Italie et marché du travail : une embellie à nuancer

Par Céline Antonin

Depuis le début 2015, le retour de la croissance, la mise en œuvre de l’acte II du Jobs Act de Matteo Renzi, et la baisse des charges sur les entreprises, ont indéniablement contribué à l’embellie sur le front de l’emploi en Italie. Le dynamisme des créations d’emplois, notamment en CDI et la hausse de la population active, ont pu donner le sentiment que la libéralisation (partielle) avait résolu les faiblesses structurelles du marché du travail. Pourtant, au premier semestre 2016, les créations d’emplois en CDI se sont très fortement taries et c’est désormais l’augmentation des CDD et contrats indépendants qui contribue à la croissance de l’emploi. Par ailleurs, la productivité du travail a stagné avec un enrichissement de la croissance en emplois, en particulier dans le secteur des services. Par conséquent, en l’absence d’autres mesures complémentaires pour résoudre les fragilités structurelles de l’Italie, l’embellie sur le marché du travail risque de ne pas durer.

Un bref rappel des mesures récentes sur le marché du travail

Le Jobs Act s’inscrit dans la continuité d’une série de mesures récentes, mises en place depuis 2012, destinées à flexibiliser le marché du travail (voir C. Antonin, le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré ). Dans son acte I, le Jobs Act a permis d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, en supprimant les périodes de carence et en autorisant un renouvellement plus important, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise. Dans son acte II, il a introduit une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée, à protection croissante, comportant des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté. Par ailleurs, il a supprimé l’usage abusif des contrats de collaboration, contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié. Ces contrats devaient être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques).

Par ailleurs, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (impôt régional sur les activités productives) pour les personnes employées en CDI a été supprimée. Surtout, la Loi de finances pour 2015 a supprimé les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche, pour un coût budgétaire total de 1,8 milliard d’euros. Le dispositif a été reconduit, partiellement, en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans, et le plafond  d’exonération de cotisations est abaissé à 3250 euros par salarié.

Une forte augmentation du nombre d’emplois créés, mais une stagnation des créations d’emplois en CDI en 2016…

Depuis le début de l’année 2015, le nombre d’emplois a fortement progressé en Italie (graphique 1), même si on est loin d’avoir retrouvé le niveau d’avant-crise : entre le premier trimestre 2015 et le premier trimestre 2016, il a augmenté de 304 000 (+391 000 pour l’emploi salarié).

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Si l’on regarde plus en détail (tableau 1), on constate une différence majeure entre 2015 et le premier semestre 2016: le nombre de nouveaux CDI a explosé en 2015 (+281 000 entre janvier et décembre 2015), avant de se tarir au premier semestre 2016 (-18 000 entre janvier et juin 2016). En 2015, le spectaculaire accroissement du nombre de CDI s’explique en partie par la substitution des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, sur les 2,0 millions de CDI créés en 2015, on dénombrait 1,4 million de nouveaux CDI et 575 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (source : INPS). 60,8 % de ces nouveaux contrats ont bénéficié de l’exonération des cotisations sociales. En revanche, depuis le début 2016, le nombre de nouveaux CDI a chuté de 33 % au premier semestre 2016 par rapport au premier semestre 2015, sous l’effet d’une création moindre de CDI ex nihilo et une forte baisse des transformations de CDD en CDI (-37 %). En revanche, on note une forte hausse du nombre d’indépendants en 2016, après deux années consécutives de baisse.

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Ainsi, l’engouement pour les CDI a surtout eu lieu en 2015, avant de s’étioler en 2016. L’une des explications en est la suivante : la baisse des cotisations sociales sur les nouvelles embauches en CDI aurait eu un impact plus fort que le Jobs Act lui-même. En effet, les baisses de charges ne concernaient que les contrats conclus sur 2015. Elles ont été reconduites pour 2016, mais de façon beaucoup plus limitée (deux ans contre trois, avec un plafond d’exonération des cotisations sociales divisé par plus de deux), ce qui peut expliquer un moindre engouement. D’ailleurs, on observe un effet d’anticipation pour le mois de décembre 2015 (tableau 2), avec une très forte hausse du nombre de CDI totalement exonérés (leur nombre est multiplié par près de 4 par rapport à la moyenne des onze mois précédents). Au premier semestre 2016, il y a en moyenne 42 000 embauches par mois qui ont bénéficié de cette exonération contributive de deux ans, soit 31 % du total des embauches en CDI[1], contre 128 000 en 2015 (en prenant en compte le mois de décembre). En 2015, les contrats exonérés avaient représenté 61 % du total.

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…mais stagnation du nombre de chômeurs à cause du dynamisme de la population active…

Malgré un marché de l’emploi dynamique, le chômage stagne en Italie depuis la mi-2015, au taux de 11,6 % (graphique 2). Ce paradoxe s’explique par la hausse de la population active : entre juillet 2015 et juillet 2016, la population active s’est enrichie de 307 000 personnes. Plusieurs phénomènes en sont à l’origine :

  1. La réforme des retraites qui entraîne un maintien des seniors dans l’emploi ;
  2. un effet de flexion : avec le retour de la croissance et l’embellie sur le marché du travail, les travailleurs découragés décident de revenir sur le marché du travail ;
  3. l’immigration : le solde migratoire positif a une influence sur le marché du travail. Ainsi, la part des étrangers dans la population active italienne est passée de 10,7 % à 11,1 % entre le premier trimestre 2014 et le premier trimestre 2016.

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En conclusion, même si cela ne transparaît pas dans les chiffres du chômage, l’amélioration du marché du travail italien est incontestable, avec de nombreuses créations d’emploi et une hausse marquée de la population active. Cette embellie sur le marché du travail n’est pas seulement imputable au Jobs Act, elle est le fruit de trois facteurs combinés : 1) le retour de la croissance depuis 2015, sous l’effet de la politique ultra-accommodante de la BCE, d’une moindre austérité budgétaire et de la baisse des prix du pétrole ; 2) la baisse de la fiscalité sur le travail mise en place en 2015, et reconduite partiellement en 2016 ; 3) la mise en place du Jobs Act. Au vu du tableau 2, on peut d’ailleurs supposer que l’effet de la baisse des charges sociales sur les entreprises a eu un effet plus fort que le Jobs Act lui-même.

Après l’embellie de 2015, les chiffres du premier semestre 2016 invitent à la prudence. Le tarissement des créations d’emplois en CDI en 2016 montre que la réforme Renzi n’a pas résolu le problème de fond, à savoir les faiblesses structurelles du marché du travail italien, notamment la productivité du travail. Pour retrouver de la croissance et de l’emploi, l’Italie doit donc véritablement s’attaquer aux réformes structurelles, et notamment la faiblesse de l’innovation, de la recherche et développement, la faible compétitivité ou encore la sous-capitalisation de ses PME.

 

 

[1] y compris  les transformations de CDD en CDI




Le quinquennat de François Hollande : enlisement ou rétablissement ?

OFCE

Le quinquennat de François Hollande a été marqué par des difficultés économiques profondes mais également par un début d’embellie cette dernière année de mandat. La France aura donc connu une croissance faible de 2012 à 2014, du fait notamment de la politique de consolidation budgétaire, puis une croissance modérée au-delà.

L’ampleur du choc fiscal en début de quinquennat, dont l’impact négatif sur la croissance avait été sous-estimé par le gouvernement, n’était pas compatible avec une baisse du chômage au cours de la première moitié du mandat.

L’effort d’assainissement des finances publiques aura conduit à un ajustement budgétaire conséquent, en repoussant cependant l’objectif de 3 % de déficit public à la fin du quinquennat. Selon les calculs de la Commission européenne, le solde structurel français (c’est-à-dire le solde corrigé des effets de la conjoncture) se serait amélioré de 2,5 points sur la période 2012-2016. Malgré tout, cet effort n’a pas empêché la dette publique d’atteindre un point haut historique, et de diverger sensiblement par rapport à celle de l’Allemagne.

La consolidation budgétaire en France et en Europe a eu un impact négatif marqué, de 0,8 point par an en moyenne entre 2012 et 2017. La simultanéité des politiques d’austérité en Europe a amplifié leur impact récessif en déprimant la demande intérieure, mais aussi la demande extérieure.

La politique économique des gouvernements Ayrault et Valls aura été marquée dans un premier temps par une période de hausse importante des prélèvements obligatoires, tant sur les entreprises que sur les ménages, puis par l’inflexion vers une politique de l’offre en 2014. Cette politique, incarnée par le Pacte de Responsabilité et le CICE, porte ses fruits en fin de mandat avec le rétablissement des marges des entreprises mais aura diminué le pouvoir d’achat des ménages et la croissance à court terme.

Après une période de dégradation marquée, les marges des entreprises ont augmenté sur les quatre premières années du quinquennat de l’équivalent de 1 point de valeur ajoutée grâce aux mesures fiscales, et de 1 point supplémentaire du fait de la baisse du prix du pétrole. Le taux de marge dans l’industrie a même atteint un niveau comparable aux records historiques du début des années 2000.

