Elections britanniques : questions de frontières (2/2)

Par Catherine Mathieu

David Cameron a placé l’économie au premier plan de sa campagne électorale, faisant des bonnes performances de l’économie britannique une carte maîtresse du programme des Conservateurs (voir « Le Royaume-Uni à l’approche des élections… »). Mais, selon les sondages, au soir du 7 mai, aucun parti ne sera en mesure de gouverner seul. Alors qu’en 2010, l’incertitude était de savoir si les Libéraux-Démocrates choisiraient de s’allier avec les Conservateurs ou avec les Travaillistes, cette fois l’incertitude est encore plus grande, car plusieurs partis sont susceptibles de jouer les arbitres. Les Libéraux-Démocrates ont en effet perdu en popularité depuis cinq ans de participation au gouvernement et recueillent moins de 10 % des intentions de vote, derrière le parti nationaliste UKIP (environ 12 % d’intentions de vote), partisan de la sortie du Royaume-Uni de l’UE et arrivé en tête lors des dernières élections européennes. Face à la montée de l’euroscepticisme, notamment dans les rangs des Conservateurs, David Cameron a promis d’organiser un référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE d’ici la fin 2017, s’il redevenait premier ministre en 2015. De leur côté, si les Travaillistes sont en mesure de former un gouvernement de coalition, ils pourraient s’allier avec le SNP, parti national écossais. Mais les Travaillistes excluent cette possibilité, face aux attaques de David Cameron, qui agite l’épouvantail d’une fragmentation du Royaume-Uni auprès d’un électorat anglais, à peine remis de sa frayeur de risquer de voir l’Ecosse devenir indépendante lors du référendum de septembre 2014. Les Travaillistes bénéficieraient néanmoins du soutien du SNP et pourraient former une coalition avec les Libéraux-Démocrates. Ceux-ci ont tracé plusieurs lignes rouges pour envisager d’entrer dans un gouvernement de coalition : moins d’austérité budgétaire s’ils s’allient avec les Conservateurs, davantage de rigueur budgétaire s’ils s’allient aux Travaillistes, sauf en matière d’éducation où les Libéraux-Démocrates souhaitent davantage de moyens que les deux grands partis.

Programmes économiques et sociaux des grands partis : ressemblances, nuances…

Les Conservateurs se félicitent du rebond de la croissance et de l’emploi, et d’avoir divisé par deux le déficit public rapporté au PIB. Ils estiment avoir « remis la maison en ordre » et souhaitent continuer à « réparer le toit tant qu’il fait beau ». Ils disent vouloir que cela profite à chacun. Ainsi, ils veulent augmenter les dépenses du système de santé (NHS), maintenir les dépenses d’éducation, augmenter le nombre de places dans l’université. Ils s’engagent à maintenir la hausse des pensions de retraite au minimum de 2,5 % par an. Ils réaliseront d’importants investissements publics en matière de transport. Ils n’augmenteront pas la TVA, l’impôt sur le revenu, les cotisations sociales. Par contre, ils diminueront encore le plafond des revenus d’assistance pour que « le travail paie ».

Les Conservateurs veulent développer l’apprentissage, favoriser l’entreprise, encadrer le droit de grève, réduire la paperasserie, mettre les handicapés au travail. Ils souhaitent contrôler et réduire l’immigration en provenance de l’UE (ramenant celle-ci à « des dizaines de milliers » par an au lieu « de centaines de milliers » actuellement). Les droits aux prestations sociales seront réduits (il faudra avoir résidé dans le pays depuis au moins quatre ans pour avoir droit au crédit d’impôt et aux allocations familiales ; les logements sociaux seront réservés aux citoyens britanniques). Ils veulent fournir de l’énergie à bas prix aux ménages en développant les économies d’énergie, les énergies renouvelables, mais surtout le nucléaire.

Ils se donnent l’objectif d’amener le déficit public à un léger excédent (0,2 point de PIB) en 2018/2019.  Ceci par des baisses de dépenses publiques, de dépenses sociales et la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale (remise en cause du statut des non-domiciliés, taxation des firmes multinationales).

Pour les Travaillistes, « le Royaume-Uni ne réussit que lorsque les travailleurs réussissent ». Il faut un renouveau national pour que « l’économie travaille pour les travailleurs ». Les Travaillistes dénoncent le développement des inégalités, celui des emplois précaires et la baisse du pouvoir d’achat des familles de travailleurs.

Mais les Travaillistes proclament, eux-aussi, leur volonté de réduire le déficit public chaque année. Leur objectif est de ramener le déficit courant (hors investissement) à l’équilibre en 2018-19, ce qui se traduirait en fait par un déficit public de 1,4 % du PIB. L’objectif est moins ambitieux que celui des Conservateurs et serait obtenu en partie par des hausses d’impôts. Le taux d’imposition marginal maximum de l’impôt sur le revenu (IR) serait remonté de 45% à 50%. Un impôt serait introduit sur les manoirs (les propriétés valant plus de 2 millions de livres). Les Travaillistes s’engagent à maintenir le taux d’imposition des sociétés (IS) au niveau le plus bas des pays du G7. Le taux de l’IS, abaissé à 20 % en avril, serait cependant augmenté d’un point. La taxe sur les banques serait augmentée (900 millions attendus). Les Travaillistes souhaitent réinstaurer un premier taux d’imposition sur le revenu à 10 %, financé par la suppression de l’abattement pour les couples mariés. Ils souhaitent supprimer la très impopulaire taxe sur les chambres vacantes (bedroom tax). Comme les Conservateurs, ils supprimeraient les avantages fiscaux des non-domiciliés.

Les Travaillistes veulent cependant réduire les dépenses publiques, sauf en matière de santé, d’éducation et de coopération internationale. Ils proposent d’augmenter les moyens du NHS pour réduire les délais d’attente. Ils s’engagent à augmenter le salaire minimum horaire à 8 £ en 2019 (le niveau actuel étant de 6,5 £ et devant augmenter à 6,7 £ en octobre 2015). Ils proposent de réglementer les contrats zéro-heure (du moins pour les salariés qui ont travaillé de façon régulière pendant plus de 12 semaines). Par contre, ils ne remettent pas en cause le plafond sur les revenus d’assistance. Les Travaillistes proposent eux-aussi de contrôler l’immigration et de limiter le droit des immigrés aux prestations sociales (il faudra avoir résidé au moins deux ans sur le territoire national). Ils veulent mettre en place une stratégie industrielle pour développer l’économie verte. Ils proposent de réduire le poids des actionnaires dans la direction des entreprises et de créer une Banque Britannique d’Investissement pour aider le financement des petites entreprises.

