière de défense se veut ainsi multi-domaine en poursuivant l’objectif d’un dialogue entre les différentes composantes. L’UE dispose en outre à ces fins d’un premier instrument puissant de financement avec le Fonds européen de défense (FED) doté d’un budget de 8 milliards d’euros pour l’exercice budgétaire 2021-2027[7]. Le FED vise à renforcer les bases industrielles et technologiques de défense (BITD) nationales aux fins de consolider une autonomie d’action européenne pour sortir de la trop forte dépendance capacitaire à l’égard des États-Unis.

C’est dans ce contexte que l’Allemagne a décidé d’allouer 100 milliards d’euros pour sa défense tout en fléchant une part importante de cette manne budgétaire vers l’achat de F-35 américains, malgré le projet franco-germano-espagnol d’avion de combat du futur (SCAF pour Système de combat aérien du futur) et du projet franco-allemand de char du futur (Système principal de combat terrestre ou MGCS pour Main Ground Combat System).

Comment l’Europe de la défense peut-elle sortir par le haut dans un contexte de revitalisation de l’OTAN en raison de la guerre en Ukraine ? La France elle-même se voit devoir chevaucher une Alliance atlantique sous domination américaine, y compris dans le domaine capacitaire selon la logique transactionnelle de la protection américaine (article 5 du traité de l’Atlantique nord) en échange d’achats de matériels militaires américains par les États européens, tout en poussant à la constitution d’un pilier européen fort au sein de l’OTAN à l’encontre des préférences américaines.

Enfin, pour conclure son propos liminaire, Jérôme Clech revient sur l’enjeu de reconstruire une architecture de sécurité européenne, qui passe par la maîtrise des armements sur le sol européen, et la question du rapport de l’Europe à la Russie qui implique un dialogue lucide et ferme avec Moscou, mais un dialogue toutefois.

3. La perspective économique : la double faiblesse de la demande et de l’offre de défense européenne

Jean Belin, titulaire de la chaire « Économie de la défense » du Fonds IHEDN et maître de conférences à l’Université de Bordeaux, rappelle les deux grandes dimensions de l’économie de la défense : 1/ l’économie des conflits (impact des conflits militaires sur l’économie), 2/ la relation entre les systèmes de défense et l’économie (le lien entre l’État décisionnaire, l’industrie de défense et le militaire). L’économie de la défense a pour ambition de faire interagir ces dimensions.

Les choix de défense en Europe auront un impact économique très important : un impact sur la paix et l’indépendance européenne (impact difficile à évaluer économiquement) qui renvoie à l’idée de souveraineté européenne ; un impact économique sur l’activité, l’emploi, la R&D (avec beaucoup de publications sur cette dimension) qui peut venir complexifier la prise de décision politique. Ces problématiques s’inscrivent dans un changement de l’environnement stratégique, avec la résurgence des conflits entre États et l’ouverture d’un débat capacitaire (renforcer notre système de défense) qui lui-même amène un débat budgétaire. À cet égard, la demande européenne en matière de dépenses de défense est largement insuffisante (1,5% du PIB en 2020), si on la compare aux États-Unis (3,7% du PIB) et aux objectifs de l’OTAN des 2% du PIB (seuls 9 États membres de l’UE y parviennent). La demande européenne est, en outre, fragmentée avec 178 systèmes d’armes contre une trentaine pour les États-Unis (la réduction en Europe des systèmes d’arme permettrait une économie de 25 à 100 milliards d’euros).

Un important effort de rattrapage reste à effectuer (après la phase de rupture d’investissement de défense en raison de la crise financière des années 2010), effort qui passera par le lancement de nouveaux programmes d’armement adossés à un accroissement du budget alloué à la défense. En France, la loi de de finances respecte la trajectoire budgétaire définie par la loi de programmation militaire 2019-2025. En Allemagne, le gouvernement Scholz a annoncé la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros.

Il y a également une question d’offre : l’industrie de défense européenne. Celle-ci représente un impact économique important en matière d’activités économiques, d’emplois, de commerce extérieur, de R&D (et son effet levier sur la R&D civile et plus largement sur la capacité d’innovation du pays) et d’aménagement du territoire (implantations de l’industrie de défense dans des zones sous dotées sur le plan industriel). Là encore, la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est trop fragmentée (surtout pour le terrestre et plus encore pour le naval). Pour l’aéronautique, si l’Europe connaît un regroupement des donneurs d’ordre, la chaîne de sous-traitance demeure très dispersée. La recomposition de la BITDE est trop lente. Aux États-Unis, la fin de la guerre froide s’est accompagnée d’une baisse des dépenses de défense qui a catalysé la dynamique de consolidation de l’industrie de défense américaine enclenchée à partir des années 1970 (à la suite d’incitations du gouvernement américain, avec la prise en charge d’une partie des coûts des restructurations). Ce processus se révèle plus compliqué en Europe du fait de structures de propriété différentes : entreprises familiales en Allemagne, forte présence de l’État en France, entreprises côtés sur les marchés au Royaume-Uni. La France et plus largement l’Europe ont, certes, su créer certaines entreprises par recomposition (Airbus, MBDA, KNDS). Mais mis à part certains cas emblématiques, on observe peu d’européanisation de la chaîne de production (cf. les travaux de la Chaire Économie de la défense). Les liens capitalistiques des entreprises de défense n’ont que peu de dimension européenne et les liens capitalistiques avec les États-Unis sont asymétriques (les Américains sont davantage actionnaires des entreprises de défense européenne que l’inverse). Enfin, les entreprises de défense européennes sont davantage dépendantes à l’exportation, avec beaucoup de filiales hors d’Europe.

L’Europe a ainsi besoin de mutualisation et de coopération, en raison notamment de l’augmentation des couts de développement des nouveaux matériels militaires. Le modèle d’armée complet de la France coutera de plus en plus cher et sera de moins en moins supportable budgétairement seul. Si les contraintes budgétaires des États européens se sont temporairement desserrées, celles-ci reviendront rapidement. À cela s’ajoutent d’autres besoins d’investissement (dans la transition énergétique par exemple). La coopération, qui peut prendre plusieurs formes, doit surtout être efficace sur le plan économique (rendements d’échelle), et pas seulement sur le plan politique (cf. les travaux de Friederike Richter[8]). Mais la coopération en matière d’industrie de défense comporte, comme toute coopération, des problèmes de dilution des responsabilités, de passager clandestin et de difficulté à décider collectivement. Il faut ainsi pousser à la coopération, mais en envisageant tout type de coopération, sans rester figé sur une coopération multilatérale.

En la matière, 2016 marque une nette accélération avec l’adoption d’une stratégie globale : la Coopération structurée permanente, la Force de réaction rapide, le Fonds européen de défense. Ce dernier va permettre la recherche en coopération, avec l’incitation à structurer une BITDE (incitations financières aux pays qui achètent en commun).

En conclusion, il faut bien prendre en compte les conséquences économiques de nos choix de défense. Les nouvelles contraintes militaires et budgétaires nous obligent à avoir un système de défense plus efficace, ce qui passe par le renforcement de la coopération, sous réserve que celle-ci soit efficace.


[1] Directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE.

[2] Directive 2009/43/CE du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté.

[3] Sur la base de la résolution n° 2071(2012) du Conseil de sécurité des Nations unies et des articles 42(4) et 43(2) du traité sur l’Union européenne, le Conseil de l’UE a adopté la décision 2013/34/PESC créant la mission de formation de l’UE au Mali lancée en février 2013 (European Union Training Mission in Mali ou EUTM Mali) dont l’objectif est de contribuer à l’amélioration des capacités des Forces armées malienne au travers de quatre piliers : l’instruction des unités militaires maliennes ; le conseil, à tous les niveaux, des Forces armées maliennes ; la contribution à l’amélioration du système d’enseignement de la formation militaire, des établissements d’enseignement au niveau ministériel ; et le conseil et la formation au quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel.

[4] Décidée le 18 mai 2015 par l’UE, EUNAVFOR MED opération Sophia est une opération militaire au titre de la PSDC pour mettre fin aux départs de migrants tentant de traverser la Méditerranée centrale. Effectivement lancée en juin 2015, elle prend fin en mars 2020.

[5] À la suite de la conférence de Berlin sur la Libye du 19 janvier 2020 durant laquelle les participants de deux camps se sont engagés à respecter l’embargo sur les armes institué par la résolution n° 1970 (2011) et les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil de l’UE a adopté la décision 2020/472 du 31 mars 2020 créant l’opération militaire EUNAVFOR MED opération Irini, débutée en mars 2020 et succédant à EUNAVFOR MED opération Sophia, pour faire respecter l’embargo sur les armes imposé à la Libye.

[6] La coopération structurée permanente (CSP ou PESCO en anglais pour Permanent Structured Cooperation) est une disposition du traité de Lisbonne de 2007 qui introduit la possibilité pour un noyau d’États membre de l’UE de développer leur collaboration dans le domaine de la défense. Prévue pour voir le jour en 2010, elle est finalement activée en 2017 par 25 États membres. Une soixantaine de projets sont développés dans le cadre de la CSP comme le projet de transport aérien stratégique de cargaisons hors gabarit (SATOC), le projet véhicule de surface semi-autonome de taille moyenne (M-SASV), ou encore le projet de systèmes d’aéronefs télépilotés de petite taille de nouvelle génération (NGSR). Pour la présentation des projets, voir : <https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/11/16/eu-defence-cooperation-council-launches-the-4th-wave-of-new-pesco-projects/>

[7] Le Fonds européen de défense succède au Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID / EDIDP) doté de 500 millions d’euros pour les années 2019 et 2020.

[8] Friederike Richter, « La coopération de défense en Europe, un enjeu prioritaire ? », Revue Défense Nationale, n° 832, 2020, p. 115-119 ; Camille Morel et Friederike Richter, « Légitime ou efficace : le dilemme de toute coopération de défense au XXIe siècle ? », Les Champs de Mars, n° 32, 2019, p. 7-28.




Espérance de vie en France : durée allongée ou retraite anticipée ?

par Éloi Laurent

La vigueur du débat actuel autour de la réforme des retraites tient à la centralité de deux réalités imbriquées de la vie sociale : le travail et la santé. La prise en compte de cette seconde réalité est ainsi déterminante pour apprécier le caractère juste ou injuste des amendements proposés au contrat social intergénérationnel qui structure la société française depuis l’après-Seconde Guerre mondiale et, par contrecoup, le caractère légitime ou non des mobilisations sociales qu’ils suscitent.



La publication dans ce contexte par l’INSEE de son bilan démographique pour l’année 2022 est riche d’enseignements. Le principal d’entre eux tient à la régression de l’espérance de vie depuis que la dernière réforme des retraites a été votée (2014) : l’espérance de vie des femmes à la naissance a davantage baissé entre 2014 et 2022 que n’a très légèrement augmentée celle des hommes (graphique), cette évolution à la baisse étant encore plus marquée pour l’espérance de vie à 60 ans[1]. Cette dynamique baissière sur une période de presque dix ans contraste avec toutes les évolutions précédentes sur un pas de temps équivalent (l’espérance de vie à la naissance a crû de 3 mois et demi par an en moyenne au cours de la période 1946 à 2014).

Deux questions se posent alors : comment expliquer ce retrait de l’espérance de vie ? Peut-on anticiper qu’il se poursuive à l’avenir ?

Sur le premier point, deux années sont particulièrement notables dans la quasi-décennie écoulée depuis le vote de la réforme de 2014 : l’année 2015 et l’année 2020. En 2015, pour la première fois depuis 1970, on mesure un recul de l’espérance de vie dans dix-neuf pays de l’OCDE, que l’on attribue à une épidémie de grippe particulièrement sévère qui a notamment fauché des dizaines de milliers de personnes âgées et fragiles. Les plus fortes réductions d’espérance de vie ont été observées en Italie (0,6) et en Allemagne (0,5), effaçant l’équivalent de deux années de gain. La France enregistre alors une baisse d’espérance de vie de 0,3 pour les femmes et 0,2 pour les hommes.