Selon nos prévisions, sur l’ensemble du quinquennat, le chômage au sens du BIT augmenterait d’environ 100 000 personnes malgré 720 000 créations d’emplois, du fait de l’insuffisance de la croissance, conjuguée à la hausse de la population active.

Pour en savoir plus : « Le quinquennat de François Hollande : enlisement ou rétablissement?», OFCE policy brief 2, 5 septembre




La révision des comptes nationaux, une étape obligée

Par Hervé Péléraux

La révision des comptes nationaux, depuis les comptes trimestriels vers les comptes annuels définitifs, est usuelle et découle de l’intégration progressive dans le système statistique d’une information s’améliorant au fil du temps. Les estimations trimestrielles du taux de croissance du PIB renseignent en cours d’année sur la trajectoire conjoncturelle de l’économie et permettent, une fois connu le quatrième trimestre, à la fin janvier de l’année suivante, de disposer d’une première estimation de la croissance sur l’ensemble de l’année avant que ne soit publiée la première version du compte annuel à la mi-mai sur lequel le compte trimestriel est recalé. Le compte annuel est lui-même révisé deux fois avant l’établissement du chiffre définitif.

L’élaboration de la prévision est tributaire des comptes trimestriels qui fixent le point de départ de l’exercice, par l’acquis de croissance[1] qui s’en déduit et par la dynamique de l’économie qu’ils décrivent sur le passé récent. Partant de ces considérations, on peut évaluer l’ampleur des révisions opérées depuis quelques années et leur implication pour les exercices semestriels de prévision.

Depuis la sortie de récession de l’économie française en 2010, les révisions ont systématiquement conduit à des réévaluations des taux de croissance annuels, en moyenne de 0,3 point entre la version purement trimestrielle des comptes, c’est-à-dire n’ayant fait l’objet d’aucun calage sur les données annuelles, et la dernière version disponible des comptes, publiée le 26 août 2016 (tableau). Les révisions de 2010 et de 2011, années de reprise après la récession, ont été notables, avec à chaque fois une majoration de +0,4 point du taux de croissance annuel. Les révisions des années 2013 et 2014 sont un peu moindres, +0,3 point, mais conduisent à un doublement des taux de croissance estimés initialement. Il est à noter que le compte annuel de l’année 2015 est provisoire ; la révision entre le compte trimestriel et le compte actuel est donc moindre que celle des années antérieures, mais ce dernier sera encore révisé deux fois jusqu’à sa version définitive publiée en mai 2018.

La révision des comptes nationaux modifierait virtuellement le point de départ des prévisions conduites au printemps et à l’automne, et amènerait à modifier la croissance annuelle prévue et ce sans même modifier les taux de croissance trimestriels inscrits en prévision.

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Le plus souvent, l’acquis de croissance connu à l’époque de la prévision était inférieur à celui connu aujourd’hui sur la base des comptes révisés qui ont été systématiquement revus à la hausse au cours des six dernières années. Pour les prévisions de printemps, l’acquis des derniers comptes est supérieur de 0,3 point à celui des comptes provisoires en 2011 et en 2013, de 0,2 point pour 2015 mais qui n’en n’est comme on l’a déjà dit, qu’à un stade de révisions tout à fait préliminaire.

A l’automne, les révisions ont aussi joué positivement sur le calcul de l’acquis, notamment en 2011 et en 2013 à hauteur de 0,5 point. La révision de l’acquis à l’automne pour l’année 2014 est moindre, 0,2 point. Mais au-delà de la révision de l’acquis, l’instabilité des estimations du taux de croissance trimestriel peut rendre confuse l’appréciation de la dynamique de l’économie à court terme. Ainsi, l’estimation des deux premiers trimestres de 2014 a longtemps retracé une trajectoire de récession au sens technique du terme (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB), pour finalement ne plus décrire qu’une phase de stagnation de l’économie française (graphique). La baisse cumulée du PIB sur le 1er semestre 2014 s’est creusée jusqu’à -0,33 % à la publication d’avril 2016, pour finalement s’inverser en une hausse de 0,14 % à la dernière publication d’août 2016, soit une révision en hausse de près de 0,5 point de la croissance sur le semestre.

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En cette rentrée, l’exercice de prévision s’appuie sur un acquis de croissance pour 2016, à partir de comptes nationaux connus jusqu’au 2ième trimestre, de 1,1 %. En prolongeant ces comptes avec notre précédente prévision de printemps pour les deux derniers trimestres de cette année (0,4 % à chaque fois), la croissance de 2016 serait de +1,4 %. Mais les étapes ultérieures de révision des comptes, si l’on en croît l’expérience passée sur les six dernières années, pourraient conduire à une réévaluation de cet acquis. Une croissance de 1,6 % en 2016 n’est donc pas hors de portée, si les révisions s’effectuent dans le même sens que depuis 2010.

[1] L’acquis de croissance du PIB pour une année N correspond au taux de croissance du PIB entre l’année N-1 et l’année N que l’on obtiendrait si le PIB demeurait jusqu’à la fin de l’année N au niveau du dernier trimestre connu. L’acquis traduit les effets de la croissance trimestrielle passée sur le taux de croissance annuel. La révision des taux de croissance trimestriels passés modifie donc spontanément l’acquis et donc la croissance annuelle.

 




La baisse du chômage annoncée par l’Insee confirmée en juillet par Pôle emploi

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de juillet 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après les deux hausses consécutives de mai (+ 9 200) et juin (+ 5 400), une baisse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 19 100 personnes en France métropolitaine. Sur les trois derniers mois la baisse est de 4 500 personnes et sur un an, le nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité s’est réduit de 44 100 individus. Ces évolutions viennent confirmer l’amélioration du marché du travail en France depuis le début de l’année et confirmée à la mi-août par la publication de l’INSEE du chômage au sens du BIT (cf. ci-dessous). Le chômage de longue durée a amorcé sa décrue (-2,2 % sur les trois derniers mois) alors même qu’il n’avait cessé de croître depuis la fin de l’année 2008 et le chômage des seniors continue de s’infléchir légèrement (-0,2 % sur 3 mois). Notons toutefois que la montée en charge du plan de formation instauré par François Hollande au début de l’année explique en partie ces évolutions encourageantes. Ainsi, au cours des 3 derniers mois, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie D a crû de 10,1 %, soit près de 30 000 personnes supplémentaires, sous l’effet principalement des entrées dans les dispositifs de formation comptabilisées dans cette catégorie[1].

Focus : l’évolution du chômage au sens du BIT depuis un an

Le 18 août dernier, l’Insee publiait ses statistiques portant sur les chômeurs au sens du BIT pour le deuxième trimestre 2016. Durant ce trimestre, le taux de chômage a diminué de 0,3 point par rapport au trimestre précédent. La baisse du nombre de chômeurs au sens du BIT entamée au second semestre 2015 se confirme donc. Elle est cependant plus marquée du côté du BIT que de Pôle Emploi. Le nombre de chômeurs au sens du BIT a ainsi baissé de 133 000 personnes entre le deuxième trimestre 2015 et le deuxième trimestre 2016 (graphique 1). Dans le même temps, le nombre de DEFM inscrits en catégorie A à Pôle Emploi a diminué de seulement 27 000 personnes. Comment peut-on expliquer un tel écart ?

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Outre leurs différences méthodologiques (enquête Emploi pour le BIT et source administrative pour Pôle emploi), les deux sources statistiques diffèrent par leur définition du chômage. Pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition puisque les inscrits en catégorie A[2] à Pôle Emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement, le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus[3].

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Dans un contexte de reprise des créations d’emplois et donc d’amélioration du marché du travail, un certain nombre de personnes auparavant inactives, souhaitant désormais travailler, s’inscrivent à Pôle emploi et sont comptabilisées en tant que demandeurs d’emploi dans la catégorie A. Du fait de leur désir déclaré de reprise d’emploi, elles ne sont plus comptabilisés comme inactives au sens du BIT mais comme chômeurs dès lors qu’elles remplissent toutes les conditions énoncées auparavant. Cependant, une partie de ces personnes n’est pas nécessairement immédiatement disponible pour travailler. Cela a pour conséquence une augmentation du « halo » du chômage composé en partie de personnes souhaitant travailler, recherchant activement un emploi, mais non disponibles rapidement. Sur un an, le « halo » du chômage a augmenté de 43 000 personnes. Cette hausse s’explique exclusivement par les personnes souhaitant travailler mais non disponibles pour travailler dans les deux semaines (+54 000) et ce pour diverses raisons : personne achevant ses études ou sa formation, garde des enfants, personne s’occupant d’une personne dépendante, … (tableau 2). Cette évolution du halo confirmerait donc l’amélioration des perspectives sur le marché du travail et ne peut être considéré uniquement comme un phénomène de découragement des chômeurs. De la même façon, l’analyse des motifs de la baisse observée du chômage BIT au deuxième trimestre 2016 laisse présager l’amorçage d’une boucle vertueuse.