Les Libéraux-Démocrates proposent une « économie plus forte, une société plus juste ». Ils veulent faire du Royaume-Uni le pays leader en matière des technologies du futur. Eux aussi veulent augmenter les dépenses de santé et d’éducation. Eux aussi veulent augmenter les possibilités de garde d’enfant et de congé parental. Surtout, ils veulent développer la fiscalité verte et engager la transition énergétique. Ils visent l’équilibre du budget courant comme les Travaillistes, mais celui-ci interviendrait un an plus tôt (2017-2018). Cet équilibre serait obtenu par des baisses limitées des dépenses, mais aussi par des hausses d’impôts sur les plus riches, sur les banques, les grandes entreprises et la pollution et par la lutte contre l’optimisation fiscale. Eux aussi proposent la taxe sur les manoirs.

… et de nombreuses inconnues

L’IFS (Institute for Fiscal Studies) vient de publier deux notes : « Post-election Austerity : Parties’ Plans Compared », IFS Briefing Note BN 170, 22 avril, « Taxes and Benefits: The parties’ Plans », IFS Briefing note BN 172, 28 avril. Dans ces notes, l’IFS tente d’estimer les mesures proposées mais souligne le manque de détail des différents programmes. Les Conservateurs envisagent davantage de baisses de dépenses, tandis que les Travaillistes et les Libéraux-Démocrates envisagent une réduction moins rapide des déficits et donc de la dette publique. Le déficit public passerait de 5 % du PIB en 2014-15 à 0,6% en 2017-18 pour les Conservateurs, à 1,1 % pour les Libéraux-Démocrates, 2% pour les Travaillistes, 2,5% pour le SNP. La dette publique baisserait de 80 % du PIB en 2014-15 à 72 % en 2019-20 selon les projets des Conservateurs, contre 75 % pour les Libéraux-Démocrates, 77 % pour les Travaillistes et 78% pour le SNP. Les trois partis annoncent qu’ils poursuivront l’objectif de réduction du déficit public, sans détailler précisément comment ils le feraient. En particulier, les Conservateurs n’augmentent pas les impôts ; ils devraient baisser de 18% les dépenses des secteurs non-sauvegardés, c’est-à-dire défense, transport, assistance, justice. Ils n’explicitent pas comment ils feraient de fortes économies sur les dépenses sociales hors retraite et NHS. A la fin avril, les Libéraux-Démocrates ont fait surgir dans le débat l’idée selon laquelle les Conservateurs envisageraient de diminuer les allocations familiales, ce que David Cameron dément avoir l’intention de faire, mais à quelques jours du scrutin le soupçon demeure. Tous les partis s’engagent à ne pas augmenter les taux principaux de TVA, de l’impôt sur le revenu ou des cotisations maladie, mais tous escomptent de fortes recettes de la lutte contre l’optimisation fiscale.

Ecosse-Europe : les deux enjeux de ces élections

Deux problématiques font l’originalité de ce vote et amènent une configuration politique spécifique. D’une part, le Parti National Ecossais (SNP) continue à prôner l’indépendance de l’Ecosse, malgré le résultat du référendum de septembre 2014 (55 % de non). Parti de centre gauche, au pouvoir actuellement à Edimbourg, il pourrait obtenir 55 des 59 sièges écossais au détriment des travaillistes et être le parti pivot de la future majorité. Il demande la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, mais aussi la fin des politiques d’austérité en matière de dépenses publiques et sociales.

L’UKIP milite en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE. David Cameron a promis d’organiser un référendum sur la sortie avant la fin 2017 si les Conservateurs l’emportent. En tout état de cause, David Cameron s’oppose à toute extension des pouvoirs de l’Europe en matière économique et politique ; l’Europe doit avant tout être un marché unique qu’il faut libéraliser au maximum ; il refuse toute régulation européenne en matière de services financiers, toute solidarité entre pays, toute augmentation du budget européen, et toute augmentation de la contribution britannique (I won’t pay that bill). Il souhaite que le Royaume-Uni ait la possibilité de limiter les droits sociaux des immigrés de l’UE, ce qui sera le principal point de négociation des Conservateurs pour un maintien du Royaume-Uni dans l’UE.  David Cameron ne se prononcera pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE que si ces demandes sont prises en compte. Les Travaillistes dénoncent la perte d’influence du Royaume-Uni en Europe causée par son isolationnisme mais ils réclament aussi moins d’Europe : le Royaume-Uni doit rester libre de fixer sa politique d’immigration et sa politique sociale. Selon Gordon Brown, quitter l’UE transformerait le Royaume-Uni en « nouvelle Corée du Nord », sans alliés et sans influence. Les Travaillistes n’organiseront un référendum que si l’Europe voulait imposer au Royaume-Uni des mesures inacceptables. Les Libéraux-Démocrates sont très attachés à l’Europe. Ils veulent y défendre les entreprises, le Traité de libre-échange transatlantique, supprimer les institutions inutiles, comme le Conseil européen économique et social, et les sessions du Parlement à Strasbourg. Ils veulent maintenir la liberté de circulation en Europe mais réduire les droits des immigrés aux prestations. Ils voteront non au référendum sur la sortie de l’UE. Actuellement, 35 % des britanniques voteraient pour la sortie de l’UE et 57 % contre (mais 38 % veulent y rester tout en réduisant les pouvoirs de l’UE). Les grandes entreprises et plus encore la City souhaitent rester au sein d’un grand marché. Comme cela fut le cas lors du référendum écossais, certaines (par exemple, HSBC[1]) menacent de déménager leur siège social si le Royaume-Uni sort de l’UE. Le maintien dans l’UE est aussi souhaité par la partie la plus riche et la mieux formée de la population.

Ainsi, l’évolution économique et politique du Royaume-Uni est aujourd’hui soumise à trois incertitudes : le risque de l’absence d’une majorité nette à Westminster, le retour du débat écossais et le débat sur la sortie de l’Union européenne.

