La politique santé-environnement : priorité d’une renaissance sanitaire mondiale

par Éloi Laurent, Fabio Battaglia, Alessandro Galli, Giorgia Dalla Libera Marchiori, Raluca Munteanu

Le 21 mai, la présidence
italienne du G20 et la Commission européenne co-organiseront le sommet mondial
sur la santé à Rome. Quelques jours après, l’Organisation mondiale de la santé
tiendra son assemblée annuelle à Genève. De toute évidence, les deux événements
seront centrés sur la tragédie du Covid et les réformes susceptibles de
prévenir de telles catastrophes à l’avenir. « Le monde a besoin d’un nouveau
départ en matière de politique de santé. Et notre renaissance sanitaire
commence à Rome » a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula
von der Leyen, le 6 mai. Nous partageons cet espoir et nous voulons le voir
aboutir.



En tant que membres de la société
civile, nous avons été appelés à contribuer à la réflexion collective qui doit conduire
à la rédaction de la « Déclaration de Rome ». Sur la base d’un rapport
que nous publions aujourd’hui dans le cadre de la Well-being Economy Alliance

(WeALL) nous pensons que la notion de politique santé-environnement devrait
figurer au cœur de la Déclaration de Rome et, au-delà, inspirer la renaissance
des politiques de santé à tous les niveaux de gouvernement. En substance, nous
appelons les délégués de ces deux sommets cruciaux à reconnaître les
interdépendances fructueuses entre l’environnement, la santé et l’économie.

Le principe-clé est de faire du
lien entre la santé et l’environnement le cœur même de la santé planétaire et
évoluer de la logique coûts-bénéfices vers des politiques co-bénéfices. Notre
incapacité à répondre efficacement aux crises jumelles sanitaire et écologique vient
en grande partie de l’idée que nous nous faisons des coûts qu’une telle action
résolue auraient sur « l’économie ». Mais nous sommes l’économie et l’économie
n’est qu’une partie de la source véritable de notre prospérité qui est la
coopération sociale. La transition santé-environnement a certainement un coût
économique, mais il est visiblement inférieur au coût de la non-transition. Les
limites de la monétarisation du vivant sont chaque jour plus évidentes, les
arbitrages supposés entre santé, environnement et économie apparaissent chaque
jour plus erronés et contre-productifs. À l’inverse, les gains en matière de
santé, d’emplois, de liens sociaux, de justice des politiques co-bénéfices sont
considérables. Les systèmes de santé sont les institutions stratégiques de
cette réforme, à condition de mettre beaucoup plus l’accent sur la prévention,
mais d’autres domaines de la transition sont concernés : production et
consommation alimentaires, systèmes énergétiques, politiques sociales
(notamment lutte contre les inégalités et l’isolement social), politiques
d’éducation.

Pour ne prendre que l’exemple de
l’énergie, il est parfaitement clair que le système énergétique mondial actuel,
à 80% fossile, n’a pas de sens du point de vue du bien-être humain dès lors
qu’il détruit simultanément la santé actuelle et la santé future. La pollution
de l’air résultant de l’utilisation de combustibles fossiles joue ainsi un rôle
décisif dans la vulnérabilité sanitaire des Européens confrontés au Covid-19 (à
l’origine de 17% des décès selon certaines
estimations
), tandis que l’atténuation de la pollution de l’air dans les
villes européennes apporterait un co-bénéfice-clé pour la santé : celui de
réduire le risque de comorbidité face aux chocs écologiques à venir tels que
les maladies respiratoires mais aussi les canicules, qui deviennent de plus en
plus fréquentes et intenses sur le continent. Lorsque tous les co-bénéfices
sont pris en compte, au premier rang desquels la réduction de la morbidité et de
la mortalité liées à la pollution de l’air (qui, selon des études récentes,
sont bien plus élevées que les estimations précédentes, on compte chaque année 100 000
décès prématurés en France
), le passage aux énergies renouvelables conduit
à économiser de l’ordre de quinze fois le coût de leur déploiement.

Il y de nombreux autres domaines,
au-delà de ceux que nous avons identifiés, où la santé, l’environnement et
l’économie se renforcent mutuellement. Ils forment ensemble un socle sur lequel
bâtir des politiques qui visent la pleine santé sur une planète vivante. À
l’approche du Sommet de Rome et de l’assemblée de l’OMS, nous voulons donc
interpeller leur(e)s participant(e)s avec deux questions simples : et si la
meilleure politique économique était une vraie politique sanitaire ? Et si la
meilleure politique sanitaire était une vraie politique environnementale ?
Comme les pays européens le savent, les crises sont le berceau de nouvelles
visions du monde, les catalyseurs de nouvelles approches qui peuvent trouver
leur élan. Rome ne s’est pas faite en un jour, mais l’approche co-bénéfices
peut montrer la voie de la renaissance sanitaire.




Les effets des réformes des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants depuis 2008

Pierre Madec, Muriel Pucci-Porte et Laurence Rioux (Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge)

Comment les réformes
socio-fiscales intervenues depuis 2008 ont-elles modifié les dépenses publiques
consacrées aux enfants au titre de la politique familiale ? Quels effets
ont-elles eu sur le niveau de vie des familles avec enfants selon la
configuration familiale, le nombre d’enfants et la place dans l’échelle des
niveaux de vie ?



Pour évaluer précisément ces effets
redistributifs, la microsimulation est un outil particulièrement adapté. Deux
exercices de chiffrage des effets des réformes ont été menés. Le premier
utilise une maquette de cas-types permettant de comparer finement les barèmes
des législations de 2008, 2013 et 2020. Le second exercice, mené sur un
échantillon représentatif de l’ensemble de la population à l’aide du modèle de
microsimulation Ines[1], a pour objectif d’évaluer
l’effet (à comportements inchangés) des réformes des dépenses publiques
consacrées aux enfants intervenues entre 2008 et 2018 sur le niveau de vie des
familles avec enfants.

Les résultats détaillés de notre étude
sont à retrouver dans le Document de travail de l’OFCE disponible ici.
Les principales conclusions mises en évidence sont les suivantes :

L’évaluation par cas-type montre que, à la
suite des différentes réformes intervenues depuis 2008, le montant cumulé des
dépenses socio-fiscales par enfant présente en 2020 les caractéristiques
suivantes :

  • une forte variabilité du montant de
    dépenses par enfant selon les configurations familiales, le nombre et l’âge des
    enfants, et le revenu d’activité total du ménage ; les écarts pouvant
    aller de un à sept ;
  • un montant plus élevé pour les familles
    monoparentales et les familles nombreuses, ce qui résulte en partie des
    réformes menées depuis 2008 ;
  • à configuration familiale et nombre
    d’enfants donnés, un profil plus chahuté qu’en 2008 de la courbe des dépenses
    publiques par enfant en fonction du revenu d’activité. Cela provient de
    l’empilement des différents dispositifs sociaux et fiscaux liés aux enfants,
    qui se chevauchent en partie mais ont des finalités différentes. Le « supplément
    enfant » de prime d’activité, en particulier, explique pour une bonne part
    le profil erratique de la dépense par enfant dans le bas de l’échelle des
    revenus du travail.

L’évaluation à l’aide du modèle Ines montre que :

  • Les réformes des prestations familiales
    mises en œuvre depuis 2008 se sont traduites par un transfert des prestations
    d’entretien universelles vers des prestations d’entretien ciblées et
    majoritairement sous conditions de ressources. Elles ont amélioré la situation
    des familles monoparentales et des familles les plus modestes, mais ont dégradé
    la situation des familles appartenant aux 20 % des ménages les plus aisés ;
  • les réformes de l’IR (pour l’essentiel les
    baisses du plafond du quotient familial en 2013 et 2014) ont conduit à une
    nette hausse du montant d’IR acquitté par les familles appartenant aux
    20 % des ménages les plus aisés ;
  • Les réformes des « suppléments enfant »
    des prestations sociales se sont, elles, traduites par une forte hausse des
    dépenses consacrées aux enfants et ne font quasiment que des gagnants, situés
    dans la 1re moitié de l’échelle des niveaux de vie. Les familles
    appartenant aux 20 % des ménages les plus modestes et les familles
    monoparentales en particulier en ressortent gagnantes ;
  • En quelques années, un double basculement
    s’est donc produit :

    • au cœur de la politique familiale a eu
      lieu un transfert des prestations d’entretien universelles vers des prestations
      d’entretien ciblées et majoritairement sous conditions de ressources ;
    • au sein de l’ensemble des dépenses
      sociales et fiscales consacrées aux enfants, s’est produit un transfert des
      dépenses relevant de la politique familiale (prestations familiales et prise en
      compte des enfants dans le calcul de l’impôt) vers celles à la frontière de la
      politique sociale et de la politique familiale (liés aux « suppléments enfants »
      de prestations sociales) ;
  • Prises dans leur ensemble, les réformes des dépenses consacrées aux enfants intervenues entre 2008 et 2018 (ou
    entre 2013 et 2018) n’ont pas modifié le niveau de vie moyen des
    familles avec enfant(s). Mais cette stabilité d’ensemble masque de fortes
    variations à la hausse pour certaines familles et à la baisse pour d’autres,
    les pertes importantes des perdants compensant au total les gains élevés des
    gagnants ;
  • Les réformes ont conduit à une
    redistribution des dépenses entre configurations familiales, des couples avec
    deux enfants ou plus vers les familles monoparentales. 42 % des couples
    avec deux enfants ou plus se retrouvent ainsi perdants à la suite des réformes
    intervenues entre 2008 et 2018, alors que 73 % des familles monoparentales
    avec deux enfants ou plus sont gagnantes ;
  • Les réformes ont également conduit à une
    redistribution verticale des familles les plus aisées vers les plus modestes.
    Les familles appartenant aux 30 % des ménages les plus aisés ont en
    moyenne perdu à la suite des réformes, en particulier celles situées au-dessus
    du 8e décile de niveau de vie. Les familles avec enfant(s)
    appartenant aux 60 % des ménages les plus modestes ont en moyenne bénéficié
    des réformes (et plus particulièrement les plus pauvres situées en dessous du 3e
    décile de niveau de vie). Mais les réformes ont aussi fait des perdants parmi
    les plus modestes : 20 % des familles en dessous du 1er
    décile de niveau de vie ont ainsi perdu à la suite des réformes intervenues
    depuis 2013.

[1] Ces travaux ont été menés respectivement par
Muriel Pucci (Université Paris 1 et OFCE) et Pierre Madec (OFCE) pour et en
collaboration avec le secrétariat général du HCFEA dans le cadre d’un rapport
disponible ici.




La « théorie moderne de la monnaie » est-elle utile ?

par Xavier Ragot

Le débat macroéconomique est actuellement très animé. Le changement de politique économique aux États-Unis après l’élection de Joe Biden suscite un débat sur les résultats à attendre de la Bidenonics. Dans le débat d’idées, des propositions keynésiennes radicales sont défendues par la « théorie moderne de la monnaie » (MMT). Ce courant défend l’idée de plans de relance massifs et de monétisation des dettes publiques. Ce billet discute les propositions de la MMT à travers la recension de deux livres récents : Stephanie Kelton, Le mythe du déficit, Editions Les liens qui Libèrent, 2021 et Pavlina Tcherneva, La garantie de l’emploi, Editions La Découverte, 2021.



Avant d’en faire la
critique, on peut résumer simplement les propositions de la MMT : la
première idée-force est la promotion d’une politique monétaire au service de la
politique budgétaire. Elle défend le rachat systématique des dettes publiques
par les banques centrales, ce que l’on appelle la dominance fiscale de
la politique monétaire, afin de permettre une hausse des dépenses publiques.
Pour les économistes, la dominance fiscale est opposée à la dominance
monétaire
, qui défend l’idée que le rôle premier de la politique monétaire
doit être le contrôle de l’inflation et laisser à l’impôt le soin de financer
les dépenses et la dette publiques.

