La séparation des activités bancaires est-elle inutile?

Jean-Luc Gaffard  et  Jean-Paul Pollin

C’est au niveau européen que se situe la dernière chance d’une réforme structurelle des systèmes bancaires, c’est-à-dire d’une séparation entre les activités de banque d’investissement et celles de banque commerciale. A en croire la profession bancaire et certains milieux académiques, cette séparation est au mieux inutile et au pire dommageable. Il serait illusoire de vouloir séparer les activités risquées des activités non risquées, les activités non spéculatives des activités spéculatives. Toute activité bancaire est risquée, sinon spéculative. Après tout, la crise des subprime aux Etats-Unis, la crise des caisses d’épargne en Espagne, la crise de la Northern Rock en Grande-Bretagne résultent de risques inconsidérés pris dans l’octroi de crédits immobiliers aux ménages.

En outre, les banques universelles auraient, dans une certaine mesure, aidé à sauver les établissements trop spécialisés. Dans ces conditions, une loi de séparation minimaliste comme la loi française ou une loi plus contraignante comme celle proposée dans le rapport Vickers au Royaume-Uni ou encore celle envisagée par le groupe d’experts Liikanen auraient peu d’utilité au regard d’un objectif de stabilité. Mieux vaudrait, alors, s’en rapporter à la réglementation prudentielle qui devrait, effectivement, être renforcée. D’autant que les banques commerciales devraient pouvoir développer des activités de marché pour répondre aux besoins de leurs clients.

D’un côté, l’existence d’économies d’envergure, qui justifierait de rapprocher les activités de banque commerciale et de banque d’investissement n’a jamais été prouvée. D’ailleurs, les « modèles d’affaires » de l’une et de l’autre restent très différents au point que leur rapprochement puisse faire craindre un affaiblissement des capacités de la banque commerciale de faire son métier. D’un autre côté, l’argumentation développée méconnaît la dimension avant tout systémique de la crise financière et bancaire. Quand les caisses d’épargne ont fait faillite aux Etats-Unis au début des années 1990, les conséquences en ont été circonscrites en raison du cloisonnement du système financier. Avec la crise des subprime, le vrai problème est venu de la contagion directement liée à l’étroite connectivité créée au sein du système financier.

La question n’est pas de reconnaître qu’il existe un risque associé à toute activité bancaire, mais de prendre la mesure des effets de contagion dont l’activité de marché est la principale responsable. C’est avant tout des opérations sur produits dérivés que naissent les interconnexions entre intermédiaires financiers. Ce sont les connexions multiples et mal identifiées créées par les activités de marché, qui ont eu des conséquences dévastatrices sur l’activité traditionnelle de crédit des banques, du fait des risques inconsidérés pris et des pertes enregistrées dans les opérations de marché (et pas seulement dans les opérations de « trading pour compte propre »).

Certes, face au risque systémique, il convient de renforcer la réglementation prudentielle. Toutefois, la réglementation des fonctions, pour importante qu’elle soit, l’est sans doute moins que celle des institutions financières elles-mêmes. De facto, les revenus de la banque commerciale sont relativement réguliers, en dehors des épisodes de crises graves, tandis que ceux de la banque d’investissement sont beaucoup plus volatils. La banque d’investissement a besoin de la banque commerciale pour résister aux fluctuations des marchés (et profiter le cas échéant de la garantie publique), mais l’inverse n’est pas vrai. Le problème revient donc à se demander s’il est opportun de prendre le risque de déstabiliser le cœur du système bancaire pour conforter l’exercice d’activités, dont l’utilité sociale n’est pas toujours avérée, et qui devraient trouver par elles-mêmes les moyens de leur pérennité.

La sagesse voudrait donc que le système financier soit compartimenté de manière à circonscrire les phénomènes de contagion. La réglementation devrait spécifier les types d’actifs dans lesquels chaque catégorie d’institutions pourrait investir de même que le type d’engagements qu’elle pourrait souscrire. C’est ce qui ressortait de l’arsenal législatif et réglementaire mis en place aux Etats-Unis et dans les pays européens après la Grande Dépression, arsenal largement démantelé en France en 1984 et aux Etats-Unis en 1999 quand un terme a été  mis au Glass–Steagall Act. C’est ce qui devrait être remis à l’ordre du jour en revenant à une séparation effective entre banques commerciales et banques d’investissement. Non seulement cette division créerait une certaine étanchéité entre les différents compartiments du système financier, mais elle permettrait d’échapper au dilemme né du fait que les établissements seraient trop gros pour faire faillite.  L’objectif est de protéger la banque commerciale des risques de marché. Il est aussi d’en finir avec des subventions implicites dont les banques universelles bénéficient de la part de l’Etat, que la séparation ne justifie plus vraiment et qui peuvent s’avérer dangereuses pour les finances publiques. Toutes mesures qui devraient être favorables à la croissance.

Pour en savoir plus lire la Note de l’OFCE, n°39 du 19 novembre 2013 de Jean-Paul Pollin et Jean-Luc Gaffard, « Pourquoi faut-il séparer les activités bancaires ? ».

 

 




Angela : sois malheureuse dans une alliance heureuse !

par François-Xavier Faucounau, Ségolène Guinard, Ivon Lalova, François Petitjean et Emmanuelle Rica (étudiants à HEC) [1]

Pas d’euro-bonds « tant que je serai en vie », avait déclaré la Chancelière allemande en juin dernier. Sa réélection, le 22 septembre, renforce l’opposition allemande à l’émission par la BCE d’euro-obligations, titres qui permettraient de mutualiser la dette des différents Etats de la zone euro, de la Grèce à l’Allemagne. Ces coups de sang médiatiques masquent pourtant des initiatives qui ressemblent à s’y méprendre à des tentatives de mutualisation de dettes européennes.En 2012, une expérimentation sur les project bonds a été lancée par la Commission européenne sur la base de 230 millions d’euros. Or ceux-ci peuvent constituer un outil efficace de la politique de cohésion de la zone et un pas vers une intégration croissante.

Certains font des project bonds des « bébés euro-bonds »[2]. En fait de rejetons de la mutualisation de la dette, il s’agirait plutôt d’emprunts souscrits en commun par les États membres de la zone euro auprès d’investisseurs privés. Ces ressources financières seront investies dans des projets visant à l’amélioration des infrastructures, des transports, de l’approvisionnement énergétique et des technologies de l’information et de la communication. La responsabilité du bon remboursement de ces project-bonds demeure aux mains de la Commission. Bien que la souscription collective rende ces bonds semblables aux euro-bonds, la finalité des dépenses est pré-définie dans le cas des Project bonds alors qu’elle serait destinée à financer les dépenses publiques au sens large pour les euro-bonds.

Par ailleurs une mutualisation de fonds provenant des membres de la zone européenne a déjà été utilisée au plus fort de la crise. En effet, le Mécanisme de stabilité européen (MES), décidé à la suite de la crise grecque en décembre 2010 et entré en vigueur en octobre 2012, a créé une institution capable de lever des fonds sur les marchés financiers. Sa dotation devrait atteindre 700 milliards d’euros d’ici 2018, chaque pays membre contribuant au prorata de son PIB. Cet outil, accouché dans la douleur après deux ans de tractations, n’échappe pas aux critiques adressées aux euro-bonds : une crise prolongée pourrait conduire les marchés à attaquer la solidarité européenne en essayant de « faire sauter la banque », largement financée par l’Allemagne et la France.

Pourtant émettre des obligations au niveau européen permettrait de rendre la dette des pays en crise plus liquide et d’engager une vraie réflexion sur l’équilibre des budgets nationaux et le rôle de la Banque centrale européenne.

Les opposants, dont Jens Weidmann, Président de la Bundesbank s’est fait le porte-parole, redoutent la perte de souveraineté. Certes, mutualiser la dette des Etats membres conduirait à une responsabilité budgétaire partagée entre les Etats, et donc à un droit de regard de l’ensemble de l’Union lors de l’établissement du budget national. Mais, la souveraineté nationale n’a-t-elle pas déjà été entamée – comme en témoigne la situation du Portugal et de la Grèce soumis à des restructurations pour obtenir un financement ?

Derrière cet argument se cache, en fait, la considération de l’intérêt particulier des Etats.

Pourquoi augmenter le prix de son financement en aidant des pays périphériques ? Pourquoi impliquer d’autres Etats dans les décisions d’un Etat souverain ? Par civisme et conviction européenne !  Car comme nous enseigne Thucydide dans son récit de La Guerre du Péloponnèse… au Ve siècle avant J.C. : « une [union] sert mieux les intérêts de ses membres en étant d’aplomb dans son ensemble, que prospère en chacun de ses membres individuellement, mais chancelant collectivement. Un [pays] peut voir sa situation prendre un cours favorable : si son [alliance] va à la ruine, il n’en est pas moins entraîné dans sa perte ; tandis que malheureux dans une [alliance] heureuse, il se tire beaucoup mieux d’affaires ».

 

 

 

 


[1] Ce texte a été rédigé sous la direction d’Anne-Laure Delatte dans le cadre du cours « Macroéconomie mondiale » de la majeure Alter Management d’ HEC.

