Croissance et inégalités dans l’Union européenne

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Croissance et inégalités : défis pour les économies de l’Union européenne » : tel était le thème du 14e Colloque EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenu le 9 juin 2017 à Berlin. EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni). Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important pour les économies européennes.

Cette année, 27 contributions de chercheurs, retenues par un comité scientifique, ont été présentées au colloque dont la plupart sont disponibles sur la page web de la conférence. Ce texte fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.

Ainsi que l’a souligné Marcel Fratzcher, Président du DIW, dans son allocution d’ouverture, la montée des inégalités depuis quelque 30 années, a fait que les inégalités qui étaient auparavant un sujet réservé aux chercheurs spécialisés en politique sociale sont maintenant devenus des sujets d’étude pour de nombreux économistes. Se posent plusieurs questions : pourquoi cette hausse des inégalités ? La hausse des inégalités dans chaque pays est-elle une conséquence obligée de la diminution des inégalités entre pays, que ce soit en Europe ou au niveau mondial ? Quelles sont les conséquences macroéconomiques de cette hausse ? Quelles politiques économiques pour l’éviter ?

Inégalités de revenus : les faits. Mark Dabrowski (CASE, Varsovie) : “Is there a trade-off between global and national inequality ?”, souligne que la croissance des inégalités à l’intérieur de chaque pays (en particulier aux Etats-Unis et en Chine) va de pair avec la diminution des inégalités entre pays, les deux étant favorisés par la mondialisation commerciale et financière. Toutefois, certains pays avancés ont réussi à stopper la croissance des inégalités internes, ce qui montre que les politiques nationales continuent à avoir de l’importance.

Oliver Denk (OCDE) : “Who are the Top 1 Percent Earners in Europe ?” analyse la structure de la couche des 1% de salariés ayant les plus hauts salaires dans les pays de l’UE. Ceux-ci représentent de 9% de la masse salariale au Royaume-Uni à 3,8% en Finlande (4,7% en France). Statistiquement, ils sont plus âgés que l’ensemble des salariés (ceci étant moins net dans les pays de l’Est), plus masculins (ceci étant moins net dans les pays nordiques), plus diplômés. Ils sont plus nombreux dans la finance, la communication, les services aux entreprises.

Tim Callan, Karina Doorley et Michael Savage (ESRI Dublin) : “Inequality in EU crisis countries: Identifying the impacts of automatic stabilisers and discretionary policy”, analysent la croissance des inégalités de revenus dans les pays qui ont le plus souffert de la crise (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal, Chypre). Dans ces cinq pays, les inégalités de revenus primaires ont augmenté en raison de la crise, mais le jeu des transferts fiscaux et sociaux automatiques a fait que les inégalités de revenu disponible sont restées stables en Irlande et au Portugal et (à un moindre degré) en Grèce.

Carlos Vacas-Soriano et Enrique Fernández-Macías (Eurofound) : “Inequalities and employment patterns in Europe before and after the Great Recession”, montrent que les inégalités de revenus diminuaient globalement dans l’UE avant 2008 puisque les nouveaux entrants rattrapaient les anciens membres. Depuis 2008, la Grande Récession a creusé les inégalités entre pays et à l’intérieur de nombreux pays. La croissance des inégalités internes provient surtout de la hausse du chômage ; elle frappe des pays traditionnellement égalitaristes (Allemagne, Suède, Danemark) ; elle est atténuée par la solidarité familiale et la protection sociale, dont les rôles sont cependant remis en cause.

Modélisation de la relation croissance/inégalité. Alberto Cardaci (Universita Cattolica del Sacro Cuore Milan) et Francesco Saraceno (OFCE, Paris) : “Inequality and Imbalances: an open-economy agent-based model”, présentent un modèle à deux pays. Dans l’un, la recherche d’excédents extérieurs induit une pression sur les salaires et une dépression de la demande intérieure compensée par des gains à l’exportation. Dans l’autre, la croissance des inégalités induit une tendance à la baisse de la consommation compensée par le développement du crédit. Il en résulte une crise endogène de la dette quand la dette des ménages du deuxième pays atteint une valeur limite.

Alain Desdoigts (IEDES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), et Fernando Jaramillo, (Universidad del Rosario, Bogota) “Learning by doing, inequality, and sustained growth: A middle-class perspective”, présentent un modèle où les innovations ne peuvent être appliquées dans la production que dans les secteurs d’une taille suffisante, et donc ceux qui produisent les biens achetés par la classe moyenne (et ni dans les secteurs de biens de luxe, ni dans les secteurs de biens de bas de gamme). La croissance est donc d’autant plus forte que la classe moyenne est développée. La redistribution est favorable à la croissance si elle se fait des riches vers la classe moyenne, défavorable si elle va de la classe moyenne aux pauvres.