La seconde
proposition est la promotion d’un État employeur en dernier ressort. L’État
devrait être en charge de fournir des emplois d’utilité publique à tous les
chômeurs : un service public de l’emploi pour éviter la bascule dans la
pauvreté.

On peut
résumer la critique suivante, plutôt bienveillante, de la théorie moderne de la
monnaie :  on a du mal à voir des choses
vraiment nouvelles. Il ne s’agit pas d’une théorie de la monnaie, et elle n’est
pas moderne, même si elle permet de stimuler le débat d’idées !

Faut-il financer les dettes publiques par la monnaie  ?

Tout d’abord, ne boudons pas notre plaisir. Le livre de Stephanie Kelton est un bon livre d’économie grand public, et une introduction, polémique et vivante, à la macroéconomie. Bien sûr, le livre n’est pas parfait, mais avant les critiques, il faut souligner le plaisir de lecture. La thèse de Stephanie Kelton est que la création monétaire se fait pour le compte des États, pour des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne qui n’appartiennent pas à des unions monétaires.  Dans ces pays, l’État peut demander à la banque centrale de racheter la quantité de dette publique qu’il veut en créant de la monnaie : ce sont les États qui fixent les statuts de leur banque centrale nationale. Cette souveraineté monétaire permet à l’État de financer des politiques ; la seule contrainte est l’inflation. Pour la MMT, la politique monétaire devrait être au service de la politique budgétaire, cette dernière devant gérer les risques inflationnistes en stabilisant la demande agrégée.  L’intérêt de l’approche est de rappeler quelques vérités économiques, et même simplement comptables. J’en prendrai deux, avant de préciser la critique.

La première est tout d’abord
que la dette publique est détenue par quelqu’un : la dette de l’État est
la richesse de quelqu’un d’autre. En conséquence, cela n’a pas de sens d’écrire
que « nous » sommes endettés, parce que l’État est endetté. C’est le
contraire, nous sommes riches de la dette publique que nous détenons sur
l’État.  L’effet sur notre richesse
dépend non pas de la dette elle-même, mais de la répartition du financement des
intérêts. Cette manière de penser conduit à rétablir les comptes d’agents.
Quand l’État émet des dettes, d’autres acteurs les détiennent, et recevront
l’intérêt sur les dettes et le remboursement éventuel du principal.
L’endettement public contribue donc à la formation du patrimoine d’autres
acteurs

L’intérêt du livre de Stephanie Kelton est de présenter ces relations comptables sous une forme vivante et polémique, en attaquant directement les acteurs politiques aux États-Unis qui ne comprennent pas ces réalités macroéconomiques. En effet, il ne faut pas croire que la compréhension de ces effets macroéconomiques soit générale. En France, il y a encore des personnes  qui croient que la dette publique est un « endettement auprès des générations futures », ce qui fait peu de sens, comme on en a discuté ailleurs. Le combat de Stéphanie Kelton pour la macroéconomie est donc salutaire, et beaucoup reste à faire.

La seconde vérité comptable
est plus intéressante pour le débat public. Dans nos économies, les banques
centrales appartiennent aux États qui ont le monopole d’émission de la monnaie
centrale, comme les billets, les pièces et la monnaie détenue par les banques.
Cette monnaie ne peut pas être refusée dans les transactions, par contrainte
légale. L’existence des cryptomonnaies ne remet pas en cause de manière
significative ce monopole dans un futur proche. D’ailleurs, on peut attendre
une réponse vigoureuse des États pour garder, par leur banque centrale, le
contrôle de l’émission de la monnaie. 
Dans la zone euro, ce monopole public est aussi valide, mais la BCE
« appartient » à différents États. 
Cependant, la création monétaire globale se fait au profit des États.
Comment pense un macroéconomiste ? À un niveau abstrait, l’État peut se
financer soit par émission de la dette publique, soit par émission de monnaie.
Cette dernière possibilité est appelée seigneuriage dans la littérature
économique, car elle provient de ce monopole d’émission du souverain monétaire.
Cette vision générale est une évidence en économie monétaire. Par exemple, le
manuel le plus standard d’économie monétaire lui consacre un chapitre entier
(voir le chapitre 4 in Carl Walsh, Monetary
Theory and Policy
, MIT Press). Le fait que la dette publique soit détenue
par des non-résidents ne change pas la logique car on paie ces derniers en
monnaie nationale.  Tant que l’inflation
est faible et peu volatile (et c’est bien le sujet !), la monnaie nationale
est acceptée dans l’échange. Le problème du financement monétaire est qu’il
peut créer des effets déstabilisateurs et générer de l’inflation, ce qui réduit
le pouvoir d’achat des ménages, avec des effets complexes sur les inégalités.
On dirait aujourd’hui qu’une inflation prévisible est un bien public car elle
permet à chacun d’éviter des fluctuations imprévisibles de son revenu.

Ainsi, il n’y pas vraiment
de théories nouvelles dans la MMT. Je crois que l’enjeu de cette
« théorie » est tout autre et n’a pas pour but de convaincre le
macroéconomiste ou le théoricien de la monnaie. Il s’agit de promouvoir une
politique économique alternative, stimulant l’activité par des dettes publiques
élevées et une monétisation éventuelle des dettes publiques, en acceptant un
risque inflationniste plus élevé. Le livre défend l’orientation économique de
l’après-guerre, la politique que l’on qualifie de keynésienne traditionnelle
qui consiste à mobiliser les outils budgétaires pour atteindre le plein emploi,
même si cela conduit à une inflation modérée. Stéphanie Kelton réhabilite en
cela Abba Lerner qui est le promoteur, dès les années 1940, des politiques que
l’on qualifiera ensuite de keynésiennes, et qu’il qualifiait de finance
fonctionnelle
. Abba Lerner souligne sa contribution qui est de présenter la
cohérence de la pensée keynésienne : le but de la politique économique est
le plein emploi, les moyens la dette publique et la création monétaire, le
risque est l’inflation et non l’insoutenabilité des dettes publiques, du fait
de la possibilité d’émettre de la monnaie. Sa conception est présentée en quatorze
page
s
dès 1943, sous une forme très accessible. 
L’histoire de l’inflation dans les années 1970 a montré que
l’utilisation de ces politiques pour relancer des économies avec des
contraintes de production (liées alors au pétrole) pouvait conduire à une
inflation élevée et volatile. L’identification claire du choc de demande est
nécessaire pour contrôler l’inflation.

Encore une fois, rien de
radicalement nouveau aux États-Unis où la banque centrale a comme mandat de
veiller à une inflation basse et à l’emploi maximum. C’est dans la zone euro
que cette affirmation conduit à une évolution profonde, car la BCE a pour seul
mandat la stabilité des prix et nullement l’activité économique. L’évolution du
mandat de la BCE est un sujet ancien que l’on évoque ici en passant, et traité
plus longuement ici à l’issue
de la crise financière de 2008.

Venons-en à une critique du
livre. La limite de la monétisation des dettes ou du financement monétaire des
dépenses publiques est l’inflation, comme le rappelle l’auteure. Cependant,
rien de précis n’est dit sur le lien entre politique économique et inflation. Ce
lien est pourtant essentiel pour bien calibrer le montant et le format du plan
de relance aux États-Unis et qu’il nous faut construire en Europe. La BCE détient
environ
23% de la dette publique de la France. Jusqu’où peut-on aller ?
Quels sont les coûts économiques et sociaux d’une hausse de l’inflation ? Comment
s’assurer que les anticipations d’inflation ne s’accroissent pas
dangereusement ?

C’est un sujet très étudié,
sous des angles variés. La relation entre l’activité économique et l’inflation,
la fameuse courbe de Phillips, par exemple ici pour un article récent. La
relation entre quantité de monnaie et inflation est aussi le sujet de
nombreuses analyses, par exemple
ici
.
Pour comprendre les effets de l’inflation, il faut finement étudier qui détient
de la monnaie et pourquoi, ce que l’on
fait ici
.

Les travaux de Stéphanie
Kelton et des économistes de la MMT évitent soigneusement de citer les travaux
d’autres approches pour faire croire à une nouvelle école de pensée économique.
À ce stade, cela n’est pas le cas. Le livre de Stéphanie Kelton est une bonne
introduction pour ceux qui veulent découvrir le débat de politique
macroéconomique par des sujets d’actualité sous un angle polémique. Mais
critiquons la MMT pour sa relative naïveté macroéconomique et sa faiblesse
empirique.

La seconde affirmation des
auteurs de la MMT est la promotion d’une garantie de l’emploi pour tous les
salariés. Ce second volet est indépendant de la gestion macroéconomique de la
demande agrégée et du financement du déficit public. Il concerne la partie
résiduelle du sous-emploi qui existerait dans le cycle économique. La
proposition détaillée par Pvalina Tcherneva est simple : il s’agit de
proposer un outil supplémentaire, une offre d’emplois publics rémunérés au
moins au salaire minimum (que Pvalina Tcherneva veut augmenter à 15$ pour les
États-Unis). Ces emplois ne seraient pas obligatoires, mais fournis à toute la
population, comme un droit universel. Enfin, ils sont associés à une formation,
qualification et un apprentissage, ayant comme objectif que les salariés dans
ces emplois en sortent aptes à trouver un emploi dans le secteur privé. Selon
l’auteure, ces emplois n’ont pas comme objectif de concurrencer ni l’emploi
public avec des objectifs identifiés ni l’emploi privé, qui répond à une
demande solvable.

          Pour le lecteur français, ces emplois sont familiers :
il pourrait s’agir d’emplois aidés qualifiants dans le secteur non-marchand,
dont on sait qu’ils peuvent augmenter le retour à l’emploi, lorsque la
qualification est effective, comme le montrent des évaluations. La
proposition est de rendre endogène le nombre de ces emplois par la demande des
travailleurs dans le cycle. Si une réforme profonde du système de formation et
d’apprentissage est nécessaire, la proposition d’une utilisation contracyclique
de ce type d’emploi est intéressante, et déjà partiellement utilisée.

          Paradoxalement peut-être, l’intérêt est de penser non pas
une opposition à l’économie de marché, mais une politique de stabilisation, ce
qui suscite des critiques radicales de la MMT !
Le déficit d’emplois conjoncturels est compensé soit par une gestion vigoureuse
et potentiellement inflationniste de la demande agrégée, soit par une politique
de production d’emplois publics. Ces politiques keynésiennes sont développées
au sein d’une approche que l’on appelle post-keynesienne, qui est
une des 50 nuances du keynésianisme (néo- keynésien, keynésien historique, post-keynésien,
circuitiste, etc.).

MMT, post-keynésianisme et la nouvelle politique économique de Joe Biden

On assiste à une évolution profonde de la politique économique américaine avec des projets de plans de relance d’investissement, une augmentation de la fiscalité des entreprises et des ménages les plus aisés, un projet d’augmentation du salaire minimum fédéral, le tout avec une banque centrale accommodante qui semble peu se soucier des tensions inflationnistes à court terme. Cette évolution va dans le sens des recommandations de la MMT (sans reprendre toutes les recommandations). La question légitime est d’identifier le rôle de ce courant dans cette évolution. L’on ne pourra qu’imparfaitement répondre à cette question, tant les arcanes de la politique économique sont obscurs, parfois pour les décideurs eux-mêmes. Les propositions de la MMT sont tout d’abord reprises par Bernie Sanders, dont Stephanie Kelton était la conseillère économique pour la campagne de 2017, qui anime l’aile gauche du parti démocrate. Ainsi, les propositions se sont diffusées dans le débat économique américain.

