Faut-il remplacer le quotient familial par un crédit d’impôt ?

par Guillaume Allègre

Faut-il remplacer, à budget constant, le système de quotient familial de l’impôt sur le revenu par un système de crédit d’impôt pour chaque enfant ? Dans une note de l’OFCE (ici), nous faisons le point sur un débat qui oppose ceux qui pensent que le fonctionnement du quotient familial est régressif à ceux qui affirment qu’il est une composante nécessaire de l’impôt progressif. 

Nous montrons que le principe du quotient familial ne peut être considéré comme anti-redistributif, bien que les gains soient croissants lorsque le revenu augmente ! Par contre, son application s’éloigne de l’idée initiale d’imposition selon le niveau de vie. D’autre part, un système de crédit d’impôt serait très favorable aux ménages avec enfants les moins aisés au détriment des ménages avec enfants les plus aisés. Un remplacement du quotient familial par un système de crédit d’impôt impliquerait, selon le Trésor, un transfert de 3,5 milliards d’euros des ménages avec enfants les plus aisés aux ménages avec enfants les moins aisés et bénéficierait, en moyenne, tout autant aux familles nombreuses que le système actuel. Toutefois, un gain similaire de progressivité pourrait être obtenu en modifiant les barèmes des impôts sur le revenu. Au final, ni le système du quotient familial, ni le système du crédit d’impôt ne méritent certains excès d’indignité qui leur sont accordés de part et d’autre.

Les défenseurs de l’imposition selon le niveau de vie devraient approuver une réforme qui consisterait à supprimer les demi-parts supplémentaires à partir du troisième enfant et à attribuer aux enfants des parts équivalentes aux unités de consommation utilisées dans le calcul du niveau de vie (soit 0,3 part pour les enfants de 14 ans et moins, et 0,5 part pour ceux de 15 ans et plus). D’après le Trésor, une telle réforme dégagerait 2,3 milliards d’euros (p.20). Cette réforme devrait être accompagnée d’une réforme du quotient conjugal qui laisserait le choix à tous les conjoints entre l’imposition conjointe avec 1,5 part et l’imposition séparée avec 1 part chacun. A budget pour la politique familiale constant, les économies ainsi effectuées pourraient alors être utilisées pour aider les familles du bas de l’échelle des revenus (notamment sous la forme d’un complément ou d’une allocation familiale dès le premier enfant).

Parallèlement, les défenseurs du crédit d’impôt devraient tenir compte de certains risques. En effet, un des avantages principaux du quotient familial est de fonctionner automatiquement : une fois les règles déterminées, il n’y a pas besoin de renégocier ou d’indexer. La prise en compte de la charge familiale est ainsi protégée des aléas budgétaires (Sterdyniak, 2011). A l’inverse, un système de crédit d’impôt est beaucoup moins protégé : il peut être mis sous condition de ressources, indexé sur les prix et non sur les revenus, voire désindexé. Une règle d’indexation crédible est donc nécessaire pour qu’une réforme soit acceptable du point de vue de la politique familiale.




“Acheter français” : du slogan à la réalité

par Jean-Luc Gaffard, Sarah Guillou, Lionel Nesta

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

La campagne électorale donne du poids aux propositions simplistes. Il en est ainsi du slogan  « acheter français » qui fait écho à la nécessité de réindustrialiser la France. Quoi de plus simple, en effet, pour y parvenir que de convaincre les résidents d’acheter les produits de leur propre pays en proposant de mettre à leur disposition un label reconnu. C’est, en outre, davantage politiquement correct que de prôner d’entrée de jeu le retour au protectionnisme. L’emploi est censé y gagner en même temps que la balance du commerce extérieur. A y regarder de plus près, non seulement il est difficile d’identifier l’origine géographique des productions, mais même si cela était possible, la préférence dont elles seraient l’objet pourrait bien se conclure en pertes d’emplois.  La solution ainsi préconisée pour répondre à l’exigence de ré-industrialisation ne fait que marquer le refus d’envisager le fond du problème.

Peut-on vraiment définir ce que signifie « acheter français » ? Est-ce acheter les produits d’entreprises françaises ? Ou bien n’est-ce pas plutôt acheter des produits fabriqués en France par une entreprise étrangère au lieu d’acheter des produits fabriqués à l’étranger par des entreprises françaises. A cette seule observation, on voit bien qu’il n’est pas si facile de détecter le  « made in France ». La vraie difficulté tient au fait que les biens finals fabriqués sur le territoire national incorporent le plus souvent des biens intermédiaires fabriqués à l’étranger. Il peut même arriver que les composants d’un produit final soient fabriqués par un concurrent d’un autre pays. L’exemple de l’iphone est emblématique de cette fragmentation. Faut-il alors s’interdire d’acheter des biens intermédiaires dans des pays à bas salaires alors qu’ils permettent de produire des biens finals à meilleur coût et de mieux les exporter en devenant plus compétitifs en termes de prix ? Ceux qui en arriveraient à le penser ne devraient plus donner l’industrie allemande en exemple quand on sait le poids croissant des biens intermédiaires importés dans la fabrication des biens finals qu’elle exporte (OCDE, Measuring Globalisation: OECD Economic Globalisation Indicators 2010 p. 212).

Imaginons, cependant, des consommateurs nationaux capables de détecter les produits à fort contenu en emplois et prêts à se sacrifier dans un élan de patriotisme économique. Les sondages ne nous disent-ils pas que plus des deux tiers des ménages seraient prêts à débourser plus pour acheter des produits français ? Outre que l’on peut douter du passage à l’acte, il serait hasardeux d’ignorer le coût d’opportunité d’un tel choix. Acheter plus cher des produits parce qu’ils sont français réduit le pouvoir d’achat. D’autres biens et services ne seront pas achetés ou le seront à moindre prix à l’étranger. Le bilan pour l’emploi est pour le moins incertain.

Ce même effort de patriotisme économique, s’il devait se concrétiser, constituerait une forme d’attachement de la clientèle à certains types de produits, en l’occurrence désignés par leur lieu de fabrication, qui aurait pour effet de réduire l’intensité de la concurrence. Il pourrait conduire les entreprises concernées à s’exonérer des efforts nécessaires pour améliorer leur compétitivité-prix ou hors-prix. Pourquoi, en effet, devraient-elles investir dans des projets d’investissements coûteux et risqués, alors qu’elles auraient une clientèle assurée ? Il y a fort à parier qu’elles ne le feront pas ou peu. L’économie nationale pourrait alors se trouver enfermée dans une trappe à faible niveau technologique et donc à faible croissance aux conséquences évidemment dommageables pour l’emploi à moyen et long terme. Elle se serait privée des moyens d’innover et d’accroître la compétitivité de ses produits.

Enfin, il est vraisemblable que la volonté d’acheter français bénéficierait à des produits qui viendraient se substituer à des produits fabriqués ailleurs en Europe plutôt qu’à des produits fabriqués dans les pays émergents, soit parce que ces derniers ne sont plus fabriqués en France, soit parce que les différences de prix à l’ avantage de ces derniers restent rédhibitoires. Au final, les délocalisations vers les pays à bas salaires et les pertes d’emplois correspondantes ne seraient pas évitées. De plus, le caractère non coopératif du point de vue européen de cette mesure pourrait entraîner un comportement réciproque des partenaires européens dommageable aux exportations et à l’emploi.

Le slogan « acheter français » masque le refus de voir dans la récession un phénomène global qui appelle une réponse globale à l’échelle européenne, mais aussi le refus d’envisager une politique industrielle volontariste impliquant d’être au fait des réalités de l’offre comme de celles de la demande.

Il n’est pas question ici de se voiler la face. La France subit une désindustrialisation qui menace sa capacité de croissance. Mais qui peut nier que le phénomène s’est accéléré avec la crise et que cette accélération va s’amplifier quand l’austérité budgétaire généralisée et les restrictions de crédit bancaire affaibliront un peu plus la demande intérieure et plus largement européenne pour les biens de consommation durables ? Il y a clairement urgence à soutenir cette demande sauf à accepter que tout un pan de l’industrie en France comme ailleurs en Europe soit détruit sans espoir de retour, avec à la clé des disparités encore accrues entre pays et une exacerbation des conflits d’intérêts.

