Perspectives de rentrée pour l’économie française 2021-2022 : la vague de la reprise

Par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro, sous la direction de Eric Heyer et Xavier Timbeau [1]

L’économie française a connu l’année dernière un choc récessif sans précédent depuis l’après-guerre, enregistrant une perte d’activité de 8 points de PIB. Marqué par le calendrier des mesures prophylactiques depuis le début de la crise sanitaire, le PIB a connu des chutes et des rebonds de grande ampleur, notamment pendant le premier confinement et la période post-confinement du printemps-été 2020. Depuis le troisième trimestre 2020, l’économie fonctionne en sous-régime, avec des pertes particulièrement marquées dans certains secteurs (hôtellerie-restauration, services et fabrication de matériels de transports, services aux ménages), et oscille, depuis un an, à un niveau de PIB trimestriel compris entre – 4 % et – 3 %, par rapport à la période pré-Covid.  C’est bien supérieur aux -18 % du deuxième trimestre 2020, et même aux -6 % du premier trimestre 2020, qui pourtant ne comportaient que 15 jours de confinement. Cette chute de l’activité au premier semestre 2020 a été bien plus marquée que celle de la moyenne de la zone euro et a impacté très négativement l’année 2020. Ainsi, 50 % des pertes accumulées depuis un an et demi ont été réalisées lors du premier confinement qui aura duré 8 semaines.  



Depuis le troisième trimestre 2020, la France enregistre moins de pertes de PIB que la moyenne de la zone euro (hors France) (graphique 1). La gestion sanitaire et économique a largement évolué au cours du temps et le « quoi qu’il en coûte » s’est renforcé couvrant mieux les pertes des entreprises, notamment les charges liées aux coûts fixes. Au deuxième trimestre 2021, les pertes de PIB étaient identiques à celle du troisième trimestre 2020 alors même que les contraintes sanitaires étaient très différentes entre ces deux périodes. Rappelons que le deuxième trimestre 2021 a été marqué par quatre semaines de confinement et un couvre-feu jusqu’au 20 juin alors qu’à l’inverse, à l’été 2020, il y avait peu de restrictions sanitaires. L’économie française a su s’adapter aux contraintes sanitaires au cours du temps, limitant les pertes économiques malgré les mesures prophylactiques. Les pertes sont désormais très concentrées dans les secteurs liés au tourisme et ceux à forte interaction sociale. Ainsi, sur le cumul des six trimestres depuis le début de la crise, plus de 100 % des pertes d’excédent brut d’exploitation (EBE) du secteur marchand non financier étaient concentrées dans quatre branches : services de transport, fabrication de matériels de transport, construction et hôtellerie-restauration. Ces quatre branches ne représentent que 17 % de l’EBE du secteur marchand non financier.

Le « quoi qu’il en coûte » à la rescousse des bilans privés

Depuis le début de la crise, sur la période allant du premier trimestre 2020 au deuxième trimestre 2021, l’économie français a enregistré près de 180 milliards de pertes de revenu (Tableau 1). Plus de 90 % du choc global a été encaissé par les administrations publiques (APU), par le biais des stabilisateurs automatiques et la mise en place des mesures d’urgence et de relance, conduisant à une dégradation du déficit public moyen de 6,3 points de PIB sur la période (par rapport à 2019).

Du côté des ménages, leur RDB a augmenté de 45 milliards au cours des six trimestres (19 milliards si l’on retire les effets de l’inflation). Avec une consommation largement contrainte, les ménages ont accumulé 151 milliards d’ « épargne-Covid » sur la période, avec encore plus de 50 milliards sur le seul premier semestre 2021. Et selon les comptes de patrimoine financier de 2020, 70 % de cette « épargne-Covid » sont des supports liquides et rapidement mobilisables.

Malgré les dispositifs exceptionnels mis en place pour limiter les pertes économiques des agents privés, les entreprises (SNF-SF) ont encaissé une baisse de revenu de 55 milliards au cours des six derniers trimestres. En raison d’une baisse de l’investissement des entreprises de 4 % en moyenne sur la période, les nouveaux besoins de financement des entreprises ont été de 0,6 point de PIB, soit 20 milliards sur six trimestres.

Enfin, l’économie française enregistre un nouveau besoin de financement vis-à-vis du reste du monde de 2 points de PIB au cours des six trimestres, en raison de sa spécialisation sectorielle dans les matériels de transport et le tourisme, ainsi que de la baisse des revenus tirés du stock d’investissements directs à l’étranger détenus par les résidents.

La levée des contraintes sanitaires génère un vif rebond de l’économie

Les données de la première moitié de l’année 2021 confirment ce que l’on observe depuis le second semestre 2020, c’est-à-dire un découplage entre la consommation en « services contraints », qui regroupent l’hôtellerie-restauration, les services de transport et les services aux ménages, et le reste de la consommation. Avec la levée progressive des mesures prophylactiques depuis la fin juin, et malgré la mise en place d’un passe sanitaire cet été, la consommation des ménages serait, par rapport à la situation pré-Covid, à -2 % au deuxième trimestre 2021[2] (après – 7 % au cours des trois trimestres précédents), soit un niveau identique à celui du troisième trimestre 2020 (Graphique 2). Ainsi, l’essentiel des pertes de consommation sont attribuables aux services contraints qui ne représentent pourtant que 15 % de la consommation des ménages. Le rebond de la consommation au troisième trimestre 2021, tiré par celle en « services contraints » se poursuivrait en supposant un retour à la « normale » pour l’ensemble des secteurs au second semestre 2022, date à laquelle la consommation en services « contraints » retrouverait son niveau pré-Covid. La consommation des autres branches évoluerait sur une « tendance » proche de celle d’avant-crise. La consommation totale serait fin 2021, -0,4 % en-dessous de celle de fin 2019, et atteindrait +2,7 % fin 2022[3].

Il est utile de rappeler que les hypothèses sur la politique publique pour l’année 2022 sont réalisées avec l’information disponible au 16 septembre 2021. L’introduction des éléments du Projet de loi de finances sera réalisée pour la prévision d’octobre 2021.

Malgré le confinement du mois d’avril et le maintien d’un couvre-feu jusqu’en juin 2021, l’investissement total était au deuxième trimestre 2021 revenu à un niveau légèrement supérieur à celui d’avant-crise. Cela révèle le fait que les entreprises n’ont pas anticipé une chute durable de l’activité, considérant que cette crise, bien que très intense, n’était pas durable. L’enquête sur l’investissement dans l’industrie de septembre 2021, qui est très bien orientée, confirme ce sentiment. Cela révèle également que la situation financière des entreprises a été relativement préservée et n’ampute pas significativement leur capacité à investir. La reprise de l’investissement est particulièrement marquée dans l’investissement en information-communication : il était, au deuxième trimestre 2021, 7 % au-dessus de son niveau d’avant-crise, ce qui montre que les entreprises ont profité de cette crise pour accélérer leur transformation numérique et digitale. Cet effet pourrait avoir des conséquences positives sur la productivité du travail et la croissance potentielle.

Au-delà du deuxième trimestre 2021, l’investissement continuerait à augmenter mais à un rythme légèrement moins rapide que celui qu’on observe depuis l’été 2020. Tiré par la baisse des impôts sur la production et le volet investissement du Plan de relance, avec notamment la rénovation thermique des bâtiments et le numérique, l’investissement total serait 3 % au-dessus de son niveau pré-Covid au second semestre 2021 et 7 % au second semestre 2022.

La trajectoire de consommation des ménages et celle de l’investissement pour les trimestres à venir, à laquelle s’ajoute celle de la consommation des APU, tirée par les dépenses de santé, d’éducation et de sécurité, conduiraient à une croissance du PIB de 2,4 % au troisième trimestre 2021 puis une croissance comprise entre 0,7 % et 0,8 % les trimestres suivants. La croissance annuelle du PIB serait de 6,3 % en 2021 et de 4 % en 2022 (Tableau 3). La contribution cumulée du commerce extérieure et des variations de stocks serait nulle sur 2021 et 2022, après avoir contribué négativement de 1 point de PIB en 2020.  Un redressement plus rapide du secteur aéronautique et du tourisme international, notamment d’affaires, pourrait conduire à une contribution positive du commerce extérieur, scénario qui n’a pas été retenu dans notre prévision.

Une croissance sans désépargne

Ce scénario de croissance correspond à un retour progressif du taux d’épargne des ménages à son niveau d’avant-crise d’ici au second semestre 2022. Ainsi, les ménages disposeraient de 177 milliards d’euros d’« épargne-Covid » à la fin de l’année 2021 (et 200 milliards à la fin 2022), soit 11,5 points de RDB annuel (et 12,7 points de RDB annuel) (Graphique 3). Ce scénario dans lequel l’épargne accumulée est thésaurisée et n’est jamais désépargnée sous-tend que les ménages ont un comportement « ricardien » très fort dans lequel ils anticipent que leur « épargne-Covid », résultat de l’intervention publique pour maintenir les revenus dans la crise, serait totalement absorbée par des hausses d’impôts futurs ou des réductions de transferts publics afin d’éponger la dette Covid. C’est le scénario que nous avons retenu ici mais nous analyserons ultérieurement, dans une publication complémentaire, un scénario alternatif dans lequel les ménages désépargneraient 20 % de l’ « épargne-Covid » accumulée. Ce scénario alternatif, tout aussi probable, peut être envisagé pour un certain nombre d’arguments : une grande part de cette épargne est liquide et donc facilement mobilisable pour consommer, elle est « subie » et non « désirée »; les perspectives sanitaires et sur le marché du travail sont favorables, et le gouvernement n’a pas annoncé d’austérité budgétaire ou fiscale. Comme nous le verrons dans la prochaine publication, ce scénario de désépargne conduirait à des effets plus favorables sur la croissance, le marché du travail et les finances publiques mais aussi à une dynamique des salaires et des prix plus élevée.

Un retour sur PIB vers son long terme et la bonne tenue de l’investissement permettent de limiter les pertes sur les capacités de production potentielles

Fin 2021, le PIB serait proche de son niveau d’avant-crise (-0,2 %) et serait, fin 2022, 2,9 % au-dessus de celui-ci. En revanche, par rapport à son évolution tendancielle (+1,2 % / an et sans perte de PIB liée à la crise), le PIB accuserait encore un retard de 3,2 % fin 2021 et de 1,3 % fin 2022 (graphique 4). En revanche, dans le scénario avec 20 % de désépargne que nous étudierons ultérieurement, le PIB pourrait passer au-dessus de son niveau tendanciel, ce qui pourrait être à l’origine d’un regain d’inflation. Par ailleurs, la moindre accumulation de capital productif, privé et public, par rapport à un scénario d’évolution tendancielle de l’économie conduirait à réduire le PIB potentiel de moyen terme de 0,5 % fin 2021. En revanche, la hausse significative de l’investissement net de la consommation de capital fixe conduirait à une progression du stock de capital productif supérieure à celle de la trajectoire du PIB tendanciel en 2022. Ainsi les pertes sur le PIB potentiel de moyen terme se réduiraient et seraient ramenées à -0,3 % fin 2022.

Un déficit qui se réduit en 2022 mais qui reste largement au-dessus de celui d’avant-crise

Sur l’ensemble de la période 2020-2022, selon les informations disponibles au 16 septembre, les mesures d’urgence et de relance représenteraient un coût direct pour les finances publiques, hors prise en charge par le Fonds de relance européen, de 230 milliards d’euros (9,5 points de PIB), dont environ la moitié serait déployée sur l’année 2021 (4,7 points de PIB). Les principaux dispositifs sur la période 2020-22 concernent le soutien aux entreprises (3,5 points de PIB) (Fonds de solidarité, exonérations de cotisations sociales, dispositif de renforcement des fonds propres, baisse durable des impôts sur la production…), les mesures pour soutenir l’emploi (2,2 points de PIB) (Activité partielle, Plan 1 jeune 1 Emploi…) et des mesures exceptionnelles liées à la santé (1,8 points de PIB) (Urgence sanitaire, Ségur de la Santé). Enfin, une part significative du plan de relance est orientée vers l’investissement dans les infrastructures publiques (0,6 points de PIB) (rénovation thermique, numérique…) et l’aide aux ménages modestes (0,6 points de PIB).