Cependant, on peut tracer
une tout autre généalogie intellectuelle du changement de politique économique
aux États-Unis, à partir du courant soit néo-keynésien soit keynésien, et qui
me semble plus réaliste. Les travaux de Paul Krugman sur la
trappe à liquidité au Japon, de Lawrence Summers sur la
stagnation séculaire, les travaux d’Olivier Blanchard sur le
rôle des multiplicateurs (parmi bien d’autres) ont conduit à des évolutions au
sein du FMI et de l’OCDE en un sens bien plus keynésien depuis plusieurs
années. Ces évolutions sont indépendantes de la MMT qui présente des
propositions moins empiriques que certains travaux cités. Ainsi, le tournant
économique de Biden me semble bien plus imprégné de l’expérience pragmatique du
réel qui d’un nouveau corpus théorique « alternatif ». Ce que l’on
qualifie de pragmatisme est en fait surtout une approche empirique des
mécanismes économiques, dans un contexte de taux d’intérêt bas qui donnent une capacité
d’endettement nouvelle aux États
.

Leçons européennes ?

Pour conclure, quelles sont les leçons européennes de la MMT (et du tournant keynésien de la politique américaine) ? L’utilisation expansionniste de la politique fiscale et le financement monétaire des déficits publics ne peuvent bien sûr qu’avoir lieu au niveau de la zone euro, car ce sont les banques centrales de l’Eurosystème qui ont le monopole d’émission de la monnaie. De ce fait, le problème n’est pas tant économique que politique. La diversité des situations économiques de la zone euro conduit à des besoins de relance différents. L’économie allemande est stimulée par une demande externe importante du fait notamment d’un taux de change interne favorable. La dette publique allemande est attendue autour de 65% dans les prochains trimestres. L’économie italienne connaît une croissance faible et une dette publique de 160%. Plus que le débat théorique, c’est la divergence économique et politique qui paralyse l’Europe. L’utilisation judicieuse de plans de relance européens peut permettre une re-convergence et une création d’emplois, mais cela est un tout autre sujet.




Six mesures d’urgence pour l’emploi et contre la pauvreté

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Pierre Madec

En 2021, malgré le
rebond de l’activité attendu et la mise en œuvre de mesures exceptionnelles
pour l’emploi …

Le quatrième trimestre 2020 a été marqué par un recul de l’activité
économique moins marqué qu’attendu (-1,4% par rapport au troisième trimestre
2020). En conséquence l’ajustement de l’emploi a été largement atténué par
rapport aux destructions d’emplois attendues : 400 000 emplois ont
été détruits entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020. Dans
son dernier exercice de prévision, l’OFCE anticipe une croissance du PIB de 5%
en 2021 en moyenne annuelle[1].
Une partie de ce rebond s’explique par la prise en compte des effets du plan de
relance et notamment des mesures pour l’emploi (contrats aidés, insertion par
l’activité, prime à l’embauche d’un jeune de moins de 25 ans, mesures pour
l’alternance, Garantie Jeune, service civique, formations). Hors activité
partielle, ces mesures auraient contribué à la sauvegarde ou à la création de
75 000 emplois en 2020 et près de 70 000 emplois en 2021[2]
pour un coût de 6,7 milliards d’euros. L’activité partielle a permis la
préservation de 1,4 million d’emplois ETP en 2020 pour un coût budgétaire de
26,5 milliards d’euros. En 2021, 950 000 emplois ETP seraient encore
préservés en moyenne sur l’année pour un coût de 13,4 milliards d’euros, dans
l’hypothèse d’une baisse des taux de prise en charge à partir du troisième
trimestre 2021.



… nous anticipons une
hausse significative du chômage…

Malgré ce rebond et la prise en compte des mesures exceptionnelles
engagées par le gouvernement, l’emploi est attendu en baisse en 2021 par
plusieurs instituts de conjoncture (UNEDIC, Rexecode) ou stable (Banque France). L’OFCE prévoit une progression de
l’emploi en 2021 (+95 000 emplois en moyenne annuelle), mais une
progression plus rapide de la population active du fait du retour sur le marché
du travail de personnes découragées ou empêchées de chercher un emploi pendant
la crise sanitaire. Cela se traduirait par une hausse du chômage dont le taux
pourrait atteindre 8,7% fin 2021.

… qui induira une
hausse de la pauvreté globale…

Cette hausse du chômage va faire monter la pauvreté. Dans une étude menée en 2010 pour l’ONPES, l’OFCE indiquait qu’une hausse de 100 chômeurs pendant une crise
économique conduirait à une augmentation d’environ 43 pauvres au seuil de
pauvreté à 60%  et d’environ 22 ménages
allocataires du RSA-socle 5 ans plus tard.

… notamment chez les
jeunes 

La crise sanitaire et économique débutée en 2020 touche plus
particulièrement certains groupes, et notamment les jeunes. Le fait que les
jeunes soient plus touchés par le chômage n’est pas une surprise : ils
sont plus souvent en intérim et CDD et dans les crises, ces contrats ne sont
souvent pas renouvelés. Ils peuvent aussi être victimes du manque d’embauches.
La part de jeunes dans le halo du chômage a aussi légèrement augmenté sur 1 an
(de 4,5 à 4,7%).

Une typologie des
jeunes en difficulté
 

La situation des 18-24 ans (on compte 5,2 millions de personnes âgées
de 18 à 24 ans[3])
est particulièrement préoccupante à plusieurs titres :

  1. Soit parce qu’ils éprouvent des difficultés à s’insérer dans l’emploi
    à la sortie des études ;
  2. Soit parce qu’ils sont exposés aux destructions d’emplois, et n’ont
    pas forcément de revenus de remplacement (étudiants qui travaillent pour
    financer leurs études, jeunes actifs qui perdent leur emploi).

Il est possible alors de distinguer 3 catégories de jeunes en
difficulté :

Catégorie 1 : cohorte de jeunes qui
arrivent sur le marché du travail au moment d’une crise économique
(750 000 jeunes chaque année)

Des travaux récents menés à l’OFCE rappellent que les premières années de
vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus
en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très
dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les
trajectoires professionnelles des jeunes sortant du système éducatif. Bien
entendu, une distinction doit être faite entre jeunes diplômés et non diplômés.
Pour la première catégorie, cela se traduit par un accès à l’emploi en CDI plus
tardif et moins fréquent tandis que pour la seconde, cela implique une très
nette dégradation de leur insertion sur le marché du travail.

Catégorie 2 : Jeunes actifs, ayant
terminé leurs études, qui ont perdu leur emploi et sans revenu de remplacement
(de 50 000[4] à 435 000
[5]

Les jeunes actifs en emploi
(930 000) sont particulièrement exposés au choc entraîné par la crise sanitaire :
210 000 sont en CDD ou en contrats saisonniers. Parmi ces contrats
« précaires », 90 000 jeunes (30%) sont employés dans l’un des
secteurs les plus touchés par la crise (hébergement, restauration, culture,
transport, habillement, …). Parmi les « CDI », ce sont plus de
225 000 jeunes qui travaillent dans l’un des secteurs les plus touchés
soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée indéterminée. Enfin, sur le
million d’actifs (en emploi ou non) âgé de 18-24 ans, près de 300 000
jeunes étaient en cours d’étude un an auparavant.

En 2020, l’ajustement de l’emploi salarié s’est concentré sur l’emploi
temporaire (CDD et intérim). Les 15-24 ans sont largement surreprésentés dans
l’emploi temporaire : s’ils comptaient pour 12% de l’emploi salarié en
2018 (hors fonctionnaires et assimilés), 40% des emplois temporaires étaient
occupés par des salariés appartenant à cette tranche d’âge (54% dans le
commerce, 45% dans l’hébergement-restauration).

En 2021, l’ajustement de l’emploi ne serait plus concentré sur les
contrats courts mais aussi sur des contrats à durée indéterminée. Or, d’après
les mouvements de main-d’œuvre au troisième trimestre 2020, ce sont les
salariés de moins de 30 ans qui sont les plus concernés par les licenciements
économiques du fait d’une moindre ancienneté.

Catégorie 3 : Jeunes actifs,
étudiants, en contrat court non renouvelé et sans revenu de remplacement (250 000)
;

Selon l’enquête ENRJ, menée par la DREES en 2014, ce sont 250 000
jeunes qui cumulent études et emploi à temps partiel ou à temps plein. Or, aujourd’hui
la protection sociale couvre très mal la catégorie des 18-24 ans. Ainsi, plus
de 8 jeunes sur 10 au chômage ne perçoivent aucune allocation chômage. Le fait
que les moins de 25 ans ne puissent pas accéder aux minima sociaux fait peser
un risque lourd de très forte précarisation sur cette population du fait de la
crise économique.

 

Face à cette diversité
de situation, nous proposons six mesures d’urgence

Parmi les six mesures, trois sont non ciblées et trois sont ciblées
sur les jeunes

Trois mesures non ciblées sur les jeunes

  1. Reporter la baisse du taux de prise en
    charge de l’activité partielle par l’État et l’Unedic
    à la fin de la crise sanitaire
    permettrait de préserver un maximum d’emplois en 2021. Au cours de l’années
    2020, à l’instar d’un grand nombre de pays européens, la France a utilisé
    l’activité partielle comme principal instrument de sauvegarde de l’emploi face
    à la pandémie de la Covid-19. En préservant le capital humain dans les
    entreprises ainsi que le revenu des salariés et en socialisant son coût, ce
    dispositif était parfaitement adapté à la situation rencontrée l’année dernière
    et favorisera une reprise de l’activité une fois les mesures prophylactiques
    levées. Or il est prévu une baisse des taux de prise en charge de l’activité
    partielle à compter du 1er juillet 2021 (dès le 1er mai
    pour les secteurs non protégés). Nous estimons à 13,5 milliards d’euros le
    montant nécessaire à la prise en charge de l’indemnisation de l’activité
    partielle par l’État et l’Unedic en 2021 si le dispositif est maintenu dans ses
    contours actuels et à prévision d’emploi inchangée. Mais baisser le taux de
    prise en charge alors que les mesures prophylactiques ne sont pas toutes levées
    pourrait se traduire par des destructions d’emplois en 2021. Certes, si ce
    dispositif est parfaitement adapté à une période courte en temps de crise, son
    maintien pendant une période longue et dans tous les secteurs y compris dans
    ceux qui connaissent une nette amélioration de leur conjoncture pourrait
    engendrer des effets plus négatifs (effet d’aubaine, mauvaise réallocation de
    la main-d’œuvre…). En outre, si le dispositif d’aide à la formation du Fonds
    national de l’emploi – FNE-Formation – a été renforcé afin d’accompagner
    les entreprises en activité partielle, le maintien pendant une période longue
    de l’activité partielle peut entraîner une déqualification d’une partie de la
    main-d’œuvre ou ralentir le parcours des salariés désireux de se reconvertir.
    Si le maintien dans l’emploi est assuré par l’activité partielle, ce statut
    peut enrayer l’accès à une formation qualifiante ou la mise en place de mesures
    d’accompagnement par rapport au statut de demandeur d’emploi. Autoriser l’accès
    des salariés en activité partielle à l’accompagnement proposé par Pole Emploi
    pour les demandeurs d’emploi de catégorie D ou E permettrait de répondre en
    partie à cette potentielle demande d’accompagnement.
  2. Mettre en place un moratoire sur la
    réforme de l’Assurance chômage
    tant que la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son
    niveau qui prévalait avant la crise (taux de chômage à 7% ou difficultés de
    recrutement à leur niveau de 2019).
  3. Prévoir une enveloppe de contrats aidés
    additionnels pour les personnes de plus de 25 ans ayant perdu leur emploi en
    2020.
     L’idée que,
    durant cette crise économique, l’État puisse devenir « Employeur en
    dernier ressort » permettrait d’éviter toute augmentation du chômage qui
    laisserait des traces durables dans l’économie. Sur la base de notre dernière
    prévision, cela correspond à la création de 500 000 emplois aidés fin 2021
    à déployer dans le secteur du CARE notamment (soutien scolaire, portage de repas
    à domicile pour les personnes âgées, logistique de la gestion de l’épidémie,
    …). Ces 500 000 contrats aidés à temps plein pris en charge à 50% par l’État
    (soit un coût annuel par contrat de 9 328 euros) représenteraient un coût
    annuel de 4,7 milliards d’euros.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait à près de 18,5 milliards
d’euros annuel (0,8% du PIB).