Est-ce à dire que l’on tiendrait là la solution ? Certes non ; il ne suffit pas de soutenir la demande et une politique industrielle, visant à renforcer l’offre, est également nécessaire. Il s’agit ni de protéger les productions nationales, ni de favoriser la conquête des marchés extérieurs à coups de concurrence fiscale ou sociale, mais de stimuler des investissements visant à la maîtrise de la production de nouveaux biens et services, les seuls à même de créer des emplois stables. Plutôt que de tenter de s’appuyer sur des slogans improbables, l’objectif devrait être de consolider une offre dont l’avantage tient à la qualité des services fournis en matière de conception, de sécurité, de fiabilité, et qui soit en adéquation avec ce que sont réellement les préférences des consommateurs français et européens.




Durée du travail et performance économique : quels enseignements peut-on tirer du rapport Coe-Rexecode ?

Par Eric Heyer et Mathieu Plane

Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ? La France est-elle le seul pays à avoir réduit son temps de travail au cours de la dernière décennie ? Les 35 heures ont-elles réellement « plombé » l’économie française ? Le rapport publié le 11 janvier par l’Institut Coe-Rexecode fournit quelques éléments de réponses à ces questions.

Nous revenons dans une note sur les principales conclusions du rapport qui peuvent se résumer de la manière suivante :

1.  Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ?

  • VRAI pour les salariés à temps complet,
  • FAUX pour les salariés à temps partiel,
  • FAUX pour les non-salariés
  • INDETERMINE pour le total

2. La durée du travail a-t-elle plus baissé en France qu’en Allemagne depuis 10 ans ?

  • FAUX

3.  « La baisse de la durée du travail a manqué l’objectif de créations d’emplois et de partage du travail » en France

  • FAUX

4.  « La baisse de la durée du travail a bridé le pouvoir d’achat par habitant » en France

  • FAUX



Quelle politique de l’emploi dans la crise ?

par Marion Cochard

(Point de vue paru sur le site lemonde.fr, ici)

Après une accalmie d’une année seulement, les chiffres du chômage sont repartis à la hausse depuis avril 2011. On voit se remettre en place l’enchaînement récessif de 2008 : gel des embauches, non-reconduction des contrats d’intérim et des CDD, puis licenciements économiques en fin d’année. En cause bien sûr, le retournement conjoncturel en cours, qui intervient alors que les marges des entreprises françaises sont encore dégradées par le choc de 2008-2009, et particulièrement dans l’industrie. Les entreprises fragilisées n’ont plus aujourd’hui la capacité d’amortir cette rechute comme elles l’avaient fait il y a 4 ans. L’économie française devrait retomber en récession dès le quatrième trimestre 2011, et nous prévoyons une chute de l’activité de 0,2% en 2012. Quand on sait qu’une croissance annuelle de 1,1% est nécessaire pour commencer à créer des emplois, la reprise des destructions d’emplois paraît inévitable. Si l’on ajoute à ce sombre constat une population active toujours dynamique, le nombre de chômeurs franchirait la barre des 3 millions d’ici la fin de l’année.

A l’aube d’un sommet social sous tension, quelles sont donc les options qui permettraient d’amortir l’impact de crise sur le marché du travail ? Dans l’urgence de la crise, le gouvernement dispose de deux principaux leviers très réactifs et peu coûteux : le chômage partiel et les emplois aidés dans le secteur non marchand.

Le chômage partiel, d’abord, permet d’amortir les difficultés conjoncturelles rencontrées par les entreprises et de conserver les compétences au sein de l’entreprise. Il existe des marges importantes pour élargir le dispositif. A titre de comparaison, la durée maximale d’indemnisation au titre du chômage partiel a été portée à 24 mois en 2009 en Allemagne, contre 12 mois en France. En outre, la prise en charge de l’Etat, nettement supérieure en Allemagne, explique en partie le large usage qui y en a été fait : le chômage partiel y a touché 1,5 millions de personnes au pire de la crise, contre 266 000 en France. Une telle orientation pèserait par ailleurs très peu sur les finances publiques, car aux 610 millions d’euros déboursés par l’Etats au titre du chômage partiel en 2009, on peut opposer les indemnités chômage économisées, et la préservation du capital humain.

Mais le chômage partiel profite avant tout aux emplois industriels stables. Or, les premières victimes de la crise sont précisément les emplois précaires et les jeunes. C’est à ces catégories de population que s’adressent les emplois aidés. Là aussi, le gouvernement dispose de marges de manœuvre puisque depuis fin 2010, 70 000 contrats aidés non-marchands ont été détruits –et 300 000 depuis le début des années 2000- et que le dispositif n’est pas très coûteux. La création de 200 000 emplois aidés coûterait ainsi 1 milliard d’euros à l’Etat, à comparer au manque à gagner de 4,5 milliards lié à la défiscalisation des heures supplémentaires, en contradiction avec la logique du chômage partiel. Ciblés sur les catégories de chômeurs les plus éloignées de l’emploi – chômeurs de longue durée, peu qualifiés… – ces dispositifs permettraient de réduire le risque d’éloignement du marché du travail.

Pour autant, si ces outils doivent être mobilisés dans l’immédiat, ils n’en demeurent pas moins des dispositifs de court terme. Le chômage partiel reste circonscrit aux secteurs industriels à 80%, et pour des recours de courte durée. Si la situation économique demeure dégradée, on sait que le dispositif ne fait que retarder les licenciements. De même, les emplois aidés n’ont pas vocation à être pérennisés. Ce sont des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel, qui visent la réinsertion sur le marché du travail mais ne doivent pas constituer une perspective durable.

L’enjeu majeur est donc celui du diagnostic de la situation économique actuelle. En concentrant les négociations sur la question du chômage partiel et de l’emploi aidé, le gouvernement semble faire le pari d’une reprise rapide. Pourtant, c’est bien la conjonction des plans de rigueur à l’échelle européenne qui pèsera sur la croissance dans les années à venir. Et cette politique de réduction des déficits publics, qui coûtera 1,4 point de croissance à la France en 2012, devrait perdurer au moins en 2013. Difficile, dans ces conditions, d’espérer sortir assez rapidement de l’enlisement pour éviter la catastrophe sociale qui s’annonce. A moins d’envisager une nouvelle baisse pérenne du temps de travail et des créations d’emplois publics, la meilleure politique de l’emploi reste l’activité. C’est donc avant tout la question de la gouvernance macro-économique qui se pose aujourd’hui, en France comme dans l’ensemble de la zone euro.




Pour défendre le quotient familial

par Henri Sterdyniak

Certains responsables du Parti socialiste ont repris, début 2012, la thèse selon laquelle le quotient familial est injuste car il ne profiterait pas aux familles les plus pauvres qui ne paient pas d’impôt, et profiterait davantage aux familles riches qu’aux familles pauvres. Ceci dénote une certaine incompréhension du fonctionnement du système socialo-fiscal.

Peut-on remplacer le quotient familial par une prestation uniforme de 607 euros par enfant, comme le proposent certains responsables socialistes, s’inspirant d’un travail de la Direction du Trésor ? Ce  niveau de 607 euros n’a aucune justification autre que comptable : le coût actuel global du quotient familial réparti uniformément par enfant. Mais ce coût vient précisément de l’existence du quotient. Un crédit d’impôt, sans garantie d’indexation, verrait vite son pouvoir d’achat relatif diminuer, comme diminue celui des allocations familiales.

Avec ce crédit, la prise en compte des enfants dans la fiscalité perdrait toute logique. Comme le montre le tableau 1, les familles avec enfants seraient surtaxées par rapport aux couples sans enfant ; à revenu identique (par UC avant impôt), leur revenu après impôt serait plus faible. Le Conseil constitutionnel censurera certainement une telle disposition.

La France est le seul pays à pratiquer le système du quotient familial. Chaque famille se voit attribuer un nombre de parts fiscales, P, correspondant à sa composition ; ces parts correspondent grosso modo à son nombre d’unités de consommation (UC), telles que l’OCDE et l’INSEE les évaluent ; le système fiscal considère que chaque membre de la famille a un niveau de vie équivalent à celui d’un célibataire de revenu R/P ; la famille est donc taxée comme P célibataires de revenu R/P.

Le degré de redistribution assuré par le système fiscal est déterminé par le barème, qui définit la progressivité du système fiscal ; celle-ci est la même pour toutes les catégories de ménages.