En 2021, malgré une croissance que nous prévoyons de 6,3 %, le PIB serait encore en-dessous de la trajectoire du PIB tendanciel pré-Covid-19, dégradant le déficit public conjoncturel de 1,4 point de PIB. Si l’on inclut le coût budgétaire attendu des mesures d’urgence et de relance (4,7 points de PIB), et les effets des mesures prises hors plan de relance (baisse d’IS et de la taxe d’habitation, Ségur de la Santé, revalorisation des salaires des enseignants, Beauvau de la Sécurité…), le déficit public s’établirait à 8,5 % du PIB en 2021. Une partie des dépenses du Plan de relance français doivent être prises en charge par des transferts issus du Plan de relance européen, pour un montant prévu de 0,7 point de PIB (le déficit public, hors financement européen, serait donc de 9,2 % du PIB). La dette publique passerait de 115 %  du PIB en 2020 à 116 % du PIB en 2021 (Tableau 4).

En 2022, avec une croissance attendue à 4 % et des mesures issues du Plan de relance représentant 1,5 point de PIB, le déficit public se réduirait à 4,9% du PIB et la dette publique baisserait à 115 % du PIB. Nous supposons en 2022 une prise en charge équivalente à celle de 2021 du Plan de relance français par les fonds européens, soit 0,7 point de PIB. En revanche, la trajectoire prévue des finances publiques n’intègre pas certaines nouvelles mesures qui auraient un impact significatif sur les comptes publics dès 2022, telles que le Plan d’investissement (entre 20 et 30 milliards sur 5 ans) et le Revenu d’engagement pour les jeunes (entre 1,5 et 2 milliards).

À l’inverse, il est important de noter que la dette brute des APU a davantage augmenté que le déficit public en 2020, en raison de l’accumulation de numéraire et dépôts à l’actif financier des APU pour faire face aux risques et incertitudes liés à la crise (provisions pour risques de défaut sur le PGE, recapitalisations potentielles, prêts…). Cet écart entre déficit et variation de dette représente 75 milliards d’euros (3,1 points de PIB). Dans les années à venir, dans un scénario de stabilisation de l’économie sans défauts massifs, les montants à l’actif des APU devraient être réduits , ce qui devrait diminuer d’autant la dette brute, hypothèse dont nous ne tenons pas compte dans la prévision actuelle.


[1] Cette prévision est réalisée sur la base des informations connues au 16 septembre 2021, avant la publication du Projet de loi de finances pour 2022. En fonction des nouvelles informations budgétaires à venir et de l’évolution de l’environnement économique, cette prévision pourrait être amenée à être révisée d’ici à la mi-octobre, et sera complétée par des nouvelles analyses.

[2] Nous avons calibré à très court terme (de juillet à septembre 2021) la consommation des ménages par branche sur les informations conjoncturelles fournies par l’Insee dans son Point de conjoncture du 7 septembre 2021 : « L’économie passe la quatrième vague ».

[3]  Elle serait donc encore fin 2022 à 1 % en-dessous de son niveau tendanciel si l’on suppose que celle-ci avait évolué comme la croissance du PIB tendanciel d’avant-crise.






Fiscal-Monetary Crosswinds in the Euro Area

By Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco, and Matthieu Tarbé

Abstract

Monetary policy – conventional
or unconventional – has fiscal implications. By affecting interest rates,
inflation and output, it relaxes or tightens the general government budget
constraint. The effect on inflation is then the result of the combined action
of monetary policy and the fiscal response to it via the adjustment of the
primary deficit. In a recent paper, we estimate the fiscal responses to conventional
and unconventional monetary policy in the four largest countries of the euro
area. We find a positive primary deficit response to conventional short-term
interest rate easing. In contrast to this fiscal-monetary coordination in the
conventional case, fiscal responses to unconventional monetary policy easing are
muted. They generate crosswinds, which is consistent with the more modest
impact of unconventional monetary policy on inflation.

Inflation
in the euro area as a joint fiscal-monetary phenomenon

The topic of
coordination between monetary and fiscal policy has become the focus of policy
discussion in recent years (Draghi, 2014, Lagarde, 2020, Schnabel, 2021). One
reason is that there is limited space for traditional monetary policy based on
steering the short-term interest rate when the latter is at or close to the
effective lower bound (ELB). Many recent papers have advocated mechanisms to
implement a coherent a monetary-fiscal policy mix (see for example the policy
report by Barsch et al 2021).

Empirically,
there is limited knowledge about how the combination of monetary and fiscal
policy affects inflation. This is a complex topic since there are multiple
channels of interaction. Monetary policy, by affecting interest rates, output
and inflation has an impact on the government’s budget constraint. The response
of fiscal authorities via the adjustment of the primary deficit depends on the
fiscal framework or their stabilization objectives. The effect on inflation
depends on the combined effects of fiscal and monetary actions as these affect
the adjustment which is required to satisfy the intertemporal budget constraint
of the consolidated government sector (central bank and governments). This is the
consequence of the constraint being a binding identity which depends on
inflation, returns on government debt and primary surpluses.

In the
governance of the Euro Area (EA), the central bank is an independent
institution and the treaties have delegated to it the responsibility for price
stability. As a consequence, the budget constraints of the central bank and
governments must be thought as separate ex-ante. However – ex-post – what
matters to understand the dynamics of inflation is the consolidated budget
constraint of the central bank and the nineteen fiscal authorities. Therefore,
if we want to understand the causes of the under-shooting of the inflation
target since 2013 in the European Monetary Union (EMU), we need to consider how
primary deficits and returns have responded to monetary policy.

In a recent paper (Reichlin, Ricco, Tarbé,
2021) we estimated empirically the response of fiscal variables, inflation and
the market value of government debt to monetary policy changes affecting the short-term
rate (traditional policy) or long-term rates (forward guidance or quantitative
easing). Beside estimating VAR-based impulse response functions, we used the
intertemporal budget constraint identity to obtain a decomposition of unexpected
inflation (conditional on monetary policy) into several components: the primary
deficit, returns on the market value of government debt, and output growth. We
modelled this relationship using euro area aggregate data and a newly
constructed dataset for France, Germany, Italy and Spain.

Our framework is inspired by Hall and Sargent
(1997) and Cochrane (2019, 2020). Common to their approach is to start from the
general government intertemporal budget constraint as an equilibrium identity
linking the market value of the debt to future discounted primary surpluses.

From that budget constraint, one can obtain a linearized
identity that, in words, is of the following shape:

Inflation
(impact) – Nominal Returns (impact) =


(cumulated Surplus + cumulated Growth)

+
(cumulated future Nominal Returns – cumulated future Inflation),

where each term is to be thought of as an
unexpected change.

The intuition is that an unexpected contemporaneous
increase in inflation – if not matched by a movement in contemporaneous returns
– has to correspond to either a decline in the (cumulated) surplus to GDP
ratios, or a decline in cumulated GDP growth, or a rise in the discount rates[1].
These adjustments in the aggregate can happen as a combination of symmetric or
asymmetric changes at the country level.

Since this identity involves bond returns,
inflation and fiscal variables, it can be used to learn about the
fiscal-monetary adjustment dynamics in an otherwise unrestricted empirical model.

To apply this framework to the euro area we
need to extend it to the case of a single central bank and multiple fiscal
authorities.

We focus on a stylised description of the EMU
in which each country can issue debt and hence faces different market rates
(and returns). Inflation at the euro area level is determined by the aggregate
fiscal and monetary stance, and the aggregate fiscal stance is the sum of the
fiscal positions of individual states that may or may not balance their budgets
independently, and take inflation as given. Such a description is open to
nuances such as divergences in the national inflation rates in the medium-run,
and fiscal transfers across countries to help balancing out national fiscal
imbalances. Whether such mechanisms operate or not is an entirely empirical
matter.

Conventional
monetary policy and the fiscal stance

We identify the shocks in the model using a
combination of sign restrictions, as in Uhlig (2005), and the recently proposed
narrative sign restrictions of Antolin-Diaz and Rubio-Ramirez (2018). In
addition to traditional sign restrictions, we constrain an expansionary
conventional monetary policy shock (MP) to have a negative impact on the short-
and long-term interest rates, a positive impact on output, and a positive
impact on inflation and inflation expectations for the first three quarters (inflation
moving by a larger amount). We separately identify the MP and unconventional
monetary policy shocks (UMP) based on their differential impacts on the yield
curve. The MP shock is assumed to move short term interest rates by a larger
amount than long term rates, leading to a steepening of the yield curve. The
UMP shock has the opposite effect on the slope. We also assume that monetary
policy shocks are neutral and do not affect real GDP, in the long-run.[2]

A first set of results pertains to
conventional monetary policy (Figure 1). GDP and inflation respond as expected:
there is a hump-shaped impact on GDP, peaking at about 0.1% in the second year,
and an immediate impact on inflation and inflation expectations. In line with
the transitory nature of the shock, the impact on long-term yields is both
small in magnitude and short lived.

What is more interesting for our discussion are
the responses of the fiscal variables. For the aggregate we estimate an
immediate decline in the surplus-to-EA-GDP ratio which, as shown in Figure 1,
is driven by France, Germany and Italy, whereas Spain responds with a surplus. The
value of debt-to-EA-GDP ratio falls for all countries in the first two years, although
there is a high degree of uncertainty in these estimates.

Figure 1 – Impulse response functions to a one standard deviation conventional monetary policy shock (easing) in the euro area

Note: The shock is a small cut in the short-term
interest rate, of about 10 basis points. The impulse response of real GDP is
reported in level, i.e. as percentage deviation from the steady state. All
other impulse responses are reported as annualized percentage-point deviations
from the steady state. For details on the quarterly data construction and which
variables enter the estimation, see appendix B of Reichlin et al. (2021). Inflation
and interest rates are in % (annualized). Slope is the German long-term
interest rate minus the euro area short-term interest rate. Returns are nominal
returns in % (annualized) on the portfolio of government debt, inferred from debt
and surplus. Spreads are country long-term interest rates minus the German
long-term interest rate. Debts are 400 times the logarithm of the following
ratio: country debt over quarterly euro area GDP. Surpluses denote 400 times country
primary surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly
euro area GDP at steady state.

The response of the return on government debt
is ambiguous since it is driven by both short- and long-term interest rate
movements, while sovereign spreads do not appear to react significantly to the
conventional MP shock, indicating a symmetric transmission across the euro area.

Long-term results (not shown here) point to a
decomposition of unexpected inflation which is split by fiscal policy easing in
the same direction as monetary policy and a relatively muted response of
returns on the market value of the debt. As we will see in the next section,
this contrasts with the response to unconventional monetary policy. These
results have to be understood as indicative, since long-run estimates are necessarily
imprecise due to the uncertainty in the assumptions on the level of the steady
states.[3]

To summarise, we report evidence of
fiscal-monetary coordination conditional on a conventional monetary policy
easing: in response to the decline in interest rates, the fiscal authorities
allow the surplus-to-EA-GDP ratio to decline. The overall impact of the policy
is an increase in output, an increase in inflation, and an insignificant
decline in the debt-to-EA-GDP ratio.

This is not the case for an unconventional
monetary policy easing driving long-term interest rates down.

Unconventional
monetary policy and crosswinds

A second set of results is reported in Figure
2, for unconventional monetary policy. We observe a small positive reaction of
output and a sizable response of inflation on impact, yet both effects are less
persistent than in the case of a conventional shock. The effect on the
surpluses is negligible and not significant. While the value of the debt
increases on impact for some countries, the response is not significant beyond
the first period. This is associated with an unambiguous response in the
returns on government debt, which explains this increase in the market value of
the debt in Germany and France.

Figure 2 – Impulse response functions to a one standard deviation unconventional monetary policy shock (easing) in the euro area

Note: A one standard deviation shock corresponds to a 10 basis points decline in the long-term yield. The impulse response of real GDP is reported in level, i.e. as percentage deviation from the steady state. All other impulse responses are reported as annualized percentage-point deviations from the steady state. For details on the quarterly data construction and which variables enter the estimation, see appendix B of Reichlin et al (2021). Inflation and interest rates are in % (annualized). Slope is the German long-term interest rate minus the euro area short-term interest rate. Returns are nominal returns in % (annualized) on the portfolio of government debt, inferred from debt and surplus. Spreads are country long-term interest rates minus the German long-term interest rate. Debts are 400 times the logarithm of the following ratio: country debt over quarterly euro area GDP. Surpluses denote 400 times country primary surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly euro area GDP at steady state.