 

 


[1] Mais HSBC met aussi en cause l’alourdissement de la fiscalité portant sur les banques et la régulation inspirée par le rapport Vickers qui obligerait à sanctuariser les activités des banques de dépôts.




Le problème de l’investissement français n’est pas quantitatif

par Sarah Guillou

L’investissement est devenu l’objet prioritaire des politiques européenne et française. Sa relance est devenue même urgente pour le gouvernement qui, en ce début de printemps 2015, souhaite accélérer l’investissement productif. L’investissement est à la fois un acte économique qui dessine la trajectoire de croissance de l’économie et un signal majeur de la vitalité des entreprises pour pérenniser leur capital productif ou l’accroître. Créer un environnement économique favorable à l’investissement doit être une priorité des politiques économiques. Encourager une augmentation des investissements des entreprises dans un contexte de faible croissance est fortement souhaitable. Mais pour bien cibler cet encouragement, il faut faire le bon diagnostic sur la nature de la faiblesse de l’investissement des entreprises françaises : il est moins quantitatif que qualitatif.

A bien y regarder, le comportement d’investissement des entreprises françaises ne montre un recul marqué ni relativement au début des années 2000, ni relativement aux autres économies partenaires. Le taux d’investissement est l’un des plus élevé de la zone euro (graphique).

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Ce qui conduit à une situation assez énigmatique : la désindustrialisation, les pertes de parts de marché à l’exportation, la baisse des taux de marge, la décroissance de la productivité, le positionnement technologique en recul sont autant de signes des difficultés des entreprises françaises. Mais cela est concomitant avec le maintien de l’investissement qui ne souffre pas d’un décrochage majeur par rapport à ses partenaires.[1]

Les hypothèses avancées pour comprendre cette énigme sont au nombre de quatre: 1°) les investissements de remplacement/renouvellement sont dominants et le capital productif français est obsolète; 2°) les investissements ne sont assez pas productifs, la part des investissements en construction est trop importante relativement aux investissements en machines-outils et robots ; 3°) les investissements se substituent au facteur travail en France en raison de la baisse continue du coût du capital relativement au coût du travail ; 4°) ce qui compte pour la compétitivité c’est l’investissement dans les actifs intangibles et c’est là que le bât blesse pour les entreprises françaises.

Ces hypothèses sont discutées dans la Note de l’OFCE, n° 51 du 30 avril 2015 pour apprécier leur poids explicatif respectif.

Au final, les quatre hypothèses concourent à expliquer la résilience de l’investissement en parallèle avec la fragilité des indicateurs de performance des entreprises françaises. On ne peut donc justifier simplement des mesures en faveur de l’investissement par des arguments catastrophistes sur son niveau. L’investissement est une variable qui mérite toutes les attentions. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas son niveau qui pose problème (étant donné la faible croissance), c’est sa qualité et sa répartition. Si le renouvellement a jusqu’à présent constitué le motif principal, il importe de cibler les investissements qui augmenteront le capital productif et donc l’intensité capitalistique de l’entreprise. Le recul des investissements en construction est en marche mais la « ré-industrialisation » qui relancerait les investissements en machines-outils et en R&D n’est pas  encore nettement sur les rails.

La politique de soutien à l’investissement énoncée le 8 avril 2015 semble s’orienter vers une différenciation des investissements selon leur nature afin de cibler précisément les investissements productifs, et le gouvernement a établi une liste très précise qui cherche à évincer les investissements de renouvellement (Bulletin Officiel du 25 Avril 2015).[2]

Les difficultés à apprécier l’efficacité de telles mesures de soutien reposent sur la confusion entre la cause et la conséquence : un investissement dynamique est un signal positif de croissance de l’économie, il en est aussi la cause. Le processus d’investissement est un cercle vertueux mais la porte d’entrée d’un cercle en mouvement n’est pas toujours là où on l’attend. Il est possible d’accélérer l’amortissement du capital par des règles comptables et ainsi d’accélérer le renouvellement. Il est beaucoup plus difficile de provoquer une croissance des investissements nets du remplacement du capital existant car ce type d’investissement répond avant tout à l’anticipation de l’augmentation de la demande.

Le souhait du gouvernement d’entrer dans le cercle vertueux de l’investissement pour en accélérer la rotation repose sur l’hypothèse que les entreprises ont des investissements productifs en attente et que cet attentisme est causé par la faiblesse de leurs marges après impôt. D’où l’idée d’accorder un énième crédit d’impôt aux entreprises après le CIR, le CICE et les autres niches fiscales. Le taux d’imposition effectif français va devenir de plus en plus compétitif ! Mais quelle est la part des entreprises qui entre dans cette configuration ?

Par ailleurs, cette politique comporte des risques d’échec non négligeables : si l’augmentation des investissements en équipements robotiques se traduit par une diminution du facteur travail donc de l’emploi , si la demande en biens d’équipement est satisfaite par l’étranger (on aurait aimé que l’Allemagne se lance dans un tel soutien à l’investissement privé), si les entreprises réalisent par anticipation des investissements qu’elles auraient de toute façon réalisés, si l’avantage fiscal précipite des investissements de capacité sans l’assurance d’une augmentation des carnets de commande, alors le soutien à l’investissement de 2,5 milliards sur 5 ans ne créera pas le surcroît de croissance escomptée.

Le pari le plus risqué reste celui de l’emploi. Si on augmente l’investissement net du renouvellement, on augmente la part du capital dans l’entreprise. Si la valeur ajoutée reste constante, le maintien des marges ne peut se faire qu’avec une baisse des salaires ou de l’emploi. Pour que l’emploi augmente, il faut soit que la demande qui s’adresse à l’entreprise croisse à qualité de ses produits constants, et/ou que l’investissement se traduise par une amélioration de sa compétitivité hors-prix de façon à capturer des parts de marché nouvelles. Mais, ces résultats ne se produiront qu’à moyen terme.

Le gouvernement dépasse ce raisonnement primaire en pariant sur une complémentarité entre les investissements de robotisation et de mécanisation et le travail qualifié. Michaels et Graetz (2015) ont montré, en utilisant des données pour 17 pays et 14 industries, que l’intensité de robotisation se traduit par une hausse de la productivité et des salaires mais sans provoquer, globalement, de diminution du nombre d’heures travaillées. Cependant, l’introduction des robots dans les entreprises aurait un impact négatif sur le travail non-qualifié ou moyennement qualifié. Il faut donc que les travailleurs soient prêts en termes de qualification à participer et à accompagner cette intensification technologique et capitalistique et non à la subir. Ce qui compte donc pour que naissent des gains de productivité, c’est la nature des investissements et la complémentarité entre le travail et le capital.