Ainsi, le quotient familial (QF) est-il une composante logique et nécessaire de l’impôt progressif. Le quotient familial ne fournit ni aide, ni avantage spécifique aux familles ; il garantit seulement une répartition équitable du poids de l’impôt entre des familles de taille différente, mais de niveau de vie équivalent. Le QF n’est pas une aide arbitraire aux familles, qui augmenterait avec le revenu, ce qui serait évidemment injustifiable.

Prenons un exemple. La famille Durand a 2 enfants ; elle paie 3 358 euros d’IR de moins que la famille Dupont (tableau 1). Est-ce un avantage fiscal de 3 358 euros ? Non, car les Durand sont moins riches que les Dupont : ils disposent de 2 000 euros par part fiscale au lieu de 3 000. Par contre, les Durand paient autant d’IR par part que les Martin qui ont le même niveau de vie. Les Durand ne bénéficient donc d’aucun avantage fiscal.

Le quotient familial tient compte de la taille des foyers ; cette prise en compte est certes discutable ; mais on ne peut considérer qu’un système d’imposition qui ne tient pas compte de la taille des foyers est la norme et donc que tout écart à cette norme est une aide. Rien ne justifierait de prélever le même impôt sur le revenu aux Dupont sans enfant et aux Durand avec 2 enfants, qui ont certes le même montant de salaire, mais pas le même niveau de vie.

 

Par ailleurs, le plafonnement du quotient familial[1] tient compte du fait que la partie la plus élevée du revenu ne sert pas à la consommation des enfants.

La société peut choisir d’accorder ou non des prestations sociales ; mais elle n’a pas le droit de remettre en cause le principe de l’équité fiscale familiale : chaque famille doit être imposée selon son niveau de vie. Remettre en cause ce principe serait inconstitutionnel, contraire à la Déclaration des droits de l’homme selon laquelle : « Chacun doit contribuer aux dépenses publiques selon ses capacités contributives ». La loi garantit le droit des couples à se marier, à fonder une famille, à mettre en commun leurs ressources. L’impôt doit être familial et doit évaluer la capacité contributive de familles de composition différente. Aussi, est-il permis de faire confiance au Conseil constitutionnel pour interdire toute remise en cause du quotient familial[2].

La seule critique du système du quotient familial, socialement et intellectuellement recevable, doit donc porter sur ses modalités et non sur son principe. Les parts fiscales correspondent-elles bien aux unités de consommation (compte tenu d’une obligation de simplicité) ? Le montant du plafonnement du QF est-il approprié ? Si le législateur s’estime incapable de comparer le niveau de vie de familles de tailles différentes, il doit renoncer à la progressivité de l’impôt.

La politique familiale comporte un grand nombre d’instruments[3]. Les prestations sous conditions de ressources (RSA, complément familial, allocation-logement, ARS) ont pour objectif d’assurer un niveau de vie satisfaisant aux familles les plus pauvres. Les prestations universelles doivent compenser, en partie, le coût de l’enfant pour les autres. La fiscalité ne peut pas aider les familles pauvres plus qu’en ne les imposant pas. Elle doit être équitable pour les autres. Il est absurde de reprocher au quotient familial de ne pas bénéficier aux familles les plus pauvres : celles-ci bénéficient à plein de leur non-imposition et les prestations sous conditions de ressources aident ceux qui ne sont pas imposables.

Le tableau 2 montre le revenu disponible par UC d’un couple marié de salariés selon son nombre d’enfants, relativement au revenu par UC d’un couple sans enfant. En utilisant les UC de l’OCDE-INSEE, il apparaît que pour de bas niveaux de revenus, les familles avec enfants ont à peu près le même niveau de vie que les couples sans enfant. Par contre, au-delà de 2 SMIC, les familles avec enfants ont toujours un niveau de vie nettement plus bas que les couples sans enfant. Encore, ne tient-on pas compte du fait qu’avoir trois enfants ou plus oblige souvent la femme à réduire son activité ou même à la cesser. Ce sont les classes moyennes qui connaissent la perte de pouvoir d’achat relative la plus forte en élevant des enfants. Faut-il une réforme qui diminuerait encore leur situation relative ?

 

Le niveau de vie de la famille est d’autant plus bas qu’elle comporte beaucoup d’enfants. Avoir des enfants n’est donc jamais une niche fiscale, même à de hauts niveaux de revenus. Si donc une réforme de la politique familiale est nécessaire, elle passe par l’augmentation du niveau des allocations familiales pour tous et non pas par la mise en cause du QF.

Globalement, la redistribution est plus forte chez les familles que chez les couples sans enfant : le rapport des revenus disponibles entre un couple qui gagne 1 SMIC et un couple qui en gagne 10 est de 6,2 s’ils n’ont pas d’enfant ; de 4,8 s’ils ont 2 enfants ; de 4,4 s’ils en ont 3. L’existence du quotient familial ne réduit pas la progressivité du système socialo-fiscal pour les familles nombreuses (tableau 3).


Considérons une famille avec deux enfants où l’homme est au SMIC, la femme ne travaille pas. Cette famille bénéficie, par mois, de 174 euros de prestations familiales (AF + ARS), de 309 euros de RSA et de 361 euros d’allocation logement. Son revenu disponible est de 1 916 euros pour un revenu avant impôt de 1 107 euros ; même en tenant compte de la TVA, son taux d’imposition net est négatif de – 44 %. Sans enfant, elle n’aurait que 83 euros de PPE, 172 euros d’allocation logement. Chacun des enfants lui « rapporte » 295 euros. Son revenu par UC est de 912 euros par mois contre 885 euros si elle n’avait pas d’enfant. La politique familiale prend en charge la totalité du coût des enfants. Les parents ne supportent aucune perte de pouvoir d’achat du fait de la présence d’enfants.

Voyons maintenant la famille aisée avec deux enfants où l’homme gagne 6 fois le SMIC, la femme 4 fois. Cette famille bénéficie, par mois, de 126 euros de prestations familiales et dépense 1 732 euros d’IR. Son revenu disponible est de 7 396 euros pour un revenu avant impôt de 10 851 euros ; compte tenu de la TVA, son taux d’imposition est positif de 44 %.  Le système français fait donc contribuer les familles aisées et finance les familles pauvres. Sans enfant, la famille aisée paierait 389 euros d’impôt de plus par mois. Son revenu par UC est de 4 402 euros par mois contre 5 819 euros si elle n’avait pas d’enfant. Les parents supportent une perte de niveau de vie de 24,4 % du fait de la présence des enfants.

Remarquons enfin que cette famille aisée reçoit 126 euros par mois d’AF, bénéficie de 389 euros de réduction d’IR et supporte 737 euros par mois de cotisations familiales. Contrairement à la famille pauvre, elle gagnerait à la suppression totale de la politique familiale.

Certes, il serait souhaitable d’augmenter le niveau de vie des familles les plus pauvres : le taux de pauvreté des enfants de moins de 18 ans reste élevé : 17,7% contre 13,5% pour l’ensemble de la population en 2009. Mais cet effort doit être financé par tous les contribuables et pas spécifiquement par les familles.

Aucun parti politique ne propose des mesures fortes pour les familles : une importante revalorisation des prestations familiales, en particulier du complément familial et de la composante « enfant » du  RSA ;  l’attribution de la composante « enfant » du RSA aux enfants de chômeurs ; l’indexation des prestations familiales et du RSA sur les salaires et non sur les prix.

Pire, en 2011, le gouvernement actuel, qui se pose aujourd’hui en défenseur de la politique familiale, a décidé de ne pas indexer les prestations familiales sur l’inflation, faisant perdre 1% de pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat des retraités est maintenu. Les enfants ne votent pas…

Il m’est difficile de penser que les familles nombreuses, et même les familles avec deux enfants, et en particulier les familles avec enfants de la classe moyenne, celles où les parents (et surtout les mères) jonglent avec leurs horaires pour s’occuper de leurs enfants tout en travaillant, soient les grandes « profiteuses » du système actuel. Faut-il vraiment proposer une réforme qui augmente l’imposition des familles, et surtout des familles nombreuses ?