Au regard des années écoulées depuis, si l’année 2015 apparaît comme stratégique, c’est parce qu’elle entremêle deux phénomènes que l’on peut qualifier de « naturels » : l’entrée dans l’âge avancé des générations du baby-boom ; l’impact d’un virus saisonnier (c’était aussi le cas de l’année 2003, qui a entremêlé la catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis 1900 et le pic de l’effet des « classes creuses » sur la réduction des décès annuels). La combinaison de ces deux phénomènes associe donc une structure sociale et un choc écologique ou plutôt l’effet d’un choc écologique sur une structure sociale. C’est cette même combinaison que l’on retrouve en 2020, avec une baisse encore plus prononcée de l’espérance de vie en France : 0,5 pour les femmes et 0,6 pour les hommes. Mais contrairement à la perception commune, l’espérance de vie n’a pas repris depuis lors son inexorable ascension : elle a plutôt trouvé une nouvelle trajectoire diminuée[2].

L’année 2022 est remarquable à cet égard : 667 000 personnes sont alors décédées en France, « seulement 2 000 de moins qu’en 2020 » note l’INSEE. De fait, la décomposition des décès de l’année 2022 est particulièrement intrigante quand on la compare à la dernière année normale disponible (2019) : « + 29 000 dus au vieillissement et à la hausse de la population, – 21 000 dus à la tendance à la baisse des quotients de mortalité[3] et + 46 000 d’écart entre les décès attendus et observés. ».

Les deux premiers phénomènes jouent en sens inverse et résultent en une hausse nette de 8 000 décès. La hausse structurelle des décès en France (prévue, compréhensible et explicable), engagée depuis 2005, n’en demeure pas moins impressionnante : en 2022 ne demeurent plus que 56 000 unités ou 8% d’écart entre le nombre de naissances et le nombre de décès en France, un écart extrêmement ténu entre les dynamiques de vie et de mort sans équivalent depuis 70 ans.

Restent les 46 000 décès dits « excédentaires » qui tirent l’espérance de vie vers le bas, décès supérieurs en 2022 à ceux de 2021, pourtant année marquée plus fortement par la pandémie de Covid-19. Ce chiffre témoigne avant tout de la combinaison de la violence des épisodes caniculaires de l’été 2022 (qui ont emporté près de 11 000 vies) et de la queue de comète de la pandémie de Covid-19. Il y a donc tout lieu de penser qu’il ne s’agit pas d’un phénomène conjoncturel : l’espérance de vie en France est vraisemblablement entrée dans une phase de précarité sous l’impact des chocs écologiques entendus au sens large (chocs viraux, climatiques, etc.).

Cela rend d’autant moins compréhensible que le débat sur la réforme des retraites se tienne à environnement constant – et notamment à climat constant – quand tout indique que la crise climatique et plus généralement écologique sera un facteur déterminant de la santé et donc de la vie en bonne santé après la retraite, en France comme ailleurs sur la planète.


[1] Rappelons qu’il y a deux façons de calculer l’espérance de vie : de façon « verticale » (calcul dont sont issues les données commentées dans ce billet), il s’agit d’une espérance de vie fondée sur les taux de mortalité par âge observés pour une année donnée (on raisonne sur une génération fictive) ; de façon « horizontale » (et également prospective), en calculant l’espérance de vie par génération fondée sur la réalité historique et anticipée des taux de mortalité par âge (sur ce point, l’INSEE prévoit une hausse de l’espérance de vie par génération).

[2] Cette « nouvelle normalité » est encore plus marquée aux États-Unis, pour des raisons différentes. Dit autrement, la sous-mortalité attendue après le choc de 2020 (comme en 2004 après la canicule de 2003) ne s’est pas manifestée en 2021.

[3] Probabilité, pour les personnes survivantes à un âge donné, de décéder avant l’âge suivant (pratiquement, on divise les décès à un âge donné par les survivants à cet âge).




Le Green Deal dans l’agriculture (I):  quelques éléments de cadrage

par Sandrine Levasseur

Lancé en décembre 2019, le Green Deal ou Pacte Vert formule des ambitions importantes en matière climatique et environnementale pour l’Union européenne (UE). Son objectif ultime consiste à faire de l’Europe le premier continent neutre en émissions de gaz à effet de serre (EGES) d’ici 2050 tandis que, de manière intermédiaire, il est prévu une baisse de 55 % des EGES en 2030 par rapport à 1990.



L’agriculture est tout à la fois une composante importante et un acteur essentiel de cette transition écologique. Le présent texte, qui s’inscrit en amont d’une conférence-débat organisée par l’OFCE et consacrée au sujet, propose quelques éléments de cadrage sur le Green Deal dans le secteur agricole. Il fournit des points de repères statistiques sur le secteur agricole dans l’UE et sur les objectifs climatiques et environnementaux que le Green Deal lui assigne à l’horizon 2030. Les données reportées sont essentiellement celles de 2020 pour des raisons de disponibilité et de comparabilité. Un autre texte, à l’issue de la conférence, dressera une synthèse des débats sur les grands enjeux relatifs au Green Deal pour le futur de l’agriculture européenne avec un focus particulier sur l’agriculture française.

L’agriculture européenne : valeur ajoutée et emploi

Au cours des trois dernières années, la valeur ajoutée (VA) du secteur agricole de l’UE s’est établie aux alentours des 200 milliards d’euros, soit l’équivalent de 1,3 % du PIB de l’UE (Tableau 1). En termes de richesse produite, la France et l’Italie constituent les deux premières puissances agricoles. Avec l’Espagne, l’Allemagne et les Pays Bas, elles réalisent près de 70 % de la VA agricole de l’UE et, si on y ajoute les deux autres puissances agricoles plus à l’Est de l’UE, la Pologne et la Roumanie, sept pays concentrent presque 80 % de la VA agricole des vingt-sept pays de l’UE.

En termes d’emploi, la concentration est un peu moins forte : les sept pays susmentionnés représentent 73 % de l’emploi agricole au sein de l’UE. Surtout, le poids de l’emploi agricole dans l’emploi total du pays est sans commune mesure entre, d’une part, la Roumanie (14,4 % en 2020) ou la Pologne (9 %) et, d’autre part, l’Allemagne (1,2 %) ou la France (2,6 %). Globalement, l’agriculture employait près de 7,8 millions de personnes au sein de l’UE en 2022, soit un peu plus de 4 % de l’emploi total. Les données relatives au secteur de l’agroalimentaire font état de 4 millions de personnes occupées dans ce secteur. Au total, ce sont donc les pratiques et l’activité d’environ 12 millions de personnes qui seront concernées directement ou indirectement par les évolutions dans l’agriculture du fait du Green Deal[1].

Les émissions de gaz à effet de serre (EGES) dans l’UE : objectifs du Green Deal et état des lieux

Les objectifs du Green Deal : les grands principes

Le Green Deal se fixe pour objectif d’atteindre la neutralité carbone sur le continent européen d’ici 2050, soit l’équilibre entre les émissions humaines des gaz à effet de serre (EGES) et les captures par les puits naturels (océans, sols, végétation). Son objectif intermédiaire prévoit pour l’UE entière une baisse d’au moins 55 % des EGES en 2030 par rapport à 1990.

Ces objectifs s’inscrivent dans les engagements pris en 2015 dans le cadre des accords de Paris visant à limiter les EGES de façon à maintenir le réchauffement climatique sous les 2°C à la fin du siècle.

L’agriculture n’étant pas un secteur soumis au système d’échange des quotas d’émission (SEQE) de l’UE[2], c’est le règlement de la répartition de l’effort (RRE) qui assigne au secteur agricole de chacun des pays un objectif de réduction d’EGES à l’horizon 2030.

Dans ses grandes lignes, le RRE stipule que :

  • l’agriculture de l’UE devra réduire de 40 % ses EGES à l’horizon 2030 par rapport à 2005, conformément à l’objectif révisé de juillet 2021 [3] ;
  • l’effort est réparti entre les pays en fonction de leur richesse (mesurée par le PIB par tête) et adapté en fonction d’une analyse « coût-efficacité ». Concrètement, les pays les plus riches de l’UE se voient assigner des objectifs de réduction des EGES plus élevés que les pays moins riches. L’effort de réduction s’échelonne ainsi entre 10 % (pour la Bulgarie) et 50 % (pour la Suède, le Luxembourg, l’Allemagne, la Finlande et le Danemark). Pour la France, l’effort de réduction des EGES dans l’agriculture sera de 47,5 % à l’horizon 2030 par rapport à 2005 ;
  • les pays disposent de souplesse pour atteindre leurs objectifs. Notamment, un pays dont les EGES de son secteur agricole sont inférieures à son quota peut reporter l’allocation non utilisée sur les années suivantes jusqu’en 2030. Á l’inverse, si ses EGES dépassent le quota, le pays peut emprunter les allocations de l’année suivante.

États des lieux sur les EGES

En 2020, l’UE a émis un total de 3,1 milliards de tonnes équivalents CO2, soit une baisse de 33 % par rapport à 1990 selon les données de l’EEA[4].

Á elle seule, l’agriculture a émis l’équivalent de 382,4 millions de tonnes de CO2 en 2020, soit environ 12 % du total des EGES de l’UE. La réduction des EGES dans le secteur agricole par rapport à 1990 a été de l’ordre de 21%, soit moins soutenue que dans les autres secteurs de l’UE. En fait, depuis 2012, les EGES du secteur agricole ne diminuent plus tandis que celles des autres secteurs ont poursuivi leur tendance baissière (Graphique 1).

Les grands pays agricoles de l’UE sont aussi les grands émetteurs de GES du secteur (Graphique 2). La corrélation entre ces deux variables n’est cependant pas parfaite.  Des pays tels que l’Italie et l’Espagne pèsent d’un poids relativement peu important en termes d’EGES au regard du poids de leur secteur agricole. Á l’inverse, l’Irlande, la Pologne ou encore l’Allemagne émettent beaucoup de GES relativement au poids de leur agriculture. Pour une large part, ces différences de poids s’expliquent par la spécialisation de leur agriculture et notamment par l’importance plus ou moins grande de leur cheptel bovin (voir plus bas).

La fermentation entérique, soit l’émanation de méthane qui résulte de la digestion des ruminants, représente 43 % du total des EGES du secteur agricole de l’UE tandis que l’exploitation des sols en génère 39 % (Graphique 3). La production d’effluents (essentiellement liés au fumier) contribue grossièrement au reste, soit environ 15 % du total des EGES du secteur agricole de l’UE.

Les bovins, et tout particulièrement les vaches laitières, sont des sources importantes d’émission de méthane (respectivement 60 et 120 kg/an par animal). Á l’autre extrême, les porcins émettent peu de méthane (1,5 kg/an) et les volailles encore moins (moins de 0,1 kg/an).

Une forte spécialisation en cheptel bovin, comme c’est le cas de la France mais aussi d’un « petit » pays comme l’Irlande, aura donc un impact important en termes d’EGES. Par exemple, l’écart entre la France et l’Allemagne de 10 millions de tonnes d’EGES (en équivalent CO2) liées à la fermentation entérique s’explique par la production en France de 21 millions de bovins (hors vaches laitières) contre « seulement » 11 millions en Allemagne. Le cas irlandais est aussi très illustratif : 11e puissance agricole de l’UE en termes de VA (Graphique 2), l’Irlande est le 6e pays émetteur de GES du secteur agricole en raison d’un élevage bovin important et équivalent à celui de l’Italie, de l’Espagne ou de la Pologne.

Les objectifs de réduction des EGES dans l’agriculture de l’UE à l’horizon 2030

Si les objectifs de réduction des EGES sont respectés, l’agriculture de l’UE émettra au plus 233,4 millions de tonnes de GES en 2030, soit une baisse des EGES de 149 millions de tonnes entre 2020 et 2030. L’agriculture française devra diminuer son émission d’environ 30 millions de tonnes pour émettre au plus 40 millions de tonnes de GES et ceci, au plus tard en 2030 (Tableau 2).