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Depuis un an, la baisse du taux de chômage au sens du BIT n’est pas artificielle

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : l’amélioration de l’emploi ou le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT confirment que la baisse de 0,5 point du taux de chômage depuis un an s’explique intégralement par l’amélioration de l’emploi et non par le découragement. D’ailleurs, l’amélioration de l’emploi s’est aussi traduite par une hausse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans –, les chômeurs auparavant découragés reprenant leur recherche d’emploi (tableau 3).

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Dans le détail, l’arrivée des jeunes sur le marché du travail se traduit par une hausse du chômage de 0,1 point pour cette catégorie, et ce malgré un emploi qui repart. En effet, l’accélération de la croissance n’est pas assez forte pour absorber l’ensemble des jeunes arrivants sur le marché du travail. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours à augmenter (de 0,8 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la hausse des inscriptions à Pôle Emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi et sont désormais classés dans le «halo» du chômage.

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Le chômage en quelques chiffres

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[1] Cette catégorie comptabilise les demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …), sans emploi.

[2] Les inscrits en catégorie A n’ont exercé aucune activité, pas même réduite, à la différence des inscrits en catégories B et C.

[3] Les moins de 25 ans ont un intérêt moindre à s’inscrire à Pôle emploi car pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail (36 mois pour les 50 ans et plus).




L’Europe est morte. Vive l’Europe !

par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

Le choix des Britanniques du Brexit ne fait que renforcer la logique politique qui s’impose. D’un côté, les peuples veulent être consultés, de l’autre, l’Europe est sommée de changer. François Hollande juge que « le vote du Royaume-Uni met l’Europe à l’épreuve » ; Alain Juppé estime « qu’il faut écrire une nouvelle page, un nouveau chapitre de l’histoire de l’Europe » ; les leaders du Front National, mais pas eux seulement, appellent à un référendum sur l’appartenance de la France à l’UE et à l’euro. Partout en Europe, le débat s’engage sur les mêmes termes.

Nous écrivions il y a quelques jours, sur le site de la fondation Terranova : «  Le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne va induire un choc plus politique qu’économique. Il sera en effet difficile de contenir les demandes de consultation similaire. Répondre à ces demandes par « plus d’Europe » ne fera qu’alimenter la distance entre les peuples et la construction européenne. Penser que des référendums pourraient au contraire légitimer le statu quo serait également une erreur. Nous proposons de répondre au besoin démocratique non pas par un « quitte ou double » mais par un processus d’appropriation démocratique qui permette de légitimer la construction européenne et d’en imaginer les évolutions futures ».

Instruire cette méthode d’appropriation démocratique de l’Europe et de la zone euro est nécessaire. Des référendums « pour ou contre » n’y parviendront pas. Le saut fédéral est un repoussoir pour probablement une grande majorité des Européens. Mais pour autant, il existe une chose publique en Europe. Articuler les lieux actuels de la démocratie que sont les Etats membres de l’UE avec la nécessité, pour certains sujets, d’une légitimité supranationale est l’alternative à l’invention du citoyen européen. Mais c’est la méthode qui compte. Et tous les leviers de la démocratie participative, de grands débats nationaux et transnationaux en passant par des jurys citoyens, doivent être mobilisés pour faire le bilan de l’Europe telle qu’elle est et proposer les réformes qui la rendront plus démocratique. Ceci peut déboucher concrètement sur des avancées comme un parlement de la zone euro ou une extension du pouvoir du Parlement européen. Au-delà, c’est aussi le moyen d’inverser la tendance à la décomposition de l’Europe.

 




Chômage : la baisse fait une (petite) pause

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de mai 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après deux baisses consécutives enregistrées en mars (-60 000) et avril (-19 900), une hausse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 9 200 personnes en France métropolitaine. Les statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois en fin de mois (DEFM) sont habituellement volatiles, mais il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. En 3 mois cette baisse est de 70 700. Elle se monte à 34 400 sur un an, après 22 500 le mois précédent. A noter cependant, la forte augmentation des DEFM en catégorie D au mois de mai (+4,9 % sur un mois, soit 13 800 personnes supplémentaires) liée à la mise en place du dispositif spécifique de formation pour les chômeurs de longue durée. Cela est également visible dans les statistiques de sorties de Pôle Emploi pour « entrée en stage » qui ont augmenté de 18 800 sur le mois.

Focus : les cessations d’inscription pour défaut d’actualisation

Les chiffres de DEFM observés chaque mois résultent de la différence entre les entrées à Pôle emploi et les sorties. Ces dernières ont plusieurs motifs possibles : reprises d’emploi déclarées, entrées en stage, radiations administratives, arrêts de recherche ou encore cessations d’inscription pour défaut d’actualisation. Or les chiffres de ces derniers mois ont été marqués par une hausse des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation[1]. Leur progression a été particulièrement forte au mois d’avril (+55 700 personnes par rapport au mois de mars), mais cette hausse concerne aussi les mois précédents (+27 300 en moyenne sur les cinq premiers mois de 2016 par rapport à la moyenne en 2015), en rupture avec la relative stabilité observée en 2014 et en 2015 (graphique 1).

Les variations observées peuvent provenir entre autres de changements dans les règles d’actualisation des DEFM – celles-ci ont été modifiées à compter du 1er janvier 2016 – mais aussi de l’accélération des sorties pour reprises d’emplois – qui sont mal mesurées dans les chiffres issus de la publication mensuelle portant sur les DEFM.

Concernant le premier point, avant janvier 2016, le calendrier d’actualisation était fixé selon une règle différente  : l’ouverture de l’actualisation relative au mois m avait lieu le 3e jour ouvré avant la fin du mois m, et la clôture de l’actualisation avait lieu la veille du 12e jour ouvré du mois m+1. A partir de janvier 2016, pour un mois donné, l’actualisation est ouverte le 28 de ce mois (sauf pour les mois de février où l’actualisation est ouverte le 26) et est clôturée le 15 du mois suivant. Le changement de règle, qui paraît mineur mais qui peut avoir des conséquences importantes sur les comportements déclaratifs, implique que certains mois le nombre de jours pour actualiser sa situation est plus faible avec la nouvelle règle (c’était par exemple le cas au mois de janvier 2016). Globalement, la perturbation de la mesure des flux qui résulte de ce changement devrait n’être que transitoire puisqu’avec le temps, les demandeurs d’emploi adapteront leur comportement à la nouvelle règle d’actualisation.

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Mais la hausse des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation peut aussi provenir d’une accélération des sorties pour reprise d’emploi, non déclarées par oubli et par conséquent enregistrées comme défaut d’actualisation. Afin de mieux connaître les motifs de sortie, la Dares et Pôle emploi conduisent chaque trimestre une enquête auprès de demandeurs d’emploi sortant des catégories A, B, C. Celle-ci montre que les reprises d’emploi sont sous-estimées dans la publication mensuelle de Pole Emploi, car souvent non déclarées, ce qui symétriquement conduit à une surestimation des défauts d’actualisation (graphique 2). Et les sorties pour reprise d’emploi selon l’enquête sont logiquement corrélées aux évolutions de l’emploi total, ce qui confirme qu’une partie des défauts d’actualisation mesurés par la statistique mensuelle de Pôle Emploi a en réalité pour origine des reprises d’emploi (graphique 3).

Ces éléments suggèrent qu’une partie des cessations supplémentaires d’inscription pour défaut d’actualisation observées au premier semestre 2016 provient bien d’une accélération des sorties pour reprise d’emploi. En fixant le taux de sortie pour défaut d’actualisation à sa valeur observée dans l’enquête trimestrielle auprès des sortants de septembre 2015, dernières données disponibles, la hausse inexpliquée des défauts d’actualisation s’élèverait ainsi plutôt à 11 000 en moyenne chaque mois contre 27 300 dans la publication mensuelle.

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[1] La cessation d’inscription sur les listes résulte de la constatation d’une situation de fait : le demandeur d’emploi ne remplit plus une (ou plusieurs) condition(s) essentielle(s) pour être inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi, à savoir 1- le non-renouvellement mensuel de l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi ou 2- l’échéance du titre de séjour pour les travailleurs étrangers. Le demandeur d’emploi a la possibilité de se réinscrire à tout moment. Les cessations d’inscription portent sur les DEFM inscrits en catégories A, B, C, et concernent donc pour partie des personnes exerçant une activité réduite, donc en emploi.




Brexit : quelles leçons pour l’Europe ?