[2]   Expression empruntée à « Eurobonds, project bonds, … qu’est-ce que c’est ? », 23 Mai 2012, Lemonde.fr




Courbe du chômage : pas d’inversion en vue

Par Bruno Ducoudré

Le gouvernement a annoncé une inversion de la courbe du chômage pour la fin de l’année 2013. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à la fin du mois de septembre à Pôle Emploi a augmenté de 60 000. Pour le mois d’août, il avait diminué de 50 000, sous l’effet principalement d’un « bug » sur l’envoi des sms qui avait entraîné une hausse exceptionnellement forte du nombre de cessations d’inscriptions pour défaut d’actualisation (+72 000 par rapport au mois précédent). Une hausse des inscriptions pour le mois de septembre due à la réinscription de ces chômeurs indûment désinscrits, était donc attendue. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A a ainsi augmenté de 10 000 entre juillet et septembre 2013, poursuivant sa hausse mais sur un rythme plus modéré qu’en début d’année. Ces fortes variations à très court terme du nombre d’inscrits à Pôle Emploi ne permettent pas de se faire une idée précise des tendances à venir sur le front de l’emploi et du chômage. Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2014, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’octobre 2013, suggère qu’aucune amélioration notable du chômage n’est à attendre d’ici la fin de l’année 2014.

Pour tenter d’inverser la courbe du chômage, le gouvernement a programmé une montée en charge rapide des emplois aidés dans le secteur non marchand (Emplois d’avenir, Contrats Uniques d’Insertion – Contrats d’Accompagnement dans l’Emploi (CUI-CAE)). A ces dispositifs viennent s’ajouter le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et les contrats de génération dans le secteur marchand, dont les effets sur l’emploi commenceront à se faire sentir en 2014. L’ensemble de ces mesures pour l’emploi permettrait une stabilisation du taux de chômage fin 2013/début 2014, les destructions d’emplois se poursuivant dans le secteur privé jusqu’à la fin de l’année. Le taux de chômage repartirait ensuite à la hausse jusqu’en fin d’année 2014, les créations d’emplois dans le secteur non marchand étant insuffisantes pour absorber la hausse de la population active.

Rétrospectivement, la première inversion de la courbe du chômage a débuté en 2010 pour être interrompue en 2011, le chômage repartant à la hausse sous le coup des politiques d’austérité budgétaire successives. Le taux de chômage a repris sa course vers les sommets atteints en 1997, passant de 9,1% début 2011 à 10,5% au deuxième trimestre 2013 (Graphique 1). Après une mauvaise année 2012 (66 000 emplois détruits), la dégradation du marché du travail s’est poursuivie au premier semestre 2013, les destructions d’emplois dans le secteur marchand continuant au même rythme que celui observé au deuxième semestre 2012 (-28 000 emplois en moyenne chaque trimestre). Le nombre de chômeurs a donc poursuivi sa progression (+113 000 personnes). Pour tenter de mettre fin à cette spirale infernale et inverser la courbe du chômage, le gouvernement mise à court terme sur la montée en charge du dispositif des emplois d’avenir et sur l’augmentation du stock de CUI-CAE.

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Ainsi, l’introduction progressive des emplois d’avenir s’est traduite par 31 566 embauches entre janvier et août 2013 en France métropolitaine. On s’attend au total à 70 000 embauches en 2013 et 70 000 en 2014 en France métropolitaine. Il existe cependant un effet d’aubaine pour ce type de dispositif : 20 % des emplois créés dans le cadre des emplois d’avenir l’auraient été, même en l’absence de la subvention selon Fontaine et Malherbet (2012). L’impact net attendu est donc de 56 000 créations d’emploi en 2013 et en 2014. L’impact de ces créations d’emploi sera d’autant plus important qu’il s’agit de contrats longs (1 à 3 ans). Les personnes recrutées en 2013 seront encore en emploi en 2014, et les créations d’emplois d’avenir de 2014 constitueront bien des créations nettes d’emplois.

Concernant les CUI-CAE, le nombre de contrats budgétés en début d’année 2013 était le même qu’un an auparavant (340 000 pour la France entière dont 310 000 pour la France métropolitaine), dont 50% sur le premier semestre. Afin d’obtenir une inversion de la courbe du chômage en fin d’année, le gouvernement Ayrault a annoncé en juin 2013 une rallonge de 92 000 contrats dans le secteur non-marchand. Cela porte à 262 000 le nombre de signatures de contrats au second semestre, et 432 000 sur l’année. Comme pour l’année 2013, 340 000 contrats sont prévus dans le Projet de Loi de Finances pour l’année 2014, mais l’enveloppe budgétaire est gonflée de près de 20%, ce qui permettra de financer une hausse du stock de CUI-CAE. Celui-ci augmenterait jusqu’au premier semestre 2014, et atteindrait 250 000 fin 2014. Le gouvernement réactive ainsi le traitement social du chômage par un recours accru aux emplois aidés de courte durée (7 à 12 mois), mais à un niveau comparable à celui atteint en 2007 et en 2010.

Par contre, les destructions d’emplois dans le secteur marchand seront encore importantes jusqu’à la fin d’année 2013 du fait de la présence de sureffectifs dans les entreprises (voir notre dernier exercice de prévisions d’octobre 2013). Les emplois aidés dans le secteur non marchand (+82 000 au dernier trimestre 2013 par rapport au dernier trimestre de l’année précédente) permettront néanmoins de stabiliser le taux de chômage autour de 10,6% fin 2013 début 2014.

 

 

 

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L’emploi total recommencerait à augmenter en 2014 (+41 000 emplois), soutenu par créations d’emplois aidés dans le secteur non marchand, mais aussi par la montée en charge du CICE et des contrats de génération. Ouvert à toutes les entreprises, le CICE sera égal à 6 % de la masse salariale, hors cotisations patronales, correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC. Selon l’évaluation réalisée par Mathieu Plane (2012) à l’aide du modèle e-mod.fr, le CICE diminuerait en moyenne de 2,6 % le coût du travail dans le secteur marchand, ce qui donnerait lieu à des créations d’emplois, à la fois en favorisant la substitution du travail au capital, et grâce aux gains de compétitivité. Au total, le CICE créerait en 2018, soit cinq ans après sa mise en place, 152 000 emplois et permettrait ainsi une baisse du taux de chômage de 0,6 point. A l’horizon de notre prévision, il créerait 46 000 emplois, soit deux fois moins que la prévision du gouvernement (91 000).

Le contrat de génération vise à la fois le chômage des jeunes (moins de 26 ans) et celui des seniors (plus de 57 ans). Il consiste en la création d’un CDI pour un jeune, lié à la promesse de non-licenciement d’un senior sur une période de 5 ans. En contrepartie de cet engagement, l’entreprise recevra une subvention forfaitaire allant jusqu’à 4 000 euros par an pendant 3 ans. Le risque de ce type de mesure est de générer des effets d’aubaine importants[1]. Au total, la mesure aboutirait à 99 000 créations d’emplois dans le secteur marchand pour la signature de 500 000 contrats de génération sur l’ensemble du quinquennat. En septembre 2013, 10 000 contrats de génération ont déjà été signés. Sous l’hypothèse d’une montée en charge progressive d’ici la fin 2013 (20 000 contrats signés), et de 100 000 contrats signés en 2014, cela correspondrait à une création nette de près de 4 000 emplois en 2013 et d’environ 20 000 emplois en 2014.

Le chômage poursuivrait malgré tout sa hausse au cours de ces deux années (+174 000 personnes en 2013 et +75 000 en 2014 par rapport au trimestre de l’année précédente), du fait d’une population active toujours dynamique (+116 000 en 2014 après +83 000 en 2013) et d’une absence de créations nettes d’emplois dans le secteur marchand (cf. tableau ci-dessus). Compte tenu des emplois aidés dans le secteur non marchand et des dispositifs dans le secteur marchand, le taux de chômage en France métropolitaine se stabiliserait provisoirement à 10,6% au quatrième trimestre 2013, et remontrait progressivement à 10,9% de la population active en France métropolitaine fin 2014. Il dépasserait d’ici la fin de l’année 2014 le pic historique atteint au premier semestre 1997 (soit 10,8% de la population active), sans perspective d’inversion de la tendance à l’horizon de notre prévision. Néanmoins, hors effets de la politique de l’emploi, le taux de chômage aurait progressé nettement plus, pour atteindre 11,6% fin 2014 (graphique 2).

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[1] Voir la Note de l’OFCE de juillet 2012 sur « l’Évaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017 ». Les entreprises profiteront de ces aides, y compris pour des emplois qu’elles auraient créés même en l’absence de la mesure. Les modalités de mise en œuvre devraient limiter cet effet d’aubaine : les aides liées à la mise en place du contrat de génération seront ainsi réservées aux entreprises de moins 300 salariés. Les entreprises de plus de 300 salariés, où le risque d’effet d’aubaine est le plus important, seront contraintes de mettre en place le dispositif sous peine de sanctions financières. Par ailleurs, le montant forfaitaire de 2 000 euros correspond à une exonération totale des charges patronales au niveau du SMIC, et dégressive en proportion du salaire au-delà. Cela permet donc de limiter l’effet d’aubaine, dans la mesure où l’élasticité de l’emploi au coût du travail est plus élevée pour les bas salaires.




Le clair-obscur du “forward guidance” de la BCE*

par Paul Hubert et Fabien Labondance

« The Governing Council expects the key interest rates to remain at present or lower levels for an extended period of time[1] ». Par ces mots prononcés le 4 juillet 2013 lors de la conférence de presse suivant la réunion mensuelle du Conseil des Gouverneurs, Mario Draghi amorce l’adoption par la Banque centrale européenne (BCE) d’une nouvelle stratégie de communication dite de forward guidance. Ces mots ont été depuis ce jour toujours inclus dans son allocution qui suit l’annonce de politique monétaire de la BCE, et il les a à nouveau répétés aujourd’hui[2]. Que faut-il en attendre ? Le forward guidance a été récemment adopté par plusieurs banques centrales, mais les modalités choisies par le BCE diffèrent et laissent entrevoir une efficacité limitée de cette mesure dans la zone euro.