En raison du poids de son agriculture et, en particulier de son importance dans la production de bovins, la France devra contribuer à hauteur de 20 % à la réduction des EGES générées par l’agriculture européenne. Il est intéressant de noter que pour un poids de son agriculture à peu près équivalent, l’Italie émet actuellement moitié moins de GES que la France et contribuera moitié moins à l’objectif de réduction des EGES du secteur agricole européen à l’horizon 2030. 

Les autres objectifs du Green Deal

Outre la réduction des EGES, le Green Deal définit d’autres objectifs interdépendants et complémentaires, notamment au travers de la stratégie From Farm-To-Fork (De la ferme à la fourchette) dite encore F2F et de la stratégie Biodiversité. Elles se traduisent par le respect d’objectifs quantitatifs à l’horizon 2030 tels que :

– Consacrer a minima 25 % des terres agricoles à l’agriculture biologique ;

Diviser par deux le recours et le risque liés aux pesticides et à l’usage des antibiotiques pour l’élevage ;

Réduire de 20 % l’utilisation d’engrais chimiques.

Ces objectifs visent à soutenir les objectifs de réduction des EGES, et plus généralement à accélérer la transition écologique. Pour autant, leur visée est beaucoup plus large puisqu’il s’agit aussi d’améliorer la santé et le bien-être des Européens.

Objectif de terres agricoles consacrées à l’agriculture biologique

En 2020, moins de 10 % des surfaces agricoles de l’UE était couverte par l’agriculture biologique, avec des disparités très marquées selon les pays allant de 25,7 % en Autriche (et 22,4 % en Estonie) à 0,6 % sur l’île de Malte (et 1,5 % en Irlande). En France, la part des surfaces agricole couverte par l’agriculture est de 8,7 %, soit un peu en deçà de la moyenne de l’UE mais avec une dynamique plus soutenue (Graphique 4). La poursuite de cette dynamique n’est cependant pas assurée. Selon certains observateurs, l’agriculture biologique serait, d’une part, concurrencée par d’autres labels à visée environnementale mais moins contraignants et d’autre part, la demande de produits biologiques, qui avait été soutenue en 2020 dans le contexte des confinements liés à la Covid-19, pâtirait maintenant du contexte inflationniste.

Objectifs liés à l’usage des pesticides et des antibiotiques pour l’élevage

Concernant les pesticides, deux objectifs ont précisément été définis : une réduction de 50 % dans l’usage et le risque des pesticides chimiques, d’une part, et une réduction de 50 % dans l’usage des pesticides dangereux, d’autre part. Dans les deux cas, l’horizon pour atteindre les objectifs est 2030 et la moyenne des années 2015-2017 constitue la référence.

La tendance qui se dégage au sein de l’UE est celle d’une réduction dans l’usage (et le risque) de ces deux types de pesticides, mais de façon plus marquée pour les pesticides dangereux (- 26 % par rapport à 2015-2017 ; Tableau 3) que pour les pesticides chimiques (- 14 %). L’agriculture française suit cette tendance à la baisse et ce, de manière encore plus marquée pour l’usage des pesticides chimiques (- 21 % par rapport à 2015-2017). Á l’inverse, des pays comme la Bulgarie, l’Autriche ou encore le Danemark n’ont pas suivi cette tendance baissière pour l’un et/ou l’autre des indicateurs de pesticides. Pour ces pays, les efforts de réduction pour atteindre les objectifs à l’horizon 2030 seront donc conséquents[5].

Par ailleurs, l’usage de certains pesticides, pourtant jugés dangereux et interdits par la Commission européenne, fait l’objet de dérogations de manière récurrente. Ainsi, entre 2019 et 2022, quelques 236 dérogations ont été accordées à des substances « hautement toxiques », dont près de la moitié pour des néonicotinoïdes (les insecticides dits « tueurs d’abeilles »). La Roumanie est le pays qui a le plus bénéficié de dérogations, suivie par la République tchèque, la Finlande et la Pologne.

Concernant l’usage d’antibiotiques à destination des animaux, l’objectif de réduction est de 50 % à l’horizon 2030 par rapport à 2018. Partant de niveaux élevés, voire très élevés, en 2021, certains pays devront faire des efforts importants en vue de réduire les ventes d’antibiotiques à usage vétérinaire à l’horizon 2030 (Tableau 4). C’est notamment le cas de la Bulgarie, de la Hongrie ou encore de la Pologne. Cependant, les exemples de l’Italie ou de l’Espagne montrent qu’il est possible en très peu d’années de réduire les prescriptions et donc les ventes d’antibiotiques, en changeant les pratiques vétérinaires.

Objectifs en matière d’engrais chimiques

En matière d’engrais chimiques (essentiellement, l’azote et le phosphore), l’objectif du Green Deal est de réduire de 50 % la perte en nutriments des sols à l’horizon 2030[6]. Selon la Commission européenne, cet objectif permettra de réduire l’usage des engrais chimiques d’au moins 20 % au même horizon. Á notre connaissance, l’année de référence pour calculer l’objectif n’a pas encore été fixée. En outre, les données d’Eurostat en azote et phosphore devenant très incomplètes à partir de 2015, il n’est pas possible de proposer un bilan exhaustif de l’état d’avancement pour ces objectifs.

Si on se concentre sur les bilans en fertilisation azotée de la France et de l’Allemagne pour lesquels les données sont disponibles sur longue période, la tendance qui se dégage est celle d’une réduction des pertes en éléments nutritifs des sols, la réduction étant plus forte pour l’Allemagne (- 62 % entre 1990 et 2019) qui part cependant d’un montant par hectare de SAU (Surface agricole utile) beaucoup plus élevé que la France (Graphique 5). Globalement, le bilan en fertilisation azotée de la France s’inscrit en deça de ce qui est observé au sein de l’UE.

Conclusion

Le Green Deal dote l’Union européenne d’objectifs importants et ambitieux en matière climatique et environnementale pour tous les secteurs en général et pour l’agriculture en particulier. Une simple introspection des évolutions passées montre que certains objectifs risquent d’être difficilement atteints par tout ou partie des pays de l’UE à l’horizon 2030 sans une modification substantielle des pratiques agricoles, sans innovations techniques et technologiques majeures mais aussi sans changement des comportements alimentaires. Sans tout cela, il sera difficile d’atteindre la neutralité carbone tout en garantissant la sécurité alimentaire de l’Union européenne mais aussi celle de pays tiers dépendant de l’agriculture européenne.


[1] Les données d’emploi du secteur agricole et du secteur agroalimentaire ne sont pas directement comparables. Dans l’agriculture, l’unité est de « 1 000 heures travaillées » par an tandis que dans l’agroalimentaire, il s’agit de personnes occupées (salariés ou non, ne travaillant pas forcément à plein temps). Ces unités de mesure, moins standard que celles d’équivalent plein temps, sont le reflet de la polyactivité assez développée dans l’agriculture et l’agroalimentaire.

[2] Les autres secteurs non concernés par le SEQE, lequel fixe un prix au carbone, sont les bâtiments, le transport routier et le transport maritime intérieur, les déchets et les petites industries.

[3] Le précédent objectif était de 30 %.

[4] Les données sont fournies par l’EEA (European Environment Agency) et republiées par Eurostat. Les données d’émissions sont nettes des recaptures. Elles sont définies en « équivalent CO2 » pour tenir compte du fait que certains gaz ont un effet de serre (autrement dit, un pouvoir réchauffant de l’atmosphère) beaucoup plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2). C’est notamment le cas du méthane qui a un pouvoir réchauffant 25 fois supérieur à celui du CO2. On applique donc aux statistiques d’EGES de méthane un coefficient multiplicateur de 25 de façon à obtenir leur équivalence « carbone » en termes d’émissions.

[5] Les données sont manquantes pour un certain nombre de pays dont la Pologne et l’Espagne, certains pays de l’UE ayant refusé de fournir des données relatives à l’usage des pesticides sur une périodicité annuelle.

[6] La présence d’azote et de phosphore dans le sol est nécessaire à la croissance des végétaux. Cependant, en quantités trop importantes dans le sol, non ingérées, l’azote et le phosphore polluent les eaux et affectent leurs écosystèmes, d’où l’objectif de réduire « la perte en nutriments des sols ».




A-t-on atteint le pic d’inflation dans la zone euro ?

par Christophe Blot

Pour la première fois depuis le mois de juin 2021, l’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisé, a baissé dans la zone euro au cours des deux derniers mois. Elle reste toutefois élevée puisque les prix ont augmenté de 9,2 % en glissement annuel en décembre 2022 et de 8,4 % sur l’ensemble de l’année. Aux États-Unis, le mouvement est observé depuis juin 2022 avec un glissement annuel de l’indice des prix à la consommation passé de 9 à 6,4 % en décembre. En moyenne annuelle, l’inflation s’est cependant établie à 8 %, soit 3,3 points au-dessus de celle de 2021. De fait, même s’il peut y avoir des écarts importants entre les pays, notamment dans la zone euro[1], la hausse des prix est un phénomène mondial et l’inflation se situe à des niveaux bien plus élevés que ce qui a été observé en moyenne depuis de nombreuses années. Que peut-on déduire des baisses observées au cours des derniers mois ? Le pic d’inflation a-t-il été atteint ? La réponse à ces questions dépend notamment des facteurs qui ont contribué à l’inflation depuis 2021 et à sa diminution récente. Ce diagnostic n’est pas seulement crucial pour le niveau de vie des ménages, il conditionne également l’orientation de la politique monétaire de la BCE et de la Réserve fédérale pour 2023, puisqu’elles ciblent toutes les deux une inflation de 2 %.



Une baisse de l’inflation liée à celle des prix de l’énergie…

Depuis la fin de l’été 2020, l’inflation dans l’ensemble des pays industrialisés a connu une hausse quasi ininterrompue pour atteindre un niveau qui n’avait pas été observé depuis le début des années 1980. Cette dynamique s’explique par des facteurs d’offre et de demande. Dans un contexte toujours marqué par la situation sanitaire en 2021 et 2022, les capacités de production sont restées contraintes du fait des différentes vagues épidémiques, ce qui a perturbé le fonctionnement du marché du travail et les chaînes d’approvisionnement, notamment du fait de la stratégie chinoise de zéro-Covid. Côté demande, les mesures de soutien au revenu prises pendant les périodes de confinement ont d’abord alimenté l’épargne puis les dépenses de consommation des ménages, particulièrement aux États-Unis. Le rebond de l’inflation fut aussi tiré par celui des prix de l’énergie, amplifié par l’invasion de l’Ukraine par la Russie déclenchant une crise énergétique. Parallèlement, des facteurs climatiques ont également poussé les prix alimentaires à la hausse dont l’augmentation fut à son tour accentuée par le conflit entre deux producteurs importants de céréales[2].

De fait, en octobre 2022, le glissement annuel des prix de l’énergie dans la zone euro s’élevait à plus de 40 % contribuant ainsi pour 4,2 points à l’inflation[3]. En décembre, ces prix progressaient à un rythme moins soutenu : 25,7 % en glissement annuel. L’indice énergie reflète largement les évolutions des prix du pétrole et du gaz sur les marchés. Or, la flambée observée depuis plusieurs mois semble s’inverser. Après avoir atteint un pic à plus 120 dollars mi-juin 2022, le prix du baril du Brent est revenu au niveau observé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Quant au prix du gaz, il a subi un choc inédit mais est également engagée sur une tendance baissière plus récente (graphique 1). Fin août 2022, il atteignait un pic à plus de 310 euros le MegaWatt/heure, soit un niveau 15 fois plus que ce qui était observé en janvier 2021[4]. Ces baisses des prix du pétrole et du gaz expliquent donc la dynamique récente de l’inflation au cours des deux derniers mois. Aux États-Unis, la baisse est intervenue plus tôt en lien avec le prix du pétrole et parce que la hausse du gaz américain a été beaucoup plus modérée[5].