Let us now show results for the inflation
decomposition in the long-run:

Unexpected inflation decomposition in terms of changes to returns
and future cumulated changes to growth, surplus, returns and inflation. The
country columns display numbers weighted by country shares. For details on the
quarterly data construction and which variables enter the estimation, see
appendix B of Reichlin et al (2021). Inflation is in % (annualized). Returns
are nominal returns in % (annualized) on the portfolio of government debt,
inferred from debt and surplus. Surpluses denote 400 times country primary
surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly euro
area GDP at steady state.

The unexpected inflation decomposition
reported in the table shows that the 10 basis points (bps) decline in the
long-term rate due to the unconventional monetary policy shock corresponds to a
large adjustment in the nominal returns, which jump by 95 bps in the short run and
then contract by 69 bps in the future. Overall inflation movements are muted,
about a half of what is seen in the case of conventional monetary policy. We
have a jump by 9 bps in the short run, and then a cumulated decline by 1 bps in
the future. Thus, the real discount rate term is -68 bps. While in the case of
conventional monetary policy we have seen a cumulated deficit in the long-run, here
we have a cumulated primary surplus to GDP ratio response of 14 bps, generating
crosswinds in the aggregate. This long-run finding is mainly to be attributed
to Germany.

The muted fiscal response conditional on an UMP
shock is telling us that when that policy was active, i.e. since the 2008
crisis (first via targeted loans, then via forward guidance and asset
purchases), fiscal authorities did not use the fiscal space afforded by the decrease
in long-term rates. The response of the primary surplus to a monetary policy
easing is insignificant in the short-run and overall positive in the long-run,
unlike in the case of conventional policy (negative both at business cycle
frequency and in the long-run).

These results come with two warnings. First,
as we have seen, estimates are quite imprecise. Second, long run results are also
sensitive to assumptions on the steady state, as already commented. This is a
problem hard to address given the short sample and the evolving policy
landscape.

To sum up, in contrast with the conventional
monetary policy case, the response of inflation and output is muted, and there
is no fiscal expansion.

Conclusions

In the euro area the empirical fiscal-monetary
mix appears to vary depending on the conventional (i.e. affecting the short-term
interest rate) or unconventional (i.e. shifting the long end of the yield curve)
nature of the monetary policy shock.

Key in this difference are two factors: (i)
the movement of the returns on the value of the debt, which depends on the
change in yields at the relevant maturity, and (ii) the response of the primary
surplus, which depends on fiscal policy.

Nonstandard monetary policy has a much larger
effect on returns since, given the average debt maturity, long-term yield
changes have a higher impact on returns than changes in the short-rate. The
long-run price level is lower than in the conventional policy case, while the
primary surplus response is muted and slightly positive in the long-run.

The interpretation of this result is as
follows: when unconventional monetary policy was implemented – post financial
crisis – the combination of high legacy debt and fiscal rules constrained the fiscal
response, determining a situation in which the monetary and fiscal authorities
worked against one another.

Paradoxically, when the economy was at the ELB,
in a situation in which fiscal policy is more powerful than monetary policy,
the responsibility for stabilization fell on the shoulders of monetary policy
alone.

References

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Results from an agnostic identification procedure,” Journal of Monetary
Economics, March 2005, 52 (2), 381-419.


[1] Cochrane (2019) then further decomposes the contemporaneous nominal
return term, between a future inflation term and a future real discount rate
term, by assuming a geometric maturity structure. Unexpected
inflation has to correspond to a decline in expected
future surpluses, or a rise in their discount rates.

[2] We complement the restrictions on impulse responses with narrative
sign restrictions, following Antolin-Diaz and Rubio-Ramirez (2018). In
particular we assume that: (i) a contractionary (negative) conventional
monetary policy shock happened on the third quarter of 2008 and the first
quarter of 2011, and it was the single largest contributor to the unexpected
movement in the short-term interest rate during those two periods; (ii) an
expansionary (positive) unconventional monetary policy shock took place on the
first quarter of 2015, and it was the single largest contributor to the
unexpected movement in the term spread between the German long-term interest
rate and the short-term interest rate during that period.

[3] Our steady state assumptions are consistent with the
debt-to-Euro-Area-GDP ratios of each of the countries being equal to their
historical average, and the primary surpluses being zero in the long run. We
also impose that the steady state inflation rate is equal to 1.9%, `below but
close to 2%’ as specified by the ECB’s inflation objective. For real GDP
growth, we fix the steady state at 1.5%, close to the sample average.
Consistent with our choice for the steady state surplus, we fix the
steady-state returns on the government debt portfolio at

.

Finally,
the short-term real interest rate is assumed to be 1% in steady state, the
spread between the long- and short-term interest rates to be 100 basis points,
the sovereign spread to be 50 basis points for France, and 100 basis points for
Italy and Spain.




La domination de Google dans la publicité : ébranlée mais bien ancrée

par S. Guillou, F. Marty et J. Torregrossa

Le 7 juin
2021,l’Autorité de la concurrence a
rendu une décision historique, sanctionnant Google pour abus de position
dominante sur le marché de la publicité en ligne, qui pourrait marquer le début
d’une longue série[1].
Au-delà de l’amende de 220 millions d’euros, cette décision est assortie
d’engagements de nature à répondre à des préoccupations de concurrence de
l’Autorité[2].
Cette décision est l’occasion de se pencher sur le fonctionnement du marché de
la publicité en ligne, source de financement majeure des plateformes et nœud
des enjeux d’information, de financement des médias et de respect de la vie
privé.  



La place de la publicité en ligne
sur le marché publicitaire

La
publicité en ligne, via internet, est un marché en pleine croissance qui
capture aujourd’hui 20% des dépenses des annonceurs. Il se distingue depuis une
dizaine d’années par un taux de croissance annuel moyen de 8%  et a subi récemment une nette accélération[3].
 C’est presque un tiers des recettes
publicitaires des médias qui provient de la publicité en ligne en 2019, les
moteurs de recherche et les réseaux sociaux se placent en tête sur ce segment.  

Cette croissance
a deux raisons principales. La première est que l’acte de consommer passe de
plus en plus par internet et c’est donc sur ce marché que les annonceurs ont
intérêt à être présents. La seconde est que l’activité d’éditeur de contenus
publicitaires qui permet aux annonceurs (marques, entreprises, organisations…)
de faire de la publicité est une source de financement essentielle des
plateformes dont le modèle économique repose sur le marché de l’attention. Et
les deux faces de ce marché s’auto-entretiennent : plus les plateformes
ont des usagers et plus les annonceurs ont un intérêt à être présents sur ces
plateformes.

De
nombreuses plateformes (Google, Facebook, YouTube…), mais aussi de nombreux
sites webs et applications mobiles se financent par la publicité des marques à
laquelle l’usager de la plateforme peut rarement échapper.

Le taux de croissance
de ce marché augmente au détriment des autres supports de la publicité
(télévision, journaux, magazines). Si on suppose que la quantité des dépenses
des annonceurs n’est pas illimitée, il y a alors un transfert vers le support
en ligne qui questionne le financement des autres médias et notamment des
journaux d’informations. Cependant les médias ont tous une présence en ligne.
Mais ce qui change, c’est que ces médias qui maîtrisaient complétement le
support de la publicité doivent passer par l’intermédiaire de nouveaux acteurs,
dont Google, quasiment incontournable.

Pour les
annonceurs traditionnels, le web offre plusieurs supports : les réseaux
sociaux (la publicité liée à l’affichage sur les réseaux − le social), les
moteurs de recherche (la publicité liée aux recherches − le search), les sites ou les applications d’autrui
(la publicité liée à l’affichage sur des sites tiers − le display) comme le site du journal Le Monde par exemple.

Un marché singulier dominé par
quelques grandes plateformes

Google et Facebook
apparaissent ici comme les détenteurs de supports importants pour les
annonceurs. Ces deux grandes plateformes se partagent 75% des parts du marché
de la publicité en ligne (Perrot et al., 2020). Facebook, détenant le
réseau social le plus utilisé, joue un rôle central dans la publicité dite
« sociale » et Google, détenant à la fois le moteur de recherche le
plus utilisé et des services de distribution essentiels pour les éditeurs
(voir : annexe S, CMA, 2020), joue un rôle central dans la publicité dite
« search » mais également dans la publicité dite
« display »[4].

Pour ce
dernier support (le display), Google
se place du côté des éditeurs en ligne et cherchera à capter le gros des
annonceurs. Mais, on l’a vu précédemment, il est aussi celui qui contrôle
l’allocation des annonces sur internet. Il est donc à la fois
commissaire-priseur et pourvoyeur de la marchandise[5] !

Cette situation
par laquelle une même entité qui contrôle une plateforme essentielle pour des
firmes tierces est également leur concurrente n’est guère inédite dans
l’économie numérique et pose des problèmes d’accès au marché et de concurrence
à égalité des armes sur celui-ci. Il peut en résulter des problèmes
d’auto-préférence, comme tente de le prévenir la proposition de Digital
Markets Act
de la Commission européenne du 15 décembre 2020.

Cet univers
en ligne se différencie de son homologue hors-ligne à bien des égards. Outre le
passage d’une publicité contextuelle à une publicité ciblée, cet univers est
porteur d’une innovation majeure : un processus d’achat automatisé.  Les achats d’espaces à la télévision, dans la
presse ou au cinéma résultent exclusivement de négociations bilatérales entre
l’éditeur ou sa régie et l’annonceur ou son agence. Une chaîne de télévision
telle que M6 acquiert et diffuse toutes sortes de programmes et ce, en partie
grâce à la vente des espaces publicitaires associés aux programmes diffusés, au
même titre que les éditeurs de contenus en ligne. Le groupe M6 dispose de sa
propre régie publicitaire intégrée, M6 Publicité, avec laquelle un annonceur
qui souhaiterait diffuser une annonce sur l’une des chaînes du groupe prendra
contact pour négocier le prix à payer pour la diffusion de l’annonce. Le prix
dépendra, dans la majorité des cas, d’une estimation du nombre de clients qui
visualiseront l’annonce. À l’inverse, dans l’univers en ligne, le prix de la
publicité sera plus proche du nombre réel de clients ayant visualisé l’annonce :
l’annonceur paiera un coût par clic (« CPC ») sur l’annonce. Ce
montant sera proposé par l’annonceur dans le cadre de négociations bilatérales,
comme dans l’univers hors-ligne, ou dans le cadre d’un processus automatisé,
propre à l’univers en ligne. Dans ce dernier cas, c’est à l’issue de la
réalisation consécutive de trois enchères[6],
prenant place sur des plateformes dont le fonctionnement repose sur des
algorithmes, que l’annonceur gagnera le droit de diffuser son annonce
(voir : Michael Sweeney & Paulina Zawiślak, 2020). Cette
automatisation est de plus en plus répandue : plus de la moitié des
recettes perçues par les régies en ligne proviennent d’un achat automatisé
(Observatoire de l’e-Pub, 2021).

Google est
intégré verticalement tout au long de ce processus d’achat et domine chacun des
marchés de services d’intermédiation permettant la réalisation des enchères
grâce à sa détention de services publicitaires destinés tant aux annonceurs
qu’aux éditeurs et de sa propre plateforme de vente. Cette position lui
permettrait de réduire l’attractivité des solutions publicitaires concurrentes
tout en s’avantageant lors de chaque transaction à travers les fonctionnalités
de ses propres solutions.