La communication est devenue un élément à part entière de la conduite de la politique monétaire depuis que les taux directeurs sont maintenus à leur niveau plancher. Plus précisément, le forward guidance consiste à annoncer et à s’engager sur la trajectoire future du taux directeur. Par cet intermédiaire, les banques centrales souhaitent accroître la transparence de leur action et ancrer les anticipations. L’objectif est à la fois de préciser leur stratégie ainsi que leurs prévisions quant à l’évolution de la conjoncture. Dans le cas présent, les banques centrales souhaitent affirmer leur volonté de ne pas relever les taux d’intérêt dans un futur proche. Elles espèrent ainsi influencer les anticipations privées de taux courts, et donc les taux longs, afin de renforcer la transmission de la politique monétaire, et ainsi soutenir l’économie.

De la théorie…

Les promoteurs de la stratégie de forward guidance, au premier rang desquels figurent Eggertsson et Woodford (2003), suggèrent que l’efficacité de la politique monétaire peut être accrue avec une politique de taux d’intérêt stable et connue à l’avance. Cette proposition est justifiée par le fait que la demande de crédit dépend fortement des anticipations de taux d’intérêt à long terme, lesquelles dépendent des anticipations de taux à court terme. Ainsi, en annonçant à l’avance les niveaux futurs des taux d’intérêt, la banque centrale précise ses intentions et dissipe l’incertitude reposant sur ses futures décisions. Cette stratégie est d’autant plus pertinente en situation de trappe à liquidité lorsque les taux nominaux sont proches de zéro, comme c’est le cas actuellement. L’outil traditionnel des banques centrales est alors contraint, les taux d’intérêt nominaux ne pouvant être négatifs. Les banques centrales ne peuvent donc plus influencer le prix des prêts accordés mais sont en revanche en mesure de jouer sur les volumes via les mesures non conventionnelles[3]. Le canal des anticipations et l’envoi de signaux aux agents privés deviennent dès lors primordiaux et complètent l’assouplissement quantitatif.

Il est important de préciser que l’effet du forward guidance sur les taux longs et donc sur l’économie passe par la structure par terme des taux d’intérêt. Plusieurs théories tentent d’expliquer comment les taux varient en fonction de leur maturité. La structure par terme des taux d’intérêt peut être abordée sous l’angle de la théorie des anticipations qui suppose que les taux longs sont une combinaison des taux courts futurs anticipés et donc que les différentes maturités sont des substituts parfaits. De son côté, la théorie de la prime de liquidité suppose que les taux d’intérêt à long terme incluent une prime liée à l’existence d’un ou plusieurs risques à long terme. Enfin, une autre théorie repose sur l’hypothèse de segmentation du marché et stipule que les instruments financiers de différentes maturités ne sont que peu substituables et que leurs prix évoluent indépendamment. Si les investisseurs souhaitent détenir des actifs liquides, ils préféreront les instruments à court terme à ceux à long terme et leurs prix varieront dans des directions opposées. Dans le cas des deux premières théories uniquement, le forward guidance peut avoir l’effet désiré sur les taux longs.

…à la pratique

Avant la crise financière de 2008, certaines banques centrales avaient déjà mis en œuvre une telle stratégie. C’est le cas en Nouvelle-Zélande depuis 1997, en Norvège depuis 2005 et en Suède depuis 2007. Les Etats-Unis ont également mis en place cette stratégie de communication à plusieurs reprises alors que les taux étaient très bas. Le Federal Open Market Committee (FOMC) avait introduit de manière implicite le forward guidance dans sa communication en août 2003. Alors que son taux cible était à son plus bas historique, le FOMC mentionna que « that policy accommodation can be maintained for a considerable period[4] ». Ce vocabulaire propre au forward guidance demeura dans les communiqués du FOMC jusqu’à fin 2005. Il y réapparut en décembre 2008 et de manière plus précise en août 2011, lorsque Ben Bernanke, président de la Réserve Fédérale (ou « Fed ») des États-Unis, annonça que les conditions économiques justifiaient le maintien des taux des fonds fédéraux à un bas niveau au moins jusqu’à mi-2013. Depuis, l’annonce du 13 septembre 2012 précisant que la Fed ne relèvera pas ses taux avant mi-2015, prolonge précisément cette stratégie.

Pour comprendre quel pourrait être l’effet du forward guidance de la BCE, il est important de distinguer deux types de forward guidance : celui pour lequel l’action de la banque centrale est conditionnée à une période temporelle, et celui dépendant de variables économiques incluant des seuils déclenchant une action de sa part. Dans le cas de la Fed, les premières annonces mentionnées précédemment font référence à une période de temps. Mais depuis décembre 2012, la Fed conditionne dorénavant son engagement sur l’évolution future des taux à des seuils conjoncturels déclencheurs. Elle a ainsi annoncé que « les niveaux exceptionnellement bas des taux des Fed Funds le resteront aussi longtemps que le taux de chômage demeurera au-dessus de 6,5%, que l’inflation prévue à 1-2 ans ne dépassera pas de plus d’un demi-point l’objectif à long terme (2%) et que les anticipations d’inflation à plus long terme resteront bien ancrées.» L’arrivée de nouveaux membres au FOMC à partir de janvier 2014 pourrait cependant modifier le timing du prochain resserrement monétaire. De même, Mark Carney, nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE), a mis en place en août 2013 une stratégie de forward guidance signalant son intention de ne pas remonter les taux tant que le taux de chômage n’est pas repassé sous la barre des 7%. Cet engagement est néanmoins conditionnel à une inflation contenue, des anticipations d’inflation ancrées et à un effet neutre de cet engagement sur la stabilité financière.

Le forward guidance conditionnel à une durée de temps, adopté par la BCE (et comme nous le décrirons plus tard) présente un inconvénient majeur : les conditions économiques évoluant au cours de la période de temps en question, elles rendent l’engagement caduc. La crédibilité de l’annonce est donc très faible. Le forward guidance conditionnel à des seuils sur des variables économiques ne présente pas cet inconvénient. Un critère pour la crédibilité de ces engagements conditionnels à des seuils est néanmoins que les variables sous-jacentes choisies soient observables (PIB plutôt qu’output gap) et ne souffre pas d’erreurs de mesure (inflation plutôt qu’anticipations d’inflation) afin que les agents privés puissent évaluer si la banque centrale agit comme elle s’était engagée à le faire. Alors et seulement alors, les agents pourront avoir confiance dans ces annonces et la banque centrale sera en mesure d’influencer les anticipations de taux longs. Les avantages et inconvénients relatifs des deux types de forward guidance expliquent que la Fed soit passée de l’un à l’autre et que la BoE ait aussi pris un engagement lié à des seuils.

La mise en place d’un forward guidance conditionnel à un seuil pour une variable macroéconomique peut néanmoins concourir à brouiller les pistes concernant la hiérarchie des objectifs de la banque centrale. Si plusieurs variables sont ciblées simultanément et que leurs évolutions divergent, quelles seront ses futures décisions ? La Fed ne hiérarchise pas ses objectifs. Qu’elle souhaite, en sortie de crise, s’assurer de la vigueur du PIB ou de la diminution du chômage plutôt que de l’inflation est dès lors tout à fait envisageable. De son côté, la BoE suit une stratégie de ciblage d’inflation. Elle a ainsi défini des conditions (« knockouts ») sur l’inflation, les anticipations d’inflation et la stabilité financière, qui dès lors qu’elles ne seraient pas respectées, entraîneraient la fin du forward guidance et donc de l’engagement à maintenir les taux inchangés. La hiérarchie des objectifs serait donc bien respectée, et la crédibilité de la BoE maintenue.

Quelle peut être l’efficacité du forward guidance? Kool et Thornton(2012) expriment de sérieux doutes quant aux résultats obtenus par l’intermédiaire du forward guidance. Ils évaluent la prédictibilité des taux courts et longs dans les pays où cette stratégie a été adoptée et montrent que le forward guidance n’améliore la capacité des agents privés à prévoir les taux courts futurs que pour des horizons de prévisions inférieurs à un an, sans amélioration de la prédictibilité des taux à plus long terme. Le graphique ci-dessous montre ainsi les anticipations de taux à 3 mois par les marchés financiers en octobre 2013 pour les prochains mois. L’évolution minimale des taux directeurs étant de 0,25%, ce graphique nous indique qu’aucune modification des taux n’est pour l’heure anticipée, hormis peut être aux Etats-Unis à l’horizon d’un an.

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La timide adoption par la BCE

En ce qui concerne la BCE, qui de son côté hiérarchise ses objectifs en donnant la priorité à l’inflation, la mise en place du forward guidance constitue un engagement conditionnel à une période de temps  (« … for an extended period of time ») en l’absence de référence à des seuils. De ce point de vue, elle est à contre-courant de la Fed et de la BoE qui ont pris des engagements conditionnels à des seuils chiffrés. Pour mémoire, avant le 4 juillet, la BCE donnait des indices quant à sa prochaine décision du mois suivant sous la forme d’expressions aisément reconnaissables par les observateurs. Ainsi, l’insertion du mot « vigilance » dans le discours du président de la BCE lors de sa conférence de presse annonçait un probable durcissement de la politique monétaire[5]. En intégrant le forward guidance à sa panoplie d’instruments, la BCE se veut moins énigmatique. En particulier, il semblerait qu’elle ait voulu répondre à des inquiétudes portant sur une éventuelle remontée des taux.