 

 


[1] Ces constats sont corroborés par diverses notes récentes sur l’investissement : INSEE (2013), Observatoire du financement des Entreprises (2014), France Stratégie (2014).

[2] La mesure met en place un suramortissement de 40% permettant aux entreprises d’amortir les investissements à hauteur de 140% de leur valeur. Cinq catégories d’investissements productifs sont éligibles et devront être réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016. Cette mesure induit une baisse de l’impôt sur les sociétés en conséquence d’une déduction supplémentaire liée au suramortissement.




L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du pétrole de schiste

par Aurélien Saussay (@aureliensaussay)

Le Bureau of Economic Analysis vient de livrer son estimation de la croissance américaine au premier trimestre 2015 : à 0,2% en rythme annualisé, ce chiffre est très en-deçà du consensus des principaux instituts américains qui s’accordaient sur une prévision légèrement supérieure à 1% – bien loin déjà des 3% encore espérés début mars.

S’il est encore trop tôt pour connaître les raisons exactes de ce coup d’arrêt, un facteur semble devoir émerger : aux États-Unis, la « révolution » du pétrole de schiste semble au bord de l’implosion.  La baisse brutale des cours du brut au deuxième semestre 2014 a provoqué un effondrement de l’activité extractive : le nombre de foreuses pétrolières en activité aux États-Unis a chuté de 56% de novembre 2014 à avril 2015, pour revenir à son niveau d’octobre 2010 (voir graphique). La rapidité de ce ralentissement souligne la fragilité du boom du pétrole de schiste, et sa dépendance à un prix du baril élevé.

 

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Compte tenu de la durée de vie très brève des puits de pétrole de schiste, inférieure à 2 ans, cette baisse brutale du rythme de forage devrait se traduire par une chute tout aussi rapide de la production dans les mois qui viennent : de fait, l’Agence pour l’Information sur l’Energie américaine (US. EIA) a prévu pour le mois de mai une diminution de la production de pétrole de schiste, pour la première fois depuis le début de leur exploitation en 2010.

Cette contraction rapide de l’industrie du pétrole de schiste pourrait avoir des conséquences significatives sur l’économie américaine. Son impact macroéconomique se décline en deux composantes principales : l’activité de forage et de complétion des puits, et les gains de balance commerciale réalisés grâce à la substitution d’une production domestique à du pétrole importé.

En 2013, le secteur de l’extraction d’hydrocarbures et de services miniers associés représentait 2,1% de l’économie américaine, contre 1,6% quatre ans plus tôt. Au premier ordre, la baisse du rythme de forage pourrait donc amputer la croissance américaine de 0,3 point de PIB. L’indicateur manufacturier de la FED illustre déjà ce repli : l’activité de l’industrie américaine y ressort en baisse de 1% en rythme annualisé au premier trimestre 2015, une première depuis le second trimestre 2009. Le secteur minier apparaît comme le premier contributeur à cette contraction, avec une chute d’activité de 4% au cours du trimestre.
Ce chiffre néglige toutefois l’effet d’entraînement du secteur sur le reste de l’économie – qui dépasse le seul impact sur les industries en amont : par exemple, dans les zones concernées, l’exploitation du pétrole de schiste s’est accompagnée d’un boom immobilier, rendu nécessaire par l’afflux de travailleurs sur les gisements. À titre d’illustration, le Texas et le Dakota du Nord, Etats qui concentrent 90% de la production totale de pétrole de schiste, ont contribué à plus de 23% de la croissance américaine de 2010 à 2013, quand ils ne représentaient que 8% de l’économie du pays en 2010. L’impact négatif de l’effondrement de l’industrie pétrolière pourrait donc être plus important que la seule taille du secteur pétrolier pourrait le laisser supposer.

L’augmentation de la production américaine de plus 4 millions de barils par jour a par ailleurs permis en 2014 une amélioration de la balance commerciale, pour une contribution de 0,7 point de croissance additionnel. Si la réduction du nombre de forages est suivie d’une baisse de la production équivalente dès le deuxième semestre, et que le prix du baril reste autour de 60 dollars, la production domestique américaine ne contribuerait plus qu’à hauteur de 0,2 point, soit 0,5 point de PIB de moins qu’en 2014.

Enfin, l’exploitation rapide des gisements de pétrole de schiste a principalement été le fait de producteurs dits indépendants, focalisés sur cette activité, et donc particulièrement vulnérables à la volatilité des cours internationaux. Cette exploitation étant très intensive en capital, les indépendants ont eu recours à la dette obligataire pour financer leurs opérations – pour un montant total de 285 milliards de dollars au 1er mars 2015, dont 119 milliards d’obligations à rendement élevé (high-yield)[1]. L’impact de la chute du prix du baril est particulièrement important sur ce dernier segment : la part des obligations  « junk  bonds » est passée de 1,6% en mars 2014 à 42% en mars 2015[2] – soit 50 milliards de dollars. Il est à noter que cette augmentation résulte principalement de la dégradation des obligations existantes, même si de nouvelles émissions obligataires y ont également contribué. Ce mouvement,  s’il se poursuit, pourrait conduire à une crise sur le segment high-yield du marché obligataire américain, ce qui viendrait dégrader les conditions de financement des entreprises américaines alors même que la Fed souhaite entamer cette année un resserrement de sa politique monétaire.

L’implosion de l’industrie du pétrole de schiste va constituer un test pour la solidité de la reprise aux Etats-Unis : si celle-ci s’avère plus fragile qu’anticipée, le choc du ralentissement brutal de l’exploitation du pétrole de schiste pourrait être suffisant pour ramener l’économie américaine à la quasi-stagnation en 2015.

 


[1] Yozzo & Carroll, 2015, « The New Energy Crisis: Too Much of a Good Thing (Debt, That Is) », American Bankruptcy Institute Journal.

[2] Source: Standard & Poor’s.




La reprise qui s’annonce

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de Eric Heyer et de Xavier Timbeau

Ce texte résume les Perspectives économiques 2015-2016 de l’OFCE pour la zone euro et le reste du monde.