« Venir au secours » des
plus petits acteurs

Il
semblerait que tous souffrent de la position de Google sur ces marchés. Les
concurrents, eux-mêmes intégrés verticalement tels que Xandr ou Smart AdServer,
souffrent d’un manque d’interopérabilité entre leurs solutions publicitaires et
celles de Google, pourtant primordiale au développement de leurs activités. Les
clients, annonceurs ou éditeurs, semblent quant à eux souffrir d’un processus
d’achat opaque où s’enchaînent plusieurs enchères sans aucune transparence, les
empêchant notamment de connaître la part de revenus conservée par
l’intermédiaire. L’annonceur ne participe qu’à la première enchère qui a lieu
sur les plateformes côté demande puis sera « représenté » par les
intermédiaires ensuite qui, en se basant sur l’enchère de l’annonceur gagnant
enchériront à nouveau (les plateformes côté demande puis côté offre). Ainsi,
l’annonceur (la marque par exemple) connaît le montant de son enchère et
l’éditeur (le site web par exemple) connaît sa rémunération sans que l’un des
deux ne sache quels sont les montants négociés tout au long du processus. Les
outils d’analyse de l’efficacité de l’annonce souffrent de la même opacité en
raison notamment du manque d’indépendance des entités qui réalisent ces
analyses. Google fournit à l’annonceur une analyse de l’efficacité de l’annonce
qu’il a lui-même vendu, acheté et dont il a géré la vente. Cette opacité
associée au manque de concurrence pour l’achat des espaces pourrait conduire à
la fois à un prix payé par l’annonceur trop élevé et une rémunération perçue
par l’éditeur trop faible. En somme, l’éditeur ne disposerait pas de la
rémunération nécessaire à ses investissements et l’annonceur se trouverait
contraint à investir massivement dans la publicité au détriment de ses investissements
dans l’innovation et de ses consommateurs qui subiront l’augmentation des prix
associée.

Dans ce
contexte la décision n°21-D-11 de l’Autorité de la concurrence rendue publique
le 7 juin 2021 trace des pistes pour un fonctionnement plus équilibré du
marché. Rappelons succinctement les faits : trois éditeurs, News Corp (le
groupe Murdoch), le groupe La Voix (qui contrôle entre autres La Voix du Nord) et Le Figaro (qui s’est désisté en cours de procédure) ont saisi
l’Autorité pour des pratiques alléguées d’abus de position dominante mises en
œuvre par Google sur le marché des technologies publicitaires.

Deux
pratiques étaient reprochées à Google. La première pratique tenait à une
réduction artificielle de l’interopérabilité entre les serveurs publicitaires
concurrents du sien (Double-Click for Publishers − DFP) et sa plateforme de
marché de mise en vente des espaces publicitaires (Double-Click Ad Exchanges –
AdX[7]).
Celle-ci conduisait à réduire les possibilités de mettre AdX en concurrence
avec des plateformes tierces. La seconde pratique résidait en une stratégie
d’auto-préférence (self-preferencing)
privant les serveurs concurrents d’une réelle concurrence par les mérites.
Selon l’Autorité, le contrôle de DFP permettait d’informer AdX des prix proposés
par les plateformes concurrentes : cette information privilégiée
permettait de faire varier stratégiquement la commission exigée pour supplanter
des concurrents tels que Smart AdServer ou Xandr.

Un double
dommage pouvait naître de ces pratiques : un dommage aux concurrents qui
ne pouvaient se livrer à une concurrence à égalité des armes et qui donc
étaient susceptibles d’être évincés du marché ; un dommage aux éditeurs (i.e. aux partenaires commerciaux) qui
pouvait prendre la forme d’un abus d’exploitation, d’autant plus dommageable
que les recettes publicitaires sont déterminantes pour assurer leur équilibre
économique.

La sanction
s’inscrit dans une procédure de transaction (qui diffère d’une procédure contentieuse)
qui est telle que l’entreprise mise en cause ne conteste pas les griefs mais ne
reconnaît pas pour autant les faits qui lui sont reprochés. Une sanction
pécuniaire est alors prononcée et l’entreprise prend des engagements de nature
à mettre fin au dommage à la concurrence. L’intérêt de la procédure
transactionnelle est d’entraîner une modification rapide des comportements
dommageables.

Dans le cas
présent, outre les 220 millions d’euros, qui sont en deçà du plafond de
sanction défini par les textes, les engagements pris par l’entreprise doivent
permettre de garantir l’interopérabilité des serveurs publicitaires éditeurs
(SSP) avec son serveur DFP et de mettre fin aux possibles pratiques
d’auto-préférence en mettant en place un mandataire indépendant chargé de
vérifier l’absence de distorsion de concurrence.

Notons que
la correction comportementale diffère des mesures structurelles − très rares en
droit de la concurrence de l’Union européenne – qui reviendraient à requérir
des entreprises de céder certaines de leurs activités et de s’astreindre à une sorte
de principe de spécialité. Le démantèlement des conglomérats appartiendrait à
ce champ de mesures. Ici l’effet des sanctions se mesurera à la fin des
pratiques qui avaient suscité des préoccupations de concurrence.

Une décision participant à l’enjeu
de régulation des plateformes

L’attention
portée à Google, et aux plateformes de manière plus générale, ne réside pas
exclusivement dans leurs positions sur le marché de la publicité. Cette
décision fait écho à un ensemble plus vaste de problématiques représentatif de
cette notion d’écosystèmes dans lesquels ces plateformes évoluent sur une
multitude de marchés. En plus de fournir aux éditeurs des outils pour valoriser
et financer leurs contenus, une plateforme telle que Google entretient un
rapport de distribution algorithmique avec eux, également source de conflits
qui viennent s’annexer aux conflits publicitaires. À l’origine de ce
contentieux, le refus des plateformes de rémunérer les éditeurs ou encore les
tentatives de prise de contrôle sur les données générées[8].
Les relations entre plateformes et acteurs du marché ne sont pas les seules qui
sont conflictuelles. Celles entretenues avec les États occupent également une
part importante du débat, en témoignent les projets de réformes fiscales. Que
ce soit en termes de distribution, de droits d’auteurs, de concurrence ou de
fiscalité, on observe un mouvement visant à empêcher les plateformes d’échapper
continuellement et systématiquement aux règles du jeu.

Ces
plateformes opèrent sur des marchés en pleine mutation où l’encadrement
réglementaire ne cesse de s’adapter. Ainsi, les plateformes de partage de
vidéos, telles que YouTube, se verront imposer les mêmes contraintes que la
télévision pour la publicité (voir Ministère de la Culture, 2021). Les politiques
environnementales visant notamment la fin des prospectus pourraient conduire à
des reports d’investissements vers la publicité en ligne comme vers la
publicité traditionnelle afin d’échapper à une éventuelle taxe. Enfin, le
passage de la publicité télévisuelle de contextuelle à une publicité ciblée
pourrait engendrer de nouvelles stratégies d’investissements pour les
annonceurs. Reste à savoir si ces mutations assainiront le marché ou le
rendront davantage problématique. Une certitude, le marché de la publicité en
ligne va continuer de croître. En outre, son architecture complexe, qui repose
notamment sur des relations algorithmiques entre une multitude
d’intermédiaires, pourrait se généraliser aux marchés publicitaires
traditionnels, comme la télévision avec le passage à une publicité ciblée. Appréhender
le fonctionnement de ce marché et rendre plus transparent ses mécanismes sont
essentiels. C’était un des enjeux de cette décision.

Références

Autorité
de la concurrence, 2020, Décision 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des
demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de
la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et
l’Agence France-Presse.

Autorité
de la concurrence, 2021, Décision 21-D-07 du 17 mars 2021 relative à une
demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive
Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des
Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le
secteur de la publicité sur applications mobiles sur iOS.

Autorité
de la concurrence, 2021, Décision 21-D-11 du 7 juin 2021 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet.

Competition & Markets Authority, 2020, Online
Platforms and Digital Advertising, Market Study Final Report. Appendix S: The
Relationship between Large Digital Platforms and Publishers.

Michael Sweeney & Paulina Zawiślak, 2020,
21 avril, Programmatic Advertising: The Definitive Guide for 2021 | Clearcode
Blog. Clearcode | Custom AdTech and MarTech Development. https://clearcode.cc/blog/programmatic-advertising/

Ministère
de la culture, 2021, Consultation publique sur un projet de décret fixant les
principes applicables aux communications commerciales audiovisuelles fournies
sur les plateformes de partage de vidéos et modifiant le décret n° 92-280 du 27
mars 1992 relatif à la publicité́́ télévisée.

Perrot A., Emmerich M., Jagorel Q., 2020, Publicité́ en ligne : pour un
marché à armes égales. Rapport pour le Ministère de la culture et le
Secrétaire d’Etat chargé de la transition numérique et des communications
électroniques.

SRI,
UDECAM, & Oliver Wyman, 2021, 23ème Observatoire de l’e-pub SRI.


[1]
En témoigne notamment
l’ouverture d’une enquête sur ce marché par la Commission européenne : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_3143

[2]
L’Autorité
est donc la première à publier une décision condamnant Google pour ses
pratiques sur le marché de la publicité en ligne. Cette décision est cependant
loin d’être surprenante : l’Autorité s’intéresse à ce marché depuis
plusieurs années et cet intérêt s’est également manifesté du côté ministériel
avec un rapport visant à approfondir la compréhension du marché (voir Perrot et al., 2020). De nombreuses autres
autorités de concurrence à travers le monde ont scruté de très près ce marché.

[3]
Source : France Pub,
IREP, & Kantar Media. Baromètre Unifié du Marché Publicitaire 2012 à
2021.

[4]
La publicité dite « display » correspond à la publicité liée à
l’affichage que l’on retrouve sur les sites web et applications mobiles. Lors
de l’ouverture d’une page par un utilisateur un espace publicitaire se crée (à
côté du texte ou dans le texte de la page par exemple) et un annonceur dispose
de la possibilité d’y insérer son annonce via le processus automatisé.

[5]
Google propose des solutions publicitaires aux annonceurs et aux éditeurs ainsi
qu’une place de marché où les annonceurs et les éditeurs se rencontrent.

[6]
Les annonceurs enchérissent un coût par clic (« CPC ») sur les
plateformes côté demande. Celles-ci enchérissent ensuite un coût par mille
impressions (« CPM ») sur les places de marché. Enfin, ces dernières
enchériront à nouveau un CPM sur les plateformes côté offre.

[7]
Double-Click a été rachetée par Google en 2007 pour la somme qui paraissait
alors peu concevable de 3,1 milliards USD. Cela illustre une stratégie
d’acquisition non pas tueuse mais consolidante. Google prenait alors le contrôle
d’un complémenteur essentiel qui lui permettra de valoriser ses données et sa
position de marché sur le marché de l’attention. L’acquisition était donc
déterminante pour le bouclage de son modèle économique

[8]
Voir à ce sujet :
décision 20-MC-01 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le
secteur des éditeurs de presse et décision 21-D-07 relative à une demande de
mesures conservatoires dans le secteur de la publicité sur applications mobiles
iOS.




Licenciements économiques et reclassement : du CSP au CSP+

Par Bruno Coquet

Le licenciement économique est un mode de rupture du contrat
de travail devenu marginal sous l’effet conjoint de la diversification des
contrats et des formes de rupture disponibles. Les dispositifs de reclassement étant
réservés à la formule du licenciement économique de salarié en CDI, ils sont
par conséquent devenus marginaux.



Les deux dispositifs de reclassement existants, Congé de
reclassement
et Contrat de Sécurisation professionnelle (CSP), sont
très inégaux du point de vue de l’accès à l’information, des droits, de la
sécurité financière et des résultats obtenus, sans que ni le profil ni le
comportement des salariés concernés le justifient.

Sur la base d’un diagnostic comparatif étayé, ce nouveau
document de travail « Reclassement
des salariés licenciés économiques : velléités et bonnes pratiques
 
»
propose d’élargir le champ du CSP : un CSP+ pour que tous les salariés
aient accès aux mêmes possibilités de reclassement, les plus efficaces, sans
coût supplémentaire pour l’employeur.

Deux dispositifs très inégaux, mais impossible de choisir
le meilleur

Les deux dispositifs existants dépendent de l’effectif et de
la situation juridique de l’entreprise qui licencie :

  • Le Congé de reclassement dans les
    entreprises plus grandes, dispositif obsolète, basé sur des attendus dont l’État
    ne vérifie plus la réalité, puisque le dispositif n’est plus suivi ni financé
    plus depuis longtemps, si bien que le salarié ne connaît pas les conséquences
    positive ou négatives de son choix.
  • Le CSP, pour les entreprises de moins de
    1000 salariés ou en redressement judiciaire, piloté par l’Unedic, dont les
    évaluations existantes montrent qu’il sécurise le chômeur et favorise son
    reclassement.

Contraints par les caractéristiques de leurs employeurs, les
salariés ne choisissent pas le meilleur dispositif : ils peuvent seulement
choisir d’accepter ou non le dispositif que leur employeur a l’obligation de leur
proposer, et sont très inégalement informés des alternatives qui s’offrent à
eux et des conséquences de leur choix. Et face à ce choix, l’accès à ces aides
au reclassement n’est sont pas forcément décisif aux yeux des salariés
éligibles. En effet, l’alternative de la rupture conventionnelle rencontre
un réel succès depuis sa création en 2008, cependant que la réintroduction de
la dégressivité des allocations chômage a encore compliqué les termes du choix
entre les différentes options.