Trois mesures ciblées pour les jeunes

  1. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 1, nous proposons de renforcer le plan « 1
    jeune 1 solution »
    . Le plan actuel offre 1,3 million de « solutions » ciblées
    sur les jeunes de moins de 26 ans, pour un afflux cumulé de 1,5 million de
    jeunes sur 2020-2021. Pour faire face à cet afflux arrivant sur le marché du
    travail ou tombant dans l’inactivité en 2021, nous proposons une augmentation
    de 200 000 du volume de contrats aidés PEC ciblés sur les moins de 26 ans, pour
    un coût de 2,5 milliards d’euros annuels. Un premier pas a déjà été fait en
    augmentant les entrées prévues dans le dispositif de la Garantie Jeunes en 2021
    et en repoussant la fin des aides à l’embauche de jeunes de moins de 26 ans,
    mais cela ne garantit pas une solution aux 1,5 million de jeunes arrivant sur
    le marché du travail en 2020 et 2021. Ce plan pourra ainsi faire davantage de
    place aux emplois aidés pour « les jeunes décrocheurs » : en
    France, environ 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire
    sans formation ni qualification et viennent alourdir le nombre de
    « décrocheurs sans emploi ne suivant ni études ni formation ». Cette
    catégorie, désignée par l’acronyme NEET, représente près de 2 millions de
    jeunes dont la moitié serait sans aucun diplôme: si l’on veut réellement le
    combattre, il est urgent de mettre en place une stratégie dans laquelle les
    emplois aidés ont un rôle important à court terme : ce dispositif des
    emplois aidés doit être ciblé sur les personnes les plus en difficulté (NEET),
    ce qui permettra de réduire les effets d’aubaine, de diminuer les effets
    d’enfermement dans ce type de contrat et d’augmenter les gains d’employabilité.
    Par ailleurs, ces contrats doivent être d’une durée longue (au moins
    2 ans), dans le secteur non marchand, être associés à un volet de
    formation important, ciblés sur un métier d’avenir et peu éloignés des emplois
    auxquels le bénéficiaire est susceptible de postuler ultérieurement. En effet, une étude de
    terrain menée en 2017
    a mis en avant l’intérêt des chefs d’entreprises du secteur privé
    pour des jeunes ayant effectué une formation certifiante dans un contrat aidé
    dans le secteur non marchand.
  2. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 2, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (435 000 jeunes au maximum)
    . Cette aide interviendrait
    en complément des revenus que certains pourraient toucher via les plans
    d’accompagnement vers l’emploi. Elle nous paraît nécessaire au minimum tant que
    la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son niveau qui
    prévalait avant la crise. Le coût maximum de cette mesure s’élèverait ainsi à
    240 millions d’euros par mois au maximum.
  3. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 3, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (250 000 jeunes)
    . Cette aide interviendrait en
    complément des prestations d’allocation chômage dont ils pourraient bénéficier.
    Le coût estimé approche 140 millions d’euros par versement au maximum. Ce
    versement devrait intervenir mensuellement tant que la situation sur le marché
    du travail n’est pas revenue à son niveau qui prévalait avant la crise.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait au maximum à 7 milliards
d’euros annuel (0,3% du PIB).


[1] Cf OFCE Policy Brief n°89 : « Perspectives
économiques 2021-2022 : résumé des prévisions du 14 avril 2021
 », Eric
Heyer, Xavier Timbeau, Christophe Blot, Céline Antonin, Magali Dauvin, Bruno
Ducoudré, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Catherine Mathieu Christine Rifflart,
Raul Sampognaro, Mathieu Plane, Pierre Madec, Hervé Péléraux, 14 avril 2021.

[2] Hors effet de l’extension de la prime à l’embauche
d’un jeune au-delà du 31 janvier 2021.

[3] Parmi eux, 1,6 million vivent dans un ménage qui n’est
pas celui leurs parents. Parmi eux, 350 000 sont étudiants, 140 000 sont
chômeurs, dont 84 000 ne perçoivent pas d’allocation chômage, 160 000 sont
inactifs, et 930 000 sont en emploi au sens du BIT.

[4] Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie
A, B ou C et âgés de moins de 25 ans a augmenté de 50 000 entre le quatrième
trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020.

[5] Les 435 000 se
décomposent en : 210 000 en CDD ou en contrat saisonniers (8% de
moins d’1 mois, 15% entre 1 et 3 mois, 25% entre 3 et 6 mois et 30% entre 6
mois et 1 ans) ; 225 000 jeunes en CDI qui travaillent dans l’un des
secteurs les plus touchés soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée
indéterminé.




Crise de la Covid-19 : le cap des 100000 morts en France au regard des principaux pays d’Europe de l’Ouest

Par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

En cette mi-avril
2021, la France franchit le cap des 100000 morts attribués à la Covid-19. Au
même moment, L’Union Européenne (avec le Royaume Uni) en est à près de 780000
morts. Après plus d’un an de crise sanitaire, que savons-nous de cette
pandémie, de ses facteurs ? Une comparaison des taux de mortalité des
principaux pays d’Europe de l’Ouest offre certaines réponses. Cette dernière
confirme et actualise des résultats obtenus lorsque la France franchissait les
50000 morts fin novembre 2020 (« La crise de la Covid-19 dans une Europe
vieillissante », Gannon, Le Garrec et Touzé, in L’économie européenne
2021, Collection Repères, La
Découverte).

Parmi les
rares certitudes, les données épidémiologiques montrent que ce sont les
personnes âgées qui développent les formes graves possiblement mortelles. Ainsi,
pour la France, l’INSEE a établi que la surmortalité pour l’année 2020 est de
10% et 8% respectivement pour les hommes et les femmes de plus de 65 ans, et
est négligeable en deçà de cet âge. Dans le même ordre d’idée, on observe dans
les principaux pays d’Europe de l’Ouest que près de 95% des morts ont plus de
60 ans.

Cela ne veut pourtant pas dire que la situation est
identique dans tous ces pays. Lorsqu’on décompte le nombre de morts engendrées par cette maladie, les
situations nationales sont en effet nettement tranchées. Au moment où la France
enregistre un taux de mortalité de 1530 morts par million d’habitants, celui de
la Norvège est de 130 morts (voir Tableau 1). A l’inverse, à cette même date,
la Belgique enregistre 2030 morts par million d’habitants, soit un des pays les
plus impactés du monde, avec une mortalité relative près de 16 fois supérieur à
la Norvège. Entre ces deux extrêmes, la plupart des pays du nord de l’Europe – Danemark,
Allemagne, Pays-Bas et Autriche – résistent mieux avec des taux respectifs de 422,
954, 984 et 1085 morts. L’exception est la Suède, avec un taux de 1356 morts.
Enfin, outre la Belgique, l’Italie, le Portugal et l’Espagne au sud de l’Europe
ainsi que le Royaume-Uni sont les plus impactés avec des taux de 1920, 1664,
1644 et 1866 morts par million d’habitants.

Puisque les morts de la Covid-19
sont âgés, en toute logique un pays à la population plus âgée devrait être
d’autant plus impacté. C’est en effet ce que l’on retrouve dans les données :
le poids des plus de 65 ans comme critère d’âge de la population est significativement
corrélé (0,51) au taux de mortalité de la Covid-19 (Tableau 1). Si l’on se
concentre sur la population des plus de 80 ans, la corrélation est d’autant
plus forte (0,66) et significative. Ainsi, les trois pays présentant les plus
forts pourcentages de plus de 80 ans sont l’Italie, l’Espagne et le Portugal,
avec 6,9% pour le premier et 6,2% pour les deux suivants, qui par ailleurs sont
trois des pays aux plus forts taux de mortalité due à la Covid-19. A l’inverse,
Norvège et Danemark sont les deux pays présentant à la fois la plus faible
proportion de personnes de plus de 80 ans, avec respectivement 4,2% et 4,4% de
leur population, et les taux de mortalité les plus bas. Bien que corrélé, ce
facteur démographique est loin d’être suffisant pour capter l’intégralité des
différences de mortalité entre les pays d’Europe de l’Ouest.

Pour caractériser l’état de santé d’une population et ses comorbidités, il est nécessaire d’appréhender la multiplicité des maladies associées aux cas graves, telles que le diabète, l’hypertension, les cancers, l’insuffisance respiratoire, … La prévalence de l’obésité, état associé à un Indice de Masse Corporelle (IMC) supérieur à 30, est un indicateur intéressant car il est associé à un risque majeur pour les maladies cardio-vasculaires, le diabète et certains cancers. Le constat est que les pays qui présentent les taux d’obésité dans leur population les plus élevés sont le Royaume-Uni et l’Espagne avec respectivement 29,7% et 27,1%, deux pays qu’on a pu qualifier de durement impactés par la Covid-19 en termes de mortalité. Par contre, les pays qui suivent dans l’ordre du taux d’obésité sont l’Allemagne et la Norvège, avec respectivement 25,7% et 25%, qui sont parmi les pays européens les moins touchés par la pandémie. En définitive, même si la corrélation observée (égale à 0,16) va dans le sens d’un lien positif entre la prévalence de l’obésité et la mortalité, ce lien est trop faible pour être significatif.

Pour approfondir le lien entre santé de la population et mortalité due à la Covid-19, l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans exprimé en proportion de l’espérance de vie est censée être un indicateur pertinent. Les données reportées dans le Tableau attestent bien d’une corrélation entre cet indicateur et la mortalité négative (-0,55) et significative.

Dans l’état des connaissances actuelles,
la Covid-19 se propage par des gouttelettes respiratoires entre personnes qui
sont en contact direct et étroit (moins d’un mètre de distance) les unes avec
les autres, ainsi que par aérosolisation dans les lieux clos. En tout état de
cause, la diffusion du virus est favorisée par la fréquence des contacts
humains. Les deux préconisations sanitaires, limitation des contacts humains et
respect des distances barrières, semblent plutôt discriminantes pour limiter la
pandémie. Ces contacts sont a priori d’autant
plus facilités dans des communautés fortement urbaines que dans des zones
rurales ou intermédiaires. De façon très singulière, les deux pays à la plus
faible proportion de population urbaine sont le Danemark et la Norvège avec des
taux de 22,9% et 24,5% quand la moyenne des pays étudiés est de 47,4%. En
résumé, la proportion de population urbaine apparaît fortement et
significativement corrélée à la mortalité dans les principaux pays d’Europe de
l’Ouest avec un taux de 0,61. Il faut néanmoins rester prudent avec
l’interprétation de cette corrélation. En effet, les pays étudiés diffèrent
également dans de nombreuses autres caractéristiques comme le climat, la
propension à la distanciation sociale, …




Climat : l’urgence de la justice

Par Éloi Laurent et Paul Malliet

A la veille du sommet sur le climat organisé par l’administration Biden les 22 et 23 avril prochains auquel participent 40 chefs d’Etat et de gouvernement, nous proposons ici l’embryon d’une réflexion sur la question incontournable des négociations climatiques internationales : comment répartir l’effort de réduction d’émissions entre les pays dans le cadre des Nations Unies ?



Les nouvelles sur le front de
l’urgence climatique en ce début d’année 2021 sont mitigées, ce qui n’est pas
si mal : la volonté de la nouvelle administration américaine d’assumer un
leadership sur l’agenda climatique, et ce dans un cadre multilatéral, tranche
avec l’obstructionnisme obscurantiste de la précédente. Par ailleurs, 110 pays
ont annoncé vouloir s’engager à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, la
Chine partageant cet objectif, mais à l’horizon 2060[1].