[1] L’avantage fourni par le quotient familial est actuellement plafonné à 2 585 euros par demi-part.  Ce niveau est justifié. Un enfant représente, en moyenne, 0,35 UC  (0,3 pour les moins de 15 ans ; 0,5 pour les plus de 15 ans). Le plafond correspond à la détaxation du 35 % du revenu médian. Voir : H. Sterdyniak: « Faut-il remettre en cause la politique familiale française ? », Revue de l’OFCE, n°116, janvier 2011.

[2] Comme il est déjà intervenu pour imposer que la Prime pour l’emploi tienne compte de la composition familiale.

[3] Voir Sterdyniak (2011), op.cit.




Politique monétaire : Open-Market Operations ou Open-Mouth Operations ?

par Paul Hubert

La communication d’un banquier central peut-elle influencer les anticipations des agents au même titre que les modifications de taux d’intérêt ? A en croire Ben Bernanke, il semblerait que oui.

Dans son discours du 18 octobre 2011, Ben Bernanke, gouverneur de la Banque centrale des Etats-Unis, a mis en avant l’intérêt qu’il porte à trouver de nouveaux outils pour que les entreprises et ménages soient en mesure d’anticiper les orientations de politique monétaire futures. On apprend ainsi que le Comité de décision de la politique monétaire (FOMC) étudie les moyens d’accroître la transparence de ses prévisions macroéconomiques. En effet, ces prévisions pourraient être considérées comme un outil de politique monétaire si leur publication influence la formation des anticipations privées.

Il est intéressant de noter que l’effet de la communication des prévisions de la banque centrale passe par sa crédibilité. En effet, la publication de prévisions n’a pas d’effets contraignants et mécaniques sur l’économie. Le canal de transmission passe par la confiance que les entreprises et ménages ont dans les annonces de la Banque centrale. Ainsi, si une annonce est crédible, alors l’action n’est plus obligatoirement nécessaire ou l’amplitude de l’action requise réduite. Le mécanisme est simple : la publication des prévisions modifie les anticipations privées qui modifient à leur tour leurs décisions et affectent donc les variables économiques. La volonté de Ben Bernanke de mettre en œuvre ce qu’il nomme « forward policy guidance » et l’emphase qu’il met sur l’importance des prévisions des banques centrales suggèrent que la Fed cherche à utiliser cet instrument additionnel que semblent être les prévisions pour mettre en œuvre plus efficacement sa politique monétaire.

Sur la base des anticipations d’inflation des agents privés collectées à l’aide d’enquêtes trimestrielles appelées Survey of Professional Forecasters et disponibles ici, il apparaît que les prévisions d’inflation du FOMC, publiées deux fois par an depuis 1979, ont un effet positif et persistant sur les anticipations privées (voir le document de travail). Celles-ci augmentent de 0,7 point de pourcentage lorsque la Fed augmente ses prévisions d’1 point de pourcentage.  Deux interprétations de cet effet peuvent être proposées : en augmentant ses prévisions, la Fed influence les anticipations privées et crée d’une certaine manière 0,7 point de pourcentage d’inflation. L’efficacité d’une telle annonce serait donc discutable. A l’opposé, on peut imaginer qu’une hausse d’1 point de pourcentage de l’inflation va survenir et qu’en l’annonçant, la Fed envoie un signal aux agents privés. Ceux-ci anticipent alors une réaction de la Fed pour contrer cette hausse et réduisent leur anticipation de cette hausse. La Fed aurait donc réussi à empêcher 0,3 point de pourcentage de la future hausse d’inflation en communiquant dessus, l’annonce étant donc efficace.

Ce dernier mécanisme appelé « Open-Mouth Operations » dans un article publié en 2000 se focalisant sur la Banque centrale néo-zélandaise se veut donc un complément des opérations d’open market qui consistent à modifier le taux d’intérêt directeur de la banque centrale pour affecter l’économie.

Afin de mettre en lumière les raisons pour lesquelles les anticipations privées ont augmenté, on peut caractériser les mécanismes sous-jacents à l’influence des prévisions du FOMC. Si les prévisions du FOMC sont un bon indicateur avancé du futur taux d’intérêt directeur de la Fed, elles donnent de l’information sur les futures décisions. Il ressort de cette étude qu’une hausse des prévisions du FOMC signale une hausse du taux directeur de la Fed intervenant entre 18 et 24 mois.

De plus, les prévisions du FOMC n’ont pas les mêmes effets que le taux directeur sur les variables macroéconomiques et ne répondent pas de la même manière aux chocs macroéconomiques : les réponses du taux directeur à des chocs macroéconomiques sont larges et rapides en comparaison de celles des prévisions. Ce résultat suggère que les prévisions du FOMC sont un instrument a priori conçu pour mettre en œuvre la politique monétaire sur le long terme alors que le taux directeur est un instrument a posteriori, répondant aux chocs touchant l’économie et donc aux cycles de court terme.




Les échecs du RSA

par Guillaume Allègre

Le Comité national d’évaluation du Revenu de solidarité active (RSA) a publié le 15 décembre son rapport final. Il s’appuie sur des données administratives recueillies avant et après la mise en place du RSA et non plus sur des données expérimentales. Le rapport souligne deux échecs de la réforme : les effets sur l’emploi ne sont pas discernables et la réduction de la pauvreté est fortement limitée à cause d’un important non-recours à la partie « complément de revenus pour travailleurs pauvres » (RSA activité). Ceci montre l’échec du processus expérimental qui n’a pas permis de corriger les éventuelles erreurs de conception du dispositif proposé. Une réforme permettrait de répondre à certaines lacunes du RSA.

 Pas d’effet sur le taux d’emploi

« De façon générale, les résultats des travaux menés ne montrent pas d’effet important et généralisé du RSA sur les taux de retour à l’emploi des bénéficiaires sur la période 2009-2010, même si certains résultats ponctuels laissent penser que le passage du RMI au RSA a pu avoir un impact marginal sur certains groupes de bénéficiaires » (p.100). Ceci confirme les conclusions d’une évaluation ex-ante menée à l’OFCE : les effets sur le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA socle sont, en pratique comme en théorie, relativement faibles. Le rapport souligne également que l’on n’observe pas les effets pervers que l’on pouvait attendre en termes de développement du temps partiel et des petits boulots, ce qui ne surprend guère dans la mesure où ces effets pervers ne pourraient être observés que si l’effet premier sur l’offre de travail est réel. Si le RSA activité n’a pas d’effet sur l’offre de travail, il ne peut pas avoir d’effet pervers sur la précarité de l’emploi.

Notons que le Comité national n’évalue pas l’impact global sur l’emploi mais seulement l’impact sur le retour à l’emploi des bénéficiaires de minima sociaux. Or, théoriquement, cet impact devrait être positif, mais compensé (1) par un plus faible retour à l’emploi de non-bénéficiaires de minima sociaux (par exemple de chômeurs), s’il y a des effets de file d’attente sur le marché du travail et (2) par une diminution de l’offre de travail des femmes dans les couples mariés du fait d’une incitation moins forte à la reprise d’emploi du travailleur additionnel : l’effet pervers attendu le plus important n’est pas le développement du temps partiel mais celui de la monoactivité au sein des couples. Toutefois, en pleine crise économique, il est difficile de penser que les modifications des incitations financières ont pu avoir des effets (positifs ou négatifs) sur l’offre de travail des ménages ou l’emploi. Face à la dégradation de la situation de l’emploi et à l’incertitude économique, il est rationnel de vouloir garder un pied dans l’emploi, même si l’écart financier avec le chômage ou l’inactivité est faible à court-terme[1]. De plus le marché du travail est globalement aujourd’hui dans une situation de rationnement de l’emploi (c’est-à-dire presque entièrement déterminé par la demande des entreprises), l’offre de travail ne faisant que modifier la position de certaines personnes dans la file d’attente. Il n’est donc pas exclu que le RSA puisse avoir des effets plus importants sur l’emploi lorsque la situation sur le marché du travail sera moins dégradée. Dans les termes du Comité national d’évaluation, « l’efficacité d’une telle politique peut être limitée sur un marché du travail caractérisé par une diminution conjoncturelle de la demande de travail par les employeurs ». On peut tout de même juger qu’un médicament qui ne fera de l’effet que lorsque le patient sera guéri ne constitue pas un soin adéquat. On peut aussi regretter une politique sociale procyclique et donc peu efficace du point de vue de la lutte contre la pauvreté (Périvier, 2011).