Alors que la zone euro était jusqu’à présent restée à l’écart de la reprise mondiale, la conjonction de facteurs favorables (baisse du prix du pétrole et dépréciation de l’euro) permettront l’enclenchement d’une dynamique de croissance plus soutenue et partagée par l’ensemble des pays de l’Union. Ces facteurs interviennent au moment où la consolidation budgétaire, massive et synchronisée, qui avait poussé la zone euro à nouveau en récession en 2011, s’atténue. Les freins à la croissance se lèvent progressivement si bien qu’en 2015 et 2016 le PIB devrait progresser de respectivement 1,6 % et de 2 %, ce qui permettra une réduction du chômage de 0,5 point par an. La zone euro serait donc cette fois-ci engagée sur la voie de la reprise. Pourtant, avec un taux de chômage de 10,5 % à la fin 2016, la situation sociale resterait précaire et la menace déflationniste serait encore présente.

Le choc de demande attendu

Après l’épisode de soutien à la croissance par des politiques budgétaires expansionnistes pendant la Grande Récession de 2008-2009, les pays de la zone euro ont rapidement inversé l’orientation de la politique budgétaire qui est devenue restrictive. Si les Etats-Unis ont également fait le choix de la réduction des déficits budgétaires, les effets de la consolidation y furent moindres. D’une part, le choc de demande négatif à l’échelle de la zone euro fut amplifié par la synchronisation de l’épisode de consolidation. D’autre part, dans un contexte d’endettement public croissant, l’absence de solidarité budgétaire entre les pays a ouvert la brèche aux attaques spéculatives, ce qui a poussé les taux souverains, puis les taux bancaires ou de marché aux agents non-financiers, à la hausse. La zone euro fut ainsi plongée dans une nouvelle récession à partir de 2011 alors que la dynamique de croissance se poursuivait globalement dans les autres pays avancés (graphique). Cet épisode de consolidation et de tensions financières a pris fin progressivement. En juillet 2012, la BCE prenait l’engagement de soutenir l’euro ; l’austérité budgétaire a été atténuée en 2014 et les Etats membres se sont entendus sur un projet d’Union bancaire qui a officiellement débuté en novembre 2014 avec les nouveaux pouvoirs en matière de supervision bancaire confiés à la BCE. Il ne manquait donc à la zone euro qu’une étincelle qui permettrait l’allumage du moteur de la croissance. Le transfert de pouvoir d’achat aux ménages opéré par la baisse du prix du pétrole – de l’ordre d’un point de PIB si la baisse du prix du pétrole se maintient jusqu’en octobre 2015 – représente ce choc de demande positif, qui plus est sans conséquence budgétaire. Le seul coût induit par ce choc résulte de la baisse de revenu dans les pays producteurs de pétrole qui les conduira à moins importer dans les trimestres à venir.

A ce choc de demande interne, s’ajoutera dans la zone euro un choc de demande externe. L’annonce d’un plan d’assouplissement quantitatif dans la zone euro constitue en effet le deuxième facteur accélérateur de croissance. Ce plan, par lequel la BCE devrait acheter pour plus de 1 000 milliards d’euros de titres, au rythme de 60 milliards par mois jusqu’en septembre 2016, va amplifier la baisse des taux souverains mais surtout provoquer une réallocation des portefeuilles d’actifs et faire (encore) baisser l’euro. Les investisseurs, à la recherche d’un rendement plus élevé, vont se reporter sur les titres émis en dollars et ce d’autant plus que la perspective d’un resserrement monétaire graduel aux Etats-Unis améliore les perspectives de rendement outre-Atlantique. La hausse du dollar entraînera avec elle celle des monnaies des pays asiatiques, ce qui renforcera l’avantage compétitif de la zone euro, au détriment cette fois-ci des Etats-Unis et de certains pays émergents. Il est cependant peu probable que la fragilité induite par le contre-choc pétrolier et par la baisse de l’euro dans ces pays et dans les pays producteurs de pétrole ne remette en cause les effets positifs attendus dans la zone euro. Au contraire, ils seront aussi les vecteurs d’un rééquilibrage de la croissance dont avait besoin la zone euro.

Le bouclage de ce scénario de croissance viendra de l’investissement. L’anticipation d’une demande accrue lèvera les dernières réticences au lancement de projets d’investissement dans un contexte où les conditions de financement sont, dans l’ensemble, très favorables et en très nette amélioration dans les pays où les contraintes de crédit avaient fortement pesé sur la croissance.

Le cercle vertueux de la croissance va donc pouvoir s’enclencher. Tous les signaux devraient passer au vert : amélioration du pouvoir d’achat des ménages par l’effet pétrole, gain de compétitivité par la baisse de l’euro, accélération de l’investissement et in fine de la croissance et de l’emploi.

Une reprise fragile ?

Si les éléments qui soutiennent la croissance de la zone euro ne sont pas de simples hypothèses sur le futur mais résultent bien de facteurs tangibles dont les effets vont se faire sentir progressivement, il n’en demeure pas moins qu’ils sont en partie fragiles. Ainsi, la baisse du prix du baril de pétrole n’est sans doute pas pérenne. Le prix d’équilibre du baril de pétrole se situe plus près de 100 dollars que de 50 dollars et, à terme, il faut s’attendre à une remontée des prix de l’énergie : ce qui joue positivement aujourd’hui pourrait interrompre le mouvement de reprise demain. La baisse de l’euro semble plus durable ; elle devrait se prolonger au moins jusqu’à la fin de l’assouplissement quantitatif de la BCE annoncée au plus tôt en septembre 2016. L’euro ne devrait cependant pas baisser en-deçà de 0,95 dollar pour un euro. Les délais de transmission des variations de taux de change aux volumes échangés permettront toutefois à la zone euro de profiter en 2016 d’un gain de compétitivité.

Il faut également souligner qu’un scénario de sortie de la Grèce de la zone euro pourrait aussi mettre un coup d’arrêt à la reprise naissante. Les pare-feux mis en place au niveau européen pour réduire ce risque devrait limiter la contagion, du moins tant que le risque politique n’a pas pris corps. Il sera difficile en effet à la BCE de soutenir un pays dans lequel un parti plaidant explicitement pour la sortie de la zone euro est aux portes du pouvoir. La contagion que l’on croit éteinte pourrait alors se rallumer et rouvrir la crise des dettes souveraines en zone euro.