… mais une inflation sous-jacente qui augmente

Cependant, hors énergie, l’inflation ne baisse pas. D’une part, les prix alimentaires en zone euro continuent d’augmenter : 13,6 % en décembre sur l’ensemble de la zone euro, ce qui reflète en partie l’effet des hausses passées des prix de l’énergie sur les coûts. D’autre part, l’inflation sous-jacente, corrigée de l’énergie et des prix alimentaires, est également élevée : 5,2 % en décembre dans la zone euro et 6 % aux États-Unis. De plus, elle continue d’augmenter et contribue de plus en plus à la hausse : 3,5 points en zone euro en décembre 2022 contre 1,9 point un an auparavant (graphique 2)[6]. Cette hausse de l’inflation sous-jacente suggère une diffusion progressive de l’inflation. Le prix de l’énergie affecte directement les coûts de production, ce qui se répercute ensuite sur les prix des biens de consommation et des services hors énergie[7].

Au-delà du choc énergétique, des facteurs d’offre et de demande ont également pu contribuer à la résurgence de l’inflation. Du côté de l’offre, le blocage des chaînes de production mondiale – notamment du fait des confinements locaux imposés en Chine jusqu’à récemment, et les goulots d’étranglement au niveau du transport maritime qui sont apparus en fin d’année 2020 avec la reprise du commerce international – ont provoqué des tensions sur les prix contribuant à la hausse des prix de production et des biens finals. Ces facteurs semblent avoir joué un rôle prédominant en 2021 aux États-Unis comme en zone euro[8]. Côté demande, les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes en 2020 et 2021 ont assoupli les conditions de financement et soutenu le revenu des agents économiques. Ces mesures avaient pour objet d’absorber les chocs mais la question de leur calibrage a pu aussi avoir contribué à alimenter l’inflation, en particulier aux États-Unis. Des chercheurs américains ont évalué la contribution des plans de soutien budgétaire (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act et American Rescue Plan) à près de 3 points d’inflation fin 2021 confirmant les craintes d’une surchauffe de l’économie américaine[9]. Une analyse plus récente évaluant uniquement l’effet du plan Biden de mars 2021 estime sa contribution à l’inflation sous-jacente à près de 50 %[10]. Dans la zone euro, le rôle des facteurs de demande est très certainement moindre, notamment parce que les mesures de soutien au revenu des ménages ont été moins importantes qu’outre-Atlantique[11].

La baisse de l’inflation va-t-elle se poursuivre ? Oui très certainement en lien avec les prix de l’énergie. De plus, les facteurs d’offre et de demande qui ont alimenté la hausse des prix devraient également se dissiper. L’indicateur de contraintes sur la production n’est certes pas revenu vers sa moyenne de long terme mais a fortement diminué. Du côté de la demande et de la politique budgétaire, les effets des politiques de soutien mises en place pendant la crise sanitaire se dissipent. Depuis, de nouvelles mesures ont été mises en œuvre dans la zone euro pour amortir le coût de la crise énergétique sur les ménages via des aides ou un blocage des prix. Il n’en demeure pas moins qu’ils devraient subir des pertes de pouvoir d’achat, ce qui pèsera sur la demande[12]. L’inflation reviendra-t-elle pour autant vers 2 % ? C’est peu probable pour l’année 2023. Du côté des prix alimentaires, il n’y aucun signe de détente, ce qui continuera à grever les dépenses des ménages au quotidien. Par ailleurs, une partie du choc inflationniste s’est effectivement diffusée à l’ensemble des prix comme l’indique l’évolution des inflations sous-jacentes[13]. Enfin, la levée progressive des boucliers tarifaires en 2023 et 2024 freinerait la désinflation en étalant dans le temps l’effet du choc énergie sur les ménages. Dans ces conditions, les banques centrales continueront sans aucun doute à augmenter les taux d’intérêt. Elles pourraient néanmoins ralentir le rythme de hausse des taux et les porter à un niveau moins élevé que ce qu’elles auraient pu envisager si l’inflation s’était maintenue à un niveau proche de 10 %.


[1] Selon les chiffres publiés par Eurostat pour le mois de décembre, l’inflation s’élève à plus de 20 % en Lettonie et Lituanie, plus de 10 % en Italie, aux Pays-Bas ou en Autriche. Inversement, elle est de 5,6 % en Espagne et 6,7 % en France. Blot, Creel, Geerolf et Levasseur (2022) analysent cette hétérogénéité des taux d’inflation dans la zone euro et montre qu’elle s’explique largement par les prix de l’énergie et par les taux qui ont été particulièrement élevés dans certaines petites économies de la zone euro, notamment les pays baltes.

[2] Il faut noter également qu’une partie de la hausse des prix alimentaires s’explique par celle des prix de l’énergie.

[3] Aux États-Unis, cette hausse de l’indice énergie a atteint un pic en juin 2022 avec un glissement annuel des prix de 41,5 %, contribuant pour 2,6 points à l’inflation.  Le glissement baisse depuis et s’élève à 7 % en décembre ne contribuant plus que pour 0,5 point à l’inflation totale.

[4] La guerre en Ukraine a fortement contribué à l’envolée du prix du gaz européen mais celui-ci avait déjà fortement augmenté avant son déclenchement puisqu’en janvier 2022, il s’élevait déjà à 84€ le Mégawatt/Heure en moyenne.

[5] Voir « Gaz naturel : pourquoi ça flambe » sur la dimension plus régionale du marché du gaz.

[6] Aux États-Unis, la contribution de l’inflation sous-jacente en décembre 2022 est revenue au même niveau que celle de décembre 2021 (4,6 et 4,5 points respectivement) après être passée par un pic à 5,4 points en octobre 2022.

[7] Les hausses de prix peuvent aussi pousser les salaires à la hausse renforçant la hausse des coûts et des prix par un effet de second tour.

[8] Voir cette analyse qui s’appuie sur l’indicateur de pression sur les chaînes d’approvisionnement.

[9] Voir Jordà, Liu, Necchio et Rivera-Reyes (2022).

[10] Voir Ball, Leigh et Mishra (2022).

[11] Voir Blot C. & M. Plane (2021), « Relance aux États-Unis et en Europe : un océan les sépare », L’Economie politique, n° 3, pp. 73-87.

[12] Voir notre analyse du mois d’octobre 2022 de l’impact du choc énergétique sur la France et les principales économies avancées.

[13] Des indicateurs alternatifs d’inflation sous-jacente calculés pour les États-Unis confirment également le diagnostic d’une augmentation des prix supérieure à 6 %. Voir ici.




La réforme Borne 2023 des retraites : quelques éléments d’analyse

par Vincent Touzé

En 2023, la France s’apprête à adopter une nouvelle réforme visant à restaurer l’équilibre financier du système de retraite. Le gouvernement Borne disposait de trois leviers paramétriques : (i) le taux de cotisation sur les salaires des travailleurs pour accroître les recettes, (ii) le degré de générosité des pensions versées aux retraités pour maîtriser les dépenses, et (iii) l’âge moyen de liquidation. Sans surprise, le gouvernement a annoncé recourir à une augmentation progressive de l’âge de la retraite dès le 1er septembre 2023 et accélérer la loi Touraine de 2014. Pour discuter du bien-fondé d’une telle mesure, plusieurs questions se posent : la réforme est-t-elle urgente ? L’âge est-il le seul paramètre d’ajustement acceptable ? Quels sont les principaux points de vigilance ?



Le mardi 10 janvier 2023, la Première ministre, Elisabeth Borne, a présenté à la presse l’arbitrage retenu par son gouvernement pour restaurer durablement l’équilibre budgétaire du système de retraite. Sans surprise et conformément au programme de la campagne électorale du Président Macron, le choix budgétaire s’est principalement porté vers un relèvement programmé et progressif de l’âge d’ouverture des droits à la retraite (AOD), ce dernier passant de 62 ans actuellement à 64 ans[1] pour la génération 1968 (graphique 1). Cette mesure sera associée à une accélération de la loi Touraine dont l’objectif initial fixait à 43 années cotisées (soit 172 trimestres) le nombre d’années requises pour l’obtention d’un taux plein pour la génération 1973. Avec la réforme Borne, cet objectif serait atteint dès la génération 1965 (graphique 2).

Elle a également confirmé le renforcement de la redistribution sociale via une pension minimum un peu plus généreuse, en augmentant l’actuel minimum contributif. L’objectif recherché par cette mesure sociale est de garantir une pension minimale brute de 85% du SMIC net pour une carrière complète au SMIC. Cela améliorera marginalement la pratique déjà existante qui consiste à garantir une pension de base minimale, éventuellement majorée et qui est versée au prorata de la durée validée par rapport à la durée requise. La question de la rétroactivité aux pensions déjà liquidées reste posée. Le gouvernement reconnaît implicitement une ambition limitée puisqu’il estime le coût budgétaire annuel à environ 700 millions d’euros d’ici 2030.

La première ministre a également annoncé que les nombreux dispositifs dérogatoires, déjà existants et permettant de partir plus tôt ou sans décote pour trimestres manquants, seraient préservés. A priori, seuls les travailleurs qui en sont exclus devraient supporter de plein fouet et progressivement le recul de deux ans de l’âge de la retraite.

Le projet gouvernemental prévoit de réguler l’emploi des seniors dans les entreprises en responsabilisant les employeurs sur ce sujet. Notamment, un projet d’index « senior » mesurant la performance sociale des entreprises pourrait voir le jour. De plus, le cumul emploi-retraite devrait être encouragé via une valorisation des cotisations sous la forme de nouveaux droits à pension.

Ces mesures seront présentées le 23 janvier en conseil des ministres en vue d’un examen par l’Assemblée nationale vers février-mars 2023 puis d’une entrée en vigueur le 1er septembre 2023. La réforme va désormais rentrer dans le temps parlementaire avec de nombreux débats en perspective. L’appréciation du bien-fondé de cette réforme pose plusieurs niveaux d’interrogation.

La réforme est-elle urgente ?

Le dernier rapport du COR (2022) confirme une tendance des précédents : le déficit du système de retraites (graphique 3) devrait progressivement gonfler pour atteindre un déficit compris entre 0,7 et 0,8% du PIB d’ici une dizaine d’années, soit un sous-financement des dépenses de pension de l’ordre de 6%. L’ampleur n’est pas négligeable. Toutefois, les besoins financiers sont d’une ampleur moindre que celle anticipée lors des précédentes réformes[2] car ces dernières ont déjà joué un rôle crucial de rééquilibrage budgétaire. Cette situation budgétaire s’inscrit dans un environnement général particulièrement dégradé des finances publiques en 2022 avec un déficit public d’environ 4,9% du PIB[3] et d’une dette publique d’environ 111% du PIB (OFCE, 2022).

Le gouvernement aurait pu ne prendre aucune mesure, financer le déficit par une émission de dette publique et attendre que la situation budgétaire s’aggrave. Mais deux considérations militent en faveur d’une action précoce. Premièrement, concernant les retraites où les changements paramétriques doivent être anticipés suffisamment à l’avance, il est important d’opérer sur le temps long et donc de mettre en place progressivement les changements. D’après les estimations fournies par le gouvernement, la progressivité des mesures fait que l’équilibre budgétaire ne serait atteint qu’en 2030. Deuxièmement, la procrastination a nécessairement un prisme générationnel puisqu’il appartient alors aux générations suivantes de réformer, cette fois-ci dans l’urgence, et de subir intégralement le poids de la réforme. L’anticipation précoce des problèmes de financement et la mise en place progressive de mesures correctrices peut œuvrer en faveur d’un meilleur partage générationnel.

L’âge est-il le seul paramètre d’ajustement acceptable ?

Le gouvernement dispose d’une large panoplie de paramètres pour maintenir financièrement le système de retraite à flot.