Par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le vote britannique pour une sortie de l’UE accentue la crise politique tant en Europe que dans beaucoup de pays européens. La sortie de l’Europe devient une alternative possible pour les peuples européens, ce qui peut encourager les partis souverainistes. Mécaniquement, le départ du Royaume-Uni augmente le poids du couple franco-allemand, ce qui peut déstabiliser l’Europe. Si l’Ecosse quitte le Royaume-Uni pour adhérer à l’UE, des mouvements indépendantistes d’autres régions (Catalogne, Corse, ..) pourraient demander une évolution similaire. Mais la fragilité de l’Europe provient aussi de l’échec de la stratégie « discipline budgétaire/réformes structurelles ».

Le départ du Royaume-Uni, farouche partisan du libéralisme économique, hostile à toute augmentation du budget européen comme à tout accroissement des pouvoirs des institutions européennes, comme à l’Europe sociale pourrait modifier la donne dans les débats européens, mais certains pays de l’Est, les Pays-Bas et l’Allemagne ont toujours eu la même position que le Royaume-Uni. Il ne suffira pas, à lui seul, à provoquer un tournant dans les politiques européennes. Par contre, la libéralisation des services et du secteur financier, que le Royaume-Uni impulse aujourd’hui, pourrait être ralentie. Le Commissaire britannique Jonathan Hill, responsable des services financiers et des marchés de capitaux devra être rapidement remplacé. Se posera la question délicate des fonctionnaires européens britanniques qui, en tout état de cause, ne pourront plus occuper de postes de responsabilité.

Il ouvrira aussi une période d’incertitude économique et financière. Mais il ne faut pas donner trop d’importance aux réactions des marchés financiers, qui n’aiment pas l’incertitude et sont de toute façon très  volatils.  La livre a certes rapidement perdu 10%  par rapport à l’euro, mais elle était sans doute  surévaluée, comme en témoigne le déficit courant britannique de l’ordre de 6,5% de son PIB en 2015.

Selon l’article 50 de la Constitution européenne, un pays qui décide de quitter l’Union doit négocier un accord de retrait, qui fixe la date de sortie[1]. Sinon, au bout de deux ans, le pays est automatiquement en dehors de l’Union. La négociation sera délicate ; elle portera obligatoirement sur l’ensemble des dossiers. Durant cette période, le Royaume-Uni restera dans l’UE. Les pays européens devront choisir entre deux attitudes. L’attitude compréhensive serait de signer rapidement un Traité de libre-échange, se donnant comme objectif de maintenir les relations commerciales et financières avec le Royaume-Uni, en tant que partenaire privilégié de l’Europe. Cela minimiserait les conséquences économiques du Brexit pour l’UE comme pour le Royaume-Uni. Toutefois, il paraît difficile que le Royaume-Uni puisse à la fois jouir d’une liberté totale pour son organisation économique et d’une ouverture totale des marchés européens. Le Royaume-Uni ne devrait pas bénéficier de conditions plus favorables que celles des membres actuels de l’AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein) ou de la Suisse ; il devrait sans doute comme eux intégrer la législation du marché unique (en particulier pour la libre circulation des personnes) et contribuer au budget européen. Se poseraient très vite la question de normes, celle du passeport européen des institutions financières (ce passeport est aujourd’hui accordé aux pays de l’AELE, mais pas à la Suisse),  etc. Le Royaume-Uni pourrait avoir à choisir entre se plier à des normes européennes sur lesquelles il n’aura pas son mot à dire ou se voir imposer des barrières réglementaires. Certes, la négociation sera ouverte. Le Royaume-Uni pourra plaider pour une Europe plus ouverte aux pays hors-UE. Mais quel sera son poids une fois sorti ?

L’attitude dure, visant à punir Londres pour faire un exemple et décourager les futurs candidats à la sortie, consisterait au contraire à imposer au Royaume-Uni de renégocier l’ensemble des traités commerciaux en partant de zéro (donc des seules règles de l’OMC) à inciter les entreprises multinationales à relocaliser en Europe continentale leurs usines et sièges sociaux, à fermer l’accès du marché européen aux banques britanniques de façon à les inciter à rapatrier à Paris ou à Francfort l’activité bancaire et financière de la zone euro. Mais, il paraît difficile que l’Europe, partisan de la libre-circulation des marchandises, des services, des personnes, des entreprises, se mette à dresser des obstacles contre le Royaume-Uni.  La zone euro a un excédent courant de 130 milliards d’euros avec le Royaume-Uni : voudra-t-elle le remettre en cause ? Les entreprises européennes qui exportent au Royaume-Uni s’y opposeraient. Les accords de coopération industrielle (Airbus, Armement, Energie, ..) pourraient difficilement être remis en question. Il paraît a priori peu probable que Londres dresse des barrières tarifaires contre les produits européens, sauf en représailles. En sens inverse, Londres pourrait jouer la carte du paradis fiscal et réglementaire, en particulier en matière financière. Mais, il ne pourrait guère s’abstraire de contraintes internationales (les accords de la COP21, ceux sur la lutte contre l’optimisation fiscale, ceux sur l’échange international d’informations fiscales et bancaires). Le risque est de rentrer dans un coûteux jeu de représailles réciproques (que l’Europe, divisée entre des pays à intérêts différents, aura du mal à mener).

En cas de sortie de l’UE, le Royaume-Uni, contributeur net à l’UE, économiserait  a priori environ 9 milliards d’euros par an, soit 0,35% de son PIB. Toutefois, les pays de l’AELE et la Suisse contribuent au budget européen dans le cadre du marché unique. Là encore, tout dépendra de la négociation. On peut penser que le gain pour le Royaume-Uni ne sera que de l’ordre de 4,5 milliards d’euros, que les autres pays membres devront prendre en charge (soit un coût de l’ordre de 0,5 milliard d’euros pour la France).

Compte tenu des incertitudes sur la négociation (et sur l’évolution du taux de change),  toutes les évaluations sur l’impact du Brexit sur les autres pays de l’UE ne peuvent être que très problématiques. Par ailleurs, l’effet pour les pays de l’UE est forcément de second ordre : si des barrières tarifaires ou non tarifaires réduisent les exportations de voitures françaises vers le Royaume-Uni et des voitures britanniques vers la France, les producteurs français pourront fournir leur marché national avec moins de concurrence et pourront aussi se tourner vers les pays tiers. Un ordre de grandeur est cependant utile : les exportations de la France (de l’UE) vers le Royaume-Uni représentaient en 2015 1,45% de son PIB (2,2%) ; les exportations du Royaume-Uni vers l’UE représentaient 7,1% de son PIB. A priori, un choc équivalent sur le commerce RU/UE a 3,2 fois moins d’impact sur l’UE que le Royaume-Uni.

Ainsi, selon l’OCDE[2], la baisse du PIB de l’UE serait à terme, en 2023, de 0,8% (contre 2,5% pour le Royaume-Uni), tandis que rester dans l’UE, participer à l’approfondissement du marché unique et signer des accords de libre-échange avec le reste du monde permettrait une hausse du PIB pour tous les pays de l’UE. Mais quelle est la crédibilité de cette dernière affirmation, compte tenu des mauvaises performances actuelles de la zone euro et du coût de l’ouverture des frontières pour la cohésion économique et sociale des pays européens ? Beaucoup des canaux évoqués par l’OCDE sont contestables : le Brexit affaiblirait la croissance en augmentant l’incertitude économique et en affaiblissant les perspectives économiques. Mais si l’Europe fonctionne mal, la quitter devrait améliorer les perspectives des marchés. Le Royaume-Uni subirait une contraction de son commerce extérieur, qui nuirait durablement à sa productivité, mais, malgré l’ouverture de son économie, la productivité de l’économie britannique est déjà faible. L’OCDE ne pose pas la question de principe : un pays doit-il abandonner sa souveraineté politique pour bénéficier des éventuels effets positifs de la libéralisation commerciale ?

Selon la fondation Bertelsmann[3], la baisse du PIB de l’UE (hors RU) en 2030 irait de 0,10% dans le cas d’une sortie douce (le Royaume-Uni ayant un statut similaire à celui de la Norvège)  à 0,36% dans le cas défavorable (le Royaume-Uni devant renégocier tous ses traités commerciaux), la France étant peu touchée (-0,06 % et -0,27%), l’Irlande, la Belgique et le Luxembourg beaucoup plus. Puis l’étude multiplie ces chiffres par cinq pour intégrer des effets dynamiques de moyen terme, la baisse du commerce extérieur étant censée avoir des effets défavorables sur la productivité.

Euler-Hermès aboutit aussi à des chiffres très faibles pour les pays de l’UE : une baisse de 0,4% du PIB avec un accord de libre-échange ; de 0,6 % sans accord. L’impact est plus important pour les Pays-Bas, l’Irlande et la Belgique.

Un rebond de l’Europe, avec ou sans le Royaume-Uni…

L’Europe devra tirer les leçons de la crise britannique, qui vient après la crise des dettes des pays du Sud, la crise grecque, les politiques d’austérité, en même temps que celle des migrants. Ce ne sera pas une tâche aisée. Il faudra à la fois repenser le contenu des politiques et leur cadre institutionnel. L’UE en aura-t-elle la capacité ?