Cependant, Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, a affirmé que cette stratégie ne remettait pas en cause la règle, répétée maintes fois en conférence de presse, qui veut que la BCE ne s’engage jamais sur les politiques futures (« no pre-commitment rule ») et que le forward guidance soit réévalué à chaque réunion du Conseil des Gouverneurs. Jens Weidmann, membre du conseil de politique monétaire de la BCE en tant que president de la Bundesbank, a confirmé que le forward guidance « is not an absolute advanced commitment of the interest rate path[6]» tandis que Vitor Constancio, vice-président de la BCE, a ajouté une dose supplémentaire de confusion en affirmant que le forward guidance de la BCE «  is in line with our policy framework as it does not refer to any date or period of time but is instead totally conditional on developments in inflation prospects, in the economy and in money and credit aggregates – the pillars of our monetary strategy[7]. »

L’efficacité à attendre d’une politique mal définie, qui ne semble pas faire consensus au sein du Conseil des Gouverneurs de la BCE, et dont la clé du succès – la crédibilité de l’engagement – est ouvertement remise en cause, paraît donc très faible.

Références bibliographiques

Eggertsson, G., et Woodford, M. (2003). Optimal monetary policy in a liquidity trap. NBER Working Paper (9968).

Kool, C., et Thornton, D. (2012). How Effective is Central Forward Guidance? Federal Reserve Bank of Saint Louis Working Paper Series .

Rosa, C., et Verga, G. (2007). On the Consistency and Effectiveness of Central Bank Communication: Evidence from the ECB. European Journal of Political Economy, 23, 146-175.

 

 

* Ce texte s’appuie sur l’étude “Politique monétaire: est ce le début de la fin?” à paraître prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.


[1] « Le Conseil des Gouverneur anticipe que les taux directeurs demeurent à leur niveau actuel ou à des niveaux plus bas pour une période de temps prolongée ».

[2] La baisse aujourd’hui de 25 points de base du taux directeur est en accord avec la stratégie de forward guidance de la BCE.

[3] Les mesures non conventionnelles renvoient aux pratiques de politique monétaire qui ne relèvent pas de la politique traditionnelle (i.e. des modifications du taux directeur). Il s’agit de mesures entraînant une modification du contenu ou de la taille du bilan des banques centrales via des achats de titres publics ou privés. On parle alors d’assouplissement quantitatif (« Quantitative easing »).

[4] « Notre politique accommodante pourra être maintenue sur une longue période. »

[5] Rosa et Verga (2007) proposent une description de ces expressions.

[6] « Le forward guidance ne constitue pas un pré-engagement absolu quant à la trajectoire du taux d’intérêt. »

[7] « Notre communication de type forward guidance est en accord avec notre cadre opérationnel de politique monétaire puisqu’il n’est fait référence à aucune date ou période de temps précise et qu’elle est entièrement conditionnée aux évolutions des perspectives d’inflation, dans l’économie et dans les agrégats monétaires et de crédits, qui demeurent les piliers de notre stratégie monétaire ».

 




Logement locatif : le CAE veut changer d’ALUR …

Par Pierre Madec et Henri Sterdyniak

Le 24 octobre dernier, le conseil d’analyse économique (CAE) a publié une note proposant une nouvelle politique du logement locatif en France. Cette note remet en question un certain nombre de mesures gouvernementales figurant dans la loi ALUR, actuellement en discussion au Parlement, comme l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers (GUL)[1]. Ces critiques sont-elles justifiées ?

En fait, les auteurs reconnaissent que le marché du logement est spécifique, qu’il faut le réguler, que l’Etat doit construire des logements sociaux et aider les familles pauvres à se loger. Aussi, leurs divergences avec la politique qu’entend suivre le gouvernement actuel ne peuvent-elles être que limitées, et concernent les moyens plutôt que les objectifs. Le libéralisme ne fonctionne pas en matière de logement. Il faut mettre en place des dispositifs d’intervention publique, qui doivent viser, nous le verrons, des objectifs contradictoires, dispositifs dont la structure est obligatoirement ouverte à la discussion.

Le parc locatif privé : cogestion et aléa moral 

Concernant le parc locatif privé, les auteurs proposent essentiellement l’instauration d’un système de flexi-sécurité du logement, inspiré de celui préconisé pour le marché du travail : diversification et libéralisation des baux, nouveaux droits pour le bailleur, plus grande flexibilité des conditions de résiliation de bail, ou encore mise en place d’un système de cogestion du marché locatif privé autour d’une « régie du logement » dont les prérogatives s’étendraient de la fixation des loyers « de référence » à la gestion des baux. Cette « régie », gérée paritairement par les locataires et les propriétaires, jouerait un rôle de médiateur lors des conflits opposant locataires et propriétaires à l’image des prud’hommes pour les conflits du travail.

L’argument principal utilisé par les auteurs pour condamner un dispositif tel que la GUL est qu’elle créerait des problèmes d’aléa moral trop importants, c’est-à-dire que l’assurance inciterait les personnes couvertes à prendre « trop de risques ». En l’espèce, le locataire, assuré de voir ses défauts de paiement pris en charge par le fond, se soucierait moins de verser ses loyers ; il pourrait porter son choix sur un logement plus cher que ses besoins réels. Le propriétaire serait moins soucieux de la sélection de son locataire. Les auteurs utilisent également l’argument de l’aléa moral pour défendre la mise en place de baux flexibles : cela permettrait selon eux de lutter contre la dégradation des logements ou encore les conflits de voisinage.

L’idée du locataire systématiquement « mauvais payeur volontaire » et prêt à dégrader le logement qu’il loue nous paraît excessive et réductrice. Or, cette idée est assez largement développée par les auteurs. Ceux-ci semblent oublier que la GUL couvrira surtout des locataires qui ne peuvent plus payer leurs loyers en raison de difficultés financières (chômage, divorce …).

Cette garantie est avant tout une protection nouvelle pour le propriétaire. Protection financée à part égale entre bailleurs et locataires au travers d’un système de mutualisation. En cas d’impayé de loyer, le propriétaire sera directement remboursé par le fond. Ce dernier examinera ensuite la situation du locataire et procédera soit à un recouvrement forcé soit à une prise en charge personnalisée en cas d’impossibilité de paiement.

La GUL devrait permettre aux propriétaires de louer un logement à des personnes qui se trouvent dans des situations fragiles (travailleurs en contrat précaire, étudiants issus de familles modestes), sans que celles-ci aient à rechercher des cautions. Les propriétaires seraient moins incités à rechercher des locataires sûrs (fonctionnaires, étudiants issus de familles aisées, salariés des grandes entreprises). L’Etat est pleinement dans son rôle en couvrant un risque social, accru par la crise et la précarisation des emplois. Cela ne vaut-il pas le risque fantasmé d’augmentation de l’aléa moral ?

La question du bail pose une question de fond. Faut-il encourager le développement des propriétaires bailleurs individuels qui génère obligatoirement des problèmes délicats entre le souci du propriétaire de disposer librement de son bien et d’avoir le maximum de sureté quant au paiement du loyer, celui des locataires d’avoir une sécurité de maintien dans les lieux et l’exigence de droit au logement ?

Un ménage à revenus faibles ou irréguliers, plus fragile, doit aussi pouvoir se loger dans le parc privé. Aussi, il peut paraître préférable d’inciter soit les investisseurs institutionnels à investir dans ce domaine ou les ménages à utiliser plutôt des instruments de placement collectif dans la pierre et de mettre en place des dispositifs, comme le GUL, qui permettent de traiter collectivement la question des non-paiements de loyer.

Le logement est loin d’être un bien ordinaire. Se loger est, et les auteurs le soulignent, avant tout un besoin essentiel, un droit fondamental. La précarisation massive de ce dernier à travers la mise en place d’un système de baux libéralisés ne peut être la solution. Au contraire, les auteurs se nourrissant du modèle allemand, l’introduction de baux à durée indéterminée (baux de référence en Allemagne) constituerait une avancée majeure en termes de sécurisation du locataire[2].

Encadrement contre loi du marché

Concernant l’encadrement des loyers, les auteurs s’appuient sur un certain nombre d’études visant à démontrer l’existence d’une corrélation entre l’état de dégradation du parc locatif et les mesures d’encadrement des loyers. Or, dans la loi ALUR, des dispositifs destinés à la prise en compte de la réalisation de travaux existent. Certes, un risque de détérioration du parc persiste, mais une fois ce dernier explicité, on doit mentionner l’existence, elle aussi probable, d’une montée en gamme du parc due justement au mécanisme de prise en compte des travaux.

Les auteurs développent également l’idée selon laquelle les mesures d’encadrement conduiraient à une baisse significative de la mobilité résidentielle. Si ce risque est réel pour les dispositifs visant à encadrer les loyers en cours de bail et non lors de la relocation (cause principale du creusement des inégalités de loyers observé en France depuis la loi de 1989), le dispositif d’encadrement présent dans la loi ALUR a, au contraire, pour objectif de conduire à une convergence des loyers[3]. Cette convergence, bien que modeste, compte tenu de l’écart important encore autorisé (plus de 40 %), va plutôt dans le sens d’une meilleure mobilité.