Converger vers la bonne pratique et donner le choix au
salarié

A court terme des réformes simples pourraient rétablir
l’équité et augmenter les chances de reclassement à la suite d’un licenciement
économique. Dans l’immédiat, la réforme pourrait s’aligner sur la meilleure
pratique, c’est-à-dire le CSP :

  • La procédure d’adhésion (informations
    disponibles, délai de réflexion, déclenchement du préavis, inscription à Pôle
    Emploi, etc.) doit gagner en transparence et être homogène dans les différents
    dispositifs de reclassement.
  • Les salariés éligibles au Congé de
    reclassement
    doivent être clairement informés de leurs droits, et des
    conséquences (financières, juridiques, reclassement) du choix qui leur est
    proposé et des alternatives possibles. Cela permettrait par ricochet d’éclairer
    le choix de préférer ou non recourir à une rupture conventionnelle.

Proposer le CSP à
tous les salariés licenciés économiques serait la voie la plus simple pour
mettre en place les deux propositions ci-dessus, et leur garantirait un choix
équitable au salarié, surtout si le licenciement intervient hors du cadre d’un
Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE). Elle aurait évidemment pour inconvénient
de supprimer l’incitation des entreprises de plus de 1000 salariés à proposer
un Congé de reclassement mieux doté que le CSP, donc plus coûteux pour elles.

Le législateur pourrait être réticent à renoncer au principe
fondateur du Congé de reclassement –même s’il est devenu une fiction
dans les faits– selon lequel la responsabilité de l’employeur permet de lui
imposer des obligations croissantes avec la taille de l’entreprise, et donc
avec sa capacité contributive supposée. Dans ce cas il serait possible
d’ajouter aux propositions ci-dessus :

  • Des modalités minimales du Congé de
    reclassement
    alignées sur celles du CSP :
    durée minimale de 12 mois, taux de remplacement à 75% et droits sociaux
    afférents, garantie minimale de moyens alloués à la cellule de reclassement et
    à la formation, etc. Ainsi l’alternative entre ce que propose l’employeur et le
    CSP serait claire.
  • Une contribution à l’accompagnement croissante
    avec la capacité contributive de l’entreprise (son effectif n’étant qu’un
    indicateur imparfait) pour les cas où le salarié préférerait le CSP et l’accompagnement par Pôle Emploi au
    Congé de reclassement proposé par l’employeur.

Penser le reclassement dans le marché du travail
contemporain

A court terme l’objectif du CSP+ est de sortir du réseau actuel
de contraintes, d’échappatoires et de mauvaise information des parties
prenantes, pour améliorer les chances de reclassement des salariés. En
simplifiant les dispositifs existants le CSP+ peut se faire dans l’intérêt
conjoint des individus, des employeurs et de la collectivité.

A moyen terme il reste que l’employeur qui met fin à un
contrat de travail le fait pour des raisons économiques dans l’immense majorité
des cas, même si ces raisons ne sont pas forcément explicites dans le motif de
rupture –d’autant moins que des obligations spécifiques y sont attachées. Les ruptures
de contrats de travail engendrant des besoins de reclassement liées au
fonctionnement normal d’une économie n’ont donc pas diminué. Le changement
tient au fait que les actions de reclassement auparavant imposées à
l’entreprise et financées par elle se sont déplacées vers le service public de
l’emploi et ses prestataires. Cette évolution s’est faite par défaut et au fil
de l’eau, mais il est clair qu’il existe là un domaine de réflexion et de
réforme à travailler, dans un cadre bien plus large que celui des dispositifs
de reclassement réservés aux salariés licenciés économiques.




Réduire significativement le taux de pauvreté des familles monoparentales

Hélène Périvier et Muriel Pucci

Aujourd’hui on compte plus 1,45
million de foyers monoparentaux (hors
résidence alternée), soit plus de 21% des familles comprenant des enfants
mineurs. Ces familles sont les plus affectées par la précarité avec un taux de
pauvreté de plus de 35% (Insee,
France Portrait social, 2020
).
Les gouvernements successifs ont cherché à améliorer la situation de ces
familles tant du point des prestations sociales, que de l’accès aux services
publics (mode de garde des jeunes enfants par exemple). Les
familles monoparentales constituent la catégorie
de ménages ayant le plus bénéficié
des mesures socio-fiscales
prises au cours de la décennie 2008-2018 : trois
quarts de ces familles ont vu leur niveau de vie augmenter (de 4,4% en moyenne)
. Malgré ces efforts en direction des parents
isolés, leur précarité persiste.



Ceci tient en partie au fait que le système
fiscal et social traite moins favorablement les parents isolés à bas revenu –
qui perçoivent le RSA ou la prime d’activité – que les plus aisés – qui sont
imposables. En effet, la prise en compte des pensions alimentaires dans plusieurs
bases ressources de prestations sociales (RSA, prime d’activité et aides au
logement) conduit à ce que, pour 1 euro de pension perçu certains parents
isolés perdent plus d’1 euro de prestations sociales. Pour ceux qui ne
perçoivent pas de pensions alimentaires de la part de l’autre parent et bénéficient
à ce titre de l’allocation de soutien familial (ASF), l’articulation avec les
autres prestations sociales est là encore défavorable aux plus modestes.

Pour
corriger ces incohérences et plus largement pour soutenir le niveau de vie des familles
monoparentales ayant de faibles revenus, nous proposons une réforme simple et
facile à mettre en œuvre : elle
réduirait le taux de pauvreté des familles monoparentales (seuil de 60% du
revenu médian) de 4,5 points de pourcentage et permettrait de faire sortir de
la pauvreté plus de 140 000 enfants de moins de 18 ans. Cette réforme consiste
à :

  • Exclure
    l’Allocation de soutien familial (ASF) des bases ressources du RSA et de la
    prime d’activité afin d’en garantir le bénéfice intégral aux parents isolés
    sans ex-conjoint ou dont l’ex-conjoint est hors d’état de verser une pension et
    ceci quel que soit leur revenu ;
  • Appliquer un abattement à hauteur de l’ASF sur
    la pension alimentaire incluse dans les bases ressources des prestations
    sociales afin de garantir que le revenu disponible soit toujours plus élevé
    lorsque la pension alimentaire est perçue.

Pour moins d’un milliard
d’euros par an, cette réforme accroît l’efficacité du système socio-fiscal tout
en améliorant significativement le niveau de vie des parents isolés les plus
modestes et donc de leurs enfants.

Pour accéder à l’étude
complète :

Périvier
Hélène et Muriel Pucci, 2021, « Soutenir le niveau de vie des parents
isolés ou séparés en daptant le système socio-fiscal », Policy Brief
OFCE
, n° 91.




La zone euro doit-elle s’en remettre aux États-Unis ?

par Christophe Blot, Caroline Bozou et Jérôme Creel

La pandémie de Covid-19 a conduit
les gouvernements et les banques centrales à mettre en œuvre des politiques
budgétaires et monétaires expansionnistes partout dans le monde. Les États-Unis
se distinguent par un soutien budgétaire conséquent, bien plus important que
celui mis en œuvre dans la zone euro. Dans un document récent en vue de la
préparation du Dialogue
monétaire entre le Parlement européen et la BCE
, nous revenons sur ces différentes
mesures et discutons de leurs retombées internationales. Étant
donné l’ampleur des plans de relance et le poids de l’économie américaine, nous
pouvons effectivement anticiper des retombées significatives sur la zone euro. Celles-ci
dépendent cependant non seulement de l’orientation des politiques économiques
mais également de la nature précise des mesures adoptées (transferts, dépenses
et articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire).



La politique monétaire
expansionniste est généralement perçue comme une politique du chacun pour soi
puisqu’une baisse du taux d’intérêt américain devrait entraîner une
dépréciation du dollar américain défavorable aux partenaires commerciaux des États-Unis.
Cependant, la littérature montre que le canal du taux de change peut être
dominé par un canal financier et par l’augmentation de la demande issue de
l’économie américaine, tous deux générant des retombées positives (cf. Degasperi,
Hong et Ricco, 2021
).

Les retombées internationales de
la politique budgétaire devraient également être positives, via là encore des effets de demande,
mais également via une appréciation
attendue du dollar (voir Ferrara,
Metelli, Natoli et Siena, 2020
) ou via
des effets d’anticipations de retour à l’équilibre des finances publiques à la Corsetti, Meier et Müller
(2010)
. L’impact favorable pour le reste du monde peut aussi être atténué
si l’expansion budgétaire américaine se traduit par une hausse du taux
d’intérêt mondial. In fine, l’ampleur
des retombées internationales de la politique budgétaire américaine devrait
dépendre de la réaction du taux de change et du taux d’intérêt. Faccini,
Mumtaz et Surico (2016)
confirment l’importance des effets financiers mais montrent
cependant que le taux d’intérêt réel pourrait baisser après un choc
expansionniste américain.

Dans ce document, les simulations
réalisées à partir d’un modèle macroéconomique et l’analyse empirique
confirment les effets positifs d’une politique monétaire expansionniste aux États-Unis
sur le PIB de la zone euro. Toutefois, il existe une incertitude sur le calendrier
et la durée de ces retombées positives.

En ce qui concerne la politique
budgétaire, l’analyse empirique suggère des retombées positives des mesures
américaines mises en œuvre depuis le déclenchement de la crise du Covid-19, au
moins à court terme (au cours des deux premières années). Compte tenu de
l’ampleur de l’impulsion budgétaire, ces retombées ne seraient pas
négligeables.

Les retombées mondiales des
politiques macroéconomiques américaines devraient donc être positives mais des incertitudes
persistent au-delà de 2022.

Il faut cependant garder à
l’esprit que la croissance de la zone euro dépendra d’abord de l’orientation de
son propre policy mix. Par
conséquent, elle ne devrait pas seulement s’appuyer sur les politiques
américaines pour consolider et accélérer la reprise. Les impulsions budgétaires
contrastées en 2020 et 2021 entre les États-Unis et la zone euro indiquent déjà
un risque de divergence croissante entre les deux régions.

Nous discutons également
brièvement du fait que les principaux effets d’entraînement des États-Unis
peuvent ne pas provenir des politiques macroéconomiques mais des risques
financiers. Les prix des actifs ont fortement augmenté en 2020, laissant craindre
un risque de bulle financière, du moins aux États-Unis. Ce risque pourrait avoir
un impact important sur la zone euro à moyen et long terme.




Offre et demande : dans les coulisses des confinements

par Magali Dauvin et Raul Sampognaro

La crise déclenchée par l’épidémie de la Covid-19 est unique dans l’histoire économique récente par la forme qu’elle a prise et par son ampleur. En avril 2020, la mise en place d’un confinement très sévère a fait chuter l’activité économique de près de 31 % en France. En novembre, après un semestre de vie avec le virus, la mise en place d’un deuxième confinement s’est traduite par une baisse de l’activité « de seulement » 7,5 %. Comme le rappelle Bénassy-Quéré (2021), dès le déclenchement de l’épidémie la compréhension des mécanismes de la crise a fait débat parmi les économistes. La simultanéité des chocs d’offre (salariés empêchés d’accéder à leur emploi ou ruptures des chaînes d’approvisionnement) et de demande finale (épargne de précaution, achats retardés pour éviter les interactions sociales) perturbent les outils d’analyse traditionnels. Par ailleurs, les différents chocs sont très hétérogènes entre les secteurs. Afin de répondre à une crise si spéciale, nous avons développé un nouvel outil, un modèle « mixte », permettant de prendre en compte ces spécificités, présenté dans une étude spéciale associée à la dernière prévision de l’OFCE et dont les fondements théoriques ont été détaillés dans Dauvin et Sampognaro (2021).