Enfin, les contraintes du Pacte de stabilité ont été décalées, de façon à laisser plus de temps aux Etats membres, et en particulier la France, pour revenir vers la cible de 3 %. Elles ne sont donc pas levées et devraient prochainement se renforcer dès lors qu’il s’agira d’évaluer les efforts budgétaires faits par les pays pour réduire leur dette.

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La stabilité des prix entraîne-t-elle la stabilité financière?

par Paul Hubert et Francesco Saraceno (@fsaraceno)

Paul Krugman soulève une question très importante concernant l’impact de la politique monétaire sur la stabilité financière. Son point de départ est l’observation bien connue que, contrairement aux prédictions de certains, une politique monétaire expansionniste n’a pas créé d’inflation lors de la crise actuelle. Il poursuit son argumentation en faisant valoir qu’une politique monétaire plus restrictive ne garantit pas non plus la stabilité financière. Si la Fed devait revenir à une règle de Taylor plus standard, la stabilité financière ne suivrait pas mécaniquement. Comme Krugman le remarque justement, “Cette règle a été conçue pour produire une inflation stable ; ce serait un miracle, un bienfait des dieux, si cette règle se trouvait être aussi exactement ce dont nous avons besoin pour éviter les bulles.”

Krugman, en fait, prend position contre l’opinion commune (conventional wisdom), répandue autant dans les cercles universitaires que dans les banques centrales, qu’il existe un lien entre stabilité financière et stabilité des prix, de sorte qu’une cible d’inflation plus ou moins souple permet généralement à la banque centrale de contenir aussi l’instabilité financière.

La crise financière mondiale est un exemple frappant de l’erreur de ce conventional wisdom : l’instabilité financière s’est bel et bien construite dans une période de grande stabilité des prix. Une analyse récente de Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, Fabien Labondance et Francesco Saraceno montre que la crise n’est pas une exception et qu’au cours des dernières décennies, aux États-Unis et dans la zone euro, le lien entre stabilité des prix et stabilité financière est non seulement ambigu mais aussi instable dans le temps comme le montre le graphique ci-dessous.

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Nous souscrivons donc à l’avis de Krugman : le ciblage d’inflation est largement insuffisant et la stabilité financière devrait être atteinte via une combinaison de politiques macro et micro-prudentielle. Dans un autre travail, Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance soutiennent que la BCE devrait être dotée d’un triple mandat, de stabilité financière et macroéconomique, en plus de la stabilité des prix. En outre, ils font valoir que la BCE devrait se voir accordée les instruments lui permettant de poursuivre efficacement ces trois (et parfois contradictoires) objectifs.

 




Exercices d’assouplissement à la BCE : il n’y a pas d’âge pour commencer

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

La décision de la BCE de lancer un plan d’assouplissement quantitatif (QE) était largement anticipée. En effet, Mario Draghi avait répété à plusieurs reprises au cours du deuxième semestre 2014 que le Conseil des gouverneurs était unanime dans son engagement à mettre en œuvre les mesures nécessaires, dans le respect de son mandat, pour lutter contre le risque d’un ralentissement prolongé de l’inflation. De par l’ampleur et la nature du plan annoncé le 22 janvier 2014, la BCE envoie un signal fort, bien que peut-être tardif, de son engagement à lutter contre le risque déflationniste qui s’est amplifié dans la zone euro, ainsi qu’en atteste notamment le décrochage des anticipations d’inflation aux horizons d’un et deux ans (graphique 1). Dans l’étude spéciale intitulée « Que peut-on attendre du l’assouplissement quantitatif de la BCE ? », nous clarifions les conséquences de cette nouvelle stratégie en explicitant les mécanismes de transmission de l’assouplissement quantitatif, et en se référant aux nombreuses études empiriques sur les précédents assouplissements intervenus aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon.

Graphique : Anticipations d’inflation dans la zone euro

 

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    Source : BCE (Survey of Professional Forecasters).

Les modalités de l’assouplissement quantitatif décidées par la  BCE sont en effet proches de celles adoptées par d’autres banques centrales, en particulier la Réserve fédérale ou la Banque d’Angleterre, ce qui légitime les comparaisons. Il ressort des expériences américaines, britanniques et japonaises que les mesures mises en œuvre ont conduit à une baisse des taux d’intérêt souverains et plus généralement à une amélioration des conditions financières dans l’ensemble de l’économie[1]. Ces effets ont notamment résulté d’un signal sur l’orientation présente et future de la politique monétaire et d’une réallocation des portefeuilles des investisseurs. Certaines études[2] montrent également que le QE américain a provoqué une dépréciation du dollar. La transmission du QE de la BCE à cette variable pourrait être primordiale dans le cas de la zone euro. Une analyse en termes de modèles VAR montre en effet que les mesures de politique monétaire prises par la BCE ont un impact significatif sur l’euro mais également sur l’inflation et les anticipations d’inflation. Il est vraisemblable que les effets de la dépréciation de l’euro sur l’activité économique européenne seront positifs (cf. Bruno Ducoudré et Eric Heyer), ce qui rendra plus aisé pour Mario Draghi le retour de l’inflation à sa cible. La mesure aurait donc bien les effets positifs attendus ; cependant, on pourra regretter qu’elle n’ait pas été mise en œuvre plus tôt, quand la zone euro était engluée dans la récession. L’inflation dans la zone euro n’a cessé de baisser depuis la fin de l’année 2011, témoignant mois après mois d’un risque déflationniste croissant. De fait, la mise en œuvre du QE à partir de mars 2015 permettra de consolider et d’amplifier une reprise qui aurait sans doute eu lieu de toute façon. Mieux vaut tard que jamais !

 

 

 

 

 

 


[1] L’impact final sur l’économie réelle est cependant plus incertain notamment parce que la demande de crédit est restée atone.

[2] Gagnon, J., Raskin, M., Remache, J. et Sack, B. (2011). “The financial market effects of the Federal Reserve’s large-scale asset purchases,” International Journal of Central Banking, vol. 7(10), pp. 3-43.

 




Quelles entreprises investissent en France ?

par Sarah Guillou

Au moment où l’investissement est devenu l’objet prioritaire de l’Union européenne, du FMI et de la France, à l’heure où le gouvernement français s’apprête à légiférer pour relancer l’investissement des entreprises, il est urgent de s’interroger sur les acteurs de l’investissement en capital physique en France[1].