Il aurait pu augmenter le taux de cotisation ou réaffecter des impôts ou des dépenses fiscales dont l’efficacité est sujette à débat (CICE, CIR, exonération de charges).

Augmenter le taux de cotisation est discutable dans un contexte où le taux de prélèvement sur les revenus du travail, en France, est déjà élevé. Certes, ce dernier permet de financer une protection sociale généreuse mais il peut présenter des limites. En effet, user de ce levier confronte nécessairement à la question de la réduction du pouvoir d’achat des salaires en cas de hausse des cotisations salariales, et cette mesure serait d’autant plus délicate dans le contexte inflationniste actuel. Cela pose aussi la question du coût du travail en cas de hausse des cotisations patronales, mesure également un peu plus difficile à adopter dans le contexte actuel de choc sur le prix des matières premières secouant le secteur productif.

Réaffecter des ressources du budget général pour rééquilibrer les comptes de la branche retraite pose la question de la nature des pensions versées. Une première logique du système par répartition veut que les cotisations retraites prélevées sur les salaires financent les pensions contributives, c’est-à-dire celles accordées aux travailleurs sur la base de leurs cotisations passées. Une seconde logique veut que les prestations sociales versées au nom de la solidarité (pension minimum, minimum vieillesse, trimestres assimilés, etc.) soient financées par l’impôt, ce qui peut alors relever du budget général. Il pourrait donc être opportun de distinguer dans les déficits prévisionnels ce qui peut être imputé aux pensions selon leur nature contributive ou solidaire puisque ces deux logiques coexistent.

Le gouvernement aurait également pu réduire la générosité des pensions déjà versées. Dans le contexte inflationniste actuel, le gouvernement aurait pu choisir de sous-indexer fortement les pensions par rapport à l’évolution des prix. Les économies budgétaires n’auraient pas été négligeables. Le choix contraire a été fait puisque depuis le 1er janvier 2022, les pensions de base ont été revalorisées d’environ 6%. Á titre comparatif, l’État a revalorisé de seulement 3,5% le traitement indiciaire des fonctionnaires mais plus fortement le SMIC avec une hausse de 8%. Bien évidemment, la sous-indexation se heurte à la baisse du pouvoir d’achat des pensions et, plus particulièrement, à celle des petites retraites. Pour maintenir le pouvoir d’achat des petites pensions, un rapport publié par Terra Nova a émis, fin décembre, l’idée que la désindexation ne pourrait porter qu’à partir d’un niveau de pension suffisamment élevé. Cette préconisation peut s’apparenter à un recours différencié, déjà pratiqué dans le passé, du taux de CSG qui va d’une exonération à un taux majoré selon le montant de la pension. Cette ligne d’action est une façon de défendre l’idée que la solidarité portée par le système de retraites ne repose pas seulement sur un engagement entre les générations mais également sur un objectif de justice sociale entre retraités.

Finalement, le contrôle de l’âge de liquidation a retenu l’attention du gouvernement. Ce choix n’est pas une surprise puisqu’il figurait dans le programme de campagne électorale du Président Macron. Augmenter l’âge permet d’agir à la fois sur la masse de recettes qui augmente du fait que les travailleurs cotisent plus longtemps (effet positif sur la taille de la population active) et sur celle des dépenses qui augmentent moins vite car les nouveaux retraités seront moins longtemps à la retraite (accroissement plus faible du nombre de pensionnés). Le contrôle de l’âge de liquidation peut reposer sur une mesure contraignante comme l’âge d’ouverture des droits (AOD) qui interdit de partir avant un âge minimum ou une mesure incitative telle que la durée de cotisation qui permet d’obtenir une surcote pour une liquidation tardive ou une décote pour une liquidation précoce. Le gouvernement Borne a choisi de combiner les deux. Bien évidemment, le recul de l’âge de la retraite est une importante source de préoccupations quant aux conséquences sociales d’un maintien plus long dans l’emploi des seniors.

Augmenter l’âge de la retraite : quels sont les principaux points de vigilance ?

Rallonger la durée d’activité pose un grand nombre d’interrogations sur les conséquences sociales puisque tous les travailleurs ne partent pas au même âge à la retraite (graphique 4). Demander un effort de travail supplémentaire à des travailleurs seniors n’est envisageable que si ces derniers ne sont pas confrontés à des problèmes d’employabilité ou de santé les rendant inaptes à poursuivre leur activité. Un des principaux points du débat devrait s’attarder, en particulier, à identifier la situation des plus fragiles qui pourraient être impactés lourdement par la réforme.

Tout d’abord, les travailleurs potentiellement les plus impactés sont ceux ayant eu des carrières longues, c’est-à-dire, des personnes qui sont entrées très tôt sur le marché du travail, qui ont pu valider des trimestres très jeunes et qui peuvent bénéficier d’un dispositif de retraite anticipée. La loi Woerth de 2010 avait prévu un décalage de deux ans de l’âge minimum pour carrières longues. La première ministre a annoncé que les dispositifs « carrières longues » pour des départs possibles dès 58 ans seront maintenus (143 000 nouveaux retraités en 2020, soit environ 23% des effectifs de nouveaux retraités du secteur privé). Les départs dès 58 ans sont très théoriques puisque le régime des salariés du secteur privé décompte un nombre infime de travailleurs réunissant les conditions requises. En pratique, les départs pour « carrières longues » se font plutôt entre 60 et 62 ans. A priori, ces travailleurs ne devraient donc pas être impactés sauf si le nombre de trimestres requis par ces dispositifs est modifié.

Ensuite, les travailleurs particulièrement fragiles, en raison d’un handicap, d’une invalidité, d’incapacité ou d’inaptitude peuvent actuellement bénéficier d’un dispositif dérogatoire de retraite au titre de l’inaptitude leur permettant de partir sans décote à l’actuel AOD de 62 ans. En 2019, 104 000 individus ont bénéficié de ce dispositif. Quant aux autres dispositifs de retraite anticipée des travailleurs handicapés (retraite dès 55 ans avec 2 231 nouveaux retraités en 2021), pour incapacité permanente (retraite dite « pénibilité 2010 » dès 60 ans avec 3 178 nouveaux retraités en 2021) ou au titre du Compte professionnel de prévention C2P[4] (retraite dite « pénibilité 2014 »), ils permettent de liquider plus tôt. La Première ministre a annoncé que pour l’ensemble de ces dispositifs l’âge dérogatoire d’ouverture des droits n’augmenterait pas. Bien au contraire, elle s’est engagée à un meilleur suivi sanitaire (bilan médical) ainsi qu’à certains assouplissements dans l’attribution de points « pénibilités ».

Pour le secteur public, les fonctionnaires en service actif et les militaires (non-officiers) peuvent partir plus tôt à la retraite, ce qui fait qu’en 2020, près de 39% des fonctionnaires ayant liquidé leur pension étaient âgés de moins 62 ans. Avec la réforme, ils pourront toujours partir plus tôt, mais la réforme devrait conduire à un décalage progressif de deux ans des âges spécifiques d’ouverture des droits propres à chaque statut.

Pour les seniors à la recherche d’un emploi, l’allongement de la durée d’activité est susceptible de se traduire par un allongement de la durée du chômage et donc par un risque du type « moins de retraités, plus de chômeurs ». Les simulations macroéconomiques concluent qu’à court terme, le recul de l’AOD peut conduire à une hausse du chômage du fait de la hausse de la population active sans hausse de l’activité (OFCE, 2021). Se pose alors la question du maintien prolongé des droits pour ces derniers afin d’éviter une entrée en situation de pauvreté. D’après la DARES, en 2021, 6,3% des actifs seniors (55-64 ans) étaient au chômage alors que 7,9% de l’ensemble des actifs se sont déclarés au chômage. Quant aux seniors en emploi, ces derniers pourraient être confrontés à des difficultés accrues de maintien dans leur poste de travail pour des raisons de compétence, d’aptitude physique, voire de santé, ce qui peut conduire à une fréquence plus élevée des arrêts maladies. La perspective d’avoir des travailleurs partant plus tard à la retraite devrait être l’occasion pour les employeurs de mettre en place une gestion à plus long terme des carrières, et en particulier en termes de formation et d’aménagement des postes de travail. La réglementation peut être un instrument pour les responsabiliser face à ces enjeux. Le gouvernement évoque des pistes sur ce sujet et ces dernières semblent, pour l’instant, peu contraignantes.

Selon toute vraisemblance, les seniors qui devraient être les plus impactés sont les travailleurs qui ne bénéficient d’aucun dispositif dérogatoire et qui espéraient prendre leur retraite avant 64 ans. Sur les dix prochaines années, le nombre de travailleurs concernés est potentiellement élevé (en 2020, près de 57% des salariés du secteur privé ont pris leur retraite entre 62 et 64 ans). Typiquement, un travailleur qui avait acquis tous ses droits à 62 ans devra travailler plus longtemps et jusqu’à 2 années supplémentaires pour les générations nées à partir de 1968. Ce raisonnement est toutefois valable à la nuance près que depuis le 1er janvier 2019, la caisse de retraite AGIRC-ARRCO applique une décote de 10% pendant trois ans sur la pension complémentaire en cas de liquidation au taux plein. Pour ne subir aucune décote, le travailleur est fortement encouragé à décaler d’une année son départ. Vu sous cet angle, l’âge minimal d’ouverture des droits à une pension pleine serait de 63 ans et non de 62 ans. La réforme portée par le gouvernement ayant un impact favorable sur le financement de l’AGIRC-ARRCO, il est fort probable que cette décote de 10% soit prochainement abandonnée. Il est raisonnable d’anticiper que de nouveaux travailleurs réuniront les conditions requises de carrières longues entre 62 et 64 ans. Ils seront donc impactés selon le nombre de trimestres supplémentaires nécessaires pour valider une carrière longue après 62 ans. En revanche, d’autres valideront un nombre de trimestres au-delà du niveau requis, et notamment les femmes qui peuvent valider jusqu’à 8 trimestres par enfant, sans pouvoir pour autant bénéficier d’un dispositif dérogatoire[5]. Quoi qu’il arrive, les seniors contraints de partir plus tard à la retraite et qui auront conservé leur emploi, ou à défaut bénéficié d’une période de chômage indemnisé, pourront prétendre à une pension complémentaire plus élevée du fait qu’ils auront accumulé plus de points au moment de la liquidation. On peut toutefois noter une inégalité de traitement des futurs retraités puisque le poids de la pension complémentaire est fonction de la part du salaire au-dessus du plafond. Le gain relatif en pension sera donc d’autant plus fort que le salaire sera élevé.

Quant à la situation des personnes aux carrières incomplètes, elles attendent en général 67 ans pour ne plus subir la décote pour trimestres manquants. La Première ministre a annoncé que cet âge du taux plein automatique ne serait pas remis en question. Pourtant, pour ces futurs retraités, une proratisation accrue est prévue avec l’accélération de l’augmentation de la durée requise : pour la génération 1968, une durée requise de 172 trimestres au lieu de 169 induit automatiquement une baisse de 1,8% de la pension en cas de carrière incomplète. Á titre de comparaison, il est utile de rappeler qu’actuellement les liquidations à 62 ans correspondent souvent à des pensions pour carrières complètes et sont donc associées à des pensions relativement plus élevées, alors qu’à 67 ans, ce sont surtout des liquidations tardives à l’âge du taux plein pour des carrières incomplètes, et donc associées à des petites pensions. Ceux qui prennent leur retraite entre ces deux âges sont souvent des travailleurs avec des carrières longues mais pas suffisamment pour partir dès l’AOD. Ces profils peuvent correspondre à ceux de cadres entrés plus tardivement sur le marché du travail en raison d’études supérieures et qui vont liquider des pensions contributives plus élevées que la moyenne. Pour les plus pauvres, l’âge d’ouverture des droits au minimum vieillesse[6] (961,08 € par mois hors APL pour une personne seule) ne bouge pas et reste fixé à 65 ans avec une dérogation à 62 ans en cas de handicap.