Inégalité, financiarisation, politique monétaire. L’article de Dirk Bezemer et Anna Samarina (Université de Groningen) : “Debt shift, financial development and income inequality in Europe”, distingue deux types de crédit bancaire, celui qui finance les activités financières et l’immobilier et celui qui finance les entreprises non-financières et la consommation. Il explique la croissance des inégalités dans les pays développés par la place croissante du crédit finançant la finance au détriment de celui qui finance la production.

L’article de Mathias Klein (DIW Berlin) et Roland Winkler (TU Dortmund University) : “Austerity, inequality, and private debt overhang”, soutient que les politiques budgétaires restrictives ont peu d’impact sur l’activité et l’emploi quand les dettes privées sont faibles (car l’effet Barro joue à plein) ; elles ont un effet restrictif sur l’activité et augmentent les inégalités de revenus quand les dettes privées sont fortes. De sorte qu’il faudrait ne pratiquer l’austérité budgétaire qu’une fois que l’endettement privé a été réduit.

Davide Furceri, Prakash Loungani et Aleksandra Zdzienicka (FMI) : “The effect of monetary policy shocks on inequality,” rappellent que l’impact de la politique monétaire sur les inégalités de revenus est ambigu. Une politique expansionniste peut faire baisser le chômage et réduire les taux d’intérêt (ce qui réduit les inégalités) ; elle peut aussi induire de l’inflation et faire augmenter le prix des actifs (ce qui augmente les inégalités). Empiriquement, il apparaît qu’une politique restrictive augmente les inégalités de revenu, sauf si elle est provoquée par une croissance plus forte.

Inégalités et politique sociale. Alexei Kireyev et Jingyang Chen (FMI) « Inclusive growth framework », plaident pour des indicateurs de croissance incluant l’évolution de la pauvreté et des inégalités de revenu et de consommation.

Dorothee Ihle (University of Muenster) : « Treatment effects of Riester participation along the wealth distribution: An instrumental quantile regression analysis » ,analyse l’impact des plans de pensions Riester sur le patrimoine des ménages allemands. Ceux-ci augmentent significativement le patrimoine des ménages participants au bas de la distribution des revenus, mais ils sont relativement peu nombreux, tandis qu’ils ont surtout des effets de redistribution du patrimoine pour les ménages des classes moyennes.

Inégalité, pauvreté et mobilité. Katharina Weddige-Haaf (Utrecht University) et Clemens Kool (CPB and Utrecht University) : “ The impact of fiscal policy and internal migration on regional growth and convergence in Germany”, analysent les facteurs de convergence du revenu par habitant entre les anciens et nouveau Länder allemands. La convergence a été impulsée par les migrations internes, les subventions à l’investissement et les fonds structurels, mais les transferts fiscaux en général n’ont pas eu d’effet. La crise de 2008 a favorisé la convergence en affectant surtout les régions les plus riches.

Elizabeth Jane Casabianca et Elena Giarda (Prometeia, Bologne) “From rags to riches, from riches to rags: Intra-generational mobility in Europe before and after the Great Recession” analysent la mobilité des revenus individuels dans quatre pays européens : Espagne, France, Italie, Royaume-Uni. Avant la crise, elle était forte en Espagne et faible en Italie. Elle a nettement diminué après la crise, en particulier en Espagne ; elle est restée stable au Royaume-Uni.

Luigi Campiglio (Università Cattolica del S. Cuore di Milano) : “Absolute-poverty, food and housing”, analyse la pauvreté absolue en Italie à partir d’un indicateur basé sur la consommation alimentaire. Il montre que les familles pauvres supportent des coûts de logement particulièrement importants, ce qui pèse sur leur consommation alimentaire et leurs dépenses de santé. Les familles pauvres avec enfants, locataires de leur logement, ont été particulièrement touchés par la crise. La politique sociale devrait mieux les protéger par des transferts ciblés, en espèces ou en nature (santé, éducation).

Georgia Kaplanoglou et Vassilis T. Rapanos (National and Kapodistrian University of Athens and Academy of Athens) : “Evolutions in consumption inequality and poverty in Greece: The impact of the crisis and austerity policies”, rappellent que la crise et les politiques d’austérité ont réduit en Grèce le PIB et la consommation des ménages d’environ 30 %. Cela s’est accompagné d’une hausse des inégalités en matière de consommation que l’article documente avec précision. Il analyse en particulier l’effet des hausses de TVA. Les familles avec enfants ont été particulièrement affectées.

Marché du travail. Christian Hutter (IAB, German Federal Employment Agency) et Enzo Weber, (IAB et Universität Regensburg)  : “Labour market effects of wage inequality and skill-biased technical change in Germany”, estiment sur données allemandes un modèle structurel vectoriel pour analyser le lien entre les inégalités salariales, l’emploi, le progrès technique neutre et le progrès technique favorisant le travail qualifié. Ce dernier augmente la productivité du travail, les salaires, mais aussi les inégalités salariales et réduit l’emploi. Les inégalités salariales ont elles un effet négatif sur l’emploi et sur la productivité globale.