Mais ces dynamiques géopolitiques
encourageantes doivent absolument s’accélérer pour combler l’écart entre la
vitesse acquise par les systèmes naturels et l’inertie inhérente aux systèmes économiques
et politiques. A cet égard, un indicateur clé est la distance qui sépare le
statu quo des politiques actuelles (business
as usual
) de la réalisation intégrale des engagements pris dans la foulée de
l’Accord de Paris : si tous les engagements actuellement formulés et décrits
dans les contributions nationales respectives des États étaient bel et bien
tenus, nous irions vers 2,6° de réchauffement d’ici à la fin du siècle ;
si tout continue comme aujourd’hui, nous allons vers un réchauffement de 2,9°[2].
L’Accord de Paris (qui a permis des avancées indéniables) ne vaut donc, en
l’état, que 0,3 degré, soit environ une décennie et demie de réchauffement au
rythme annuel observé depuis 1981[3].

Il faut donc imaginer et mettre
en œuvre une nouvelle stratégie climatique globale, laquelle doit porter ses
fruits dès la COP 26, en novembre prochain, à Glasgow. Engager cette dynamique,
voilà l’objet du sommet organisé par l’administration Biden les 22 et 23 avril
prochains auquel participent 40 chefs d’Etat et de gouvernement.  Dans la lignée de l’American
Jobs Plan
, l’ordre
du jour de cette réunion
met l’accent sur les gains économiques attendus
d’une action climatique résolue. Mais il fait l’impasse sur sa nécessaire
coordination : comment les efforts nationaux de réduction d’émissions
doivent-ils être répartis entre les pays du monde ? Sur la base de quels
critères ? Autrement dit, comment tracer le chemin qui mène vers la
direction indiquée par l’Accord de Paris ?

Nous proposons ici l’embryon
d’une réflexion (que nous détaillerons plus avant à l’approche de la COP 26)
sur la question qui est à nos yeux désormais la raison d’être des négociations
climatiques internationales : comment répartir l’effort de réduction
d’émissions entre les pays dans le cadre des Nations Unies ?

A la lumière du rapport du GIEC « SR
1,5° » paru en 2018, nous déterminons un budget carbone mondial qui en
2019 s’élève à 945 GtCO2e et correspond à une cible intermédiaire
entre le budget 1,5° et 2° associée au 67ème percentile de TCRE[4]
(Transcient Climate Response to Emissions), conforme à l’ambition énoncée à
l’Article 2 de l’Accord de Paris.

La question de la juste
répartition de ce budget carbone mondial a fait l’objet de nombreuses études (pour
une synthèse et des propositions, voir par exemple Bourban,
2021
) mais il n’existe pas aujourd’hui de travaux qui intègrent une vision
complète des trois critères de justice identifiés dans la littérature
académique – l’équité,
la responsabilité et la capacité
– pour en déduire une répartition
opérationnelle des efforts nationaux afin d’éviter la catastrophe climatique.

Dans cette optique, nous
concentrons ici notre analyse sur les 20 principaux pays émetteurs[5] qui
représentent 77% des émissions en 2019. Nous supposons que l’objectif de réduction
des émissions sera partagé par l’ensemble des pays à l’horizon 2050 et que donc
le budget carbone concerne les 30 prochaines années ce qui se traduit par un
budget annuel moyen d’environ 30 GtCO2e (à titre de comparaison, 36GtCO2e
ont été émises en 2019). Nous prenons comme point de départ une répartition
égalitaire entre tous les membres de l’humanité en 2019 d’une dotation initiale
de 122,5 tCO2e d’ici 2050, soit environ 4 tCO2e par an (le
budget d’un pays étant l’agrégation des dotations individuelles de sa
population totale).

Nous interprétons le critère
d’équité comme l’égal accès des citoyen(e)s du monde à la capacité de stockage
des gaz à effet de serre (GES) par l’atmosphère (il correspond à une dotation
universelle en carbone corrigée pour chaque grand émetteur de sa population et
de la dynamique de celle-ci à horizon 2050).

Notre critère de responsabilité
est la quantité déjà émise de GES depuis 1990 en consommation, ce qui permet de
combiner un critère de justice spatial à un critère temporel, reflétant la
responsabilité globale aussi bien qu’historique des différents pays.

Enfin, le critère de capacité est ici exprimé par l’indicateur de Développement Humain (IDH) des Nations Unies, compris par construction entre 0 et 1, que nous rapportons pour chaque pays au niveau moyen mondial (qui en 2019 était de 0,737). Ainsi, les pays dont l’IDH est inférieur à cette moyenne mondiale voient leur budget être augmenté proportionnellement à leur sous-développement humain, et inversement pour les pays développés qui voient leur budget diminuer dans le sens inverse (Figure 1).

Le critère d’équité procède de
manière générale à une réallocation des pays connaissant une démographie en
baisse vers ceux qui auront à affronter une croissance de leur population plus
importante, quasi-intégralement localisés en Afrique subsaharienne. A ce titre
la Chine se voit amputer 44 GtCO2e (soit une réduction de presque
25%), tandis que le reste du monde bénéficie à l’aune de ce critère d’une
hausse de 86 GtCO2e de son budget. Le critère de responsabilité apparaît
comme le principal déterminant qui procède à une réallocation du budget mondial
entre pays, avec un transfert de près de 263 GtCO2e depuis les pays du
groupe OCDE, vers les pays dits en développement. Le critère de capacité
conduit de même à une réallocation vers les pays en développement, mais bien moindre
(presque 34 GtCO2e au total)[6]

Ainsi chaque critère joue dans un sens différent (soit par la nature du rééquilibrage, soit par son degré), suggérant que ce jeu relativement simple de trois critères permet bien de traduire différentes acceptions ou conceptions de la justice climatique pour aboutir à une répartition de la charge de l’effort d’atténuation (Figure 2).

Lecture du graphique : Chaque barre indique pour chacun des critères pris indépendamment des autres leur effet sur le budget carbone annuel moyen par pays. A titre d’exemple, alors que chaque citoyen américain dispose d’une dotation initiale de 4 tCO2e, le critère d’équité conduit à ce que ce budget soit réduit à 3,73 tCO2e, l’application du principe de responsabilité conduit à ce que la dotation initiale devienne négative et corresponde à une dette de 13 tCO2e, le critère de capacité réduit la dotation initiale à 3,25 tCO2e. L’agrégation de ces différents critères se traduit par un budget total négatif[7] de 9,5 tCO2e par habitant et par an.

Cependant, cette représentation
ne nous dit rien sur les trajectoires d’émissions futures des différents pays,
sur les instruments qui seront mis en œuvre et sur les critères de justice
propres à chaque pays qui présideront au déploiement de ces instruments. Dans
une seconde étape de notre analyse, nous proposerons des répartitions possibles
du budget globalement déterminé pour la France afin de saisir les enjeux de
justice climatique du global vers le national et enfin vers l’individuel. Cette
première étape nous renseigne en tout cas sur ce que pourrait être une
répartition juste à même de transcrire de manière plus explicite le principe
directeur de la communauté internationale depuis le sommet de Rio en
1992 : la « responsabilité partagée mais différenciée ».

A l’aune de cette première
analyse, un point semble parfaitement clair : si la nouvelle
administration américaine entend effectivement assumer de nouveau un leadership
climatique mondial, en association avec l’Union Européenne, elle ne pourra pas
faire l’économie de la reconnaissance d’une dette climatique à l’égard du reste
du monde. Compte tenu de son niveau, il est illusoire de croire qu’elle pourra être
compensée par des émissions négatives hypothétiques, et devrait donc faire
l’objet d’une compensation[8] sous une
forme ou autre, par exemple au moyen de montants beaucoup plus significatifs
que ceux actuellement versés dans le cadre du Fond Vert pour le Climat qui
reste toujours largement sous doté par rapport à l’ambition initiale affichée
d’atteindre un budget de 100 Mds de $ en 2020.

Un deuxième point apparent est
que la Chine ne peut plus désormais se prévaloir dans le cadre des négociations
climatiques du rôle de grand pays émergent dont la trajectoire d’émissions explosives
s’inscrit dans un droit au développement et à la croissance économique. En
2020, et en retenant l’ensemble des critères retenus, son budget carbone, avec
21 Gt, serait proche de celui de l’Indonésie qui a une population pourtant cinq
fois moindre.

Il semble que l’administration
Biden souhaite marquer le « jour de la Terre », le 22 avril, par des
annonces de deux ordres : de nouvelles ambitions climatiques à horizon
2030 pour les Etats-Unis et de nouvelles réductions d’émissions de la part des
chefs d’État et de gouvernements invités. Ces annonces ne seront pleinement
crédibles que si les Etats-Unis parviennent à réconcilier leur ambition
nationale et leur responsabilité globale et que, partant, ils convainquent la
Chine de faire de même.


[1] Ce qui
représente environ 50% de la population ainsi que des émissions globales de GES

[2] Climate
Action Tracker, projection décembre 2020 https://climateactiontracker.org/publications/global-update-paris-agreement-turning-point/

[3]
Source : NOOA.

[4] Le TCRE traduit
la variation moyenne de température moyenne avec le stock de carbone présent
dans l’atmosphère avec une probabilité associée. Ce qui dans notre analyse se
traduit de la manière suivante : Il y a 67% de chance pour que le budget
carbone considéré conduise à une hausse des températures limitée à 1,75°.

[5] Les
vingt principaux pays émetteurs étaient en 2019 les suivants ; États-Unis,
Canada, Arabie Saoudite, Australie, Allemagne, Japon, Russie, Royaume-Uni,
Italie, Corée du Sud, Pologne, France, Afrique du Sud, Iran, Chine, Mexique,
Turquie, Brésil, Indonésie, Inde. Nous y incluons également l’Union
Européenne à 27 États-membres pour fournir des éléments de comparaison.

[6] A noter
que parmi les pays que nous distinguons, seule l’Inde voit son budget
augmenter, mais de seulement 3%.

[7] Un
budget négatif traduit ici le fait que les émissions historiques prisent en
compte via le critère de responsabilité est supérieur à leur budget carbone
actuel alloué en fonction des autres critères. e

[8] La
question de la valorisation monétaire des émissions passées est un sujet de
recherche en soi que nous n’abordons pas dans ce texte. A titre illustratif,
une valorisation de la tonne de CO2 à 1$ conduirait à un montant global de 263
milliards de $ et pour une valorisation à 20$, celui-ci serait de 5260
milliards de $.




L’économie européenne 2021

par Jérôme Creel

L’ouvrage L’économie européenne 2021 qui vient tout juste de paraître se concentre sur l’impact de la crise de la Covid-19 et des mesures prophylactiques en Europe. L’introduction du précédent volume, il y a un an, commençait par ces mots : « En 2020, Mesdames Lagarde et von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de l’Europe (…) dans un environnement européen et international compliqué ». Il faut bien avouer que nous ne savions pas alors à quel point l’année 2020 serait effectivement compliquée.