Une réduction de la pauvreté et une aide aux bas revenus…limitée par la baisse de la PPE et par le non-recours

 Les sommes versées au titre du RSA activité bénéficient à une population qui est soit pauvre soit à bas revenus[2]. En cela, le RSA activité est bien ciblé et doit permettre de faire baisser le taux de pauvreté et le taux de bas revenus dans la mesure où les bénéficiaires potentiels y ont effectivement recours. Le rapport nous indique que, en tenant compte du non-recours, le RSA activité fait effectivement passer le taux de bas revenus de 16,3 à 16,1% de la population. Du point de vue de la lutte contre la pauvreté, un transfert social est toujours préférable à l’absence de transfert. Le rapport précise que « une fois prise en compte la PPE, le RSA activité accroîtrait d’environ 7% le revenu disponible médian par unité de consommation des allocataires qui en bénéficient au moins une fois au cours de l’année » (p. 70). Mais quid de ceux qui n’en bénéficient pas ? Et quid de l’impact de l’évolution des autres prestations ? Le remplacement de l’intéressement temporaire aux minima sociaux par le RSA activité a été compensé par un gel du barème de la Prime pour l’emploi (PPE)[3], instrument qui cible les classes populaires plutôt que les plus pauvres (la PPE est maximale au niveau du SMIC à temps-plein). En 2008, nous soulignions que supprimer la PPE pour financer le RSA reviendrait à faire payer aux classes populaires le financement de la lutte contre la pauvreté[4]. Or, si la PPE n’a pas été supprimée, elle a été fortement réduite : pour 2012, selon le projet de loi de finances (PLF), la Prime pour l’emploi représente 2,8 milliards d’euros (VM2012, p. 76) contre 4,4 milliards en 2008 (VM2010, p. 53), soit une baisse d’1,6 milliards (imputation des versements de RSA sur la PPE due comprise). Le PLF 2012 prévoit justement un coût pour le RSA activité de 1,6 milliards. La réforme a déshabillé la PPE pour habiller le RSA activité, en économisant au passage le coût des dispositifs antérieurs d’intéressement au RMI et à l’API (600 millions d’euros en 2008). Le coût net du RSA activité est ainsi passé de 1,5 milliards d’euros[5] dans le rapport Hénart pour la Commission des finances du Sénat (p.28) à -600 millions, soit un différentiel de 2,1 milliards d’euros[6].

Une partie de ce différentiel est dû au non-recours au RSA activité, estimé à 1,75 milliard d’euros par le Comité d’évaluation (soit 53% du coût théorique pour 2010). Il concerne deux tiers des personnes éligibles fin 2010. En matière de transferts sociaux, un taux de non-recours élevé signifie une prestation mal conçue, stigmatisante ou trop complexe. Un taux de non-recours de 68 % à la composante ‘RSA activité seul’ n’est pas un bon résultat[7]. Le rapport souligne plusieurs causes potentielles du non-recours : manque d’information (non-connaissance de la prestation, mauvaise évaluation de l’éligibilité), crainte de stigmatisation, sentiment de ne pas avoir besoin d’aide (« se débrouillent autrement financièrement »), refus du principe, complexité des démarches administratives.

Un échec du processus expérimental

L’absence d’effets sur l’emploi et l’importance du non-recours soulignent également l’échec du processus expérimental : l’expérimentation aurait dû servir à corriger les erreurs de conception du dispositif. Mais, le dispositif expérimental ne permettait pas de répondre aux questions pertinentes (Allègre, 2007). La façon dont l’expérimentation a été mise en place – et abrégée prématurément – a permis de confirmer cette prédiction (voir « L’expérimentation du revenu de solidarité active entre objectifs scientifiques et politiques »).

Et maintenant ?

Selon le Comité d’évaluation, laisser le temps au dispositif de monter en charge, ainsi qu’une meilleure information, devrait permettre d’améliorer le taux de recours. Une meilleure communication ne permettra toutefois pas de résoudre le problème du non-recours au RSA activité, du fait d’une erreur de conception initiale. En mettant l’accent sur les incitations et en mêlant des publics très hétérogènes, le RSA est mal-né.

Le caractère familialisé[8] du RSA activité pose des problèmes redistributifs et peut expliquer une partie du non-recours. Le RSA activité mêle condition d’emploi et familialisation de manière difficilement justifiable. Prenons le cas de deux salariés à temps plein au salaire minimum et ayant un conjoint inactif. Le premier n’a pas d’enfants et touche 170 euros mensuels de RSA. Le second a deux enfants et a droit à 290 euros par mois. Si cette seconde personne est victime d’un licenciement économique, elle perdra l’intégralité de son droit au RSA, et donc également la part de la prime liée à la présence d’enfants (120 euros). Alors que la situation de ce foyer est moins favorable lorsque le conjoint actif est au chômage, le foyer est moins aidé dans cette situation, y compris au titre des enfants à charge. Une solution consisterait à créer un complément familial généreux pour toutes les familles avec enfants[9] : l’aide liée à la charge d’enfants en direction des familles à bas revenus se ferait sous forme d’une prestation sous conditions de ressources – mais sans condition de statut dans l’emploi – dans l’esprit de la réforme britannique ayant scindé le Working Family Tax Credit en un Working Tax Credit et un Child Tax Credit (Brewer, 2003). Une telle solution permettrait également d’améliorer grandement le recours à la partie liée à la charge des enfants. L’éligibilité à la partie RSA activité serait plus facilement compréhensible : en effet, aujourd’hui, deux personnes ayant le même travail et le même salaire peuvent être éligibles ou non au RSA activité, décrit comme un complément de revenus pour travailleurs, selon qu’ils ont des enfants ou non[10]. Une autre solution consisterait à étendre le RSA aux revenus de remplacement, voire à l’ensemble des revenus, dans la logique d’un impôt négatif[11]. Ceci pourrait se faire dans le cadre d’une fusion CSG-IR-PPE-RSA activité avec prélèvement ou versement mensuel. Mais adopter une telle réforme nécessiterait alors de reposer la question de l’individualisation de l’instrument fusionné.


[1] Ceci peut également être vrai en période de croissance économique, notamment pour les personnes les moins qualifiées qui sont la cible du RSA.

[2] Les notions de pauvreté et de bas revenus sont discutées dans le rapport (p.65).

[3] Et aussi par le fait que, pour les ménages concernés par les deux prestations, la PPE soit réduite du montant de RSA versé.

[4] D’autres pourraient se réjouir que les transferts sociaux soient ainsi mieux ciblés : toutes choses égales par ailleurs, il serait préférable qu’un transfert social cible les plus pauvres et les plus démunis. Un transfert des pauvres vers les plus pauvres constitue alors une amélioration sociale puisque, formellement, ce transfert réduit les inégalités. Ceux qui défendent la suppression de la PPE pour financer le RSA activité utilisent cet argument (voir par exemple, Hirsch pour qui la Prime pour l’emploi était «mal conçue, mal ciblée, coûteuse »). Cette rhétorique s’appuie sur une conception étroite de la lutte contre les inégalités, qui devrait se limiter à la lutte contre la pauvreté. Les pays qui adoptent cette conception libérale de l’Etat-providence ne sont, paradoxalement, pas ceux où la pauvreté est la plus faible.

[5] « Le coût net du dispositif est obtenu par l’imputation, sur son coût brut, des économies induites par la suppression des dispositifs d’intéressement au retour à l’emploi (600 millions d’euros), l’imputation du RSA sur la PPE (700 millions d’euros), la non indexation du barème de la PPE au titre de 2009 (400 millions d’euros) et les gains escomptés de l’assujettissement du RSA à la CRDS (150 millions d’euros). Il s’élève donc à 1,5 milliard d’euros. »

[6] Certains pourraient alors se demander ce que finance réellement la « contribution additionnelle pour le financement du Revenu de Solidarité Active » de 1,1% sur les revenus du patrimoine. Formellement, elle est affectée au Fonds national des solidarités actives. Mais, d’un point de vue économique, elle allège la charge du budget général.

[7] Dans une note méthodologique, Antoine Math recensait en 2003 les études sur le non-recours. Les résultats varient d’une étude à l’autre selon le champ et la méthode utilisée mais les taux de non-recours sont beaucoup plus faibles que ceux observés pour le RSA activité : de 8 à 12 % ou de 2,9 % à 4,6 % selon deux études sur les aides au logement ; 5,2 ou 33 % pour le RMI ;  7,3 % ou 33 % pour l’Allocation parentale d’éducation.