En réalité, le risque le plus important, soulevé par les auteurs, est le risque de diminution du nombre de logements offerts à la location. Bien qu’il semble peu probable que les bailleurs déjà sur le marché retirent massivement leurs biens de la location[4], la mesure d’encadrement peut désinciter les nouveaux investisseurs sur le marché locatif compte tenu de la baisse induite des taux de rendement. Ceci aggraverait encore davantage le déséquilibre offre/demande au sein des zones tendues. Dans les faits, cela paraît peu probable. Même en cas de baisse significative du nombre de nouveaux investisseurs, ceux déjà présents sur le marché de l’ancien, compte tenu des conditions de bail (et au grand dam des auteurs), ne pourront pas vendre facilement leur bien, sauf à le vendre à un nouvel investisseur qui au vu de la baisse des taux de rendement réclamera une baisse du prix. Les dispositifs d’incitation fiscale (type Duflot) actuellement en vigueur sur le marché du logement neuf laissent à penser que les bailleurs qui y investissent ne seront que peu touchés par l’encadrement.

Certains investisseurs pourraient cependant délaisser en effet la construction de logements neufs, ce qui, à court terme, jouerait plutôt en faveur d’une baisse des prix de l’immobilier[5], ce qui encouragerait l’accession à la propriété et la baisse du prix du foncier. Il faudrait cependant que le secteur public soit prêt à prendre la relève des investisseurs privés.

Près d’un ménage sur trois du 1er quartile de revenu (les 25 % les plus pauvres) est locataire du parc privé et subi un taux d’effort médian net des aides au logement de 33 %, en hausse de près de 10 points depuis 1996. Encadrer les loyers est avant tout une protection pour ces ménages modestes, ménages qui compte tenu de l’engorgement du parc social et du durcissement des conditions d’accès à la propriété, n’ont d’autres choix que de se loger dans le parc locatif privé.

La stratégie proposée par la loi Duflot  consistant à « mettre en place un certain encadrement des loyers pour réduire les comportements prédateurs des propriétaires. Ne pas chercher à attirer des investisseurs par des loyers exorbitants et les anticipations de hausse du prix de l’immobilier » ne nous semble pas illégitime, si elle s’accompagne effectivement d’un effort en faveur du logement social.

Les tensions sur le marché du logement (où l’offre et la demande sont rigides) permettent de fortes hausses de loyers, qui aboutissent à des transferts injustifiés entre propriétaires et locataires. Ces transferts pèsent sur le pouvoir d’achat des plus pauvres, sur l’indice des prix, sur la compétitivité… En sens inverse, ces hausses peuvent stimuler la construction de logements neufs via la hausse de la valeur du foncier, mais cet effet est faible et lent (compte tenu des contraintes du foncier). L’encadrement peut contribuer à mettre un coup d’arrêt aux hausses de loyer, même s’il nuit quelque peu à l’incitation à l’investissement privé dans le logement. Il ne peut être écarté a priori.

Logement social malmené

Bien que le constat des auteurs est juste – le logement social ne joue pas son plein rôle, les systèmes de construction et d’attribution sont complexes et inefficaces – les solutions qu’ils proposent, et leur cohérence, nous le semblent moins.

Le débat sur le rôle et la place du logement social en France est ancien. Faut-il le réserver aux ménages pauvres et ainsi renoncer aux objectifs de mixité sociale ? Faut-il pour ce faire diminuer les plafonds d’éligibilité alors qu’aujourd’hui plus de 60 % de la population peut prétendre à un logement social ? Le logement social doit-il être rentable ?  L’offre de logement social est-elle suffisante ?

L’idée défendue par les auteurs, selon laquelle l’Etat, à travers les prêts aidés aux organismes HLM, ne doit prendre en charge que le logement des ménages les plus pauvres, non rentable par nature, et doit laisser à la concurrence (promoteurs et investisseurs privés) le logement des classes populaires et moyennes, est critiquable, notamment en ces temps de crise économique. Il faut au contraire augmenter la part des logements sociaux mais aussi des logements intermédiaires aux loyers « modérés» construits avec financement public pour loger les classes populaires à des loyers raisonnables et faire baisser les tensions dans les zones critiques.

L’idée des auteurs selon laquelle le logement social ne peut être un droit accordé ad vitam aeternam peut paraître justifiée. En 2006, selon l’INSEE, plus d’un locataire du parc social sur 10 appartenait au cinquième quintile de revenu (20 % les plus riches). Sauf à considérer que le parc social doit être, en vertu du principe de mixité sociale, ouvert à tous, les mécanismes visant à inciter ces ménages à quitter le parc social pour les diriger vers le parc privé ou l’accession doivent être renforcés, les surloyers appliqués actuellement n’étant pas suffisamment efficaces. Mais il faut tenir compte de l’âge des occupants et de la disponibilité à proximité des logements à loyers « libres ».

Les auteurs proposent également, pour le logement des classes populaires et moyennes (c’est-à-dire les opérations « rentables ») de mettre en concurrence des structures privées (promoteurs, constructeurs privés, …). Une fois la durée d’amortissement du prêt de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) expirée, le logement ainsi construit pourrait changer de statut et basculer soit dans le parc privé soit être vendu. Cette idée laisse à penser que la pénurie de logements sociaux serait la conséquence d’un manque de fonds disponibles. Or, grâce aux montants déposés sur les livrets A, l’argent ne manque pas. Les freins à la construction de logement se trouvent ailleurs (manque de volonté politique, pénurie de foncier, …).

Bien qu’il soit nécessaire de lutter contre la ségrégation urbaine et que c’est effectivement en « disséminant les ménages défavorisés dans l’ensemble du tissu urbain » que cet objectif peut être rempli, les propositions des auteurs de la note du CAE sont peu réalistes. L’indice de ségrégation spatial proposé (voir encadré 10 du document de travail) amènerait à ne plus construire de logement sociaux là où la concentration de ces derniers est déjà importante. Or, compte tenu des contraintes foncières dans les zones tendues, ceci n’est pas tenable. L’objectif de lutte contre la ségrégation ne peut pas être prioritaire mais complémentaire de l’objectif de construction.

Un financement public conditionné de façon rigide à la valeur d’un ou deux indicateurs, même les plus transparents, comme le proposent les auteurs, serait extrêmement complexe à mettre en œuvre. La loi SRU fixant des objectifs identiques à des communes aux caractéristiques très disparates doit être aménagée. Il faut construire du logement social selon la demande et les besoins. Or, actuellement, il n’y a pas d’adéquation entre offre et demande et ce même dans les zones les moins tendues (logements trop grands ou trop petits, trop vieux, …). Selon l’INSEE, 14 % des locataires du parc social sont ainsi en situation de sur-occupation (soit le double de la proportion observée dans le parc privé). Non seulement l’entrée dans le parc social est difficile mais la mobilité au sein de ce parc l’est tout autant. Il faut donc construire massivement des logements sociaux non seulement pour accueillir des populations nouvelles mais aussi pour loger dans de meilleures conditions les populations y résidant actuellement.

Faut-il dé-municipaliser la question du logement ? Laisser aux seules municipalités le pouvoir de décision (et d’action) sur les politiques de la ville est une erreur, certains pouvant être incités à préférer céder les terrains disponibles à des promoteurs privés qu’à des organismes d’HLM, que ce soit pour des raisons directement financières ou pour choisir d’attirer une population relativement aisée, sans problèmes sociaux. Ainsi, la politique du logement nécessite de fortes incitations à la construction de logements sociaux, comme des aides spécifiques aux communes où ils sont implantés, comme des contraintes légales et une imposition spécifique compensatrice pesant sur les communes qui n’ont pas de logement sociaux. La loi SRU est nécessaire.

Notons que les propositions allant dans ce sens sont difficiles à faire adopter au niveau politique. Ainsi, la mesure visant à offrir aux intercommunalités le pouvoir de décision concernant notamment le Plan local d’urbanisme (PLU), disposition présente dans la loi ALUR, a été en grande partie rejeté par le Sénat, avec l’appui de la ministre du Logement[6]. De même, l’Union sociale pour l’habitat, tout en déplorant le manque de mobilité au sein du parc social, s’oppose régulièrement à toutes modifications importantes des processus d’attribution pouvant aller dans le sens d’un regain de mobilité, chaque organisme voulant garder ses critères propres.

Loyers et aides au logement entre imposition et imputation

Dans la note du CAE, la prise en compte des dépenses de logement par la fiscalité fait l’objet de propositions contestables. Certes, nous sommes d’accord avec le point de départ : il serait souhaitable d’aboutir à une certaine neutralité fiscale entre les revenus du capital financier et les loyers implicites. C’est nécessaire du point de vue de l’efficacité économique (ne pas trop favoriser le placement en logement) comme de la justice sociale (à revenus imposables égaux, un propriétaire et un locataire n’ont pas le même niveau de vie). Mais, selon nous, ceci ne peut se faire qu’en taxant effectivement les loyers implicites. Cette réforme est délicate aujourd’hui, car les impôts ont déjà beaucoup augmenté. On ne peut plus guère introduire un nouvel impôt. Elle devrait donc s’accompagner d’une translation vers le haut des tranches du barème, de sorte que, si les propriétaires payent plus, les locataires payent moins. Par ailleurs, elle risque de détourner certains ménages de la construction de logement ; son produit doit donc être utilisé en partie pour la construction de logement, ce qui est contradictoire avec la proposition précédente de l’utiliser pour réduire les impôts des locataires. Elle ne peut donc être introduite que très progressivement. Il faudrait d’abord revaloriser les bases de la taxe foncière. Puis, utiliser cette base (dont les propriétaires accédant pourraient déduire les charges d’emprunt) pour taxer les valeurs locatives à la CSG ou à l’IR (avec un certain abattement).