D’après les estimations du gouvernement, environ 30% des gains budgétaires de la réforme seraient réemployés dans les mesures sociales d’accompagnement. De plus, le retour à l’équilibre budgétaire se ferait assez lentement, ce qui pourrait suggérer une transition relativement douce dont les contours exacts mériteraient d’être appréciés par des études d’impact.

Bibliographie

Assemblée nationale, 2022, Loi de financement de la sécurité sociale 2023.

COR, 2022, Evolutions et perspectives des retraites en France, Rapport du 15 septembre 2022.

FIPADDICT, 2022, Une autre réforme des retraites est possible, Terra nova, 22 décembre 2022.

Gouvernement Borne, 2023, Pour nos retraites : justice, d’équilibre et de progrès, Dossier de presse, 10 janvier 2023 : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/05/1548a2feb27d6e5ed4d637eb051bb95daeb2200f.pdf

Laffon P. et D. Le Bayon, 2022, Les départs en retraite au titre de l’inaptitude, Rapport IGAS, octobre.

OFCE, 2021, « Les effets macroéconomiques de leviers possibles de redressement des comptes sociaux », présentation au HCFIPS, avec les contributions de B. Ducoudré et P. Madec.

OFCE, 2022, Perspectives économiques 2022-2023 d’octobre 2022 (sous la direction d’E. Heyer et X. Timbeau), Revue de l’OFCE, n° 178.


[1] Le programme prévoyait un objectif de 65 ans, mais le candidat avait annoncé qu’il n’excluait pas de se limiter à 64 ans.

[2] La réforme Balladur de 1993 s’appuyait sur le Livre blanc sur les retraites (1991, gouvernement Rocard) qui prévoyait en 2010 un sous-financement de 30% des dépenses. Ensuite, les réformes Fillon (2003), Woerth (2010) puis Touraine (2014) ont pu se référer aux rapports du COR qui prévoyaient respectivement, au moment de l’élaboration des projets de réforme, des sous-financements de l’ordre de 14,5%, 8% et 9,5% à un horizon de 20 ans. La comparaison avec la situation actuelle est toutefois à nuancer car ces déficits anticipés prévoyaient également la montée en puissance des régimes d’employeur de la fonction publique, ce qui a conduit, par la suite, l’État a augmenté régulièrement sa contribution d’équilibre.

[3] Pour la seule protection sociale, l’assurance maladie accuserait un déficit de 17,8 milliards d’euros (Loi de financement de la sécurité sociale 2023), soit 0,65 % du PIB.

[4] Le critère de pénibilité a été introduit par la loi Touraine. Depuis le 1er octobre 2017, six risques professionnels sont pris en compte : activités exercées en milieu hyperbare (hautes pressions), les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif. Un compte professionnel de prévention (C2P) permet à ces salariés de cumuler des points pour pénibilité : 1 point est attribué en cas d’exposition pendant un trimestre à un facteur de pénibilité, 2 points en cas d’exposition à plusieurs facteurs. Le cumul ne peut excéder 100 points. Ces points peuvent être utilisés pour payer une formation, travailler à temps partiel avec maintien de la rémunération ou pour valider des trimestres supplémentaires. L’attribution de 10 points permet de valider 1 trimestre. Ces trimestres comptent comme des trimestres cotisés et permettent d’obtenir plus rapidement une pension pour carrière longue.

[5] Le projet gouvernemental prévoit toutefois d’intégrer les périodes de congé parental, jusqu’à 4 trimestres, pour accéder aux dispositifs carrières longues et aussi dans le calcul de la pension minimum.

[6] En raison d’une reprise possible sur succession des montants versés, le taux de non recours à ce revenu minimum est de 50 %, ce qui est élevé pour une prestation sociale visant à protéger les plus âgés de la pauvreté. Le gouvernement a prévu d’augmenter le seuil de récupération, actuellement de 39 000 euros, à 100 000 euros.




Inégalités des chances au concours externe de l’ENA
Le rôle du genre croisé à l’origine sociale

par Maxime Parodi, Hélène Périvier, Fabrice Larat






Prévisions européennes des instituts de l’AIECE : de chocs en chocs, la croissance freinée…

par Catherine Mathieu

Les instituts de conjoncture membres de l’AIECE (Association d’Instituts Européens de Conjoncture Économique[1]) se sont réunis à Bruxelles pour leur réunion d’automne les 28 et 29 novembre 2022. Le rapport général, qui présente une synthèse des prévisions des instituts, a été réalisé par l’institut IW (Institut der Deutschen Wirtshaft, Cologne) et peut être consulté sur le site de l’AIECE (voir : AIECE General Report, Autumn meeting, 2022).  Nous présentons dans ce billet les points principaux abordés lors de la réunion : les chocs qui freinent l’économie mondiale et plus spécifiquement les économies européennes depuis plusieurs mois, et qui ont conduit la majorité des instituts à fortement revoir à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2023 (à 0,3 % seulement pour la zone euro, contre 2,5 % il y a six mois) et à envisager en 2024 une croissance modérée (à 1,6 % seulement).  



La conjoncture à l’automne 2022

Depuis la précédente réunion de l’AIECE en mai dernier, les contraintes d’offre apparues lors de la sortie de crise, suite aux restrictions d’activité mises en place au plus fort de la pandémie de COVID19, se sont en partie allégées : baisse des coûts du fret maritime et aérien, réduction des délais de livraison signalée par les indices des directeurs d’achat dans de nombreux pays, comme le résume l’indicateur des tensions sur les chaînes mondiales d’approvisionnements construit par la Fed de New York (Global Supply Chain Pressure Index), passé de + 4,24 écarts-type en décembre 2021 à + 1,20 en novembre 2022.

Selon l’indicateur du World Trade Monitor du CPB, le commerce mondial de marchandises en volume était en hausse de 5,4 % sur un an au troisième trimestre 2022. Mais l’activité des économies européennes est restée freinée par les effets de la guerre en Ukraine, en premier lieu par la hausse des prix de l’énergie.

Le prix du baril de Brent, qui avait atteint un point bas à moins de 30 dollars en mars 2020, lors de la mise à l’arrêt des activités pour freiner la diffusion de la pandémie de COVID19, a atteint un point haut à 130 dollars en mars 2022. Il a fluctué ensuite autour de 110 dollars et était revenu vers 90 dollars en novembre 2022. Selon la médiane de la prévision des instituts de l’AIECE, le prix du pétrole se stabiliserait à ce niveau en 2023 et baisserait légèrement à 84 dollars en 2024. Le prix du gaz TTF néerlandais, selon la prévision médiane des Instituts de l’AIECE, baisserait aussi à l’horizon de 2024 : de 147 euros/MWh en moyenne annuelle en 2022, il serait de 169 en 2023 et de 109 en 2024 mais les prévisions se situent dans une fourchette large, de 95 à 146. Les instituts ont souligné les incertitudes fortes qui entourent les prévisions des prix des matières premières, et qui conduisent certains d’entre eux à retenir une hypothèse technique de stabilité des prix.

Depuis le printemps 2022, les prévisions de croissance mondiale et européenne pour 2022 ont été dans l’ensemble peu révisées, mais elles ont été nettement revues à la baisse pour 2023 (tableau). Depuis la réunion de mai dernier, la quasi-totalité des instituts de l’AIECE ont révisé à la baisse les prévisions de croissance pour leur pays. Selon la prévision médiane des instituts de l’AIECE, la croissance mondiale serait de 2,2 % en 2023 (au lieu de 3,7 % prévu en mai dernier) ; la croissance serait de 0,3 % seulement pour la zone euro (contre 2,5 % prévu en mai). Ces prévisions de l’AIECE, qui regroupent des prévisions publiées entre la fin septembre et la mi-novembre, sont un peu plus basses que celles publiées en octobre par le FMI (voir : Perspectives de l’économie mondiale) mais proches de celles de la Commission européenne (European Economic Forecast, Autumn 2022) et de l’OCDE (Perspectives économiques) publiées toutes deux en novembre, et de celles de l’OFCE (Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale).

Alors que la croissance médiane prévue en 2023 pour la zone euro est de 0,3 %, certains instituts de l’AIECE prévoient une activité en baisse pour leur pays en 2023, notamment en Allemagne (avec une baisse du PIB comprise entre -1,5 % et -0,7% selon les instituts), les instituts mettant en avant le poids du gaz dans le mix-énergétique et le poids de l’industrie dans la valeur ajoutée (plus de 21 %) qui rend l’économie allemande particulièrement vulnérable à la hausse des prix de l’énergie. En France, Italie, Belgique, Autriche et Finlande, les prévisions des instituts pour leur pays s’étalent entre 0 et 0,6 % ; elles sont de 1,5% pour l’Espagne et les Pays-Bas et plus élevées pour la Grèce (3 %) et l’Irlande (plus de 4 %).

Pour 2024, les premières prévisions disponibles envisagent une croissance de l’économie mondiale comprise entre 2,7 et 3,1 %, et de l’ordre de 1,5 % en moyenne pour la zone euro. Mais toutes insistent sur l’ampleur des incertitudes, en particulier géopolitiques, et sur leurs conséquences sur les marchés de l’énergie, l’inflation et les politiques monétaires outre-Atlantique et en Europe. 

Incertitudes à l’automne 2022

L’inflation a atteint 10,5 % en octobre 2022 en zone euro, allant de 7,1 % en France, 7,3 % en Espagne, à 22,5 % en Estonie, en passant par 11,6 % en Allemagne, 12,6 % en Italie, et 16,8 % aux Pays-Bas. Cette inflation entraîne des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, et en s’installant dans la durée, pourrait enclencher une boucle prix-salaire, ce qui était jusqu’à l’automne peu visible dans les revendications salariales. Les instituts ont par ailleurs rappelé que l’impact sur la consommation des ménages de la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation pouvait être atténué en puisant sur l’épargne contrainte accumulée pendant la crise de la COVID19. Cependant, la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation frappe avant tout les ménages les plus vulnérables. La nécessité de prendre des mesures de soutien budgétaire, de préférence ciblées sur ces ménages, a été soulignée, notamment par la Commission européenne. Soit un dispositif différent de celui du bouclier tarifaire mis en place en France, qui, non ciblé, a par contre eu un effet direct de freinage de l’inflation.

La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre ont commencé à relever leurs taux directeurs au printemps 2022 pour freiner l’inflation et éviter l’enclenchement d’une boucle prix-salaires alors que la hausse des prix des matières premières, envisagée comme temporaire avant le début de la guerre en Ukraine, apparaissait plus durable. La BCE a emboîté le pas en juillet 2022. A mi-décembre, les taux étaient de respectivement de 4,5% aux Etats-Unis, 3,5 % au Royaume-Uni et 2,5 % dans la zone euro. Les instituts ont débattu de la difficulté de remonter les taux d’intérêt lors d’un choc d’offre, de parvenir à ramener l’inflation vers la cible de 2 % sans briser la reprise fragile en zone euro et ce, alors que la guerre en Ukraine se poursuit. La diversité des réponses nationales de politique économique face à la hausse des prix de l’énergie complique la conduite de la politique monétaire à l’échelle de la zone euro, les taux d’inflation connaissant des accélérations plus ou moins fortes selon les mesures prises (hausses passées de TVA en Allemagne, bouclier tarifaire en France). Alors que l’inflation est largement supérieure à la cible de 2 %, 20 sur 23 des instituts ayant répondu à cette question considèrent que la politique monétaire sera restrictive ou très restrictive dans la zone euro en 2023, ce qui est, selon eux, adapté à la situation conjoncturelle. C’est un net durcissement de position par rapport à la réunion de mai dernier où les instituts étaient très partagés. Cependant, la prévision médiane du taux directeur de la BCE n’est qu’à 2,5 % en moyenne annuelle en 2023, et revient à 2 % en 2024. Avec une prévision médiane de l’inflation (mesurée selon l’IPCH) de 5,5 % en moyenne annuelle 2023 et d’un retour à 2 % en 2024 (après 8,2 % en 2022), la politique monétaire prévue par les instituts ne serait pas franchement restrictive, sauf à supposer un très fort écart de production négatif. Selon une règle de Taylor, sous les hypothèses d’inflation médiane de l’AIECE et les hypothèses de croissance potentielle et d’écart de production de la Commission européenne, le taux d’intérêt correspondant à la situation conjoncturelle devrait être en 2023, de 8,2 %.[2] Cependant, 11 instituts voient déjà des impacts négatifs sensibles de la hausse des taux d’intérêt sur l’économie de leur pays et 9 des impacts modérés.