[8] Sur la question de la conjugalisation et de l’égalité dans l’emploi entre les hommes et les femmes, voir RSA : où sont les femmes ?

[9] Actuellement, le CF ne bénéficie qu’aux familles avec 3 enfants ou plus.

[10] Le problème symétrique lié à la conjugalisation ne serait pas résolu. Ce problème est évoqué dans le rapport : « compte tenu du caractère familialisé du RSA, il est plus difficile pour un couple de savoir s’il est éligible. Par ailleurs, les couples peuvent avoir le sentiment de mieux arriver à se débrouiller financièrement que les personnes seules. Enfin, l’analyse du Crédoc souligne qu’une partie des bénéficiaires du RSA activité pense que l’éligibilité cesse à partir d’environ 1 500 euros de salaire quelle que soit la configuration familiale (annexe 17) ; or de nombreux couples ayant des revenus d’activité supérieurs à ce seuil sont éligibles ».

[11] Et en mettant l’accent sur l’aspect redistributif de la prestation.




France 2012 : une austérité à 33 milliards d’euros ?

par Mathieu Plane

Le plan de rigueur français annoncé pour 2012, tel qu’il apparaît pour partie de façon implicite à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le projet de loi de finances, est de 33 milliards d’euros, soit 1,6 point de PIB. Il devrait amputer d’autant la croissance française.

Après avoir révisé sa prévision de croissance de 1,75 % en 2012, hypothèse retenue dans le PLF 2012, à 1% désormais, le gouvernement n’avait d’autre choix que de renforcer sa politique d’austérité s’il voulait garder le cap sur un déficit public à 4,5 % du PIB pour 2012. Pour compenser la révision de croissance générant environ 7 milliards d’euros de manque à gagner fiscal pour 2012, le gouvernement a annoncé un nouveau plan de rigueur de 7 milliards d’euros pour 2012, avec une montée en charge à 17,4 milliards en 2017.

Cette démarche suppose que ce nouveau plan de rigueur n’affectera pas la croissance, le 1 % prévu n’étant pas révisé à la baisse en raison du durcissement de l’austérité. Cette hypothèse d’un multiplicateur budgétaire à 0 est loin des évaluations empiriques actuelles (voir le billet d’Eric Heyer sur  blog OFCE et celui de Xavier Timbeau). Avec un multiplicateur budgétaire à 1 à court terme, les mesures d’austérité annoncées devraient se traduire par une réduction du PIB de 0,35 %, ramenant ainsi la croissance prévue à 0,7 %. En raison de cette moindre activité, le déficit public ne se réduirait que de 0,17 % du PIB. Donc pour réduire le déficit public ex post de 0,35 % du PIB, comme l’envisage le gouvernement, il faudrait réaliser 14 milliards d’euros de rigueur, ce qui, par le jeu du multiplicateur budgétaire, ramènerait la croissance à 0,3 % pour 2012.

Par ailleurs, au regard des différents éléments fournis par le gouvernement pour 2012 (taux de croissance du PIB potentiel et du PIB effectif, charges d’intérêts, déficit public,  …), il faudrait que le déficit public structurel primaire de la France diminue de 33 milliards d’euros en 2012 (1,6 point de PIB) afin de compenser la hausse des charges d’intérêt (4 milliards) et le creusement du déficit conjoncturel (7 milliards) (tableau).

 

 

Or, pour 2012, le PLF prévoit des mesures d’économies pour 10,4 milliards d’euros, auxquels doivent s’ajouter 2 milliards d’euros décidés dans le cadre du PLF 2011. Si l’on ajoute les 7 milliards d’euros annoncés le 7 novembre, le plan de restriction budgétaire atteint 19,4 milliards d’euros pour 2012. Sur ces 19,4 milliards d’euros d’effort structurel, 16,7 sont des mesures portant sur des recettes nouvelles (notamment la réduction des niches fiscales qui représente environ 9 milliards) et 2,7 sur des dépenses moindres (dont 1,5 sont réalisées sur les dépenses de l’Etat). Pour atteindre 33 milliards d’économies, il faut donc comptablement 14 milliards d’euros de mesures structurelles supplémentaires. Celles-ci sont en partie contenues dans le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (0,5 milliard), les économies sur les dépenses de santé dans le PLFSS 2012 (2,2 milliards) et la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (environ 4 milliards). Plus généralement, celles-ci sont comprises dans l’objectif drastique de tassement de la croissance de la dépense publique primaire contenu dans le PLF pour 2012. En revanche, l’incertitude est grande quant à la décomposition précise de ces 14 milliards d’économies structurelles du côté de la dépense et la possibilité de les réaliser. Au final, le plan de rigueur annoncé pour 2012, qui cumule l’ensemble des mesures d’économies annoncées ou affichées implicitement à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le PLF, est bien de 33 milliards d’euros et se répartit de façon égale entre dépenses publiques et prélèvements obligatoires.

L’ensemble des mesures de restriction annoncées en France pour 2012 diminuerait l’activité de 1,6[1] point de PIB. Les mesures d’austérité de nos partenaires commerciaux amputeraient la croissance française de 0,8 point via le canal des exportations en raison de la moindre demande adressée. Avec un PIB diminué au total de 2,4 points de PIB en raison des plans de restriction budgétaire, une croissance prévue à 1 % par le gouvernement en 2012 suppose implicitement que la croissance spontanée de l’économie française soit très dynamique (3,4 %).


[1] Calcul réalisé en prenant un multiplicateur budgétaire interne de 1 à court terme.

 




La course perdue au AAA : analyse détaillée du plan d’austérité français du 7 novembre 2011

par Mathieu Plane

Ce plan d’austérité est très différent des deux plans d’économies précédents (loi de finances 2011 et PLF 2012) à la fois dans son « timing » et dans son équilibre entre dépenses et recettes, donc dans la répartition de l’effort au sein des ménages.

Premièrement, contrairement aux précédents plans d’ajustements budgétaires dont la plupart des effets sont concentrés sur une année, celui-ci doit monter en charge : les économies réalisées en 2017 devant représenter 2,5 fois plus que celles attendues pour 2012 (tableau 1).

Deuxièmement, à terme, les économies devraient être reparties également entre dépenses et recettes alors que les mesures découlant des plans antérieurs étaient principalement réalisées par le levier de la fiscalité, notamment celui de la réduction des niches fiscales.

Enfin, si ce plan présente l’avantage d’être modeste par son montant à court terme, ce qui par conséquent limite son impact sur la croissance (0,3 point de PIB) (voir le post associé), en revanche, il reporte une grande partie de l’effort budgétaire sur les prochaines années à travers la montée en charge des économies à réaliser du côté de la dépense publique, ces dernières devant être discutées à travers les futurs projets de loi de finances (2013 à 2017).

Rentrons dans le détail des mesures du nouveau plan d’austérité. Pour 2012, les économies budgétaires devraient représenter 7 milliards d’euros et seraient assumées à 85 % par les ménages.  Les 15 % du plan étant à la charge des entreprises correspondent à une majoration exceptionnelle de l’IS pour les grandes entreprises jusqu’en 2013. A partir de 2014, l’ensemble du plan portera intégralement sur les ménages.

Les réductions de déficit prévues proviennent pour 1,7 milliard d’euros de la dépense publique et 5,3 des nouvelles recettes fiscales. Il est prévu que ce plan monte progressivement en charge pour générer à terme (2017) une économie de 17,4 milliards d’euros, avec une répartition égale entre dépenses et recettes (tableau 1).