Les confinements de 2020 : les agents privés et publics s’adaptent

Nous avons décomposé l’impact sur l’évolution de la valeur ajoutée des mois d’avril et de novembre des quatre chocs suivants à l’aide du modèle mixte : (i) fermetures administratives ; (ii) indisponibilité de la main-d’œuvre (notamment liée à la fermeture des écoles, aux personnes vulnérables, aux malades de la Covid-19, …) ; (iii) autres chocs d’offre y compris des problèmes d’approvisionnement ; (iv) modification des comportements de demande (substitution et épargne de précaution).
Selon notre évaluation, les fermetures administratives expliqueraient à elles seules 12 points de la baisse d’activité du mois d’avril 2020 et 5,5 points en novembre. D’un côté, les chocs d’offre liés aux difficultés de main-d’œuvre ou d’approvisionnement ou à l’adaptation aux contraintes sanitaires expliqueraient 10 points de la baisse de la valeur ajoutée au pire moment de la crise en avril. Ils seraient sans effet significatif en novembre. De l’autre le choc de demande finale expliquerait 11 points de la baisse du PIB observée pendant le confinement du mois d’avril et 2 points de la baisse de novembre. Enfin, le redéploiement de la production des emplois intermédiaires vers les emplois finaux aurait permis de préserver le PIB de 2 points en avril (Tableau 2).
Ces résultats suggèrent que l’ensemble des acteurs − publics et privés − ont adapté leurs comportements, ce qui se traduit par des confinements ayant un moindre impact sur l’activité économique. Nous constatons que les différentes sévérités des mesures prophylactiques, telles que mesurées par le nombre d’activités fermées administrativement ou les décisions concernant le système scolaire, explique une grande part de la meilleure résistance de l’activité en novembre par rapport au premier confinement d’avril. Toutefois, mais ce n’est pas le seul facteur. L’adaptation des comportements des agents privés permettant de maintenir la production et la demande finale joue aussi un rôle important : organisation des processus productifs au contexte sanitaire, développement du e-commerce et du click-and-collect, réorientation des budgets des ménages en faveur de certains biens (électroniques notamment, graphique 1).

Première analyse du confinement d’avril 2021 : plus de secteurs contraints par la demande mais un impact du choc de demande en retrait

Si les pertes se cumulent, les nouveaux chocs se concentrent de plus en plus sur un nombre limité d’acteurs (branches, entreprises, groupes sociaux). En avril 2020, six branches étaient contraintes par des facteurs d’offre (représentant 45 % de la valeur ajoutée de 2019), tandis qu’en novembre 2020 elles ne sont que trois (pesant 16 % de la valeur ajoutée d’avant-Covid). Selon une première analyse, reposant sur les prévisions de l’Insee publiées dans leur note de conjoncture du mois de mai, seulement deux branches auraient été contraintes par l’offre (6 % de la VA) (Tableau 1) lors du dernier confinement.

Notre analyse portant sur le mois d’avril 2021 confirme les tendances constatées entre les deux premiers confinements. Les mesures sanitaires sont plus ciblées et pénaliseraient moins la croissance que lors du premier confinement (-3 points de contribution, concentrées dans les services marchands). De son côté le choc de demande finale pèse de 2 points sur le niveau de l’activité, autant qu’en novembre 2020 (Tableau 2), mais ceci masque le fait que davantage de secteurs sont exclusivement contraints par la demande des utilisateurs finaux – graphique 2).

Plus la crise de la Covid-19 dure, plus elle change de nature. Alors que les contraintes d’offre avaient un poids prédominant lors du premier confinement, avec le temps ces contraintes se concentrent sur un nombre chaque fois plus limité de secteurs. En parallèle, la demande finale pèse sur l’activité de certaines branches de façon significative − l’activité d’avril 2021 restait pénalisée à hauteur de 2 points de PIB − mais ce poids diminue avec le temps. Malheureusement, notre méthodologie n’est pas en mesure d’identifier l’ampleur du choc de demande dans les secteurs contraints par l’offre. Pourtant, la vigueur de la demande finale dans les secteurs actuellement contraints par l’offre (hébergement-restauration et les autres activités de services, incluant notamment les services liés aux loisirs des ménages) marquera précisément le tempo de la reprise. Le type de réponse de politique publique pour accompagner cette reprise nécessitera de bien identifier les facteurs bloquants dans cette reprise qui sera – à l’image de la crise – atypique.




Le défi de l’instabilité

par Jean-Luc Gaffard

Un grand désordre existe dans la pensée
économique confrontée à la conjonction de crises financière, sanitaire et
écologique. L’idée continue de dominer que ce ne sont là que de simples
parenthèses que l’on devrait pouvoir refermer plus ou moins vite. Pourtant
l’hypothèse d’une profonde transformation du modèle économique n’est pas dénuée
de fondements. À tout le moins, il va falloir accepter que se profile une
accélération des processus de destruction créatrice et de recomposition du
tissu productif qui va se traduire par la formation et l’enchaînement de
déséquilibres sur les différents marchés. Les économistes ne sont pas démunis
de références face à cette réalité s’ils veulent bien retenir les enseignements
tirés de l’observation et de l’analyse d’événements faisant suite à des
ruptures importantes dans le passé, allant à l’encontre de bien d’idées reçues.



La
croyance dans une parenthèse ou le retour en arrière fantasmé

La crise sanitaire a conduit les
gouvernements à prendre une décision administrative exceptionnelle d’arrêt de
l’activité économique assortie de mesures destinées à préserver les revenus de
salariés placés en chômage partiel et à prémunir les entreprises de tomber en
faillite. L’objectif plus ou moins avoué est de se placer dans les conditions
de revenir plus ou moins rapidement au niveau d’activité d’avant-crise.

L’attente d’un retour à la
« normale » favorisé par un gel des effets sur les revenus est censé
être conforté grâce à l’adoption et la mise en œuvre de plans de relance
incluant, entre autres, des mesures visant à accélérer la transition digitale
et la transition écologique. L’usage des modèles économétriques suggère qu’il
est ainsi possible de retrouver l’équilibre perdu en termes de croissance.

Ce retour à la « normale » serait
inscrit dans le surcroît d’épargne censé venir alimenter une reprise de la
consommation à plus ou moins brève échéance obéissant à des préférences
largement inchangées. Il serait permis par la création de dettes sous l’égide
des banques centrales, abandonnant un temps les politiques conventionnelles,
qui doivent doper un redémarrage rapide après avoir contenu les effets
délétères de l’arrêt d’activité. Il existerait un lien direct et unique entre
finance et économie réelle. La liquidité abondamment distribuée, d’abord gelée
sur les comptes des épargnants, se dirigerait, ensuite, naturellement vers la
consommation et l’investissement.

Dans une approche trop exclusivement
macroéconomique, impasse est faite sur la distribution très inégalitaire de ce
surcroît d’épargne qui a forcément des effets sur la structure de la demande
finale pouvant impliquer que plus de certains biens et services et moins
d’autres seront demandés. Impasse est faite, également, sur la formation d’une
épargne de précaution liée à l’incertitude de ceux des ménages qui s’attendent
à être plus touchés que les autres par des chutes d’emplois dans un futur
immédiat. Impasse est faite sur les contraintes de capacité à court terme face à
un rebond assez brutal et inégalement réparti de la demande, que ce soit en
raison d’un manque de main-d’œuvre, ou du fait de contraintes d’endettement
pesant sur l’investissement des entreprises. Plus généralement, impasse est
faite sur la bascule affectant les lieux sectoriels et géographiques de captation
de richesse.

Le gel temporaire d’activité et la croyance
en un retour mécanique à la « normale » conduisent à ignorer l’impact
de déséquilibres de court terme sur le développement à moyen ou long terme. Les
conséquences, à relativement brève échéance, de l’endettement des entreprises
ne sont guère identifiables tant les mécanismes de sélection ont été modifiés.
Nul n’est en mesure de dire vraiment ce qu’il va advenir en termes de faillites
d’entreprises et de perte d’emplois Le risque inflationniste, envisagé par
certains, n’est appréhendé qu’au regard d’un financement monétaire des déficits
publics sans réelle tentative d’analyser la séquence des événements à venir nés
de l’articulation entre action publique et activité privée. L’hétérogénéité des
situations et des comportements est passée sous silence.

Le discours sur le monde d’après tel qu’envisagé
par ceux qui entendent saisir l’opportunité de la crise pour accélérer la
transition écologique n’échappe pas l’illusion d’une convergence sans
véritables heurts vers un nouvel équilibre. Celui-ci est inscrit dans de
nouvelles technologies et de nouveaux comportements sans que soient considérés
les moyens de les connaître et de les atteindre. La relocalisation souhaitée
d’activités et la régression attendue des échanges à l’échelle mondiale s’apparentent
à une sorte de retour en arrière que l’on imagine sans coûts ni dommages.

L’hypothèse
du changement structurel de grande ampleur

La réalité est que la crise sanitaire n’est,
pourtant, pas intervenue dans un monde économique stable. Des mutations
structurelles étaient à l’œuvre dont on peut penser qu’elles vont se trouver
accélérées du fait de l’expérience acquise dans la gestion de cette crise et de
ses contraintes (Dessertine, 2021).  

L’expérience du télétravail augurerait
d’une transformation en profondeur de l’organisation du travail et de
l’entreprise, qui serait elle-même à l’origine d’une transformation des
infrastructures urbaines et de transport. Ces transformations seraient d’autant
plus importantes qu’elles participent d’une nouvelle révolution scientifique et
technologique incarnées dans les nouvelles capacités de captation, de
traitement et d’usage de très grandes bases de données (le « big
data »). Dans cette perspective, la révolution digitale devient beaucoup
plus importante que la révolution énergétique, les producteurs de données prennent
le pas sur les producteurs d’énergies anciennes et nouvelles, les lieux de
création de valeur changent drastiquement. Il pourrait s’ensuivre un retour de
certaines productions à proximité de leurs marchés, une régression des mouvements
de marchandises et d’êtres humains permettant, au passage, de réduire les coûts
environnementaux. Le triptyque mouvement – concentration – hyper-consommation
ne permettant pas un développement durable serait ainsi remis en cause. Encore
faudrait-il que puisse prévaloir une relative égalité de revenus et de
patrimoines, que renaisse une véritable classe moyenne pour que le changement
soit admis socialement et soit créateur de valeur.

Le grand basculement ainsi envisagé ne
remet pas en cause le principe du monde industriel, celui d’une organisation
maximisant le taux d’utilisation des fonds de services (équipements, ressources
humaines, stocks), synchronisant les étapes successives de la production de
biens et de services (Georgescu-Roegen, 1971). La concentration géographique
n’est plus nécessaire pour y parvenir. Les grandes unités n’ont plus lieu
d’être. Cette déconcentration est susceptible de réduire la longueur des
acheminements (les transports de matières et de produits) sans que l’efficacité
productive en soit affectée. Il reste que les mutations structurelles en
question sont de très grande ampleur. De nouvelles communautés, de nouvelles
intelligences collectives vont devoir s’organiser. L’entreprise va devoir
acquérir de nouveaux contours. Les lieux de captation de valeur, tels que les
enregistrent les mouvements boursiers, évoluent déjà fortement au bénéfice des
acteurs du numérique. Il est difficile, dans ces conditions, d’imaginer que
l’instabilité ne soit pas au rendez-vous rendant illusoire toute possibilité
d’un retour à la « normale ».

Sans
aller aussi loin dans la prospective …

Les mutations en cours, affectant
technologies et préférences, restent difficiles à connaître et à prévoir. Elles
ne se dérouleront pas en un jour. Rien n’indique qu’un nouvel état stable
puisse même exister. Il est, en revanche, manifeste, que l’on va assister à une
accélération de la recomposition du tissu productif en raison des effets
combinés de la crise sanitaire et de la crise écologique. Les nouvelles donnes
technologiques et comportementales vont entraîner une accélération du processus
de destruction créatrice. Des secteurs sont d’ores et déjà durablement affectés
par les transformations de la demande tels que le transport aérien ou l’automobile
qui ne sont pas confrontés aux seules conséquences de la transition énergétique.
Sans compter bien sûr les effets en amont comme en aval. Il ne peut être
question d’un retour à un équilibre de longue période effaçant les pertes
subies. Si des relocalisations d’activité se produisent, ce ne sera pas sous la
forme d’un retour à l’identique, mais sur la base de robotisation sans création
de « vieux » emplois pouvant résorber le chômage structurel. Plutôt
que de relocalisation et de raccourcissement des chaînes de valeur, il vaut
mieux parler de leur recomposition, d’un changement de nature de la
mondialisation des échanges.