Deux tiers des instituts estiment que la politique budgétaire sera expansionniste en zone euro en 2023 et que cela est adapté à la situation conjoncturelle ; un tiers estimant que la politique budgétaire sera neutre ou légèrement restrictive, ce qu’ils jugent en général également adapté. Sur la base des mesures budgétaires votées, la Commission européenne estime, dans sa prévision publiée en novembre dernier, que l’impulsion budgétaire à l’échelle de la zone euro sera négative de 0,5 point en 2023 (et de 0,3 point en 2024). La Commission ayant cependant repoussé le retour de l’application de règles budgétaires au-delà de 2023, de nombreux instituts pensent que les pays pourraient décider de soutenir davantage leur économie à court terme si les risques d’entrée en récession se concrétisaient.

En conclusion, les questions des perspectives inflationnistes et du risque de récession à court terme ont dominé les discussions de la réunion de l’automne. Les prévisions à l’horizon 2023 d’une faible croissance en moyenne de la zone euro sont entourées d’incertitudes élevées. Les risques mis en avant par les instituts de l’AIECE pour les perspectives de croissance à court terme en Europe, sont quasi-exclusivement à la baisse et, par ordre décroissant d’importance : risques de rupture d’approvisionnement énergétique, nouveaux chocs à la hausse sur les prix des matières premières (énergétiques et non énergétiques) et inflation élevée, accroissement des tensions géopolitiques, risque terroriste. Le risque d’un ralentissement de la croissance dans les pays émergents (dont la Chine) et dans les économies industrialisés (dont les Etats-Unis) vient ensuite, de même que celui associé à des politiques monétaires restrictives. Il est frappant d’observer qu’aucun risque à la hausse n’a été avancé pendant la discussion. Comme au printemps dernier, le principal aléa à la hausse serait un arrêt rapide de la guerre en Ukraine, mais la probabilité s’est réduite au fil des mois.


[1] L’AIECE comprend 40 membres, dont 35 instituts de 19 pays européens, et 5 organisations internationales, membres observateurs. Pour ce rapport général, 25 instituts ont répondu à l’ensemble du questionnaire préparé par l’IW.

[2] Selon cette règle, visant à décrire le comportement des banques centrales, soucieuses à la fois de l’évolution de l’inflation et de la croissance, leur taux d’intérêt se fixe selon : r = p+g+0,5*(p-2)+0,5*EP, où p est l’inflation, 2 l’objectif d’inflation, g le taux de croissance potentielle, EP l’écart de production ; soit pour 2023 :  r = 5,5 + 1,2 +0,5*(5,5-2) +0,5*(-0,5) =8,2%.




Guerre en Ukraine et hausse des tensions internationales : quel impact sur le PIB ?

par Raul Sampognaro

L’invasion de l’Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022[1] a constitué un choc majeur pour l’économie européenne, déjà mise à mal par d’autres facteurs contraignants (difficultés d’approvisionnement[2], difficultés de recrutement, hausse des prix énergétiques, inflation). Au-delà des effets massifs sur l’économie des pays directement concernés par la guerre et en particulier pour le pays agressé (pertes humaines, destruction de capital, détournement des ressources de la production entre autres), la montée des tensions géopolitiques peut avoir des effets économiques y compris dans des pays non engagés (directement) dans le conflit. Face à ces tensions, ces derniers peuvent augmenter leurs dépenses militaires, avoir des comportements d’investissement attentistes, augmenter l’épargne de précaution, subir un choc de prix importé et de flux des capitaux (entrants ou sortants) non anticipé. Dans une étude, disponible en ligne, nous avons tenté de quantifier les effets des tensions en cours sur la croissance du PIB dans les six économies les plus suivies au sein de l’OFCE : la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Par ailleurs, nous avons tenté de mesurer l’impact sur le commerce mondial et la production industrielle globale.



Caldara et Iacoviello (2022) viennent de proposer un indicateur quantitatif de risque géopolitique. Les auteurs construisent un indicateur portant sur le niveau de tensions au niveau global et l’ont décliné pour 43 pays, parmi lesquels les principaux acteurs de la scène internationale. Cette étude précise en outre la méthode statistique employée pour quantifier l’impact causal des évolutions observées en 2022. Cette publication arrive au bon moment pour le prévisionniste.

2022 : une année historique pour les relations internationales

Pour Caldara et Iacoviello (2022), le risque géopolitique est associé à l’impact des crises internationales et plus spécifiquement à la violence qui affecte le cours pacifique des relations internationales. Selon eux, le risque géopolitique se réfère à la menace, à sa matérialisation ou à l’escalade d’un conflit pré-existant. Ces conflits peuvent avoir un rapport avec une guerre, le terrorisme ou tout autre type de tension entre des États ou des acteurs politiques. Il faut noter que le terme risque utilisé par les auteurs pour ce type de phénomène admet une acception large qui va au-delà de la mesure de l’incertitude ou de la probabilité qu’un événement aléatoire se réalise. L’indice de risque géopolitique mesure non seulement les conflits potentiels (ce qui est cohérent avec une définition probabiliste du risque) mais aussi les conflits effectivement en cours[3].

Depuis les années 1980, cet indice a connu des évolutions majeures notamment pendant la guerre du Golfe, le 11 septembre, la guerre en Irak ou plus récemment l’invasion de l’Ukraine (voir Figure 1). Par ailleurs, entre 2003 et 2022, des pics de tensions ponctuels suivent les différents attentats terroristes ayant eu lieu en Europe (la France en première ligne) mais aussi aux États-Unis comme d’autres conflits (guerre en Libye par exemple).

Bien évidemment, ce choc n’affecte pas tous les pays de façon homogène. La Figure 2 présente les évolutions récentes de l’indice de risque géopolitique dans une sélection de pays depuis le début de l’année 2022. Sans surprise l’évolution du risque est maximale en Ukraine et en Russie. Dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, le risque géopolitique augmente de façon très forte en Allemagne, pays particulièrement dépendant des hydrocarbures russes. Les autres pays européens semblent – logiquement – plus exposés aux tensions actuelles que la Chine et les États-Unis.

La croissance allemande fortement affectée par la montée des tensions

Dans l’étude nous estimons les réactions de certaines variables économiques (PIB, investissement, taux d’intérêt, capitalisation boursière) causées par un choc de risque géopolitique[4]. Dans nos principaux résultats, le choc géopolitique induit une baisse des prix du pétrole et des taux d’intérêt de façon endogène. Dans ce contexte, un choc de risque géopolitique opère comme un choc de demande. Lorsque cet effet négatif sur les prix énergétiques est présent – ce qui n’est pas le cas pour tous les pays – nous avons neutralisé cet effet endogène qui ne semble pas opérationnel dans le contexte actuel, notamment en Europe, pour faire des évaluations quantitatives plus robustes.

Selon nos estimations, si l’indice de risque géopolitique global reste jusqu’à la fin de l’année à son niveau d’octobre 2022, la montée des tensions géopolitiques observée en 2022 expliquerait une baisse du commerce mondial des marchandises de 0,7 point (en volume) et une baisse de la production industrielle mondiale de 0,6 point. En outre, l’Allemagne aurait pu perdre jusqu’à 1,1 point de PIB en 2022 en raison de la montée des tensions géopolitiques de l’année. Ailleurs, les effets sont plus faibles mais significatifs : entre 0,4 et 0,5 point de PIB en France, 0,3 et 0,4 point aux États-Unis, en Italie et au Royaume-Uni. Enfin, la perte du PIB en Espagne serait de 0,2 point (Tableau 1)[5].

Ces résultats constituent une base de réflexion mais sont à prendre avec prudence. Chaque crise internationale est unique et il est difficile de l’évaluer exclusivement à l’aune d’un indicateur quantitatif. En particulier, la crise actuelle a des conséquences majeures sur l’approvisionnement énergétique en Europe, notamment en termes de gaz, ce qui produit une crise différente de celle qui ressort spontanément d’un modèle statistique fondé sur les observations du passé[6].


[1] Avertissement : lorsqu’il est mentionné que l’invasion de l’Ukraine par la Russie date du 24 février 2022, ceci est fait par facilité de langage. Il ne faut pas oublier que des portions du territoire ukrainien, notamment la Crimée, sont sous contrôle russe depuis l’année 2014. Ce qu’on vit actuellement, loin de constituer le début d’un conflit, est avant tout le franchissement d’un cap dans un conflit persistant depuis de longues années.

[2] Voir Dauvin (2022) pour une analyse de l’effet du choc d’approvisionnement sur la croissance du PIB dans six économies avancées.

[3] Le lecteur intéressé par une présentation exhaustive peut se référer à l’article original pour avoir plus de détails.

[4] Les estimations sont faites par la méthode des projections locales à la Jordà. Voir Òscar  Jordà, 2005, « Estimation and Inference of Impulse Responses by Local Projections », American Economic Review, vol. 95, n° 1, pp. 161-82. https://doi.org/10.1257/0002828053828518.

[5] Bien évidemment, si l’essentiel de la montée des tensions internationales peut être attribué aux conséquences des décisions russes, il n’est pas possible d’exclure d’autres sources de tensions internationales notamment en lien avec le futur de Taïwan et les relations sino-américaines.

[6] Geerolf (2022) discute des implications liées à la modélisation d’un choc d’approvisionnement énergétique dans le cadre précisément d’un arrêt de l’approvisionnement du gaz russe.




Quels effets de la hausse des taux d’intérêt sur la croissance économique française ? Un tour d’horizon des modèles macroéconométriques

par Elliot Aurissergues

L’année 2022 a été marquée par une très forte poussée inflationniste aux États-Unis et en zone euro. Fin octobre, le taux d’inflation atteint 7,7% sur un an aux États-Unis, 10,6% en zone euro et 7,1% en France, soit entre 5 et 8 points au-dessus des cibles d’inflation de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque centrale européenne. En réponse, les deux banques centrales ont opéré un resserrement monétaire de grande ampleur. Le taux d’intérêt directeur de la Fed est passé de 0% en mars 2022 à 4% en novembre 2022. Si la hausse du taux directeur de la BCE a été pour le moment plus mesurée, les taux longs sur les dettes publiques des pays européens ont connu une très forte progression, gagnant entre 250 et 300 points de base en un an en France ou en Allemagne, voire davantage dans les pays de la zone euro où le risque sur la dette publique est perçu comme plus élevé. Cette hausse est proche de celle anticipée pour les taux courts en 2023. Ainsi, l’OFCE prévoit que le taux directeur de la BCE atteindra 3% au troisième trimestre 2023[1].



Estimer l’impact qu’aura ce resserrement sur l’activité économique est difficile. La transmission d’un choc monétaire sur le reste de l’économie fait l’objet d’une littérature très riche utilisant des méthodes conceptuellement proches, voire équivalentes, mais dont les résultats peuvent fortement varier en pratique. Nous nous intéressons ici particulièrement à l’impact d’un choc de taux dans les modèles macro-économétriques de l’économie française. Pour ce tour d’horizon, nous retenons trois modèles : le modèle Mésange codéveloppé par la DG trésor et l’INSEE (voir Bardaji et al., 2017), le modèle FR BDF de la Banque de France (voir Lemoine et al. 2019 et Aldama et Ouvrard 2020 pour le cahier de variantes) ainsi que la spécification du modèle emod de l’OFCE utilisée dans Heyer et Timbeau (2006).