 

Du côté des dépenses, deux mesures, qui représentent à terme, 40 % des économies du plan de rigueur, passent à la fois par une nouvelle contraction des dépenses de l’Etat (0,5 milliard en 2012) et par une nouvelle réduction du rythme de croissance des dépenses de santé (0,7 milliard en 2012 dont 0,2 lié à un effort d’économie supplémentaire sur les dépenses de gestion des caisses de Sécurité sociale et des fonds de la protection sociale). Au final, selon le gouvernement, si on prend en compte également les mesures adoptées dans la cadre du PLF pour 2012, les dépenses de l’Etat devraient baisser de 1,5 milliard d’euros (hors pensions de retraite et charges d’intérêts) en 2012 et la croissance de l’ONDAM (Objectif national d’ assurance maladie) ne serait que de 2,5 % en valeur. Cela suppose deux impératifs. D’une part, que le gouvernement accélère la réforme de l’Etat. En effet, le PLF 2012 était basé sur un objectif « 0 valeur » des dépenses de l’Etat,  grâce notamment au non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, au gel d’indice fonction publique et à la diminution des interventions discrétionnaires, auxquels il faut désormais rajouter 0,5 milliard d’économies supplémentaires (notamment par l’instauration d’une journée de carence pour les fonctionnaires lors d’un arrêt maladie et le rabotage des dépenses d’intervention…). De plus, la montée en charge de ce plan jusqu’en 2017 suppose que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux soit au moins maintenu, voire accéléré jusqu’en 2017, que le gel de l’indice fonction publique va se poursuivre et que des économies supplémentaires seront trouvées. D’autre part, selon le PLFSS 2012, les dépenses de l’ONDAM augmenteraient spontanément (hors mesures d’économies) de 4,1 % en valeur.  Un ONDAM à 2,5 % en valeur suppose de réaliser 2,7 milliards d’économies sur les dépenses de santé (2,2 milliards décidées dans le cadre du PLFSS 2012 auxquelles s’ajoutent 0,5 milliard du plan d’austérité). Ce plan oblige donc le gouvernement à aller au-delà de ce que prévoyait le PLFSS 2012 dont les économies prévues étaient ciblées sur une baisse des prix des médicaments et une hausse des déremboursements ainsi que la mise en réserve de crédits pour environ 0,5 milliard. De plus, la montée en charge du plan d’austérité nécessite de maintenir l’ONDAM à 2,5 % en valeur sur la période 2012-2017, ce qui, compte tenu des effets du vieillissement, impose non pas de pérenniser la réforme actuelle mais de réaliser environ 3 milliards d’euros de nouvelles économies chaque année sur les dépenses de santé. Une partie de ces économies se reportera inévitablement sur le prix des mutuelles.

L’accélération de la réforme des retraites a surtout des effets à moyen terme : elle devrait permettre d’économiser 0,1 milliard en 2012 et 1,3 milliard en 2017.  L’âge d’ouverture des droits devait être repoussé progressivement de 60 ans en 2010 à 62 ans en 2018. Dans le plan d’austérité, la transition serait accélérée de façon à atteindre 62 ans en 2017. Dans une période de sous-emploi, cette mesure, en gonflant la population active des seniors, risque de voir une grande partie du gain budgétaire sur les dépenses de retraite rogné par un supplément lié aux dépenses d’allocations chômage.

Enfin, dans le cadre du plan d’austérité, la non-indexation sur l’inflation des prestations familiales et des aides au logement devrait générer une économie de 0,4 milliard en 2012 (0,5 en 2013). C’est la première fois que des mesures d’économies sur les prestations sociales sont prises depuis le début de la crise. Cette mesure concerne environ 6 millions de bénéficiaires d’aides au logement et 7 millions au titre des allocations familiales et des prestations d’accueil du jeune enfant (PAJE). C’est la première fois depuis le plan Juppé de 1996 que le pouvoir d’achat de ces prestations diminue. Comme une part importante de ces prestations est sous conditions de ressources, cette mesure va amputer le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Rappelons qu’au cours des dix dernières années, les loyers ont augmenté plus vite que l’inflation, précarisant les ménages dépendant des aides au logement pour payer leur loyer. Cette nouvelle mesure ne devrait que renforcer ce phénomène.

Du coté des recettes, le plan d’austérité prévoit une hausse des prélèvements de 5,3 milliards d’euros. La principale mesure est la désindexation en 2012 et 2013 du barème de l’IRPP qui devrait rapporter 1,6 milliard d’euros en 2012 et 3,2 milliards en 2013. La désindexation du barème de l’ISF et des droits de donation et succession rapporterait environ 0,1 milliard d’euros en 2012 et 0,2  en 2013. Cette hausse « masquée » de l’IRPP permet au gouvernement d’augmenter l’assiette fiscale sans augmenter les taux des différentes tranches de l’IRPP. Cette décision tranche avec les mesures fiscales décidées depuis 2000 visant à alléger le poids de cet impôt. Quant à l’ISF, la non revalorisation des tranches entraînerait un gain d’environ 40 millions en 2012 et 80 millions en 2013, ce qui compense à hauteur de 5 % la réforme récente de cet impôt dont le rendement baisserait de 1,7 milliards d’euros. Le gouvernement  prolonge la réduction des dépenses fiscales à hauteur de 1 milliard d’euros en 2013, pour atteindre 2,6 milliards en 2017. Ces mesures sont principalement concentrées dans l’immobilier, avec la réforme du nouveau prêt à taux zéro (PTZ plus) et la suppression des aides à l’investissement locatif qui devraient disparaître en janvier 2013.

Une autre mesure du plan d’austérité concerne la hausse du taux de TVA réduit de 5,5 % à 7 % pour un certain nombre de produits et services (hôtellerie, restauration hors cantines scolaires, travaux de rénovation dans les locaux d’habitation, titres de transports en commun, produits culturels et produits à usage agricole). Cette mesure devrait rapporter 1,8 milliards d’euros en 2012. A l’exception des services de transport, la part de la consommation de ces produits dans le revenu augmente avec le niveau de vie (graphique 1).  En effet, hors services de transports, la part de ces produits dans le revenu des ménages représente 7,5 % du Revenu disponible brut (RDB) du 1er décile contre 16,5 % du RDB pour le dernier décile. En revanche, la part des services de transport représente 2,8 % du RDB du premier décile contre 1,6 % du RDB du dernier décile (il représente seulement 1,2 % du RDB du 8e décile et augmente pour les deux derniers déciles en raison de la hausse de la propension marginale à consommer du transport aérien). Cela pose donc la question de savoir si les services de transport doivent être concernés par la hausse de taux de TVA réduit en raison de son effet anti-redistributif mais aussi pour les avantages écologiques qu’ils procurent.

 

 

Ce plan prévoyait une augmentation du taux de prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % à 24 % sur les dividendes et intérêts, ce qui devrait permettre une hausse des recettes fiscales de 0,6 milliard en 2012. Mais finalement, dans le cadre de la loi de finances rectificative, le gouvernement est revenu sur sa décision portant le taux sur les dividendes à 21 % (contre 24 % prévu initialement). Dans tous les cas, ces deux mesures concernent les contribuables assujettis aux deux dernières tranches  de l’IRPP (30 % et 41 %), qui se situent donc en haut de l’échelle des revenus. Cela permet de rapprocher la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail. En revanche, les plus-values immobilières et mobilières restent taxées à 19 %, ce qui va créer une distorsion fiscale entre les gains en capital et les revenus du capital, les investisseurs étant incités à encaisser des plus-values plutôt que de recevoir un revenu équivalent sous forme de dividendes ou d’intérêts.

Enfin, la seule mesure fiscale du plan d’austérité qui concerne directement les entreprises est la surtaxe temporaire de 5 % sur les bénéfices des sociétés des entreprises dépassant 250 millions de chiffre d’affaires en 2012 et 2013. Cette mesure doit rapporter 1,1 milliard d’euros en 2012 et 2013 aux caisses de l’Etat et concernerait environ 2000 groupes. Or, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les grands groupes (de plus de 2000 salariés) ont un taux implicite de seulement 13 %. La mesure est donc justifiée mais cette surtaxe devrait s’accompagner d’une réforme de l’optimisation fiscale afin d’éviter que la hausse de la taxe ne porte que sur les entreprises qui délocalisent le moins leurs profits par le jeu des prix de transferts.