Les déséquilibres entre pays membres se sont accrus de 1999 à 2007. Depuis 2010, la zone euro n’a pas été capable de mettre en place une stratégie coordonnée permettant le retour vers un niveau satisfaisant d’emploi et la résorption des déséquilibres entre Etats membres. Les performances économiques sont médiocres pour de nombreux pays de la zone euro et catastrophiques pour les pays du Sud.  La stratégie mise en œuvre  dans la zone euro depuis 1999, renforcée depuis 2010 : « discipline budgétaire/réformes structurelles » n’a guère donné des résultats satisfaisants sur les plans économiques et sociaux. Par contre, elle donne aux peuples l’impression d’être dépossédés de tout pouvoir démocratique. C’est encore plus vrai pour les pays qui ont bénéficié de l’assistance de la troïka (Grèce, Portugal, Irlande) ou de la BCE (Italie, Espagne). Depuis 2015, le plan Juncker destiné à relancer l’investissement en Europe a marqué un certain tournant, mais celui-ci demeure timide et mal assumé : il ne s’accompagne pas d’une réflexion sur la stratégie macroéconomique et structurelle. Les désaccords sont importants en Europe tant entre les nations qu’entre les forces politiques et sociales. Dans la situation actuelle, l’Europe a besoin d’une stratégie économique forte, mais celle-ci ne peut pas être aujourd’hui décidée collectivement en Europe.

Ce marasme a selon nous deux causes fondamentales. La première concerne l’ensemble des pays développés. Il apparaît de plus en plus que la mondialisation creuse un fossé  profond entre ceux qui y gagnent et ceux qui y perdent[4]. Les inégalités de revenus et de statuts se creusent. Les emplois stables, correctement rémunérés disparaissent. Les classes populaires sont les victimes directes de la concurrence des pays à bas salaires (que ce soient les pays asiatiques ou les anciennes démocraties populaires). On leur demande d’accepter des baisses de salaires, de prestations sociales, de droits du travail. Dans cette situation, les élites et les classes dirigeantes peuvent être ouvertes, mondialistes et pro-européennes tandis que le peuple est protectionniste et nationaliste. C’est le même phénomène qui explique la poussée du Front National de l’AfD, de l’UKIP, et aussi aux Etats-Unis de Donald Trump chez les Républicains.

L’Europe est actuellement gérée par un fédéralisme libéral et technocratique, qui veut imposer aux peuples des politiques ou des réformes, que ceux-ci refusent, pour des raisons parfois légitimes, parfois discutables, parfois contradictoires. Le fait est que l’Europe, telle qu’elle est actuellement, affaiblit les solidarités et cohésions nationales, ne permet pas aux pays de choisir une stratégie spécifique.  Le retour à la souveraineté nationale est une tentation générale.

Par ailleurs l’Europe n’est pas un pays. Il existe entre les peuples des divergences importantes d’intérêt, de situations, d’institutions, d’idéologies qui rendent tout progrès difficile. En raison de la disparité des situations nationales, de nombreux dispositifs (que ce soit la politique monétaire unique, la liberté de circulation des capitaux et des personnes), posent problème. Des règles sans fondement économique ont été introduites dans le Pacte de Stabilité ou le Traité Budgétaire : elles n’ont pas été remises en cause après la crise financière.  Dans nombre de pays, les classes dirigeantes, les responsables politiques, les hauts-fonctionnaires ont choisi de minimiser ces problèmes, pour ne pas contrarier la construction européenne. Des questions cruciales d’harmonisation fiscale, sociale, salariale, réglementaire ont été volontairement oubliées. Comment faire converger vers une Europe sociale ou une Europe fiscale des pays dont les peuples sont attachés à des systèmes structurellement différents ? Après les difficultés de l’Europe monétaire, qui peut souhaiter une Europe budgétaire, qui éloignera encore l’Europe de la démocratie ?

Dans l’accord du 19 février, le Royaume-Uni a fait rappeler les principes de subsidiarité. Il est compréhensible que des pays, soucieux de souveraineté nationale, soient agacés (pour ne pas dire plus) par les intrusions incessantes de l’UE dans des domaines qui relèvent de la compétence nationale, où les interventions européennes n’apportent guère de valeur ajoutée. Il est compréhensible que ces pays refusent de devoir en permanence se justifier à Bruxelles sur leurs politiques économiques ou sur leurs règles économiques, sociales ou juridiques même quand celles-ci n’ont aucune conséquence sur les autres Etats membres. Le Royaume-Uni a fait noter que les questions de justice, de sécurité, de libertés restaient de compétence nationale. L’Europe devra tenir compte de ce sentiment d’exaspération. Après le départ britannique, il faudra arbitrer entre deux stratégies : renforcer l’Europe au risque d’accroître encore le sentiment de dépossession des peuples ou réduire l’ambition de la construction européenne.

Le départ du Royaume-Uni, l’éloignement de fait de certains pays d’Europe centrale  (Pologne, Hongrie), les réticences du Danemark et de la Suède pourraient pousser à passer explicitement à une Union à deux vitesses. Beaucoup d’intellectuels et de personnalités politiques, nationaux ou européens, pensent que la présente crise pourrait en être l’occasion. L’Europe serait explicitement partagée en trois cercles. Le premier regrouperait les pays de la zone euro qui, tous, accepteraient de nouveaux transferts de souveraineté et bâtiraient une union budgétaire, fiscale, sociale et politique poussée. Un deuxième regrouperait les pays européens qui ne souhaiteraient pas participer à cette union. Enfin, le dernier cercle regrouperait les pays liés à l’Europe par un accord de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse aujourd’hui, d’autres pays et le Royaume-Uni demain)

Ce projet pose cependant de nombreux problèmes. Les institutions européennes devraient être dédoublées entre des institutions zone euro fonctionnant sur le mode fédéral (qu’il faudrait rendre plus démocratique) et des institutions de l’UE continuant à fonctionner sur le mode Union des Etats membres. Beaucoup de pays actuellement en dehors de la zone euro sont hostiles à cette évolution qui, selon eux, les marginaliserait en membre de ‘seconde zone’. Elle compliquerait encore le fonctionnement de l’Europe s’il y a un Parlement européen et un Parlement de la zone euro, des commissaires zone euro, des transferts financiers zone euro et des transferts UE, etc. C’est déjà le cas, par exemple, avec l’Agence bancaire européenne et la BCE. De nombreuses questions devraient être tranchées deux ou trois  fois (une fois au niveau de la zone euro, une fois au niveau de l’UE, une fois au niveau de la zone de libre-échange).

Selon la question, le pays membre pourrait choisir son cercle, on irait vite vers une union à la carte. Cela est difficilement compatible avec une démocratisation de l’Europe puisqu’il faudrait vite un Parlement par question.

Les membres du troisième cercle seraient eux dans une situation encore plus difficile, obligés de se plier à des réglementations sur lesquels ils n’auront aucun pouvoir. Faut-il placer nos pays partenaires devant le dilemme : accepter  de lourdes pertes de souveraineté (en matière politique et sociale) ou se voir priver des avantages du libre-échange ?

Il n’y a sans doute pas d’accord des peuples européens, même au sein de la zone euro, pour aller vers une Europe fédérale, avec toutes les convergences que cela supposerait. Dans la période récente, les cinq présidents et la Commission ont proposé de nouveaux pas vers le fédéralisme européen : création d’un Comité budgétaire européen, création de Conseils indépendants de compétitivité, conditionnement de l’octroi des fonds structurels au respect de la discipline budgétaire et à la réalisation des réformes structurelles, création d’un Trésor européen et d’un ministre des finances de la zone euro, évolution vers une Union financière, unification partielle des systèmes d’assurance chômage. Cette évolution renforcerait le pouvoir d’organismes technocratiques au détriment des gouvernements démocratiquement élus. Il serait déplaisant qu’elle soit mise en œuvre, comme c’est déjà le cas en partie, sans que les peuples soient consultés.

Par ailleurs, nul ne sait comment se ferait la convergence en matières fiscale ou sociale. Vers le haut ou vers le bas ? Certains proposent une union politique où les décisions seraient prises démocratiquement par un gouvernement et un parlement de la zone euro. Mais peut-on imaginer un pouvoir fédéral, même démocratique, capable de prendre en compte les spécificités nationales dans une Europe composée de pays hétérogènes ? Peut-on imaginer les décisions concernant le système de retraite français prises par un Parlement européen ? Ou un ministre des finances de la zone imposant des baisses de dépenses sociales aux pays membres (comme la troïka le fait pour la Grèce) ? ou des normes automatiques de déficit public ? Selon nous, compte tenu de la disparité actuelle en Europe, les politiques économiques doivent être coordonnées entre pays et non décidées par une autorité centrale.