Les mutations en cours affectent, en tout
premier lieu, la situation des marchés. Excès et pénuries de main-d’œuvre pourraient
s’accentuer du fait de l’hétérogénéité de l’offre de travail et d’une mobilité
professionnelle freinée par un défaut de temps et de moyens financiers
d’apprentissage. Le risque d’une polarisation encore accrue des emplois en
termes de qualification et de salaires est manifeste du fait de la rareté de
l’offre de travail qualifiée et du déversement de la main d’œuvre la plus
touchée vers les emplois peu qualifiés.  Ce
ne peut être que dommageable à la croissance globale en raison de l’effet
produit sur la répartition des revenus et la structure de la demande
possiblement caractérisée par une demande accrue de biens de luxe et d’actifs
financiers au détriment d’une forte demande de biens « salariaux »,
caractéristique de l’existence d’une importante classe moyenne.

Des tensions inflationnistes sont déjà effectives
sur les marchés de matières premières (fer, cuivre, bois, aluminium, blé, soja,
pétrole) et sur les marchés de produits intermédiaires (semi-conducteurs, puces
électroniques), qui vont peser, plus ou moins fortement suivant les secteurs,
sur les coûts de production des entreprises, leurs marges et leurs prix. De
telles tensions sont le fruit des mutations structurelles en cours y compris celles
résultant de la transition écologique. Ainsi à production égale,
l’éolien et le solaire consomment considérablement plus d’acier et de béton que
les centrales thermiques ou nucléaires. L’électrification des objets, à
commencer par la voiture, et le besoin en batteries de stockage qu’elle
implique ne peuvent que faire exploser la demande des matériaux qui les
composent et leurs prix.

Des investissements très élevés sont requis
y compris en raison pour des raisons écologiques (économies de ressources). La mutation
ainsi engagée, comme toute transition, entraîne une hausse des coûts de
construction des nouvelles capacités et, potentiellement une chute relative du
produit brut avec comme conséquence, temporairement ou non, la hausse du taux
de chômage et la diminution des gains de productivité (l’effet machine de
Ricardo décrit par Hicks, 1973). Y parer requiert, à tout le moins, une
politique monétaire et une organisation financière garantissant aux entreprises
un accroissement des crédits à l’investissement productif (Amendola et Gaffard,
1998).

Face à l’inévitabilité des mutations
structurelles et à l’exigence de viabilité, il devient essentiel de développer
de nouvelles qualifications et de nouveaux emplois correctement rémunérés. Ce
n’est pas qu’une affaire d’offre de travail, de formation initiale, générale,
professionnelle et continue. C’est aussi une affaire de demande de travail impliquée
par le développement de nouvelles activités et de nouveaux investissements. La
question se pose alors clairement de l’organisation du système financier et du
mode de gouvernance des entreprises propres à orienter les moyens financiers
disponibles vers les projets les plus porteurs de croissance à long terme dans
la mesure où ils permettent aux entreprises de former des anticipations fiables.

Les économistes sont-ils démunis de repères ?

Ce
n’est pas de la théorie économique conçue pour décrire les périodes de
tranquillité qu’il faut attendre une compréhension des ressorts de l’instabilité
et des conditions de résilience de l’économie de marché. À vrai dire, il vaut mieux
se rapporter aux enseignements tirés de l’observation de périodes passées de
rupture. Deux épisodes retiendront ici l’attention.

L’épisode
des années 1970 livre un premier enseignement dès lors que l’on y
reconnaît un changement structurel de grande ampleur. La hausse simultanée du
taux d’inflation et du taux de chômage a conduit à une remise en cause d’une
politique keynésienne strictement macroéconomique, fondée sur la possibilité
d’un arbitrage maîtrisé entre les deux. L’explication qui l’a emporté a reposé
sur la dénonciation d’un déficit budgétaire venant contrarier un état naturel
d’équilibre de long terme. Le principe de séparation entre causes (monétaires)
de l’inflation et causes (réelles) du chômage a été ainsi réhabilité. La
véritable explication de la stagflation est pourtant différente, mettant l’accent
sur les conséquences de la recomposition du tissu productif initiée par la
hausse très forte du prix de toutes les matières premières avant même que ne
survienne le choc pétrolier. L’augmentation simultanée de l’inflation et du
chômage n’est autre que la conséquence de la désarticulation du tissu productif
que traduit la dispersion accrue des demandes et offres excédentaires
(sectorielles) dans un contexte où, faute d’une information suffisante, les
prix s’ajustent plus fortement à la hausse qu’à la baisse (et les quantités
donc les emplois plus fortement à la baisse qu’à la hausse) (Tobin, 1972 ;
Fitoussi, 1973). En présence d’une demande excédentaire de travail, dans
les activités en essor, les entreprises augmentent plutôt les salaires que
l’emploi en raison de la rareté de l’offre de travail et de l’existence d’une
contrainte de capacité. En présence d’une offre excédentaire de travail, dans
les activités en déclin, les entreprises diminuent plutôt l’emploi que les
salaires pour conserver la confiance des salariés qu’ils continuent à embaucher.
La rigidité des prix répond à celle des salaires. Cette asymétrie de
comportement contraint le niveau global de l’emploi et le taux d’inflation.

L’épisode de la reconstruction en Europe
dans les années de l’après-Seconde Guerre mondiale livre un deuxième
enseignement. La situation globale de l’époque est caractérisée par un excédent
de demande de travail et un excédent de demande de biens. La reconstruction
exige la réalisation d’investissements qui doit permettre de combler le déficit
de capacité. Du pouvoir d’achat sous forme de salaires doit être distribué sans
contrepartie immédiate du côté de l’offre, car il faut du temps pour que
l’investissement soit réalisé et donne lieu à une capacité de production
opérationnelle. Il ne peut en résulter, à court terme, que des tensions
inflationnistes et un déficit du commerce extérieur à la fois inévitables,
nécessaires mais porteurs de leur future extinction (Hicks, 1947). Encore
faut-il qu’ils soient engagés, que les entreprises puissent faire des
anticipations fiables, qu’elles disposent des liquidités nécessaires, ce qu’a
permis le plan Marshall.  

S’ils n’offrent pas de solutions toutes
faites, ces enseignements nous éclairent sur la nature des difficultés et
problèmes qui peuvent survenir à plus ou moins brève échéance. Des
déséquilibres ne peuvent qu’apparaître sur les différents marchés (matières
premières, biens intermédiaires et biens finals, travail). Ils ne pourront être
contenus que par des moyens relevant, à la fois, de la politique économique et
de l’organisation des entreprises, permettant de faire face à l’hétérogénéité
des situations et des comportements et de réconcilier le temps long avec le
temps court. L’objectif est de faire en sorte que les anticipations des
entreprises relatives aux investissements soient cohérentes avec les politiques
publiques (Gaffard, Amendola et Saraceno, 2020). Aussi convient-il de revenir à
une problématique en termes de déséquilibre, renoncer à s’en tenir aussi bien à
une politique de l’offre qu’à une politique de la demande pour mettre l’accent
sur l’interdépendance entre l’offre et la demande, au niveau global comme
sectoriel, afin d’identifier les conditions d’une cohérence entre les deux
toujours en devenir. Deux questions fondamentales sont en haut de l’agenda.
Celle de l’incitation à investir et celle conjointe de la relation salariale.
Il s’agit de rechercher les conditions institutionnelles propres à garantir
d’orienter les moyens financiers vers la création une offre correspondant à une
demande finale suffisamment large et à rétablir un partage de la valeur ajoutée
porteur de cette demande. À ces conditions, les choix de politiques
macroéconomiques pourront être en concordance avec les anticipations formulées
par les entreprises comme cela a pu l’être pendant la période dite des
« trente glorieuses » au sein du monde occidental. Reste qu’il faudra
affronter un contexte géopolitique bien différent qui ne se résume pas à la
mondialisation vue comme une extension des marchés.

Références

Amendola M. et J. -L. Gaffard, 1998, Out
of Equilibrium
, Oxford, Clarendon Press.

Dessertine P., 2021, Le grand basculement, Paris, Robert Laffont.

Fitoussi J. -P., 1973, Inflation, équilibre et chômage, Paris, Cujas.

Gaffard J. -L. , Amendola M. et F.
Saraceno, 2020, Le temps retrouvé de
l’économie
, Paris, Odile Jacob.

Georgescu-Roegen N., 1971, The
Entropy Law and the Economic Process
, Harvard, Harvard University Press.

Hicks J. R., 1947, « World Recovery after War: a Theoretical Analysis », The Economic Journal, n° 57, pp. 151-164. Reproduit in J.
R. Hicks, 1982, Money, Interest, and
Wages, Collected Essays on Economic Theory, volume II
, Oxford, Basil
Blackwell.

Hicks J. R., 1973, Capital and
Time
, Oxford, Clarendon Press.

Tobin J., 1972, « Inflation and Unemployment », American
Economic Review,
n° 62, pp. 1-18.




La réforme du Crédit impôt recherche sonne-t-elle le glas des coopérations public-privé de R&D ?

par Pierre Courtioux (Paris School of Business) et Evens Salies

Alors que le Conseil d’analyse économique prône davantage de coopération public-privé en matière de recherche et d’innovation, afin notamment de combler le retard qu’accuse la France dans le secteur pharmaceutique[1], la loi de finance pour 2021 supprime une mesure d’incitation à la sous-traitance publique des activités de R&D privée. Il s’agit de la règle dite du « doublement de l’assiette » du Crédit d’impôt recherche (CIR) qui permet à un donneur d’ordre privé, externalisant une activité de R&D à une entité publique de recherche, de déclarer à l’administration fiscale le double des dépenses facturées par l’entité.



Avec
cette règle, pour l’externalisation d’une même dépense de recherche, une entreprise
bénéficie d’un montant de CIR plus élevé si elle se tourne vers un laboratoire
ou une université publique[2] que si elle se tourne vers
le privé.

À court terme, de (faibles) économies budgétaires

L’idée de
supprimer cette règle n’est pas nouvelle. Elle fut déjà envisagée par la Cour des comptes en 2013 et
le Conseil national de
l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESR) en 2019
comme un moyen de limiter la croissance
des dépenses de CIR. En effet, le CIR qui représentait 4,5 milliards d’euros en
2008, atteint désormais 6,8 milliards[3] !
La DIRDE est passée de 25,7 à 33,9 milliards d’euros (+31,9 %) sur la même
période. Le ratio CIR/DIRDE mesurant le rendement du CIR, a augmenté de 14,6 %, un gain
non-négligeable pour les entreprises ayant une activité de recherche. Les
différents coups de rabot envisagés, dont la suppression du doublement de
l’assiette discutée ici, peuvent apparaître d’autant plus légitimes que le CIR
est loin d’avoir atteint ses objectifs en termes d’entraînement des dépenses de
R&D[4].

L’argument
des économies budgétaires liées à la suppression de cette règle doit cependant
être relativisé. En effet, les 150 millions d’économie
potentiellement dégagés représentent à peine 2,3 % de CIR annuel[5]. Dès lors, on peut légitimement se demander si ces
« petites économies » sur le CIR, aussi appréciables soient-elles à
court terme, ne risquent pas de ralentir les coopérations porteuses
d’externalités positives du public vers le privé et contribuer à asphyxier la
recherche publique par manque de financements à plus long terme.

En
l’absence d’évaluations d’impact claires en la matière, le consensus politique
peut s’avérer plus difficile à trouver. Lors des discussions du projet de loi,
des sénateurs et représentants d’organismes de recherche auditionnés se sont
opposés à la suppression de cette règle, et ont même obtenu que la suppression
ne se fasse pas avant 2023. Ce report est-il une bonne chose et permet-il
de préserver l’écosystème français de R&D ?

La règle du doublement de l’assiette n’a pas développé massivement
de partenariat public-privé de recherche

Le report
de la réforme en 2023 ne nous semble pas une mesure conservatoire porteuse d’enjeux
majeurs, pour la simple raison que les entreprises ont relativement
peu recours à la sous-traitance publique. On peut même se demander si le doublement
de l’assiette n’a jamais incité à la création de nouveaux partenariats
public-privé ! En 2018, sur les 14 milliards d’euros que les entreprises
allouent pour les travaux de R&D en externe, 94 % sont à destination
d’autres entreprises. Dans
son rapport de 2015 préconisant une réforme du CIR, l’ex-sénatrice madame Gonthier-Maurin
avait déjà souligné (p. 217) que les entreprises ont une préférence pour des
sous-traitants faisant, comme elles, une R&D plus proche de la réalisation
de prototypes et de l’innovation (le ‘D’ de R&D). Ainsi, la sous-traitance publique ne représente pas plus de 2 % des
dépenses de R&D déclarées au CIR
(avant doublement).