Désormais, le gouvernement est confronté à des choix budgétaires cornéliens : soit il décide d’aller beaucoup plus loin dans la rigueur de façon à respecter ses engagements budgétaires (pour atteindre 4,5 % du PIB de déficit public en 2012, le gouvernement doit faire encore un effort supplémentaire de rigueur proche de 30 milliards d’euros, ce qui porterait l’austérité budgétaire totale à 63 milliards d’euros pour 2012), ce qui conduirait à plonger automatiquement le pays dans une profonde récession. Soit il renonce à de nouveaux plans d’austérité pour éviter que le pays ne s’enfonce dans la récession mais, dans ce cas, il s’expose à la foudre des marchés financiers.  Dans tous les cas, ces deux stratégies ne garantissent pas de conserver le AAA sur notre dette publique. La raison économique invite donc à choisir  la  politique qui est la mieux adaptée à la situation économique actuelle, c’est-à-dire celle qui consiste à ne pas renforcer la rigueur quand l’économie risque d’entrer en récession. Par ailleurs, seule une remise en cause au niveau européen de la stratégie budgétaire actuelle, de façon à rendre soutenable économiquement et socialement le rééquilibrage des finances publiques à moyen terme, permettrait d’amorcer une perspective de sortie de crise.  Cette stratégie qui vise à renouer avec la croissance est envisageable uniquement si la BCE annonce clairement qu’elle joue le rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro de façon à éviter la spéculation sur les dettes souveraines et stopper le risque de contagion.

 

 




Egalité salariale : retour en arrière

par Françoise Milewski

L’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes n’est décidément pas pour demain. La circulaire qui présente le champ et les conditions d’application, à partir du 1er janvier 2012, de la pénalité financière pour les entreprises qui ne respecteraient pas la loi a été publiée le 28 octobre 2011. Le dispositif est désormais détaillé et ne laisse plus planer de doute : les entreprises ne risquent pas grand-chose. Déjà le décret d’application du 7 juillet 2011, publié après de longs mois d’attente, marquait un recul important sur ce que la loi du 9 novembre 2010 pouvait laisser espérer.

De grandes ambitions…

 La loi de 2006 avait suscité débat. Fallait-il une loi de plus, après celles de 1972, 1983, 2001, et après l’accord national interprofessionnel de 2004 ? Certains en doutaient. L’affirmation selon laquelle l’égalité salariale devait être réalisée en cinq ans, avant le 31 décembre 2010, laissait pour le moins perplexe. Cette loi apportait cependant une nouveauté car elle ouvrait la voie à une sanction financière. Le projet de loi sur la définition de la sanction financière devait suivre, mais il n’a pas été déposé. Officiellement faute de place dans le calendrier parlementaire. Finalement, faute d’une loi spécifique, c’est un article de la loi sur les retraites du 9 novembre 2010 qui a tranché, quatre ans et demi après (voir l’article 99 de la loi sur les retraites). Il supprime (par la force des choses !) le délai du 31 décembre 2010 pour que l’égalité soit réalisée. Plus aucun délai n’est d’ailleurs désormais fixé.

Le décret d’application du 7 juillet et la circulaire du 28 octobre 2011 amoindrissent la portée du texte de loi. Ainsi, les grandes ambitions régulièrement affichées depuis 2006 sur l’importance de combler l’écart salarial, toutes causes confondues, dans un horizon court, n’ont finalement rien apporté.

Pourtant, toutes les études qui mesurent les écarts de salaires hommes/femmes montrent la gravité de la situation : un écart de salaires d’environ 25 % en moyenne, dû au temps partiel, à la ségrégation professionnelle (non mixité des métiers et des secteurs) et aux discriminations.  Le soupçon pèse sur les femmes d’être avant tout des mères, ou des futures mères, susceptibles aux yeux de l’employeur de quitter temporairement ou définitivement leur emploi (voir les analyses de Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Sophie Ponthieux, 2006 et 2010). On constate un coup d’arrêt donné à la résorption des écarts de salaires depuis le milieu des années 1990, pour les salariés à plein temps dans le secteur privé et semi-public (voir graphique).

… qui ont fait long feu

Les entreprises doivent être couvertes par un accord collectif, ou à défaut, un plan d’action fixant des objectifs, des actions permettant de les atteindre et des indicateurs chiffrés pour les suivre, dans deux ou trois domaines d’action (selon la taille des entreprises) considérés comme des sources des inégalités professionnelles et salariales.

Les accords doivent être transmis à la Direction du travail. Les plans d’action sont intégrés au Rapport de Situation Comparée annuel et transmis à l’inspection du travail. Si les accords ou plans d’action ne sont pas réalisés, ou s’ils ne sont pas conformes, une pénalité peut s’appliquer. Mais c’est là que le bât blesse : les modalités prévues permettront en effet à nombre d’entreprises d’échapper à ces obligations.

En l’absence d’accord ou de plan, l’inspecteur ou le contrôleur met l’entreprise en demeure de combler cette carence. L’entreprise a alors six mois pour se mettre en conformité. Si elle le fait, elle n’est pas sujette à pénalité. Si elle ne le fait pas, l’administration décide d’appliquer une pénalité et dispose d’un mois pour la notifier. Celle-ci n’est pas rétroactive et s’applique à compter de la notification.

Cela signifie que si une entreprise n’est pas en conformité avec la loi, elle ne sera pas sanctionnée sur toute la période de non respect de la loi (dès la mise en œuvre de celle-ci en janvier 2012), mais seulement après un éventuel contrôle et seulement dans le cas où elle ne se met pas en conformité dans le délai prévu.

Enfin, le montant de la pénalité a été fixé par la loi à 1 % au maximum de la masse salariale. Le décret et la circulaire précisent le mode de fixation. Le directeur régional du travail décide du taux, au vu de l’importance des obligations demeurant non respectées et des autres mesures prises en matière d’égalité professionnelle. L’autorité administrative prend ainsi en compte les « efforts de l’entreprise » en matière d’égalité.

La sanction financière a souvent été présentée par les pouvoirs publics non comme une volonté de sanctionner mais comme un moyen de dissuasion et d’incitation. Où est la dissuasion si une entreprise a intérêt à attendre un contrôle puis à se mettre en conformité ? Autant dire, sachant de surcroît les faibles moyens dont dispose l’inspection du travail, qu’il reste infiniment peu de choses de la sanction financière, initialement présentée comme le moyen de changer enfin la situation.

Les entreprises actives sur le plan de la mise en œuvre de l’égalité n’ont pas attendu la loi. Les autres n’ont rien à craindre de ce décret et de cette circulaire d’application.

Elles ont d’autant moins à craindre que des « motifs de défaillance » sont prévus, qu’elles peuvent mettre en avant pour justifier de leur impossibilité de se mettre en conformité avec la loi et qui leur permettent d’échapper à la sanction : parmi ceux-ci figurent par exemple des difficultés économiques. Autant dire que les entreprises seront nombreuses dans ce cas.

Accord négocié ou plan d’action unilatéral ?

La loi spécifiait que la sanction s’appliquait si l’entreprise n’avait pas mis en œuvre un accord, ou à défaut un plan d’action. Il aurait fallu spécifier dans le décret et la circulaire : un accord, ou à défaut constaté par un procès verbal de désaccord, un plan d’action. La différence n’est pas mineure. L’objectif est en effet de favoriser la négociation sociale, tout particulièrement sur le thème de l’égalité. On sait que souvent ce sujet est délaissé et considéré comme mineur. Dans son rapport de juillet 2009, Brigitte Grésy a montré que « les négociateurs négocient peu, les contrôleurs contrôlent peu et les juges jugent peu ».

En favorisant la négociation, on pouvait espérer sa prise en compte par tous les acteurs sociaux de l’entreprise. En revanche, en mettant sur le même plan l’accord et le plan d’action unilatéral, on en réduit la portée. Que dans une entreprise où il n’y a pas de représentation syndicale, un plan d’action soit décidé est justifié. C’est le cas aussi lorsqu’aucun accord n’a été trouvé. Mais que le choix soit donné à l’entreprise relève d’une autre logique, qui fragilise, voire rend superflue, la voie de la négociation. C’est une nouvelle dynamique des relations sociales qui est ainsi à l’œuvre.

Peut-on croire que les entreprises sont spontanément motivées par l’égalité salariale et qu’elles feront des plans d’action unilatéraux ambitieux ? On peut en douter au vu de l’évolution de l’écart des salaires dans l’économie française.

Retour en arrière…

 Cinq ans après la loi de 2006, on se retrouve donc à la case départ. Ou même pire, puisqu’il n’y a plus de perspective ouverte. Les avancées espérées sont annulées. Les ambiguïtés de l’article 99 sur l’égalité professionnelle dans la loi portant réforme des retraites n’ont pas été levées par le décret et la circulaire d’application. Et sur la pénalité financière, c’est même un recul qui a été opéré.