Au plan économique et social, la
pandémie n’a pas seulement conduit à la plus grande récession
mondiale
de l’après-guerre, mais elle a aussi accru le risque de voir les
enjeux structurels, tels que la lutte contre le changement climatique, passer
au second plan, et pour longtemps, des priorités des gouvernements. Les chocs
macroéconomiques infligés par la pandémie et par les mesures prophylactiques
mises en œuvre pour y faire face ont été d’une telle ampleur que les réponses
de politique économique ont elles aussi été d’une vigueur inaccoutumée.  Bien que proportionnées aux enjeux
conjoncturels de court terme, ces réponses pourraient obérer les chances de
voir l’Europe s’engager résolument dans une trajectoire soutenable et équitable
de ses niveaux de vie, conformément aux objectifs du traité sur l’Union
européenne. De quelles marges de manœuvre dispose encore l’Europe après une
hausse des dettes publiques de 15 points de PIB depuis 2019 et une longue
période de politiques monétaires ultra-accommodantes de la banque centrale
européenne ? A l’inverse, quels risques font peser les tentations de
« normalisation » des politiques économiques sur l’économie
européenne ? A défaut de répondre précisément à ces questions, l’ouvrage
propose des pistes de réflexion qui permettent en filigrane d’appréhender les
marges d’amélioration du processus européen d’intégration en accordant la
priorité aux objectifs plutôt qu’aux moyens.

Evaluer les conséquences qu’aura
la pandémie sur la trajectoire économique, sociale et environnementale de
l’Europe réclame, en guise de préalable, un diagnostic complet sur ses
conséquences à court terme. L’ouvrage présente ainsi un état des lieux
conjoncturel d’une zone euro soumise à une grande incertitude quant à la
persistance de l’épidémie et à celles des politiques budgétaires et monétaires
mises en œuvre pour y faire face. Il dresse une typologie des facteurs
contribuant à la mortalité due à la Covid-19 et présente un premier bilan des
conséquences de l’épidémie sur les marchés du travail européens, sur les
politiques publiques et budgétaires et sur les liens de ces dernières avec
l’action de la banque centrale européenne.

Il expose également les avancées
de la gouvernance budgétaire européenne avec l’adoption d’un nouvel outil de
gestion, Next
Generation EU
, en juillet 2020 et s’interroge sur le cadre budgétaire
commun qui sortira éventuellement de cette crise. L’adaptation du Green Deal aux nouveaux enjeux
sanitaires, les avancées timides en faveur d’une politique européenne de santé
publique et la question non encore résolue des ressources propres pour financer
le budget européen sont tour à tour discutées en lien avec ce nouvel
instrument. Next Generation EU a certes ouvert une brèche dans la gestion
budgétaire européenne en mêlant responsabilité politique nationale (chaque Etat
membre choisit les projets financés et les soumet à l’approbation de la
Commission européenne), solidarité (une partie des fonds européens est une
subvention) et relance budgétaire. Reste à savoir si les moyens qu’il alloue
seront suffisants pour atteindre ses objectifs et, avant cela, s’il sera
effectivement mis en œuvre après l’ordonnance de la Cour
constitutionnelle
d’en suspendre la ratification en Allemagne.




Dispersion des marges des entreprises à l’international

Stéphane Auray
et Aurélien Eyquem

La forte mondialisation des économies a accru
l’intérêt que l’on se doit de porter à l’importance des marges bénéficiaires
des entreprises tournées vers l’international. Il sera entendu par marge
bénéficiaire le différentiel entre le coût marginal de production et le prix de
vente. Les évidences empiriques s’accumulent pour montrer que ces marges ont beaucoup
augmenté ces dernières années (Autor, Dorn, Katz, Patterson, et Reenen, 2017 ;
Loecker, Eeckhout, et Unger, 2020) et que les grandes entreprises représentent
une part croissante des fluctuations agrégées (Gabaix, 2011). Par ailleurs, la
dispersion des marges bénéficiaires est considérée dans la littérature comme
une source potentielle de mauvaise allocation des ressources – capital et
travail –, que ce soit au sein d’économies considérées fermées aux échanges
internationaux (voir Restuccia et Rogerson, 2008) ou encore, par exemple, Baqaee
et Farhi, 2020) mais également au sein des économies considérées ouvertes aux
échanges commerciaux (Holmes, Hsu et Lee, 2014 ou Edmond, Midrigan et Xu, 2015).
Enfin, il a été montré récemment par Gaubert et Itskhoki (2020) que ces marges sont
un déterminant essentiel de l’origine granulaire – liée à l’activité des
grandes firmes exportatrices – des avantages comparatifs, autrement dit un déterminant
de la compétitivité dans les échanges.



Dans un article récent (Auray et Eyquem, 2021) nous
introduisons une dispersion des marges bénéficiaires en supposant une
tarification stratégique via une concurrence
à la Bertrand dans un modèle à deux
pays avec effets de variété endogène et commerce international à la Ghironi et Melitz (2005). Notre but
est de comprendre l’interaction entre ces marges, la productivité des
entreprises et les phénomènes d’entrée et de sortie sur les marchés domestiques
comme étrangers. S’il existe des distorsions dans l’allocation des ressources,
comme c’est généralement le cas dans ces modèles, notre objectif corollaire est
d’étudier la mise en œuvre de politiques fiscales optimales.

Dans les modèles à firmes hétérogènes tels que celui
de Ghironi et Melitz (2005), les firmes sont supposées hétérogènes en termes de
productivité individuelle. Les firmes les plus productives sont plus
susceptibles d’entrer sur les marchés parce qu’elles sont plus à même de payer
les coûts fixes d’entrée, que ce soit sur les marchés locaux ou à
l’exportation. Par ailleurs ces firmes étant plus efficaces, elles produisent à
des coûts plus faibles, ce qui leur permet de s’arroger de plus grandes parts
de marché. Ces effets qui semblent relativement intuitifs ont déjà été
largement validés empiriquement. De manière générale, l’introduction de
comportements de tarification stratégique permet aux entreprises ayant les plus
grandes parts de marché de bénéficier d’un plus grand pouvoir de fixation des
prix qui les conduit à extraire des marges plus importantes – étant entendu que
les prix de vente qui en résultent peuvent quant à eux se révéler inférieurs à
ceux de leurs concurrents. Une littérature croissante sur le commerce
international souligne l’importance de ces comportements stratégiques et de la
dispersion des marges qui en résulte dans la détermination des schémas
d’ouverture au commerce ou de leur composition sectorielle (voir par exemple
Bernard, Eaton, Jensen et Kortum, 2003) ; Melitz et Ottaviano, 2008 ;
Atkeson et Burstein, 2008) mais dans l’ampleur des gains de bien-être liés au commerce
(Edmond, Midrigan et Xu, 2015). En effet, l’ouverture au commerce, au-delà de
ses effets habituels, pourrait réduire les effets néfastes de la dispersion des
marges via l’augmentation de la
concurrence qui en résulte et donc accroître ses effets positifs.

Tout d’abord et tel qu’anticipé, lorsque la politique fiscale est passive, la concurrence à la Bertrand génère une répartition des marges telle que les entreprises de plus grande taille – donc les productives – proposent des tarifications plus faibles, attirent des parts de marché plus importantes et obtiennent des marges bénéficiaires plus importantes. De plus, Le mécanisme de sélection des entreprises exportatrices décrit par Melitz (2003) implique que ces dernières sont plus productives et facturent donc des marges bénéficiaires plus élevées. Ces résultats sont intuitifs et correspondent à la distribution observée des marges (voir Holmes, Hsu,et Lee, 2014).

Deuxièmement, nous caractérisons l’allocation optimale des
ressources et montrons comment elle peut être mise en œuvre. Le meilleur
équilibre possible corrige intégralement les distorsions de prix, implique une
dispersion nulle des marges et un niveau quasi-nul de ces marges. Il est mis en
œuvre, comme souvent dans cette littérature, par de généreuses subventions qui
annulent les marges tout en préservant l’incitation des entreprises à entrer
sur les marchés nationaux et d’exportation, c’est-à-dire en leur permettant de
couvrir les coûts fixes d’entrée. Cet équilibre de premier rang peut être mis
en place en utilisant une combinaison de subventions des ventes spécifiques à chaque
entreprise, un régime d’imposition des bénéfices différencié entre entreprises
non-exportatrices et exportatrices et une fiscalité spécifique sur travail.

Dans un modèle similaire où les marges sont supposées
identiques à toutes les entreprises, le meilleur équilibre est identique mais,
en revanche, beaucoup plus facile à mettre en œuvre grâce à un seul instrument de
politique économique : une subvention uniforme et variable dans le temps pour
toutes les entreprises.

Dans les deux cas, les gains associés à de telles politiques
sont très importants par rapport au laisser-faire, représentant un
accroissement potentiel de la consommation des ménages de l’ordre de 15%. Cependant,
compte tenu de la complexité de la mise en œuvre d’un régime avec des marges hétérogènes
et au regard de son coût pour les finances publiques, supérieur à 20% du PIB –
la mise en œuvre nécessite d’importants montants de subventions, que les marges
soient hétérogènes ou homogènes – nous considérons les politiques alternatives
de second rang, où le nombre d’instruments de politique économique est limité
et où l’on impose que le budget du gouvernement soit équilibré. Nous constatons
que ces restrictions réduisent considérablement la capacité des décideurs à
réduire les pertes de bien-être associées à l’équilibre de laisser-faire, et
que seulement un tiers des gains potentiels de bien-être peuvent être mis en
œuvre dans ce cas.

Troisièmement, alors que les allocations de premier rang
sont indépendantes du degré du comportement de tarification, nous constatons
que les pertes de bien-être observées dans l’équilibre de laisser-faire sont
inférieures lorsque les marges sont hétérogènes et supérieures en moyennes aux
marges observées en l’absence de tarification stratégique. Même si cela peut
sembler surprenant, le résultat peut être rationalisé en considérant les effets
de la dispersion des marges à la fois sur la marge intensive – quantité produite
par entreprise – et sur la marge extensive – le nombre d’entreprises sur les
marchés. En effet, la concurrence à la
Bertrand implique que la dispersion et le niveau moyen des marges sont
positivement liés. La dispersion des marges augmente ainsi le niveau des marges
avec deux effets. D’une part, toutes choses égales par ailleurs, des marges plus
élevées réduisent la quantité produite par chaque entreprise – la marge
intensive – et induisent une mauvaise allocation des ressources qui génère des
pertes de bien-être. D’autre part, des marges bénéficiaires plus élevées
impliquent des bénéfices attendus plus élevés pour les entrants potentiels, ce
qui stimule l’entrée et augmente ainsi le nombre d’entreprises existantes – la
marge extensive. Selon notre modèle, les gains de bien-être associés au second
effet dominent les pertes de bien-être associées au premier effet. Le résultat
implique donc que la dispersion des marges bénéficiaires peut générer des gains
de bien-être, du moins lorsque aucune autre politique fiscale ou industrielle
n’est menée.

Quatrièmement, alors que les résultats précédents sont
principalement concentrés sur les implications de notre modèle et des
politiques optimales associées en moyenne au cours du temps, nous étudions
également les leurs propriétés dynamiques. Dans le cadre de politiques fiscales
passives (laisser-faire), lorsque l’économie subit des chocs de productivité
agrégés – technologiques par exemple – le modèle se comporte globalement comme
le modèle à la Ghironi et Melitz (2005). Une prédiction originale de notre
modèle est que les marges bénéficiaires sont globalement contracycliques tandis
que les marges bénéficiaires à l’exportation sont procycliques. La politique
optimale implique des ajustements des taux d’imposition afin de renverser cette
tendance, d’aligner toutes les marges au long du cycle économique et de rendre
toutes les marges procycliques. Ces résultats sont conformes aux conclusions des
études qui concentrent le comportement cyclique optimal des marges avec firmes
hétérogènes dans des modèles d’économies fermées (Bilbiie, Ghironi et Melitz,
2019) et ouvertes (Cacciatore et Ghironi, 2020). Pour autant, conditionnellement
à des chocs de productivité agrégés, la dispersion des marges bénéficiaires a
peu d’effets quantitativement en comparaison d’un modèle similaire avec marges
homogènes.