Craignant l’impopularité de la mesure, les auteurs proposent que les locataires puissent déduire leur loyer de leur revenu imposable (avec un plafond relativement élevé de l’ordre de 1 000 euros par mois). Cette proposition n’est pas acceptable :

– elle est arbitraire : pourquoi ne pas déduire aussi, toujours avec des plafonds, ses dépenses alimentaires (on ne peut vivre sans manger), ses dépenses de vêtements, de transports, de téléphone portable (devenus indispensables aujourd’hui). C’est sans fin. Le barème de l’IR prend déjà en compte le fait qu’un niveau minimum de revenu est indispensable (pour un couple avec 2 enfants, l’imposition ne commence qu’au-delà d’un revenu salarial de 2 200 euros par mois). La mesure favoriserait les dépenses de logement au détriment des autres dépenses, ce qui n’a guère de justifications ;

– l’économie d’impôt ainsi réalisée serait nulle pour les personnes non-imposables, faible pour les personnes juste à la limite de l’imposition : une famille de deux enfants dont le revenu est de 3 000 euros par mois et 600 euros de charges de loyer paierait 700 euros d’impôt de moins ; une famille aisée imposée au taux marginal de 45 % pourrait économiser 5 400 euros au titre de l’impôt, soit 450 euros par mois, c’est-à-dire plus que les allocations logement de la plupart des familles pauvres ;

– la mesure serait très coûteuse. Les auteurs ne nous donnent pas une estimation précise, mais réduire de 10 000 euros, le revenu imposable de 40 % des 18 millions de ménages imposables en France (la proportion des locataires) pourrait réduire de 14 milliards le produit de l’IR. En fait, ceci devrait obligatoirement être compensé par une translation vers le bas des tranches de l’impôt. Au bilan, là-aussi, si les locataires payaient moins, les propriétaires paieraient plus. Reste que la mesure serait moins efficace du point de vue économique que la taxation des loyers implicites, puisqu’elle introduirait un biais en faveur des dépenses de logement et qu’elle ne tiendrait pas compte de la valeur du logement occupé.

Les auteurs proposent d’intégrer l’allocation-logement dans l’IR et de faire gérer l’ensemble par l’administration fiscale, qui serait chargée de la mise en cohérence de la politique redistributive en direction des bas revenus. Certes, le système actuel d’aides au logement est perfectible, mais une fois encore leur analyse est partielle, n’intègre pas la totalité des aides dont bénéficient les plus pauvres (RSA socle, RSA activité et PPE). Ils oublient que l’aide aux personnes à bas revenus nécessite un suivi personnalisé, en temps réel, sur une base mensuelle ou trimestrielle que l’administration fiscale est incapable d’assurer. En fait, ils aboutissent à un système qui n’est guère simplifié : l’administration fiscale déterminerait l’aide au logement des ménages non-imposés que la CAF (Caisse d’Allocations familiales) verserait mensuellement et qui serait régularisé par l’administration fiscale l’année suivante. Mais il n’est pas dit si la même formule s’appliquerait au RSA. Pour les personnes imposées, l’aide serait gérée par l’administration fiscale. Les auteurs nous disent « l’aide ne pourrait être inférieure à l’allocation-logement actuelle », mais leur proposition augmenterait fortement le nombre de ménages non-imposés pour lequel il faudra comparer le gain en impôt et l’allocation ancienne formule. Ce n’est pas gérable. Certes, il serait souhaitable de simplifier le calcul de l’allocation-logement, de mieux l’intégrer avec le RSA. Ce sera un élément de la réforme nécessaire du RSA que le gouvernement devrait engager (voir rapport Sirugue et sa critique par Guillaume Allègre), mais l’ensemble doit continuer à être gérer par ceux qui savent le faire, les CAF et non l’administration fiscale.

Le lecteur intéressé par les problématiques liées au logement pourra consulter la Revue de l’OFCE « Ville & Logement », n°128, 2013.


[1] Trannoy A. et E. Wasmer, « La politique du logement locatif », Note du CAE, n°10, octobre 2013 et document de travail associé.

[2] Rappelons que le marché allemand est bien différent du marché français (majorité de locataires, peu de tensions démographiques, …) et que ses règles ne peuvent donc y être transposées.

[3] Actuellement, en région parisienne et plus généralement dans l’ensemble des zones dites tendues, les différences de loyers entre ceux ayant emménagé dans l’année et les locataires présents depuis plus de 10 ans dans leur logement est supérieur à 30 % (38 % pour Paris) (OLAP, 2013)

[4] En effet, les investisseurs « anciens » ont potentiellement des taux de rendement supérieurs à ceux des « nouveaux » investisseurs.

[5] D’autant que le nombre de nouveaux ménages a tendance à baisser (Jacquot, 2012, « La demande potentielle de logements à l’horizon 2030 », Observation et statistiques, N°135, Commissariat au Développement Durable).

[6] Un amendement accordant une faible minorité de blocage aux communes lors des modifications de PLU (25 % des communes et 10 % des habitants) a été adopté au Sénat le vendredi 25 octobre. Amendement réduisant de fait le pouvoir des intercommunalités dans ce domaine.




Pas de surprise du côté de la Fed*

par Christine Rifflart

Sans grande surprise, lors de sa réunion des 29 et 30 octobre, le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale des Etats-Unis a décidé de maintenir ses mesures non conventionnelles et de laisser inchangé son taux des fonds fédéraux. Depuis la fin de l’année 2012, la Réserve fédérale procède en effet à des achats massifs de titres (obligations publiques et titres de dette hypothécaire) au rythme de 85 milliards de dollars par mois. L’objectif est de faire pression sur les taux longs et soutenir l’activité, y compris sur le marché immobilier.

Par ailleurs, la Réserve fédérale, engagée dans une stratégie de transparence et de communication qui vise à ancrer les anticipations des investisseurs, n’a fait que confirmer le maintien du taux entre 0 et 0,25 % aussi longtemps que le taux de chômage sera supérieur à 6,5 %, que l’inflation anticipée à l’horizon d’ 1 à 2 ans ne sera pas supérieure d’un demi-point à l’objectif d’inflation de long terme, fixé à 2 %, et que les anticipations d’inflation de long terme resteront stables. Selon nos prévisions d’octobre (voir Etats-Unis : la croissance plafonnée), le taux de chômage, de 7,2 % en septembre pourrait atteindre 6,9 % fin 2014. Enfin, l’inflation, à 1,5 % au troisième trimestre 2013, ne dépasserait pas 1,8 % en 2014. Dans ces conditions, aucune hausse n’est attendue avant le deuxième semestre 2015. La politique restera donc particulièrement accommodante.

Les incertitudes portaient davantage sur le retrait effectif des mesures non conventionnelles qui maintiennent les taux longs à des niveaux artificiellement bas. Annoncé en mai dernier, l’arrêt ou la réduction de ces mesures est attendu par les marchés, ces mesures n’ayant pas vocation à durer. Entre mai et septembre 2013, les investisseurs privés ou publics étrangers avaient anticipé le début du retrait et s’étaient défaussés d’une partie de leurs titres. Cet afflux de titres avait fait chuter les prix et entraîné une hausse d’un point des taux longs publics en quelques semaines. Mais la fragilité de la croissance, l’insuffisance des créations d’emploi et surtout l’exercice de communication dans lequel se sont lancées les Banques centrales pour rassurer les marchés financiers ont éloigné au fil des mois, la date d’application de ce retrait des achats. Les taux longs ont à nouveau baissé, et encore plus ces dernières semaines après la crise budgétaire d’octobre.

Si, rétrospectivement, il apparaît que l’anticipation d’un retrait des mesures non conventionnelles était prématurée, il n’en demeure pas moins que la question du timing se pose. Dans son communiqué, le Comité précise que la décision dépendra des perspectives économiques tout autant que de l’évaluation coût / bénéfice du programme. Or, le paysage économique ne devrait pas s’améliorer dans les prochains mois. Si le Congrès parvient à un accord budgétaire avant le 13 décembre, celui-ci se fera assurément sur la base de coupes dans les dépenses publiques. Ce nouveau choc budgétaire viendra freiner encore la croissance et pénaliser davantage le marché du travail. L’émission de nouveaux titres de dette, contrainte en 2013 par le plafond légal de la dette, progresserait alors très lentement en 2014 du fait des ajustements budgétaires. Face à cette modération de l’offre de titres, la Réserve fédérale pourrait réduire ses achats au profit des autres investisseurs. L’équilibre sur le marché des titres pourrait alors être maintenu sans baisse brutale du prix des actifs.

Cette normalisation des instruments de politique monétaire ne devrait pas tarder. Mais elle n’est pas sans risque car une brusque hausse des taux longs n’est pas exclue. Les marchés sont volatiles et l’épisode des mois de mai et juin l’a rappelé. Mais une grande partie du mouvement est déjà intégré par les marchés. La Réserve fédérale devra donc amplifier sa stratégie de communication (en annonçant à l’avance par exemple la date et l’ampleur du retrait) si elle veut réussir le difficile exercice d’équilibriste de maintien d’une politique monétaire très accommodante tout en levant progressivement ses mesures exceptionnelles de bas taux d’intérêt. On fait l’hypothèse que l’exercice sera réussi. Les taux longs publics de 2,7 % au troisième trimestre 2013, ne devraient pas dépasser 3,5 % à la fin de 2014.