L’Europe devra engager une réflexion sur son avenir. Utiliser la crise actuelle pour progresser sans réflexion vers « une union toujours plus étroite » serait dangereux. L’Europe doit vivre avec une contradiction : les souverainetés nationales auxquelles les peuples sont attachés doivent être respectées tant que faire se peut ; l’Europe doit mettre en œuvre une stratégie macroéconomique et sociale, forte et cohérente. L’Europe n’a pas de sens en elle-même, elle n’en a que si elle met en œuvre en projet, défendre un modèle spécifique de société, la faire évoluer pour intégrer la transition écologique, éradiquer  le chômage de masse, résoudre les déséquilibres européens de façon concertée et solidaire. Mais il n’y a pas d’accord en Europe sur la stratégie à mener pour atteindre ces objectifs. L’Europe, incapable de sortir globalement les pays membres de la récession, de mettre en œuvre une stratégie cohérente face à la mondialisation, est devenue impopulaire. Ce n’est qu’après un changement réussi de politiques qu’elle pourra retrouver l’appui des peuples et que des progrès institutionnels pourraient être mis en œuvre.

[1] Voir, en particulier le rapport du Sénat ; Albéric de Montgolfier : Les conséquences économiques et budgétaires d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne,  juin 2016.

[2] OCDE, 2016, The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision, avril. Notons qu’assimiler la sortie de l’Euro à une hausse des impôts est n’a pas de sens économique et est une communication peu digne de l’OCDE.

[3] Brexit –potential economic consequences if the EU exit the EU,, Policy Brief, 2015/05.

[4] Voir par exemple, Joseph E. Stiglitz, 2014,  « Le prix de l’inégalité », Les Liens qui libèrent, Paris.




Le coût économique et social du mal-logement

par Pierre Madec

Depuis le 5 mars 2007 et l’instauration de la loi DALO, le droit à un logement « décent » est inscrit dans la loi française. Malgré tout, selon la Fondation Abbé Pierre, la France comptait en 2015 près de 4 millions de mal-logés. En intégrant à ces chiffres les ménages fragilisés par leurs conditions de logement, c’est ainsi près d’un Français sur six qui serait confronté, de près ou de loin, à des situations de logement anormales. Cette population, victime des crises économiques successives, accueille en son sein des ménages aux caractéristiques de logement très disparates. Logement trop cher, précarité énergétique, habitat indigne, les situations de mal-logement sont nombreuses, diverses et, souvent, cumulatives.

S’il n’existe pas aujourd’hui de définition arrêtée de ce qu’est le « mal-logement », depuis plusieurs années, de nombreux auteurs de rapports et d’études se sont attelés à le qualifier et le quantifier. Poursuivant cet objectif, un groupe de travail du Conseil national de l’information statistique (Cnis, 2011) a d’ailleurs tenté de cerner la notion de mal-logement à partir du croisement de différentes dimensions : le type d’habitat, le statut d’occupation, la qualité du logement, la précarité/stabilité dans le logement, l’environnement du logement, ou encore l’adéquation du logement au ménage qui l’occupe. Malgré tout, définir le mal-logement reste complexe. Malgré le travail important effectué depuis des décennies tant par les chercheurs que par les acteurs de secteur, la qualification du mal-logement reste sujette à débat. Des situations les plus extrêmes touchant les publics les plus fragiles (sans-abrisme, exclusion sociale, …) à celles les plus répandues que sont la sur-occupation, des dépenses en logement trop élevées ou encore des difficultés de chauffage, les situations de mal-logement sont multiples et variées. De fait, la qualification et la quantification de l’impact de ces dernières est donc des plus complexes, d’autant plus que les données statistiques à la disposition du monde scientifique ne permettent pas d’analyser aisément l’ensemble des formes prises par le « mal-logement ».

En partenariat avec l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion (ONPES) et le Plan urbanisme construction architecture (PUCA), l’OFCE a tenté d’éclairer ces aspects à travers un rapport approchant le coût économique et social du mal-logement dont un article de la Revue de l’OFCE tente de condenser au mieux les résultats (Madec, 2016).

Une fois arrêtés les contours du concept de mal-logement et désignées les composantes de ce dernier dont les conséquences économiques et sociales sont susceptibles d’être chiffrées directement, celles pour lesquelles des travaux complémentaires devront être menés ont été identifiées en fonction de la connaissance et des données disponibles. De même, une identification des domaines impactés par le mal-logement a été réalisée, identification faisant suite à la présentation d’une typologie des composantes du mal-logement étudiées (sur-occupation, contrainte budgétaire dépassée, précarité énergétique, habitat dégradé) en distinguant celles dont le coût est directement mesurable, compte tenu des données et des travaux existants, de celles pour lesquelles il conviendrait de construire une information chiffrée ou d’engager des travaux complémentaires.

Une fois recensé l’ensemble des coûts directement imputables aux situations de mal-logement, pour la plupart inscrits au titre du programme 177 des lois de finances mais dont nous proposons d’élargir le dessin, nous tentons de quantifier l’impact des situations de mal-logement sur l’éducation, l’insertion dans l’emploi et la santé.

Les résultats montrent l’importance de l’environnement du foyer sur l’ensemble des champs d’étude retenus. En effet, les liens statistiques mis en évidence à travers notamment l’analyse économétrique employée concluent à un impact significatif des principales conditions de logement tant sur la réussite scolaire des élèves que sur la probabilité de retrouver un emploi ou celle de se déclarer en mauvaise santé. Ainsi, entre 8% et 10% du retard scolaire mesuré serait en partie expliqué par des conditions de logement dégradées (voir tableau).

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Concernant l’insertion dans l’emploi, les résultats obtenus mettent en évidence une corrélation importante entre logement et probabilité de retrouver un emploi. Enfin, la probabilité d’un individu à juger sa santé dégradée semble quant à elle fortement liée à la situation de logement de ce dernier puisqu’entre 16% et 30% de la perception de l’état de santé semble expliquée par le confort du logement.

La quantification, monétaire ou non, de ces impacts négatifs des conditions de logement, bien que fragiles compte tenu des données et de la méthode employée, permet d’apporter un éclairage nouveau sur les conséquences que peuvent avoir les conditions de logement sur les conditions de vie des ménages prises dans leur intégralité, et ce à court mais également à moyen/long terme.

Une fois ce constat établi, la question de la capacité des pouvoirs publics à éviter ces situations de mal-logement reste entière. Ce rapport propose en conclusion une méthodologie originale permettant, sous réserve de la mobilisation des données nécessaires, de mesurer ces coûts à travers un modèle de mobilité résidentielle faisant appel à la fois au parc de logement existant mais également à la construction neuve.

 




Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?

Par Bruno Coquet

Le marché du travail français est fortement appuyé sur l’assurance chômage, pour de nombreuses raisons : le chômage est élevé, les salariés paient très cher leur assurance, mais aussi parce que la réglementation couvrant bien les salariés titulaires de contrats précaires, certains employeurs sont incités à reporter sur l’assurance chômage les coûts de la flexibilité contractuelle, qui devraient être facturés aux clients ou imputés aux actionnaires.

L’intervention de l’assurance chômage doit donc être ajustée afin de ne pas susciter de telles incitations, qui lui coûtent cher et accroissent le coût du travail. Pour ce faire c’est le coût du travail associé aux comportements coûteux pour l’assureur qui doit être augmenté, cependant que les taxes facturées aux employeurs faisant un usage raisonné des contrats courts devraient baisser.

Après avoir examiné les moyens que l’assureur doit mettre en regard de ces objectifs, nous proposons une formule de modulation des cotisations d’assurance chômage. Celle-ci tire les leçons de la sur-taxation en vigueur depuis 2013 ; plus générale, notre formule peut modifier de manière significative le coût des contrats très courts, tout en ayant des effets agrégés très modestes (et en particulier nuls sur le coût du travail agrégé) ; son éventuel effet négatif sur les embauches, en particulier dans les TPE/PME peut aisément être contrôlé

1 – Définir précisément l’objectif

1.1 – Règle générale : ne pas taxer, ni plus ni moins

Si l’on veut créer des emplois il est de bon sens de ne pas les taxer, ou plus exactement de minimiser les taxes qui pèsent sur le travail. Cela vaut dès la première heure de travail, quels que soient le niveau de salaire et les caractéristiques du contrat de travail (CDI, CDD, intérim, etc.).

Mais les modalités d’emploi peuvent cependant engendrer des effets indésirables, des transferts de coûts sur d’autres acteurs que les parties au contrat, des « externalités » qui peuvent justifier de prélever des taxes sur le travail : le financement des accidents du travail en constitue un bon exemple, mais aussi l’assurance chômage, la formation professionnelle, etc. Symétriquement le coût de certaines politiques publiques ne devrait pas être déporté vers des ressources qui n’ont rien à voir avec elles : la politique culturelle, dont le régime des intermittents du spectacle est un pilier, constitue un exemple emblématique d’un alourdissement indésirable du coût du travail.