Enfin, dans l’esprit de Edmond, Midrigan et Xu (2015), nous
menons une expérience de libéralisation commerciale par laquelle les coûts du
commerce diminuent progressivement et définitivement à presque zéro. Nous
constatons que les gains de bien-être à long terme sont beaucoup plus
importants lorsque la politique conduite est optimale. D’autre part,
l’équilibre de laisser-faire indique que les gains de bien-être à court terme
sont affectés par la dispersion des marges. En effet, la dispersion des marges
affecte la dynamique de création des entreprises résultant d’une libéralisation
des échanges de manière critique. Comme dans Edmond, Midrigan et Xu (2015), la
dispersion des marges réduit les gains de bien-être à long terme du commerce,
mais pour une raison différente : elle affecte le dynamisme dans la création d’entreprises
et réduit le nombre d’entreprises à long terme. Cependant, puisque dans ce cas,
moins de ressources sont investies à court terme pour créer de nouvelles
entreprises, la consommation augmente davantage à la marge intensive à court et
moyen termes – moins de 10 ans. Alors que les gains de bien-être à long terme
de l’intégration commerciale varient de 12% à 14,5% selon les étalonnages, les
gains de bien-être à court terme avec marges hétérogènes peuvent être jusqu’à 3%
plus importants qu’avec marges homogènes.

Les conclusions de cette étude conduisent à une
approche plus nuancée des marges bénéficiaires des entreprises que celle
habituellement avancée par la littérature. En effet, si ces marges et leur
dispersion ont bien des effets négatifs sur l’économie, elles ont également un
rôle important à jouer dans les phénomènes d’entrée de firmes et de
participation aux marchés internationaux. Nos travaux viennent en complément
d’une approche strictement microéconomique des questions de politique
industrielle, qui conclurait de manière univoque quant à la nocivité des
pouvoirs de marchés à l’origine de ces marges. À ce titre, à la manière de
Schumpeter, ils convoquent une vision plus équilibrée du rôle des marges des
entreprises dans les économies modernes qui ferait état d’une tension entre
distorsions de concurrence et incitations à la création d’entreprises.

Références bibliographiques

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Réduire l’incertitude pour faciliter la reprise économique

par Elliot Aurissergues (Économiste à l’OFCE)

Alors que les contraintes sanitaires engendrées par la pandémie continuent de peser en 2021, l’enjeu est de faire revenir rapidement le PIB et l’emploi à leur niveau d’avant-crise. Cependant, l’incertitude des firmes sur leurs niveaux d’activité et leurs profits dans les années à venir pourrait ralentir la reprise. Pour faire face à de possibles effets négatifs durables de la crise, et alors qu’elles sont fragilisées par leurs pertes de 2020, les entreprises pourraient vouloir restaurer, voire accroître leurs marges, avec, à la clé, de nombreuses restructurations et destructions d’emploi. La reprise économique sera plus rapide si elles ont une réelle visibilité au-delà de 2021. Je propose un mécanisme qui donnerait aux entreprises qui le souhaitent, davantage de visibilité sur leur trésorerie et leur profitabilité à moyen terme, et qui serait peu coûteux à long terme pour les finances publiques.



L’incertitude sur l’après pandémie va peser sur la
reprise

Sur le plan économique, la pandémie
constitue une crise atypique. Elle combine des chocs d’approvisionnement,
d’offre de travail et une baisse largement contrainte de la consommation (Dauvin
et Sampognaro, 2021). Peu d’épisodes récents sont susceptibles de fournir des
points de comparaison utiles aux acteurs économiques. Certains éléments
pointent vers un retour rapide à la normale : le dynamisme de certaines
économies asiatiques, en particulier de l’économie chinoise, la résilience de
l’économie américaine, ou encore la politique budgétaire de l’administration
Biden. D’autres facteurs peuvent à l’inverse limiter la croissance économique dans
les années à venir. Les lourdes pertes de certaines entreprises risquent d’engendrer
une vague de faillites (Guerini et al.,
2020 ; Heyer, 2020), avec de possibles effets négatifs sur la productivité
ou l’emploi de certaines catégories de travailleurs.  Certaines habitudes de consommation
pourraient être durablement modifiées, impactant fortement certains secteurs
comme l’aéronautique ou le commerce de détail. Les trajectoires de certaines
économies émergentes représentent une autre inconnue car elles ne peuvent pas
se permettre le même niveau de soutien budgétaire que les économies américaines
ou européennes. Enfin, la concentration du choc sur des secteurs employant
surtout des travailleurs faiblement qualifiés risque d’accroître les inégalités
à l’intérieur des différents pays et, ainsi, engendrer une nouvelle hausse de
l’épargne au niveau mondial. Certains indicateurs traduisent cette incertitude
toujours forte. Le VIX qui représente la volatilité du prix des actions
américaines, telle qu’anticipée par les acteurs du marché, demeure deux fois
plus élevé qu’avant la crise et est comparable aux niveaux atteints lors de la
crise Dotcom (voir graphique 1). En
France, les climats des affaires et de l’emploi ont fortement rebondi depuis
leur plus bas historique de mars-avril 2020 mais restent au même niveau qu’au
plus bas de la crise de la zone euro en 2012-2013 (voir graphique 2).

La littérature montre que l’incertitude sur la trajectoire de l’économie à moyen terme affecte le comportement des entreprises dès aujourd’hui. En l’identifiant à la volatilité du prix des actions, Bloom (2009) suggère qu’elle a un impact négatif significatif sur le PIB et l’emploi aux États-Unis. De nombreux autres travaux, utilisant des méthodologies différentes, sont venus confirmer cette idée[1]. Après une récession aussi grave que celle de 2020, l’incertitude pourrait avoir des répercussions encore plus importantes.  Des effets habituellement de second ordre peuvent suffire à faire dérailler la reprise économique.

Une proposition pour donner de la visibilité aux
entreprises

Les mesures du plan de relance actuel
portent essentiellement sur 2021 et 2022 et n’offrent pas une visibilité aux
entreprises sur leur activité ou leur trésorerie au-delà de 2022. Il est vrai
qu’il est difficile pour le gouvernement actuel d’engager des dépenses
importantes que devront assumer les futurs gouvernements. Il est cependant
possible d’envisager des mesures relativement fortes mais dont le coût
budgétaire sur les dix prochaines années (et donc l’impact sur la marge de
manœuvre budgétaire des futurs gouvernements) serait limité.

Proposition : Donner aux
entreprises l’option suivante :
une subvention de 10% de la masse salariale sous 3 SMIC entre 2022 et 2026 en
échange d’un impôt supplémentaire de 5% sur l’excédent brut d’exploitation (EBE)
sur la période 2022-2030.

Pour les entreprises demandant à en bénéficier,
ce dispositif est l’équivalent fiscal
d’une recapitalisation temporaire
. Elles échangent une subvention
aujourd’hui contre une fraction de leurs bénéfices demain. Le coût du capital implicite
serait particulièrement attractif. Le dispositif est calibré pour que son
« taux d’intérêt » (donné par le ratio entre la somme des taxes
supplémentaires sur 2022-2030 et la somme des subventions sur 2022-2026) soit proche
de 0% pour une entreprise française « moyenne ». Ce taux serait plus
faible a posteriori pour les entreprises qui auront moins bien performé que
prévu. Par rapport à d’autres méthodes de recapitalisation comme les
prises de participations directes de la puissance publique ou la transformation
des prêts en quasi fonds propres, il n’y a pas de risque de perte de contrôle
de l’entreprise pour les actionnaires actuels.

L’avantage du dispositif est qu’il cible
automatiquement les entreprises qui en ont le plus besoin. Les entreprises
anticipant de possibles difficultés économiques durant les prochaines années,
et les activités à forte intensité en emploi, vont s’auto-sélectionner, les
autres n’ayant pas intérêt à demander la subvention. Celle-ci étant décaissée
progressivement, les entreprises qui maintiennent durablement l’emploi sur la
période seront favorisées. Les entreprises à forte intensité de capital ou à
forte croissance ne seraient pas pénalisées puisque le dispositif resterait
optionnel. La taxe additionnelle sur l’EBE est temporaire et ne devrait pas
avoir d’effets négatifs sur l’investissement des entreprises demandeuses.

Le coût en terme de dette publique à
l’horizon 2030 serait faible. Sur les 8 ans, le dispositif coûterait environ 10
milliards[2]
d’euros, soit 0,4 point de PIB, si toutes les entreprises demandaient à en
bénéficier. L’effet d’auto-sélection des entreprises accroîtrait le coût moyen
par entreprise bénéficiaire mais en diminuerait aussi le nombre et aurait donc
un impact ambigu sur le coût total. Celui-ci ne prend pas en compte les effets
bénéfiques du dispositif sur les finances publiques s’il permet d’éviter des
destructions d’emploi ou le non remboursement de certains prêts garantis. L’impulsion
budgétaire sur 2022-2025 pourrait être en revanche assez forte, de l’ordre de 1
à 1,5 point de PIB par an (soit de 4 à 6 points de PIB sur les 4 ans) mais serait
contrebalancé par un surcroît automatique de recettes sur 2025-2030[3].

Bibliographie

Bachmann R, S. Elstner et E. Sims, 2013, « Uncertainty and Economic Activity: Evidence from
Business Survey Data », AEJ  macroeconomics,
https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/mac.5.2.217

Belianska A, A. Eyquem et C. Poilly, 2021, « The Transmission Channels of Government Spending Uncertainty », working paper, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03160370

Bloom N., 2009, « The impact of uncertainty shocks », Econometrica, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.3982/ECTA6248

Dauvin M et R. Sampognaro, 2021, « Dans Les Coulisses du Confinement: Modélisation de chocs simultanes d’offre et de demande », OFCE working papers, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/OFCEWP2021-05.pdf

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J. et P. Guerron-Quintana, 2011, « Risk Matters: The
Real Effects of Volatility Shocks », American Economic Review, https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.101.6.2530

Fernandez-Villaverde
J. et P. Guerron-Quintana, 2015, « Fiscal volatility
shocks and economic activity », American Economic Review, https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20121236

Guerini M., L. Nesta, X. ragot et S.
Schiavo, 2020, « Firm liquidity and solvency under the
Covid-19 lockdown in France
 », OFCE
politcy brief
, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief76.pdf

Heyer E., 2020, « Défaillances d’entreprises et destructions d’emplois: une estimation de la relation sur données macro-sectorielles », Revue de l’OFCE, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/7-168OFCE.pdf


[1] Fernandez-Villaverde,
Guerron-Quintana, Rubio-Ramirez et Uribe (2011) montrent qu’une volatilité
accrue des taux d’intérêt a des effets déstabilisants sur les économies
d’Amérique latine. Ces mêmes auteurs suggèrent, dans un article de 2015, qu’une
incertitude accrue sur la future politique budgétaire américaine conduit les
entreprises à accroître leurs marges, réduisant l’activité économique. Ce
résultat est confirmé par Belianska, Eyquem et Poilly (2021) pour la zone euro.
En utilisant les enquêtes sur la confiance des consommateurs, Bachmann et Sims
(2012) montrent que des consommateurs pessimistes réduisent l’efficacité de la
politique budgétaire en période de récession. Enfin, l’incertitude des chefs
d’entreprises a un impact négatif sur la production comme le montrent les
données allemandes mobilisées par Bachmann, Elstner et Sims (2013).

[2] La masse salariale sous 3 SMIC était en 2019 de
l’ordre de 480 mds d’euros (le total des salaires et traitements bruts
représentaient 640 mds d’euros pour les sociétés non financières et les
dernières données de l’INSEE suggèrent que les salaires sous 3 SMIC
représentent 75% de la masse salariale, montant qui par ailleurs semble
cohérent avec les données sur le coût du CICE). L’EBE des sociétés non
financières était de 420 mds d’euros. En se basant sur ces chiffres 2019 et si
toutes les entreprises demandaient à bénéficier du dispositif, la subvention
totale s’élèverait à 0,1*480*4 soit 196 mds d’euros. L’impôt sur l’EBE
rapporterait sous les mêmes hypothèses 0,05*420*8+0,05*196 (5% de la subvention
sera récupérée via le surcroît d’EBE)
soit 186 mds d’euros.