Qu’est-ce qu’un modèle macroéconométrique ?

Les modèles macroéconométriques représentent la classe la plus ancienne des modèles macroéconomiques. Ils combinent relations (ou équations) comptables et équations de comportement estimées pour former des prédictions sur la réponse de l’économie aux chocs. Les grandes variables macro-économiques (salaire, prix, consommation des ménages, investissement, emploi) sont exprimées sous la forme d’équations à correction d’erreurs. Á long terme, elles convergent vers une certaine cible, déterminée par la théorie économique. Ainsi la dépense de consommation des ménages convergera sur le long terme vers une certaine fraction du revenu disponible des ménages. En revanche, le comportement à court terme est laissé beaucoup plus libre de manière à obtenir de bonnes performances en prévision. Le taux d’intérêt intervient essentiellement à long terme. L’impact d’un choc de taux est limité dans un premier temps et devient plus important au fur et à mesure que l’écart entre les variables et leurs cibles de long terme se comble.

Le modèle Mésange

Nous considérons la variante publiée dans Bardaji et al. (2017). Les résultats sont résumés dans le tableau 1. Un choc monétaire de 100 points de base (ou 1%) se traduit par une baisse du PIB de 0,2% au bout d’un an, 0,8% au bout de trois ans et de 3% à long terme. Cette baisse s’explique notamment par la forte chute de l’investissement : -2,7% au bout de 3 ans (-3,4% pour la FBCF des entreprises non financières) et -5,5% à long terme mais toutes les composantes de la demande globale sont affectées négativement, y compris les exportations qui chutent de 3,3% à long terme. De manière étonnante, le resserrement monétaire se traduit par une hausse des prix dans le modèle Mésange. Les prix de valeur ajoutée marchande progressent ainsi de 0,1% au bout d’un an, 0,8% au bout de 3 ans et de plus de 6% à long terme ! Cette hausse des prix dégrade la compétitivité de l’économie, ce qui explique le recul des exportations. Deux canaux de transmission sont à l’œuvre.  Le premier est l’impact négatif direct d’une hausse des taux d’intérêt sur l’investissement des entreprises. Dans le modèle Mésange, la demande de capital et donc l’investissement dépend à long terme du coût du capital. L’intuition est celle de la théorie micro-économique standard : les entreprises choisissent la combinaison de capital et de travail qui maximise leur profit. Une hausse du coût du capital incite les entreprises à substituer du travail au capital et réduit l’investissement. Le coût d’usage du capital est composé de la dépréciation du capital, du taux d’intérêt de long terme sur la dette publique et de termes de primes de risques entre les obligations d’État et les prêts aux entreprises, tandis que l’élasticité de long terme de l’investissement à ce coût d’usage est estimée sur le long terme à 0,44. Sous l’hypothèse d’un taux de dépréciation de capital de 10%, des taux nominaux initiaux à 0 et en faisant abstraction des primes de risque, une hausse de 1% du taux d’intérêt se traduit à long terme par une baisse de l’investissement de 5%. Le deuxième canal, beaucoup moins intuitif, joue un rôle clé dans cette variante et explique en particulier la réponse des prix et des exportations.  Une hausse du coût du capital représente une hausse des coûts de production pour les entreprises. Celles-ci répercutent cette hausse des coûts dans leur prix de vente, d’où un effet inflationniste et une baisse de la compétitivité. Cet effet positif d’une hausse des taux d’intérêt sur les prix via le canal du coût du capital a été exploré récemment par Portier, Beaudry et Hou (2022). Il convient cependant de souligner que cet effet est difficilement détecté par les méthodes empiriques plus agnostiques (modèles VAR sans restriction, projections locales). Si des effets positifs en impact d’une hausse des taux sur les prix sont parfois obtenus, l’effet devient le plus souvent soit non significatif soit clairement négatif sur des horizons plus longs (voir par exemple Miranda-Agrippino et Ricco, 2021).

Le modèle FR-BDF

Par rapport à Mésange, l’une des spécificités importantes de FR BDF est le traitement des anticipations des agents dans le modèle. Cette spécificité explique que deux taux d’intérêt interviennent dans la dynamique du modèle. Le taux d’intérêt de court terme, déterminée par la Banque centrale européenne, affecte les anticipations des agents tandis que le taux d’intérêt de long terme des obligations publiques joue sur la demande de facteurs de production à long terme. L’élasticité de long terme de l’investissement au coût du capital est de 0,5, légèrement supérieure à celle de Mésange. Le modèle n’incorpore pas de relations systématiques entre les taux longs et les taux courts. Pour obtenir l’effet d’un choc de taux dans le modèle, il convient donc d’additionner deux variantes analytiques distinctes, la première simulant l’impact d’une hausse permanente du taux court, la seconde simulant l’impact d’une hausse du taux long. Ces deux variantes sont disponibles dans Aldama et Ouvrard (2020). Les effets d’un choc de taux sont beaucoup plus faibles que dans Mésange. Au bout de 3 ans, le PIB en volume diminue de 0,3% contre 0,9% dans Mésange. Cela s’explique en particulier par une baisse bien plus faible de la FBCF des entreprises (-1,9% contre -3,4% au bout de 3 ans dans Mésange). Les effets sur les prix sont plus conformes à l’intuition keynesienne habituelle avec une baisse du déflateur du PIB de 0,2% au bout de 3 ans. L’amélioration de la compétitivité qui en résulte permet une hausse des exportations de 0,2% au bout de 3 ans (contre une baisse de 0,2% dans Mésange). Ces différences s’expliquent principalement par deux éléments. Tout d’abord, le canal de transmission du coût du capital vers les prix est neutralisé dans le modèle FR BDF. Si les prix de valeur ajoutée sont déterminés par le coût des facteurs de production et un markup constant comme dans Mésange, le coût du facteur capital qui entre dans l’équation de prix n’est pas le coût d’usage du capital mais le rendement marginal du capital. Ensuite, l’investissement réagit beaucoup moins fortement à court terme à la croissance de la valeur ajoutée dans FR-BDF, et se comporte de manière plus inertielle. Le choc négatif d’investissement se diffuse donc plus lentement.

Le modèle emod

L’impact d’un choc de taux dans la version du modèle emod développée par Heyer et Timbeau (2006) est plus proche des résultats de FR BDF que de Mésange. Le mécanisme économique est cependant différent. Le choc de taux se transmet via une baisse du prix des actifs, notamment immobiliers, ce qui induit une réduction de la consommation via un effet richesse. Après 3 ans, le PIB en volume diminue de 0,4 %, une baisse tirée par la réduction de la dépense (consommation et investissement) des ménages (-0,6%) et dans une moindre mesure de l’investissement des entreprises (-1,2%)[2]. Comme dans FR-BDF, le choc de taux a un impact négatif sur les prix. Les déflateurs du PIB et de la consommation des ménages baissent de 0,1%.

Que retenir de ce tour d’horizon ?

Le principal canal de transmission d’un choc de taux dans les modèles macro-économétriques passe par le coût d’usage du capital et l’investissement des firmes et des ménages. L’ampleur de cet effet négatif sur l’investissement dépend de l’élasticité de long terme de la demande de capital à son coût d’usage. Dans ces modèles, cette élasticité fait l’objet d’une estimation économétrique. Les méthodes d’estimation ne sont pas exemptes de critiques mais la valeur finalement retenue (de l’ordre de 0,5) semble plausible au regard des autres méthodes d’estimations (ainsi une méta-étude de Gechert et al., 2022, l’estime à 0,3) et implique une substituabilité modérée entre les facteurs de production. Un impact du choc du taux sur la consommation des ménages via des effets richesses est également possible même si ce canal demeure controversé. Á ces effets primaires sur la demande agrégée s’ajoutent des effets multiplicateurs et d’accélérateur qui varient également selon les modèles, rajoutant un facteur d’incertitude supplémentaire. Le canal des coûts de production qui a une certaine importance dans la dynamique du modèle Mésange nous apparaît comme peu plausible. Cela nous conduit à retenir dans ce billet les résultats d’Aldama et Ouvrard (2020) et de Heyer et Timbeau (2006).

L’impact du resserrement monétaire sur l’activité économique dépendra non seulement de la réponse de l’économie à un choc générique mais aussi de l’ampleur du choc actuel. Dans la prévision d’octobre 2022 de l’OFCE, la hausse des taux d’intérêt sur un an est prévue pour être de 300 points de base mais cette hausse ne peut être utilisée telle quelle. D’une part, cette hausse n’est pas une complète surprise.  Les taux d’intérêt ont atteint des niveaux très bas lors de la crise de la Covid-19 et un début de normalisation était attendu pour 2022, certes à un rythme très progressif.  D’autre part, il s’agit de la hausse du taux nominal. Le taux d’intérêt pertinent pour les canaux de transmission de la politique monétaire tels qu’ils apparaissent dans les modèles macro-économétriques est le taux réel. Cela ne poserait pas de problèmes si la hausse des taux était un pur choc de politique monétaire, c’est-à-dire si les banquiers centraux avaient décidé du jour au lendemain d’augmenter les taux sans raison. Mais la hausse que nous connaissons est une réponse à un choc inflationniste, choc qui affecte le taux d’intérêt réel indépendamment de l’évolution du taux d’intérêt nominal.  La solution adoptée par l’OFCEdans ses prévisions d’octobre 2022[3] est de retenir l’évolution du taux réel en utilisant certaines mesures des anticipations d’inflation. Cela conduit à un choc de taux de l’ordre de 2%.

Sur la base des deux variantes que nous retenons, un choc de taux de l’ordre de 2% pourrait provoquer, toutes choses égales par ailleurs, une baisse du PIB français comprise entre 0,6 et 0,8% à l’horizon 2024/2025. L’impact sur les prix serait négatif mais demeurerait modeste, compris entre 0,3 et 0,4%. Cette estimation demeure évidemment très incertaine. Comme expliqué dans le paragraphe précédent, calculer l’ampleur du choc elle-même requiert de réaliser des hypothèses importantes. Les modèles utilisés sont estimés avec une information limitée et donc des intervalles de confiance potentiellement larges.  De manière plus générale, la validité de cette estimation des effets d’un choc de taux est contingente à la validité des modèles retenus.

Bibliographie

Aldama P. et J.-F. Ouvrard, 2020, « Variantes analytiques du modèle de prévision et simulation de la Banque de France pour la France », Document de travail Banque de France, n° 750.

Bardadji J., B. Campagne, M. Khder, Q. Lafféter et O. Simon, 2017, « Le modèle macroéconométrique Mésange : réestimation et nouveautés», Document de travail INSEE.

Beaudry P., S. Hou et F. Portier, 2020, « Monetary policy when the Philips Curve is quite flat », CEPR discussion paper.

Gechert S., T. Havranek, Z. Irsova et D. Kolcunova, 2022, « Measuring capital-labor substitution: The importance of method choices and publication bias », Review of Economic Dynamics, n° 45, pp. 55-82.

Heyer E. et X. Timbeau, 2006, « Immobilier et politique monétaire », Revue de l’OFCE, n° 96, pp. 115-151.

Miranda-Agrippino S. et G. Ricco, 2021, « The transmission of monetary policy shocks », American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 13, n° 3, pp. 74-107.

OFCE, E. Heyer et X. Timbeau (dirs.), 2022, « Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro », Revue de l’OFCE, n° 178.


[1] Voir dans la prévision de l’OFCE le tableau 2 de l’annexe 1 de la partie Tour du monde de la situation conjoncturelle, Département Analyses et Prévisions, sous la direction d’E. Heyer et X. Timbeau.

[2] Ces chiffres sont obtenus en divisant les résultats présentés dans Heyer et Timbeau (2006) par deux, les auteurs ayant simulé une hausse des taux d’intérêt de 200 bps. Le modèle emod n’étant pas complétement linéaire, ces résultats constituent une approximation.

[3] Voir l’encadré 2 de Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, sous la direction d’E. Heyer et X.Timbeau.