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*Ce texte s’appuie sur l’étude « Politique monétaire : est ce le début de la fin ? » à paraitre prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.




Les énergéticiens voient rouge avec le vert

par Sarah Guillou et Evens Salies [1]

 

Le marché commun de l’énergie fait-il la part trop belle aux sources d’énergies renouvelables (SER) ? C’est ce que pensent les neuf énergéticiens auditionnés au Parlement européen en septembre dernier. Selon eux, atteindre 20% d’énergie d’origine renouvelable dans la consommation finale d’énergie de l’UE d’ici 2020 aurait des répercussions négatives sur le secteur de l’énergie électrique : détérioration des résultats financiers des énergéticiens et de la sécurité d’approvisionnement en électricité. On ne peut nier que depuis la fin des années 1990, la politique de l’UE en faveur des SER est très active dans ce secteur. Les instruments suggérés par la Commission européenne (CE) aux Etats membres pour atteindre l’objectif des 20% sont nombreux (voir la Directive 2009/28/CE) : tarifs d’achat garantis de l’électricité produite à partir de SER, crédit d’impôt, … Aussi, en 2011, l’ensemble de ces mesures a-t-il permis à l’UE-27 d’atteindre 22% d’électricité produite à partir de SER, hydroélectricité incluse (Eurelectric, 2012)[2].

En quoi cette politique porte-t-elle préjudice aux producteurs historiques et à la sécurité d’approvisionnement ? Rappelons quelques faits stylisés de la consommation et du pilotage de la production d’électricité. La consommation est en moyenne plus faible la nuit (période dite de « base ») qu’en journée où elle passe par un ou deux pics (périodes appelées « pointes »). L’électricité n’étant pas stockable, le moyen le moins coûteux de répondre au passage base-pointes est d’utiliser les centrales selon leur « ordre de mérite ». Un producteur faisant appel à plusieurs sources d’énergie les sollicite ainsi de la moins flexible (démarrage lent, coût marginal faible) à la plus flexible (démarrage rapide, coût marginal élevé). En théorie, l’empilement est/était le suivant : nucléaire-charbon pour la base, nucléaire-charbon-gaz en pointe[3]. C’est durant les pointes, où les prix de gros peuvent s’envoler, que les producteurs gagnent le plus d’argent. De son côté, la production des centrales à SER est contingente aux aléas météorologiques (« l’intermittence ») : ces centrales ne produisent que lorsque la ressource primaire associée (vent, soleil, etc.) est suffisante ; elles sont alors prioritaires pour satisfaire la consommation d’électricité.

L’intégration des SER dans le parc de production modifie l’ordre de mérite. L’empilement précédent devient éolien-nucléaire-charbon pour la base, éolien-nucléaire-charbon-gaz en pointe ; du vent est donc substitué à un peu d’uranium, de charbon et de gaz. Sachant que le coût marginal de production des centrales à SER est proche de zéro, leur intégration, pourtant minime dans le mix énergétique, fait baisser le prix moyen sur les marchés de gros. Par conséquent, avec l’intégration des SER, les centrales à énergies fossiles sont moins bien rémunérées. De leur côté, les centrales à SER bénéficient toujours d’un tarif d’achat garanti (en France, 8,2 c€/kWh pour l’éolien, entre 8 et 32 c€/kWh pour le photovoltaïque, …)[4]. Le manque à gagner est plus grand durant les périodes de pointe de consommation. Les producteurs sont moins incités à investir dans la construction de centrales à énergie fossile qui sont pourtant nécessaires pour produire durant ces périodes. D’où un risque pour la sécurité d’approvisionnement : avec un écart potentiellement réduit entre les capacités disponibles et la demande en pointe, le risque que l’écart réel entre la production et la consommation soit négatif est alors plus grand.

Une solution possible est la création d’un « marché de capacités ». Sur ce marché, la mise à disposition bien à l’avance de la capacité de production d’une centrale entraîne une rémunération, même s’il n’y pas de production effective. Ce type de marché intéresse les neuf énergéticiens, dans la mesure où ils sont dotés en centrales électriques à gaz et/ou sont vendeurs de gaz, qui sont celles sollicitées en période de pointe. En France, la loi de NOME de 2010 prévoit la mise en place d’un tel marché pour la fin 2015.

Notons par ailleurs qu’une part significative des centrales à énergie fossile n’étant pas en fin de vie physique, l’intégration des SER ajoute des capacités à un marché européen de l’énergie électrique déjà en état de surcapacité. Cette situation de surcapacité est aggravée par la crise économique qui touche la demande d’énergie. Elle concerne surtout les centrales à gaz déjà concurrencées par les centrales à charbon devenues plus rentables depuis l’importation du surplus de charbon américain, évincé par le gaz de schiste. L’excès d’offre contribue cependant à contenir les prix de l’électricité.

Au final, l’audition des neuf énergéticiens au Parlement européen révèle deux difficultés majeures de toute politique de transition énergétique. La première est le coût de l’ajustement au nouveau mix énergétique. Les énergéticiens, tels les neuf, se plaignent (à juste titre) que ce coût met en péril leur rentabilité et certains seront contraints de fermer des sites de production, voire de les démanteler, pour y faire face (Eon en Allemagne). Les consommateurs, de leur côté, financent entre autres l’obligation de rachat – en France, via la contribution au service public de l’électricité (700 millions d’euros en 2010). Le coût de l’ajustement est incontournable et même nécessaire à l’ajustement : c’est parce qu’elles ont à supporter un coût supplémentaire que ces entreprises modifieront leur portefeuille énergétique. La deuxième difficulté se résume en une question : comment concilier le soutien aux SER et la sécurité d’approvisionnement ? Si la politique énergétique participe bien d’une amélioration de la qualité de l’air, elle semble encore inefficace dans la gestion de la sécurité d’approvisionnement qui constitue tout autant un bien public.

La CE s’oriente vers des solutions de coopération. À l’instar du développement coordonné de l’interconnexion des réseaux nationaux mené par les gestionnaires des réseaux de transport, elle s’interroge sur la faisabilité d’un marché commun d’échanges de capacité de productions d’électricité. La CE souhaiterait également que les Etats membres se coordonnent pour la fixation des tarifs d’achat garantis. En effet, ces tarifs peuvent créer des effets d’aubaine, notamment pour les équipementiers (voir Guillou, S., 2013, Le crépuscule de l’industrie solaire, idole des gouvernements, Note de l’OFCE No. 32). Il reste à trouver des mécanismes qui entraîneraient une gestion coordonnée de la sécurité d’approvisionnement électrique de l’UE tout en faisant une place aux SER. L’audition des énergéticiens au Parlement européen devrait susciter une réflexion plus générale sur la sécurité d’approvisionnement dans l’UE, toutes sources d’énergie confondues.

 


[1] Nous remercions Dominique Finon, Céline Hiroux et Sandrine Selosse. Toute erreur est de notre seule responsabilité.

[2] Le chiffre des 20% couvre un nombre de secteurs plus grand que le secteur de l’énergie électrique.

[3] Ce principe était surtout valable avant la libéralisation des marchés de gros, où un producteur verticalement intégré décidait des centrales à démarrer pour répondre à une demande nationale.

[4] Les tarifs d’achat garantis ont été mis en place afin que les technologies de production de l’électricité à partir de SER qui n’étaient pas encore matures ne soient pas désavantagées.




France : moins d’austérité, plus de croissance

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En 2013, l’économie française devrait croître de 0,2 % en moyenne annuelle, ce qui lui permettrait de retrouver en fin d’année son niveau de production atteint six ans plus tôt, soit celui de fin d’année 2007. Cette performance médiocre est très éloignée du chemin qu’aurait dû normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Le potentiel de rebond de l’économie française était pourtant important : une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an sur  la période 2010-2013 était possible et aurait permis à la France d’annuler la perte de production accumulée au cours des années 2008-2009. Mais cette « reprise » a été freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Pour la seule année 2013, cette stratégie budgétaire aura amputé l’activité en France de 2,4 points de PIB.

La prise de conscience de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés a été tardive : elle a eu lieu une fois que les plans d’austérité eurent produit leurs effets négatifs sur la croissance. A la fin mai 2013, elle a poussé les autorités européennes à offrir un délai supplémentaire à six pays de l’Union, dont la France, en vue de corriger leur déficit excessif. L’allègement des exigences de la Commission constitue un ballon d’oxygène et permet au gouvernement d’amoindrir les mesures d’austérité pour 2014. Selon le budget présenté à l’automne 2013, l’effet interne de l’austérité serait ainsi atténué de 0,5 point entre 2013 et 2014, et puisque nos partenaires mènent eux aussi des politiques moins restrictives, un supplément de demande externe est anticipé. Au total, c’est donc près d’un point de croissance qui serait regagné en 2014 par rapport à 2013, grâce à l’allègement de la rigueur et ce, malgré des multiplicateurs budgétaires toujours élevés.

Dans ces conditions, la croissance devrait être de 1,3 % en 2014 en moyenne annuelle. En s’établissant à un rythme toujours inférieur à son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader le marché du travail. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 10,9 % fin 2014.