Les investissements matériels du secteur marchand en France sont concentrés dans certains secteurs : manufacturier, commerce, transport, immobilier, information et communication, production d’électricité et de gaz. Ces « gros contributeurs » totalisaient 72% de l’investissement corporel en 1997, ils en totalisent 70% en 2011. Cette stabilité temporelle cache deux évolutions majeures : les secteurs manufacturier et de l’immobilier ont vu leur contribution à l’investissement se modifier profondément. Le recul de la part du manufacturier dans le PIB s’est traduit par une baisse de la part des investissements en machines et outils. Or, ce type d’investissement comprend notamment les investissements de robotisation et d’informatisation qui sont un important vecteur d’accroissement de la productivité. Ce recul n’a pas été compensé par l’investissement du secteur de l’information et communication qui investit aussi beaucoup en machines-outils.

Le dynamisme du secteur immobilier et des prix de la construction a gonflé la part de l’investissement en construction. Il est notamment remarquable que l’augmentation des prix de la construction ait capturé une part importante des dépenses d’investissement en capital des entreprises détournant ainsi le capital financier des destinations productives. Si le dynamisme des investissements en construction a bien influencé positivement l’évolution des investissements en actifs physiques, il est surtout explicatif de la dynamique de l’investissement du secteur immobilier. Le prix de la construction n’a pas diminué depuis la crise, mais les volumes investis ont fortement baissé.

La résilience du taux d’investissement des entreprises non-financières françaises s’explique en partie par les investissements en construction mais cela est surtout vrai pour le secteur immobilier et le secteur des transports.

Les taux d’investissement les plus élevés proviennent des plus grandes entreprises et de celles dont les taux de marge sont les plus élevés. Par ailleurs, le taux d’investissement est positivement corrélé avec le taux d’endettement, le statut d’exportateur, l’intensité d’exportation et l’intensité de R&D. En revanche, les indicateurs de capital humain comme la productivité du travail ou le salaire horaire moyen sont plutôt corrélés négativement avec le taux d’investissement.

La poursuite de la désindustrialisation et les délocalisations de la production manufacturière pourraient accélérer le recul de l’investissement en machines-outils-équipement. Le développement des TIC, et donc du secteur de l’information et des communications, pourrait compenser le déclin du secteur manufacturier. Si une source de l’amélioration de la productivité se situe dans l’investissement en machines-outils, le maintien d’une forte activité dans le secteur manufacturier et du secteur de l’information et des communications est impératif.

 

 


[1] La Note de l’OFCE n° 50 du 22 avril 2015 se propose de caractériser les secteurs et les entreprises qui investissent en France.

 




France : la reprise, enfin !

par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Les perspectives 2015-2016 pour l’économie française de l’OFCE sont disponibles.

Jamais depuis le début de la crise des subprime l’économie française n’avait connu un contexte aussi favorable à l’enclenchement d’une reprise. La chute des prix du pétrole, la politique volontariste et innovante de la BCE, le ralentissement de la consolidation budgétaire en France et dans la zone euro, la montée en charge du CICE et la mise en place du Pacte de responsabilité (représentant un transfert fiscal vers les entreprises de 23 milliards d’euros en 2015 et près de 33 en 2016) sont autant d’éléments permettant de l’affirmer. Les principaux freins qui ont pesé sur l’activité française ces quatre dernières années (austérité budgétaire sur-calibrée, euro fort, conditions financières tendues, prix du pétrole élevé) devraient être levés en 2015 et 2016, libérant ainsi une croissance jusque-là étouffée. La politique de l’offre impulsée par le gouvernement, dont les résultats se font attendre sur l’activité, gagnerait en efficacité grâce au choc de demande positif provenant de l’extérieur, permettant un rééquilibrage économique qui faisait défaut jusqu’à présent.

L’année 2015 connaîtrait une hausse du PIB de 1,4 % avec une accélération du rythme de croissance au cours de l’année (2 % en glissement annuel). Le second semestre 2015 marquerait le tournant de la reprise avec la hausse du taux d’investissement des entreprises et le début de la décrue du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 % (après 10 % fin 2014). 2016 serait quant à elle l’année de la reprise avec une croissance du PIB de 2,1 %, une hausse de l’investissement productif de 4 % et la création près de 200 000 emplois marchands permettant au taux de chômage d’atteindre 9,5 % à la fin 2016. Dans ce contexte porteur, le déficit public baisserait significativement et s’établirait à 3,1 % du PIB en 2016 (après 3,7 % en 2015).

Evidemment, le déroulement de ce cercle vertueux ne sera rendu possible que si l’environnement macroéconomique reste porteur (pétrole bas, euro compétitif, pas de nouvelles tensions financières dans la zone euro, …) et si le gouvernement se limite aux économies budgétaires annoncées.




A propos du Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty

présentation par Gérard Cornilleau

En 2014 l’activité éditoriale en sciences sociales aura été marquée par la publication de l’ouvrage de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle. Au-delà du succès de librairie mondial, rare pour un ouvrage plutôt difficile et publié originellement en français, le livre de Thomas Piketty a permis de relancer le débat sur la répartition de la richesse et des revenus. Contrairement à l’opinion générale qui veut que la croissance économique gomme les inégalités et débouche à plus ou moins long terme sur une société équilibrée reposant sur une large classe moyenne (hypothèse de Kuznets), Thomas Piketty montre, à partir de données historiques longues et pour partie nouvelles, que la norme est plutôt l’élargissement du fossé entre les plus riches et tous les autres. Les périodes de resserrement apparaissent a contrario liées à des accidents de l’histoire politique et sociale (guerres, renversements idéologiques,…). Dès lors, et à moins qu’un prochain accident ne le contrarie, les sociétés occidentales paraissent condamnées à subir un déséquilibre de plus en plus grand de la répartition des richesses. Pour Piketty, des changements structurels de la fiscalité permettraient de contenir cette dérive insoutenable à long terme.