Les systèmes mutualisés qui financent certaines politiques publiques, en particulier les assurances qui s’appuient sur la solidarité interprofessionnelle, ne devraient pas effectuer de la redistribution monétaire ou donner des subventions croisées en différenciant la tarification des assurés : le risque étant aléatoire, la règle est que chacun a l’obligation de s’affilier et paie des contributions identiques pour financer l’indemnisation de ceux pour lesquels le risque se réalise.

Par conséquent il n’existe pas de raison de taxer l’emploi quand il n’engendre pas d’externalités coûteuses, et il serait inique et inefficace de surtaxer certains assurés ou d’en exonérer d’autres.

1.2 – Règle de bonne gestion : décourager ce qui coûte cher

En revanche, dès lors que le comportement des assurés influence la probabilité de survenance des sinistres, ou le montant de l’indemnisation qui s’ensuit, l’assureur doit impérativement contrôler ces comportements qui accroissent ses dépenses (ce qui manifeste l’externalité).

Pour faire face à cette « sélection adverse » l’assureur peut, à court terme, choisir d’augmenter la taxe de droit commun facturée à tous les assurés. Mais cette option n’est pas tenable à long terme car elle encourage de plus en plus d’assurés à adopter les comportements coûteux pour l’assureur, en même temps qu’elle accroît les coûts de ceux dont le comportement est vertueux, car ce sont eux qui financent le surcroît de dépenses.

C’est en particulier le cas pour l’assurance chômage. Le chômage ne résulte pas seulement de causes macroéconomiques, cycles d’activité, ruptures technologiques, saisons, chocs exogènes, etc. Il relève également de choix productifs : ainsi une entreprise peut choisir de répondre à une demande saisonnière en stockant ses produits au fil des mois qui précèdent, quand sa concurrente augmentera sa production au dernier moment grâce à des contrats courts ; une autre peut choisir de répercuter dans son prix de vente le surcoût de l’embauche d’intérimaires pour répondre à une commande sporadique alors que sa concurrente rognera son taux marge pour bénéficier d’un chiffre d’affaires et d’un profit total accrus. Ainsi sur des marchés concurrentiels ce sont in fine les actionnaires ou les clients qui supportent les coûts associés aux choix productifs.

La présence d’une assurance chômage peut modifier ces choix : les entreprises utilisant les technologies de production flexibles qui externalisent le mieux les coûts de production vers le régime d’assurance sont avantagées, soit que leurs marges sont plus élevées, soit que leurs prix de vente plus faibles augmentent leur compétitivité et leur activité. Mais derrière le régime d’assurance chômage, qui paye pour le revenu ces chômeurs ? Une majorité d’entreprises qui n’ont rien à voir avec ces choix, ou – de manière plus problématique – des concurrentes plus vertueuses en termes de stabilité de l’emploi. En aucun cas il n’est optimal que ce soit l’assurance chômage, donc l’ensemble des assurés[1] qui supportent de tels coûts : cela signifie que l’assureur perturbe la concurrence sur le marché des biens dans un sens opposé à ce qu’est sa mission, puisque ce faisant il augmente le chômage et ses propres coûts.

Bien sûr le choix technologique et économique qui fait préférer à l’employeur l’usage de contrats courts ne résulte pas seulement de l’existence d’une assurance chômage. Cependant si l’assureur n’y prend pas garde ces comportements qui augmentent ses dépenses peuvent entraîner sa faillite, surtout si par mégarde il les encourage avec ses propres règles d’affiliation et d’indemnisation, comme c’est le cas de l’Unedic avec les contrats courts.

Une gestion rigoureuse de l’assurance chômage ne doit donc pas exclusivement s’intéresser au contrôle des dépenses. La tarification est un instrument à part entière, indispensable pour contrôler les comportements qui influencent la sinistralité.

2 – Définir précisément l’instrument

Taxer par principe, sans considération du problème que vise à résoudre la taxe, est un risque, pas une solution. La taxe vise à limiter soit le problème, soit ses conséquences, soit les deux.

2.1 – La taxe américaine a pour vocation de contrôler des problèmes américains

Une sur-taxation des entreprises faisant un recours excessif à l’assurance chômage est pratiquée aux Etats-Unis. Cette réglementation est souvent citée en exemple. Mais ce système est spécifique à plusieurs titres, ce qui rend sa transposition aléatoire :

  • Son objectif. Cette formule a été conçue dès la création du régime américain en 1935 pour prémunir l’assureur, et donc la collectivité des assurés[2], contre un danger précis : le recours disproportionné à des suppressions d’emploi temporaires (« licenciements temporaires »), très proches du chômage partiel. C’est d’autant plus nécessaire que le régime d’assurance américain a été construit pour indemniser ce type de fluctuations[3], ce qui exige d’éviter une mutualisation inter-sectorielle excessive (qui implique que les secteurs très cycliques sont financés par ceux qui sont peu cycliques) ainsi qu’une mutualisation intra-sectorielle disproportionnée (les entreprises qui utilisent beaucoup l’assurance chômage sont financées par leurs concurrentes qui l’utilisent peu) ;
  • Son champ d’application. La taxation sous forme d’experience rating est d’autant plus dissuasive qu’elle s’applique à l’ensemble de la masse salariale de l’entreprise dont le compte chez l’assureur est plus déficitaire que la norme établie[4];
  • Ses modalités administratives. Adapté à l’objectif visé cette modulation fonctionne mal car les comptes individuels des entreprises, outre qu’ils engendrent une lourde bureaucratie, nécessitent d’établir des formules de calcul complexes et peu lisibles, au détriment de leur caractère incitatif ;
  • Ses restrictions. L’assiette du salaire assurable sur laquelle porte la taxe est en général trop faible[5] pour que la sanction en termes de coût du travail n’incite à la vertu. En outre si l’expérience rating était « complet », c’est-à-dire que chaque employeur paie la totalité des coûts qu’il engendre pour l’assureur, la mutualisation serait nulle et l’assurance inutile du point de vue des employeurs.

Transposer la formule américaine n’a donc pas de sens car cette modalité est indissociable du système d’assurance de ce pays, structurellement très différent du nôtre, par ses objectifs, ses règles et la manière dont il est financé.

2.2 – Une taxe française doit viser des problèmes français

En France le comportement qui pose problème en ce qu’il coûte cher à l’assurance chômage est la récurrence emploi/chômage associée à l’usage disproportionné des contrats courts.

La durée réduite des contrats de travail engendre des besoins d’indemnisation, qui interfèrent avec la gestion de l’assureur dont l’un des objectifs est de bien sécuriser les titulaires de contrats précaires[6]. L’existence des contrats courts peut évidemment refléter des fluctuations d’activité temporaires – comme aux Etats-Unis –, mais ce qui est problématique en France c’est d’une part leur utilisation structurelle, récurrente, pour couvrir des besoins de production permanents, d’autre part le fait que l’assurance chômage soit instrumentée comme un complément de salaire par des employeurs et/ou des salariés qui maîtrisent bien les règles d’éligibilité et d’indemnisation. Face à cela l’Unedic pourrait moins bien indemniser les chômeurs, mais ce n’est qu’un moyen indirect d’agir sur les causes originelles des dépenses.

En France l’assureur doit donc essayer d’influencer la durée des contrats de travail. La taxe sur les contrats courts ne doit pas être nulle, mais fixée à un niveau optimal pour être dissuasive, sans être excessive ni punitive :

  • Il ne s’agit pas de « taxer les CDD », ou d’exonérer tel ou tel statut, mais de viser la durée effective des contrats : en effet l’assureur observe que 30% des CDI durent moins d’un an, que les ruptures durant la période d’essai représentent près de 2 fois plus d’entrées au chômage que les licenciements économiques, que les contrats d’intérim sont à la fois très courts et très récurrents en indemnisation, etc. Il apparaît donc préférable que l’assureur reste neutre envers le choix du contrat de travail, pour se focaliser sur la conséquence commune des différents statuts possibles, qui est la forte récurrence en indemnisation ;
  • La taxe n’a aucune raison d’être punitive : elle s’applique aux salaires correspondant à des contrats de courte durée, pas à l’ensemble des employeurs qui en font un usage excessif (ce qui serait le cas si la taxe américaine était transposée telle quelle) ;
  • Le but n’est pas de créer une taxe qui finance le « déficit » des contrats courts[7]. Un tel objectif serait en contradiction avec la nature même d’une assurance chômage mutualisée, qui a vocation à financer les prestations versées aux agents qui subissent des risques élevés (contrats précaires) par des contributions sur les agents dont l’exposition au risque est moindre (contrats stables). Dès lors que ces risques ne sont pas « maîtrisés » par les agents, la mutualisation réalisée par l’assurance est un transfert souhaitable, et l’assureur ne doit pas chercher à faire payer aux utilisateurs de contrats courts 100% du coût d’indemnisation qu’ils engendrent, ce qui serait la négation même du principe d’assurance mutualisée.