[3] Ce surcroît de recettes fiscales ne devrait pas
pénaliser l’activité sur cette période car (i) il concernera les revenus du
capital pour lesquels la propension marginale à consommer est plutôt faible et
(ii) il devrait être correctement anticipé par les entreprises bénéficiaires.




Quels sont les facteurs de la hausse des dettes publiques en zone euro de 1999 à 2019 ?

par Pierre Aldama

Entre 1999 et 2019, à la veille de la pandémie de la Covid-19, les dettes
publiques avaient augmenté en moyenne de 20 points de PIB dans les 11 plus
anciens membres de la zone euro. Cette hausse des dettes publiques est
communément attribuée aux déficits budgétaires structurels, en particulier ceux
d’avant-crise et dans les pays du « Sud ». Cependant, quelle est
vraiment la part du stock de dette publique en 2019 que l’on peut attribuer aux
déficits structurels, et celles qui sont attribuables à la croissance du PIB, à
la charge d’intérêts ou aux déficits conjoncturels ? Dans ce billet, on décompose
les variations de dette publique à partir de l’édition de décembre 2020 de l’Economic
Outlook de l’OCDE, selon ses principaux facteurs : soldes primaires
structurel et conjoncturel, charge d’intérêt, croissance du PIB nominal et
ajustements flux-stock. On montre que la contribution des déficits structurels
est généralement moins forte que communément admise et que la hausse des
dettes publiques sur la période est largement le résultat des conséquences
directes et indirectes de la double récession en zone euro.



À la veille de la crise
engendrée par la pandémie de Covid-19, le niveau moyen de la dette publique (au
sens de Maastricht) des 11 pays les plus anciens de la zone euro était de 92%
du PIB. Entre 1999 et 2019, la hausse moyenne de la dette publique dans ces 11
pays a été de 20 points de PIB, avec cependant une forte hétérogénéité (Figure
1). D’un côté, un premier groupe de pays dits « vertueux » − Allemagne,
Pays-Bas, Autriche, Finlande et Irlande − ont ramené leurs ratios d’endettement
à leur niveau de 1999, à 60% du PIB, voire à un niveau inférieur. De l’autre,
des pays dont la dette publique s’est accrue − France, Espagne, Grèce et Portugal

ou maintenue à un niveau élevé − Belgique, Italie. Peut-on en déduire
simplement qu’il y a d’un côté des pays-fourmis et de l’autre des
pays-cigales ? Sans doute pas.

En effet, tous les pays ne sont
pas entrés dans l’UEM avec les mêmes niveaux d’endettement : leur point de
départ biaise donc le constat dans la mesure où il n’informe pas de la nature
structurelle, cyclique ou liée à la dynamique des charges d’intérêt de la
politique budgétaire effectivement menée de 1999 à 2019. La hausse des dettes
publiques dans les pays cigales est-elle largement attribuable à l’accumulation
des déficits structurels, ou au contraire, à des facteurs conjoncturels et aux
conséquences des récessions en zone euro (2008-2010 et 2011-2013) ?

Dans ce billet, on décompose les variations de dette publique à partir de
l’édition de décembre 2020 de l’Economic
Outlook
de l’OCDE, selon ses principaux facteurs : soldes primaires
structurel et conjoncturel, charge d’intérêt, croissance du PIB nominal et
ajustements flux-stock. On montre que la contribution des déficits structurels
est généralement moins forte que communément admise et que la hausse des
dettes publiques sur la période est largement le résultat des conséquences
directes et indirectes de la double récession en zone euro.

La décomposition comptable de la dynamique de la dette publique

La variation de la dette publique
(en pourcentage du PIB) entre l’année t
et l’année t-1 peut se décomposer
selon 5 grands facteurs, à partir de l’équation suivante :

rt / (1+yt) dt-1 est l’effet de la charge d’intérêts, –yt / (1+yt)dt-1 est l’effet de la croissance du PIB nominal (et la somme des deux termes est le fameux effet boule-de-neige[1] de la dette publique), sptcyc est la composante cyclique du solde budgétaire primaire (hors-charge d’intérêts), sptstruc est le solde primaire structurel (ou ajusté de l’écart de production) et afst sont les ajustements flux-stock, c’est-à-dire les opérations sur l’actif et le passif des APU (Administrations publiques) qui ne sont pas comptabilisées dans le solde primaire.

Finalement, en cumulant
chacun de ces termes, on calcule les contributions à la variation totale de la
dette publique entre 1999 et 2019 (Figure 2) et année après année (Figure 3).
Enfin, les Figures 4A et 4B présentent des décompositions de la dette publique
analogues à la Figure 2 mais sur deux sous-périodes : 1999-2008 et
2008-2019.

Les cicatrices de la double récession de 2008-2010 et de
2011-2013 en zone euro

La hausse des dettes
publiques en UEM est largement expliquée par les effets conjoncturels de la
double récession de 2008-2010 et de 2011-2013 (Figure 3). Entre 2008 et 2019,
parmi les trois pays qui enregistrent les plus fortes hausses de dette publique
(Grèce, Espagne, Portugal), la hausse de l’endettement s’explique
majoritairement par des déficits primaires conjoncturels et par l’effet
boule-de-neige. La Grèce est un exemple frappant à cet égard dans la mesure où
l’effet boule-de-neige représente près des 3/5 de la hausse de la dette
publique entre 1999 et 2019, et cet effet est principalement concentré entre
2008 et 2019, avec l’effondrement du PIB en niveau. À
l’inverse, l’apparent « miracle » irlandais s’explique en réalité par
un effet massif de la croissance nominale en 2015, qui s’explique quant à lui
par la
relocalisation d’actifs immatériels existants en Irlande par des
multinationales
.

Par ailleurs, l’éventuelle contribution positive des déficits structurels à la croissance de la dette pendant la crise de 2008-2010 constitue en réalité une réponse contracyclique optimale de la politique budgétaire pendant la récession, et ne peut être interprétée en soi comme un manque de sérieux budgétaire. Ce n’est cependant le cas que dans moins de la moitié des pays étudiés : Espagne, Pays-Bas, France, Autriche, Irlande, et cela reflète en large partie pour les autres pays la pro-cyclicité des politiques budgétaires discrétionnaires en zone euro sur la période (Aldama et Creel, 2020).

Enfin, d’une façon générale,
la contribution des Ajustements Flux-Stocks s’accroît fortement après la crise
de 2008, principalement en raison au plan de sauvetage du secteur bancaire.
Dans le cas de la Grèce, la contribution négative des AFS correspond largement
au défaut de 2012.

Excédents du Nord vs. déficits
structurels du Sud de la zone euro ?

Sur la période 1999-2019, il apparaît que seulement trois pays (France, Irlande et Portugal) ont une contribution positive des déficits primaires structurels à la croissance de leur dette publique. Remarquablement, la Grèce aussi bien que l’Italie se distinguent de ces pays par une contribution négative du fait de leurs excédents structurels primaires, et on le verra par la suite, notamment du fait de l’ajustement budgétaire structurel réalisé depuis 2010 dans le cas de la Grèce. La Belgique, fortement endettée à son entrée dans l’UEM (114% du PIB) se caractérise également par une forte contribution négative de son solde primaire structurel à la croissance de la dette.

Dans le cas de la
Grèce, on observe notamment la forte baisse de la contribution du solde
structurel primaire, qui devient même négative en 2019 : en d’autres
termes, après 2010 la Grèce a plus que compensé l’effet de ses déficits
primaires structurels antérieurs. De façon encore plus remarquable, l’Italie a
mené sur l’ensemble de la période une
politique budgétaire très rigoureuse, dans la mesure où la contribution
(négative) de son excédent structurel primaire n’a cessé de s’accroître en
valeur absolue. Dans une situation intermédiaire, le Portugal a commencé à
dégager des excédents primaires structurels, sans pour autant annuler l’effet
des déficits antérieurs à 2010. L’Irlande, parfois présentée comme la
« bonne élève » de la zone euro à la suite de la crise de 2010, n’a
pas compensé les déficits structurels enregistrés pendant la crise par des
excédents structurels post-crise (la contribution à la variation de la dette
étant stable).

Si on se focalise sur
la période pré-2008 (Figure 4A) et sur les pays dits du « Sud », là
encore, seuls la Grèce et le Portugal ont vu une contribution positive de leurs
déficits structurels à la croissance de la dette, tandis que l’Irlande,
l’Italie et l’Espagne enregistraient une contribution négative de leurs
excédents structurels primaires.

Du côté du couple
franco-allemand, la divergence est nette. La rigueur budgétaire allemande
apparaît presque extrême : même à la suite de la crise de 2008-2010, le
solde structurel primaire de l’État fédéral n’a pas
contribué positivement à la croissance de la dette, traduisant une très faible
politique discrétionnaire contracyclique (le solde structurel allemand s’est
creusé de 1 point de PIB en 2010). À l’inverse dans le cas
de la France, une bonne partie de la variation de la dette publique
s’expliquerait par les déficits structurels enregistrés aussi bien avant qu’après 2008 (Figures 4A et 4B), avec cependant
un ralentissement dans la seconde moitié des années 2010 (Figure 3). Ainsi sur
les 37 points de PIB de dette publique accumulés depuis 1999, près de 26 points
proviendraient des déficits structurels accumulés sur la période.

Bien entendu, la distinction
entre solde structurel et solde conjoncturel repose de manière critique sur
l’estimation du niveau de PIB « potentiel », c’est-à-dire de pleine
utilisation des facteurs de production, sans pressions inflationnistes. Cette
mesure est sujette à une forte incertitude et à de nombreuses critiques, comme
par exemple une trop grande sensibilité au cycle macroéconomique et à des
chocs de demande (Coibion
et al. 2018
, Fatas et Summers 2018).
Certains de ces travaux suggèrent que le niveau potentiel de l’activité
pourrait être sous-estimé. Ainsi, le biais vraisemblable dans les estimations
de PIB potentiel doit nous prévenir contre toute interprétation définitive sur
la nature structurelle vs.
conjoncturelle des déficits ou des excédents budgétaires.[2]

***

Si les dettes publiques
ont globalement augmenté en zone euro depuis 1999, ce sont les conséquences
directes et indirectes de la crise de 2008, à travers les déficits
conjoncturels, l’aggravation de l’effet boule de neige et de la faiblesse structurelle de la croissance dans
certains pays du Sud, qui en explique une large partie.

Au contraire, parmi les
pays les plus endettés aujourd’hui, la plupart ont dégagé de forts excédents
structurels primaires sur la période, tels que l’Italie ou la Belgique. La
Grèce a même plus que compensé la contribution positive de ses déficits
structurels passés. De quoi torde le coup à une grille de lecture encore trop
souvent mobilisée, celle du Nord contre le Sud, ou de la rigueur contre le
laxisme budgétaire : elle ne survit pas à une analyse simplement comptable
de la dynamique de la dette publique.


[1] L’effet
boule-de-neige de la dette publique est l’effet du différentiel  entre le taux d’intérêt payé sur le stock de
dette accumulé  et le taux de croissance de l’économie. Si ce
différentiel est positif, la dette publique tend alors à s’accroître
mécaniquement, pour un solde budgétaire primaire donné ; inversement, s’il est
négatif, la dette publique tend à se réduire mécaniquement.

[2]
Cependant en se basant sur l’Economic
Outlook
de l’OCDE, on bénéficie d’une approche homogène selon les pays, et
donc avec un biais relativement uniforme entre eux. Par ailleurs, la mesure du
PIB potentiel utilisée par l’OCDE serait vraisemblablement moins
cyclique que celles du FMI et de la Commission européenne
.