Si les entreprises trouvaient le doublement de l’assiette incitatif, les effets des réformes de 2004 et 2008 du CIR (respectivement années d’introduction du doublement de l’assiette et de montée en puissance du CIR) se verraient dans les chiffres. Or, comme on peut le constater, le niveau du financement de la recherche publique assuré par la sous-traitance publique reste faible mais stable autour de 5 % depuis 20 ans (la bande noire dans le graphique).

Source : Eurostat, 2021. Dépenses intra-muros de R&D par secteur d’exécution et source de financement. Dernier accès : 30/03/2021. Calculs des auteurs.

La suppression du doublement
de l’assiette aura probablement plus d’impact dans les secteurs où la
sous-traitance publique est concentrée. Il s’agit essentiellement des
entreprises dont les activités sont spécialisées, scientifiques et techniques
(19,7 %) et de l’industrie manufacturière (54,7 %) dans laquelle se trouve
l’industrie pharmaceutique. Certes, les groupes pharmaceutiques ont longtemps
soutenu les laboratoires universitaires ayant la capacité de travailler de
manière continue à la recherche de nouvelles molécules et autres solutions,
avec parfois des applications inattendues (comme les bétabloquants pour
l’hypertension artérielle, ou la thérapie génique basée sur l’ARNm)[6].
Mais la sous-traitance publique ne pèse que 28 millions d’euros en 2016 dans ce
secteur, ce qui n’est rien à côté des activités externalisées vers des
entreprises de cette industrie (758 millions d’euros[7])
ou du CIR versé à certains grands groupes pharmaceutiques[8].

À plus long terme, une sécurisation du crédit impôt recherche

Paradoxalement, dans un contexte européen où la concurrence fiscale
entre pays pour attirer les entreprises ayant une activité de R&D s’est
accentuée[9], l’abandon de la règle du doublement de l’assiette va certainement
contribuer à renforcer le CIR dans le long terme.  

En
effet, selon le gouvernement, cette règle ne serait pas conforme au régime des
aides d’État encadré par l’Article 108 du Traité de fonctionnement de l’UE
(TFUE) en faisant peser une concurrence déloyale sur les entreprises de
R&D. Plus précisément, certains types de sous-traitants publics auraient
une activité marchande trop élevée pour être qualifiés d’organismes de
recherche, au sens du droit de l’UE. En supprimant le doublement de l’assiette,
le gouvernement aligne la règle de la sous-traitance publique sur celle de la
sous-traitance privée, et sécurisant ainsi le CIR au regard de la
règlementation européenne[10].

Débarrassé
de son objectif de renforcement du partenariat public-privé, le CIR français a
encore de beaux jours devant lui. Mais la question du financement (notamment
par le privé) de la recherche publique au sein de l’écosystème français de
R&D reste entière. En France, les entreprises contribuent beaucoup moins au
financement de la recherche publique qu’en Allemagne (5 % contre 12 %). Pourtant,
les structures pour aider les entreprises à conclure des contrats de recherche
avec des organismes de recherche publics ne manquent pas (Instituts Carnot et
de Recherche Technologique). Existent également les structures permettant le
transfert des idées issues des milieux universitaires vers de nouveaux projets
(les Sociétés d’Accélération du Transfert Technologique). On peut ajouter les
mesures telles que le dispositif des Jeunes
Entreprises Universitaires depuis 2008, ou celles inscrites dans la Loi de programmation
de la recherche (LPR) votée en décembre 2020, qui augmentent les thèses CIFRE (convention industrielle de
formation par la recherche) et facilitent le cumul d’activités à temps partiel
entre un laboratoire public et une entreprise ou la création d’entreprises de
R&D[11]. Mais, en l’absence de
financement conséquent des laboratoires par des entreprises, peut-on vraiment
parler de partenariat ?

La
réforme du CIR ne sonne pas le glas des coopérations public-privé de R&D, car
elles n’ont, de fait, jamais décollé. Bien évidemment personne ne pense
sérieusement que le Crédit d’impôt recherche pourrait « sauver » le
financement de la recherche publique. Dès lors, continuer à défendre la
« règle du doublement de l’assiette », nous paraît illusoire.


[1].    Loi de Finance pour 2021.

[2].    Les
types de sous-traitants faisant bénéficier du doublement de
l’assiette sont nombreux : universités, organismes de recherche
(CNRS, INSERM, etc.), les fondations de coopération scientifique (par ex., la
Fondation Jean-Jacques Laffont – TSE), les établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel (écoles normales supérieures, COMUE,
établissements expérimentaux, Institut .polytechnique de Paris, …), les
fondations reconnues d’utilité publique (Institut Pasteur, Fondation Sophia Antipolis,
…), des associations de loi 1901 dans le secteur de la recherche, etc.

[3].    MESRI,
2020. Le CIR en 2018
(données provisoires),
MESRI-DGRI, dernier accès : 5/05/2021.

[4].    Salies
E., 2018, Impact du Crédit d’impôt
recherche : une revue bibliographique des études sur données françaises
, Revue
de l’OFCE
, n° 154, février.

[5].    Moga
J.-P., 2020, Projet de loi de finance pour
2021 : recherche et enseignement supérieur – Avis No. 139, 2020-2021
. Rapport fait au nom de la Commission des
affaires économiques du Sénat, nov. Dernier accès : 30/03/2021.

[6].    Voir
Clozel M., 2005, La découverte de médicaments en biotechnologie
: de l’idée au produit – Les relations biotechnologie – Université
, Collège de France. Dernier accès : 30/03/2021.

[7].    Calculs
obtenus à partir de l’enquête annuelle sur les moyens consacrés à la recherche
et au développement dans les entreprises, et de la base GECIR des déclarations
au CIR de la DGFiP.

[8].    Des
montants de plus de 100 millions d’euros sont évoqués dans les débat à
l’Assemblée nationale (PLF 2019 – Amendement
n°II-2029
, déposé le 9
novembre 2018).

[9].    Salies E., Guillou S., 2020, L’Allemagne prise dans
l’engrenage du CIR
, Blog OFCE, juin.

[10] La mise en conformité du dispositif comprend
également un abaissement du plafond. En effet, il existe un plafond, applicable
aux dépenses externalisées par l’entreprise, de 12 à 10 millions d’euros ;
ce montant est la règle pour un sous-traitant privé.

[11].  Lire
plus particulièrement les articles 23 à 25 de la Loi n° 2020-1674 du
24/12/2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et
portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement
supérieur
. Dernier
accès : 30/03/2021.




Financement de Pôle Emploi par l’assurance chômage : une proposition, une révolution

par Bruno Coquet

Parmi les trois propositions qui constituent le Big Bang de l’assurance
chômage que vient d’annoncer le Medef, les deux les plus commentées sont la
création d’un système de solidarité sous la responsabilité de l’État et d’un
régime assurantiel délégué aux partenaires sociaux. Elles occultent la
troisième qui mettrait Pôle Emploi sous la responsabilité exclusive de l’État,
impliquant une baisse drastique de la contribution que verse l’Unedic à Pôle
Emploi, qui diminuerait de 4 milliards à 500 millions par an[1].



Ce serait une avancée essentielle. Car ce ne sont pas les moyens dont
Pôle Emploi doit disposer qui sont en cause mais la manière de les financer,
comme l’expliquait la Note de l’OFCE n° 58 « L’assurance
chômage doit-elle financer le service public de l’emploi
 ? »,
seule étude publiée à ce jour sur ce sujet qui, déjà en 2016, proposait une
évolution aboutissant à un chiffrage similaire à celui de la réforme
aujourd’hui proposée par le Medef.

Depuis 20 ans, la répartition du financement du service public de
l’emploi entre l’État et l’Unedic a biaisé le diagnostic des problèmes de
l’assurance chômage, nourrissant faux débats et malentendus, freinant les
réformes et ouvrant la voie à la reprise en mains par l’État.

Sur un plan théorique, il n’y a pas de raison que l’Unedic finance 80 %
du service public en charge du suivi et de l’accompagnement des chômeurs ou de
la collecte des offres d’emploi. En effet, il s’agit d’un « service public »,
ouvert à tous les employeurs publics ou privés, affiliés ou non, et à tous les chômeurs,
indemnisés ou non. La théorie économique est claire : accessibles à tous, ces
prestations doivent être financées par l’impôt, et si un usager demande un
service spécial, celui-ci est tarifé au coût marginal.

Ce coût marginal est connu et faible : ce sont les « frais
de gestion » que Pôle Emploi
facture aux employeurs publics
non-affiliés à l’assurance chômage. « Ils sont calculés à l’acte sur la
base de deux actes métiers :

  • Le traitement d’un calcul de droit (82,33€) :
    ouverture de droit initiale, rechargement ;
  • Le traitement mensuel de l’actualisation
    (6,67€) : qu’il y ait ou non versement d’une allocation 
    ».

Soit 162 euros par an environ pour un chômeur présent toute l’année. Pour
sa part, l’Unedic est facturée près de 1 500 euros par chômeur indemnisé, donc
dix fois plus cher pour les mêmes services. Au total 450 millions d’euros
suffiraient pour indemniser tout au long de l’année environ 2,7 millions de
chômeurs, quand l’Unedic paye 4,3 milliards. Ce montant pourrait être
financé (comme c’est le cas pour l’APEC) par une taxe dédiée de 0,45% sur la
masse salariale de l’ensemble des secteurs, dans la mesure où tous les actifs et
tous les employeurs peuvent recourir aux services de Pôle Emploi.

La révolution vient de ce que la lecture du financement de Pôle Emploi
qui mène à cette proposition change du tout au tout le diagnostic que l’on peut
faire du problème de l’assurance chômage, des réformes à accomplir.

De 2008 à 2019 l’Unedic a transféré 42 milliards d’euros à Pôle Emploi,
alors qu’avec la formule au coût marginal proposée par le Medef le transfert
n’aurait été que de 5,2 milliards d’euros. Dans ces conditions l’Unedic
n’aurait pas accumulé dans sa dette ces 27,5 milliards d’euros de déficit, mais
13,5 milliards… d’excédents ! Avec une focale un peu plus longue, car le
problème existait déjà avant 2008, il apparaît qu’avec des modalités de
financement claires de Pôle Emploi, l’Unedic n’aurait jamais eu de dette.

Ce prélèvement s’est fait aux dépens des allocations chômage. En effet,
ce sont pour le moment les chômeurs indemnisés qui assument l’essentiel de
cette charge, car le versement à Pôle Emploi est prélevé sur le budget
normalement dédié aux allocations, lui-même financé par des contributions prélevées
au motif de l’assurance-revenu. Ces contributions s’élèvent à 6,4% de la masse
salariale privée sous plafond, soit le même taux depuis 2003 (la part employeur
a même légèrement augmenté de 0,05% en 2017 et le remplacement de la cotisation
salariale par la CSG a déplafonné l’assiette). Les gains de productivité issus
de la fusion Assédic-ANPE et du transfert du prélèvement des cotisations à
l’Urssaf n’ont pas bénéficié à l’Unedic, et la part du budget de Pôle Emploi
couverte par l’Unedic n’a jamais cessé de progresser (de 60% à 80% en 10 ans).

Changer le mode de financement de Pôle Emploi change donc toute la
perspective, le point de départ et les objectifs des réformes à
accomplir : en réalité il le problème n’était pas de résorber un déficit
structurel lié à la « générosité » supposée des allocations, ni de
rembourser la dette ainsi créée, mais de gérer un excédent financier
structurel, obtenu malgré un nombre record de chômeurs indemnisés.

Grâce à cette révolution, l’objectif des réformes redeviendra ce qu’il
aurait toujours dû être durant toutes ces années, la recherche d’efficience
plutôt que la recherche d’économies.


[1] A ce
stade les propositions du Medef n’ont pas fait l’objet d’un document officiel,
ce billet de blog se fonde donc sur les éléments largement relayés par la presse,
mais non-détaillés à ce stade, à la suite de l’audition du président du Medef
par l’AJIS.