Une taxe sur les CDD, réduite pour les CDD d’usage, a bien été mise en place en 2013 par l’Unedic[8] (graphique 1). Mais en visant des statuts plutôt que la durée, dotée d’un champ d’application bien plus restreint que celui de ses exceptions, elle ne pouvait évidemment ambitionner d’infléchir l’usage des contrats courts. En outre, en créant des effets de seuil, elle offre à la marge des possibilités d’échapper à la surtaxe. De manière caractéristique on peut observer que cette taxe visant une mauvaise cible (le statut du contrat de travail, en l’occurrence les CDD, mais pas l’intérim et très peu les CDD d’usage) il n’est guère étonnant qu’elle n’ait pas modifié les comportements.

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2.3 – Taxer les contrats courts sans dissuader la création d‘emplois

Trois solutions existent pour taxer le travail : au début du contrat, en cours de contrat, ou à la fin de celui-ci :

  • Taxer l’embauche est évidemment contre-intuitif, mais c’est surtout inapproprié par rapport à l’objectif visé ici par l’assureur, car dans bien des cas le statut du contrat ne permet pas de juger de sa durée effective, ni du destin de la relation employeur/salarié (donc sa durée effective) qui peut se poursuivre bien plus longtemps et sans interruption que ne peut le laisser supposer la durée initiale du contrat ;
  • Taxer à la fin du contrat n’est pas souhaitable dans la mesure où l’employeur est taxé au moment où il doit se séparer du salarié, c’est-à-dire au moment où ses moyens financiers se réduisent ; c’est en outre aléatoire car s’il fait faillite la taxe n’est jamais recouvrée ; cette solution est enfin fortement combattue au motif que les coûts de sortie de l’emploi dissuadent l’embauche ;
  • Taxer en cours de contrat reste donc la meilleure solution. Ce que vise une taxe déportée vers les durées courtes de contrat, c’est de limiter les hautes fréquences de ruptures injustifiées[9].

L’objectif étant de taxer les durées effectivement courtes, en évitant les effets de seuil, une taxe d’autant moins importante que le contrat s’inscrit dans la durée apparaît adaptée au besoin.

Il reste qu’une entreprise jeune et/ou en période de forte expansion de ses effectifs est par nature surexposée à une taxe sur les contrats récemment signés, car ceux-ci représentent une fraction transitoirement élevée de sa masse salariale. Dans ce cas, le coût du travail est effectivement élevé, même si cela est parfaitement compatible avec la fonction de l’assurance chômage[10].

Pour qu’une taxe sur les CDD devienne une taxe à l’embauche il faudrait néanmoins que ces contrats représentent une très forte proportion de la masse salariale de l’entreprise. En moyenne la masse salariale des contrats à « durée limitée » représente environ 11,2% de la masse salariale totale soumise à cotisations Unedic[11]. On peut l’illustrer avec les exemples chiffrés dans les tableaux 1 et 2. Une entreprise ayant une masse salariale de CDD comprise entre 0% et 13,5% de sa masse salariale totale gagnerait à un nouveau barème de cotisation tel que celui proposé dans le graphique 1 : une entreprise de 10 salariés (120 mois ETP par an) qui conclurait dans l’année 15 contrats de 1 mois, taxés au taux le plus élevé ne verrait pas son coût du travail accru par rapport au barème actuel, puisque le taux moyen de cotisation à l’assurance chômage baisserait de 4,33% ex-ante à 4,26% ex-post (tableau 1).

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Ce n’est qu’au-delà de 13,5% que ce nouveau barème commence à être coûteux. Mais même si un employeur utilise des contrats courts dans des proportions très importantes (50% dans les exemples du tableau 2, soit plus de 4 fois le taux moyen observé) l’augmentation du taux de cotisation à l’assurance chômage reste relativement modérée (+1,05% si tous les contrats courts durent 1 mois, +1,6% s’ils ont une durée de 3 mois, et 1,25% s’il s’agit de contrats de 12 mois).

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Différentes solutions peuvent être imaginées pour atténuer l’effet de « taxe à l’embauche » d’une telle modulation des contributions. Par exemple :

  • Offrir un abattement à la base de x euros par entreprise sur les cotisations d’assurance chômage : ainsi l’assureur établit un plancher à la sur-taxation pour les employeurs qui font un usage limité des contrats courts, et comme le montant de l’abattement est défini par entreprise, ce sont les plus petites qui sont les plus favorisées. Un abattement à la base de 400 euros par an et par entreprise permettrait ainsi de neutraliser la plupart des effets d’une surtaxe des contrats courts pour une entreprise en forte croissance ayant les caractéristiques simulées dans le tableau 2 ;
  • Offrir une exonération de la surtaxe pour les x premiers emplois créés chaque année (ou depuis la création de l’entreprise, ou à partir de la date du premier emploi créé), quelle que soit leur durée, ce qui a des effets très proches de la mesure ci-dessus mais en limite le champ aux nouveaux emplois, ce qui est moins coûteux ;
  • Offrir à chaque employeur le choix entre le barème dégressif en fonction de la durée du contrat et une taxation uniforme de toute la masse salariale, comme aujourd’hui. Ce taux uniforme devrait être suffisamment élevé pour ne jamais coûter à l’assureur, ce qui aurait l’avantage de faire ressentir à tous les employeurs concernés combien la taxation uniforme actuelle (4%) peut apparaître élevée à l’immense majorité des employeurs qui n’utilisent pas les contrats courts de manière excessive.

L’avantage d’une exonération forfaitaire par entreprise (et non par emploi) est qu’il est inutile de créer un seuil destiné à la plafonner pour les entreprises les plus grosses dont les moyens sont plus élevés et qui ne sont pas exposées à l’effet de taxe à l’embauche.

L’incitation à l’allongement des contrats que constitue une taxe modulée en fonction de leur durée effective ne doit cependant pas être totalement annulée : entre des TPE concurrentes il n’y a aucune raison que l’assurance chômage favorise celles qui minimisent leurs propres risques en recrutant sur des contrats très courts. L’assureur a tout intérêt à « récompenser » les employeurs qui endosse un risque accru en facturant un coût du travail moindre.

Ces aménagements pourraient être financés par la suppression de l’exonération temporaire de cotisation d’assurance chômage ciblée sur les jeunes embauchés en CDI, instaurée en 2013. Cette disposition s’accompagne d’effets d’aubaine particulièrement élevés et, dans la mesure où elle ne s’adresse pas seulement à des jeunes indemnisés, elle relève d’une politique publique, utile dans la mesure où ces emplois s’avèreraient (très) durables, mais qui n’est pas dans la mission première de l’assureur. En revanche trouver les moyens de réduire l’usage disproportionné des contrats courts sans pour autant nuire à la création d’emploi est parfaitement en adéquation avec l’intérêt et avec la mission de l’assureur.

 

 

[1] Il faut toujours avoir à l’esprit que « les assurés » sont à la fois les entreprises (qui sont ainsi couvertes contre l’externalité que représente le coût du chômage qu’elles pourraient engendrer), et les salariés, qui sont couverts contre la perte de leur revenu.

[2] Aux Etats-Unis seules les entreprises paient des cotisations d’assurance chômage ; les salariés n’y cotisent que dans deux Etats.

[3] Ou tout au plus des fluctuations conjoncturelles courtes comme l’indique la durée maximale des droits (6 mois). Le chômage issu de chocs économiques plus importants (conjoncturels ou structurels) est pris en charge par des dispositifs d’extension de droits financés sur crédits budgétaires des Etats ou de l’Etat fédéral.

[4] Prestations servies excédant de manière importante les contributions payées.

[5] Le minimum légal est de 7000 US$ par an.

[6] A la différence des Etats-Unis les salariés français cotisent à l’Unedic, à hauteur de 37,5% de ses ressources.

[7] 8,77 Md€ par an (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).

[8] Cette mesure a été décidée dans le cadre de l’accord interprofessionnel de janvier 2013 et non dans celui d’une renégociation de la convention d’assurance chômage.

[9] Injustifiées non au regard d’un jugement de valeur, mais en raison du fait que ces surcoûts relèvent de choix productifs qui sur des marchés concurrentiels peuvent et doivent être imputés dans les prix de vente (clients) ou les taux de marge (actionnaires) (cf. ci-dessus).

[10] La théorie montre que la présence d’une assurance chômage favorise la croissance économique entre autres parce qu’elle permet à des entreprises nouvelles d’offrir des emplois risqués, que les salariés acceptent d’autant plus volontiers qu’ils sont bien assurés. Voir par exemple Albrecht & Axell (1984) « An equilibrium model of search unemployment », Journal of Political Economy, Vol.92 n°5. Axell & Lang (1990) « The effect of unemployment compensation in a general equilibrium with search unemployment » Scandinavian Journal of Economics, Vol. 92 n°4.

[11] Calcul sur données Unedic (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).