Il n’est pas étonnant que cette analyse ait renversé la table des idées reçues et provoqué des réactions parfois vives soit de dénégation de la réalité des inégalités, soit de critiques d’une vision trop pessimiste de l’analyse de Thomas Piketty. Il était évident que l’OFCE se devait de participer à ce débat public. Plusieurs chercheurs de l’OFCE ont ainsi contribué en proposant compléments et analyses critiques aux thèses de Thomas Piketty. On trouvera ces contributions dans le dossier publié dans le numéro 137 de la Revue de l’OFCE sur Le capital au XXIe siècle. Elles émanent de Jean-Luc Gaffard qui met l’accent sur les problèmes liés à la nature du capital et aux relations entre sa composante productive, sa rémunération et la régulation de l’ensemble du système qui peuvent modifier les conclusions pessimistes sur le maintien d’un écart durable entre taux de profit et taux de croissance de la production. Guillaume Allègre et Xavier Timbeau cherchent quant à eux à approfondir l’analyse de la nature du capital et ils mettent l’accent sur la montée de la rémunération des droits de propriété qui entraînent l’apparition d’un nouveau type de rentiers de la technologie. Ils analysent aussi la contribution de la richesse immobilière pour conclure comme Thomas Piketty qu’elle participe fortement aux inégalités.

Thomas Piketty a accepté de participer au débat en rédigeant pour la Revue de l’OFCE, une réponse qui précise sa pensée sur un certain nombre de points comme la nature hybride du capital qui mêle capital productif, richesse immobilière ou droits de propriété intellectuels dont le rendement relève plus d’un processus de construction sociale que d’une simple relation technique entre capital et production.

Le présent dossier répond à l’engagement de l’OFCE d’animer un débat scientifique sur les questions majeures en économie. Nos remerciements vont aux auteurs qui ont participé à sa constitution et à Thomas Piketty qui a joué le jeu de la critique constructive. Nous souhaitons enfin que ce dossier permette aux lecteurs de mieux mesurer les enjeux de la question des inégalités en particulier leur rôle dans la cohésion des sociétés à long terme.




Gaz de schiste : redressement d’un mirage

par Aurélien Saussay

Un rapport mis en ligne le 7 avril par le Le Figaro évalue les gains que l’on pourrait attendre de l’exploitation du gaz de schiste en France : ce document y voit une chance de relance pour l’économie française, ainsi qu’une opportunité de réduire la facture énergétique de la France en substituant une production domestique à nos importations gazières. Les impacts macroéconomiques estimés seraient très importants : dans le scénario « probable », plus de 200 000 emplois seraient ainsi créés, pour 1,7 point de PIB additionnel en moyenne sur une période de 30 ans.

La magnitude de ces chiffres découle directement des hypothèses retenues, en particulier géologiques. Le coût de production et les volumes qui peuvent être extraits d’un gisement de gaz de schiste dépendent de ses caractéristiques physiques (profondeur, perméabilité et ductilité de la roche, etc.). Or, sans procéder à un forage par fracturation expérimental, il est très difficile d’estimer à l’avance l’ensemble de ces paramètres, et donc le coût de production final.

Il est pourtant possible d’observer la distribution de ces paramètres sur le seul territoire qui pratique de manière extensive l’exploitation des gaz de schiste : les Etats-Unis. En examinant les données de production accumulées depuis plus de dix ans au sein des gisements américains, une distribution de coûts de production réalistes peut être modélisée. C’est la démarche adoptée pour développer le modèle SHERPA, décrit dans un document de travail de l’OFCE publié ce jour, Can the U.S. shale revolution be duplicated in Europe?

Depuis le début de l’exploitation des gaz de schiste au début des années 2000, plus de 60 gisements ont été explorés aux Etats-Unis. Mais seuls 30 ont pu être mis en production commercialement, et six d’entre eux représentent plus de 90% de la production américaine totale de gaz de schiste. Si l’on considère des hypothèses géologiques correspondant à la médiane de ces six meilleurs gisements, la VAN de la ressource gazière française ressort alors à 15 milliards d’euros – soit 15 fois inférieure aux 224 milliards d’euros estimés dans le rapport sus-cité. Pour parvenir à ce dernier chiffre, il faut faire l’hypothèse que les coûts de forage et de complétion des puits seront similaires en France et aux Etats-Unis, et surtout que les gisements français sont tous comparables au meilleur champ américain, le Haynesville – dont les caractéristiques sont exceptionnelles : la production moyenne de gaz par puits y est près de quatre fois supérieure à la moyenne des cinq autres principaux gisements. S’il est bien entendu impossible d’exclure a priori cette dernière hypothèse, elle reste toutefois très peu probable.

Cette incertitude souligne la nécessité de pratiquer des forages expérimentaux afin de se prémunir contre des scénarios trop optimistes. Le cas de la Pologne est instructif : les projections de l’Agence d’information sur l’énergie américaine (EIA) promettaient de très larges réserves de gaz de schiste à ce pays très dépendant des importations de gaz russes. Le gouvernement, soucieux de renforcer son indépendance énergétique, avait donc souhaité favoriser au plus vite la production domestique, offrant jusqu’au tiers de son territoire en concession d’exploitation. Les premiers forages furent décevants : il s’est avéré que les roches du gisement polonais contenaient trop d’argile, ce qui les rendait trop ductiles et empêchait la bonne fracturation de la roche – étape indispensable à l’exploitation du gaz de schiste, quelle que soit la technologie retenue. Après expérimentation, les importantes réserves polonaises, annoncées comme étant les premières d’Europe, se sont révélées inexploitables.

Ce type d’évaluation doit toutefois être réalisé dans un cadre public et transparent. Les prospecteurs professionnels, dont l’activité principale est d’estimer la réalité géologique d’un gisement d’hydrocarbures annoncé sur le papier, ont en effet intérêt à surestimer les évaluations réalisées avant forage pour vendre leur service. Un exemple étranger permet à nouveau de mesurer l’étendue du problème : en mai 2014, l’EIA a annoncé qu’elle réduisait de 96% son estimation du volume de pétrole de schiste exploitable dans le gisement américain du Monterey, considéré jusqu’alors comme l’un des plus prometteurs. Après examen, il est apparu que la première estimation, réalisée deux ans plus tôt, était entièrement fondée sur les calculs de prospecteurs privés indépendants, sans intervention du service fédéral de l’US Geological Survey.

Afin d’obtenir une évaluation réaliste de la ressource de gaz de schiste française, il est donc nécessaire de procéder à des forages expérimentaux effectués par un organisme public, dont les résultats et la méthodologie seraient totalement transparents. Seule une telle démarche pourra éviter à l’avenir des scénarios excessivement optimistes et garantir l’objectivité des évaluations.