La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Le déficit public s’établirait à 3,5 % du PIB en 2014, après avoir atteint 4,1 % en 2013 et la dette brute des administrations publiques frôlerait 95 % du PIB l’année prochaine.




La zone euro écartelée

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro.

Après six trimestres de baisse, le PIB de la zone euro a renoué avec la croissance au deuxième trimestre 2013. Ce redémarrage de l’activité est un signal positif que corroborent également les enquêtes de conjoncture. Il montre que la zone euro a cessé de s’enfoncer dans les profondeurs de la dépression. Il serait cependant prématuré de conclure que la reprise est enclenchée, car ce niveau de croissance trimestriel (0,3 %) est insuffisant pour entraîner une décrue significative du chômage. En octobre 2013, le taux de chômage se stabilise à un niveau record de 12 % de la population active. Surtout, la crise laisse des stigmates et crée de nouveaux déséquilibres (chômage, précarité et déflation salariale) qui seront autant de freins à la croissance à venir, en particulier dans certains pays de la zone euro.

Plusieurs facteurs permettent d’anticiper un redémarrage de l’activité qui devrait perdurer au cours des prochains trimestres. Les taux d’intérêt souverains de long terme ont baissé, notamment en Espagne et en Italie. Cela témoigne de l’éloignement de la menace d’un éclatement de la zone euro et ce, en partie grâce au soutien conditionnel annoncé par la BCE il y a un peu plus d’un an (voir Amis des acronymes : voici l’OMT). Surtout, l’austérité budgétaire devrait s’atténuer parce que la Commission européenne a accordé des délais supplémentaires à plusieurs pays, dont la France, l’Espagne ou les Pays-Bas, pour résorber leur déficit budgétaire (voir ici pour un résumé des recommandations formulées par la Commission européenne). Par les mêmes mécanismes que nous avions décrits dans nos précédentes prévisions, il résulte de cette moindre austérité (-0,4 point de PIB d’effort budgétaire en 2013 contre -0,9 en 2013  et -1,8 en 2012) un peu plus de croissance. Après deux années de récession en 2012 et 2013, la croissance s’établirait à 1,1 % en 2014.

Cependant, cette croissance sera insuffisante pour effacer les traces laissées par l’austérité généralisée mise en œuvre depuis 2011 et qui a précipité la zone euro dans une nouvelle récession. En particulier, les perspectives d’emploi ne s’améliorent que très lentement car la croissance est trop faible. Depuis 2008, la zone euro a détruit 5,5 millions d’emplois et nous n’anticipons pas une franche reprise des créations nettes d’emploi. Le chômage pourrait diminuer dans certains pays mais cette baisse s’expliquera principalement par des retraits d’activité de chômeurs découragés. Dans le même temps, la réduction de l’austérité ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’austérité. A l’exception de l’Allemagne, les efforts de consolidation budgétaire se poursuivent dans tous les pays de la zone euro. Qu’elle passe par la réduction des dépenses publiques ou par une hausse de la pression fiscale, les ménages supporteront l’essentiel du fardeau de l’ajustement. Dans le même temps, la persistance d’un chômage de masse continuera à alimenter les pressions déflationnistes déjà à l’œuvre en Espagne ou en Grèce. Dans ces pays, l’amélioration de la compétitivité qui en résulte stimulera les exportations, mais au prix d’une demande interne de plus en plus affaiblie. La paupérisation des pays du sud de l’Europe va donc s’accentuer. En 2014, la croissance dans ces pays sera de nouveau inférieure à celle de l’Allemagne, l’Autriche, de la Finlande ou de la France (tableau).

Par conséquent, la zone euro deviendra de plus en plus hétérogène, ce qui pourrait cristalliser les opinions publiques des différents pays contre le projet européen et rendra la gouvernance de l’union monétaire encore plus difficile tant que les intérêts nationaux divergeront.

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La crise sur un plateau

par Xavier Timbeau

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.

Six années après le début de la crise financière et économique, l’accélération attendue de la croissance mondiale en 2014 (tableau 1) aurait pu laisser espérer la fin du marasme. Certes, la crise des dettes souveraines en zone euro est terminée, ce qui constitue une étape importante, mais, au-delà de quelques chiffres positifs, rien n’indique que la crise est finie. L’activité en zone euro a atteint un plateau et les mécanismes à l’origine de la crise des dettes souveraines dans la zone – la crainte du défaut sur les dettes publiques ou privées – peuvent faire replonger à tout instant les économies, des États-Unis comme de l’Europe, du Royaume-Uni comme celle du Japon.

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La crise est globale et présente des caractéristiques peu ou jamais observées dans le passé. Ainsi, les taux d’intérêt souverains sont exceptionnellement bas, sauf dans les pays dont les marchés financiers doutent, mais dont le poids dans la masse globale de dette publique est faible. Cela indique une situation de trappe à liquidité où la politique monétaire conventionnelle a atteint ses limites et où la capacité des institutions monétaires à énoncer un avenir auto-réalisateur est cruciale. Or, comme pendant la crise de 1929, le débat fait rage sur cette capacité et suscite beaucoup d’interrogations quant à la sortie de crise. La politique monétaire est au cœur de cette incertitude : les mesures extraordinaires mises en place retiennent-elles les économies au bord du gouffre ? Les retirer est-il opportun ? Ou bien n’a-t-on fait qu’improviser un pis-aller dont les conséquences inflationnistes seront la source d’une prochaine crise ?

L’activité économique, mesurée par le PIB de l’ensemble de la zone euro, ne se contracte plus. Pour autant, la situation de sous-activité ne se résorbe pas. Or, tant que les économies restent en situation de sous-activité, les effets de la crise persistent et se diffusent au cœur des sociétés. Que l’on observe le PIB par tête, les écarts de production ou le chômage, les indicateurs nous décrivent un plateau, largement en deçà de 2007. Ainsi, la persistance du chômage au-dessus de son niveau d’équilibre gonfle-t-elle les cohortes de chômeurs non-indemnisés ou de longue durée. Le niveau élevé du chômage pèse sur la cohésion sociale et menace les sociétés bâties sur l’intégration par le travail. Les chômeurs sont renvoyés vers les solidarités familiales ou vers les filets de protection sociale, eux-mêmes soumis à la consolidation budgétaire. Les jeunes entrant sur le marché du travail retardent leur accès à l’emploi et porteront longtemps les stigmates de ce chômage initial sur leurs salaires ou leurs carrières.

Mais le chômage a une incidence plus large. La peur de perdre son emploi, de voir son entreprise fermée ou délocalisée se diffuse à ceux qui ont un emploi et dont les salaires finissent par être affectés ou qui sont contraints d’accepter des conditions de travail dégradées. C’est ainsi que l’Europe du Sud s’engage dans la déflation salariale et, par le jeu de la concurrence, y entraînera les pays voisins.

Cette absence de reprise ne doit pas surprendre. Un programme généralisé et massif de consolidation budgétaire a été conduit dans les pays développés. Le cumul des impulsions de 2008 à 2013 permet de faire le bilan de la stimulation des économies pendant la récession de 2008/09 puis de la consolidation qui a suivi (tableau 2).

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Le débat sur les multiplicateurs budgétaires, à partir des analyses empiriques basées sur des modélisations structurelles ou l’examen systématique des épisodes historiques, valide la causalité allant des impulsions budgétaires vers les écarts de production. Une grande part de l’écart de production en 2013 résulte de la consolidation budgétaire. Il n’y a pas d’effet permanent de la crise sur l’activité, mais la conséquence d’une austérité budgétaire sans précédent.

Les pays développés se sont engagés dans cet effort de consolidation sous la pression des marchés financiers, relayée par les autorités européennes. La crainte de difficultés pour financer la dette publique (dont le renouvellement se fait dans des proportions importantes chaque année et dont la maturité  est de l’ordre de 10 ans dans les pays développés), voire la crainte de perte de l’accès au financement, s’est matérialisée par une hausse des taux souverains et n’a pas laissé beaucoup de possibilités aux États. Pour regagner du crédit, il fallait prouver sa capacité à réduire son déficit, quel qu’en soit le prix. La consolidation qui en a résulté n’a été faite que de façon préventive. Les exemples grec, mais aussi portugais, espagnol ou italien illustreraient le risque à ne pas avoir des finances publiques ordonnées. Pour certains, dont les économistes de la Commission européenne, c’est en fait la consolidation massive engagée dans les pays membres qui a permis de mettre fin à la crise de la zone euro. Il existe pourtant une explication alternative et lourde de sens quant à l’opportunité de la consolidation budgétaire : le rôle pris par la Banque centrale européenne et les engagements solidaires implicites des pays de la zone euro ont été plus convaincants que les politiques économiques qui ont prolongé et aggravé la récession.

Le désendettement public et privé des économies est la clef de la sortie de la crise. Il nécessite une stratégie claire et raisonnable combinant retour de l’activité et réduction du chômage, maintien des taux d’intérêt souverains à un niveau bas et consolidation budgétaire à un rythme bien tempéré. Cette stratégie demande une maîtrise du calendrier, une constance dans la politique suivie, une coordination entre États et entre agents économiques au sein des États. En zone euro, elle repose sur un engagement crédible des Etats membres vers l’assainissement budgétaire à moyen terme et un engagement de la Banque centrale européenne pour que les écarts de taux soient réduits au maximum. La discipline budgétaire par les marchés ne fonctionne pas, il faut lui opposer la volonté politique de la stabilité économique.