Eckhard Hein et Achim Truger (Berlin School of Economics and Law, Institute for International Political Economy Berlin) : “Opportunities and limits of rebalancing the Eurozone via wage policies: Theoretical considerations and empirical illustrations for the case of Germany”, analysent l’impact des hausses de salaires en Allemagne sur le rééquilibrage des soldes courants en Europe. Ils montrent que celles-ci ne jouent pas seulement par effet compétitivité, mais aussi par effet demande en modifiant la répartition salaire/profit et en impulsant la consommation. Aussi, doivent-ils être appuyés par une hausse des dépenses publiques.

Camille Logeay et Heike Joebges (HTW Berlin) : “Could a wage formula prevent excessive current account imbalances in euro area countries? A study on wage costs and profit developments in peripheral countries”, montrent que la règle « les salaires doivent croître comme la productivité du travail et l’objectif d’inflation », aurait eu des effets stabilisateurs en Europe tant sur les compétitivités des pays membres que sur leurs demandes intérieures. Toutefois, cela suppose que les entreprises n’en profitent pas pour augmenter leurs profits et qu’aucun pays ne recherche de gain de compétitivité.

Hassan Molana (University of Dundee), Catia Montagna, (University of Aberdeen) et George E. Onwordi, (University of Aberdeen) : “Reforming the Liberal Welfare State – International Shocks, unemployment and household income shares” construisent une maquette pour montrer qu’un pays libéral, comme le Royaume-Uni, pourrait améliorer le fonctionnement de son marché du travail en en réduisant la flexibilité pour aller vers un modèle de flexi-sécurité : hausse des prestations chômage, restrictions aux licenciements, hausse des dépenses de formation, aides à l’embauche. Cette stratégie, en augmentant la productivité du travail, réduirait le taux de chômage structurel et augmenterait la part des profits.

Guillaume Claveres, (Centre d’Economie de la Sorbonne, Paris) et Marius Clemens (DIW, Berlin) : ”Unemployment Insurance Union” proposent une modélisation d’une assurance-chômage européenne qui prendrait en charge une partie des dépenses de prestations chômage. Celle-ci pourrait réduire les fluctuations de la consommation et du chômage à la suite de chocs spécifiques. Cela suppose cependant qu’elle ne s’applique qu’au chômage conjoncturel, qu’il est difficile de définir.

Bruno Contini, (Università di Torino et Collegio Carlo Alberto), José Ignacio Garcia Perez, (Universidad Pablo de Olavide), Toralf Pusch, (Hans-Boeckler Stiftung, Düsseldorf) et Roberto Quaranta, (Collegio Carlo Alberto) : “New approaches to the study of long term non-employment duration via survival analysis: Italy, Germany and Spain”, analysent la non-activité involontaire (les personnes qui souhaiteraient travailler mais ont renoncé à chercher un emploi et ont perdu leurs droits aux prestations chômage) en Allemagne, Italie et Espagne,. Celle-ci est particulièrement importante et durable en Espagne et en Italie. Ils mettent en garde contre les mesures favorisant les licenciements et la précarisation du travail ou incitant au travail au noir.

Fiscalité. Markku Lehmus, (ETLA, Helsinski) : “Distributional and employment effects of labour tax changes: Finnish evidence over the period 1996-2008” utilise un modèle d’équilibre général avec agents hétérogènes pour évaluer l’impact de la baisse de la fiscalité du travail en Finlande de 1996 à 2008. Il montre que celle-ci explique une faible part de la hausse de l’emploi (1,4 point sur 16%) et de la hausse des inégalités de revenu.

Sarah Godar (Berlin School of Economics and Law) et Achim Truger ( IMK and Berlin School of Economics and Law) : “Shifting priorities in EU tax policies: A stock-taking exercise over three decades” analysent l’évolution de la fiscalité dans les Etats de l’UE : de 1980 à 2007, la fiscalité est devenue moins progressive avec la baisse des taux marginaux supérieurs de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, et un traitement privilégié des revenus du capital. La crise de 2008 et les difficultés des finances publiques ont freiné temporairement ce mouvement ; la hausse des recettes a cependant été souvent recherchée par la hausse de la TVA.

Alexander Krenek et Margit Schratzenstaller (WIFO) : “Sustainability-oriented future EU funding: A European net wealth tax” plaident pour l’instauration d’un impôt européen sur la richesse des ménages, qui pourrait contribuer à financer le budget européen.

Les conséquences macroéconomiques des inégalités. Bjoern O. Meyer (University of Rome – Tor Vergata) : “Savings glut without saving: retirement saving and the interest rate decline in the United States between 1984 and 2013 », explique 60 % de la baisse du taux d’intérêt aux Etats-Unis entre 1983 et 2013, malgré la baisse du taux d’épargne global des ménages par des facteurs démographiques (la hausse différenciée de l’espérance de vie), le ralentissement des gains de productivité du travail et l’augmentation des inégalités de revenu.

Marius Clemens, Ferdinand Fichtner, Stefan Gebauer, Simon Junker et Konstantin A. Kholodilin (DIW Berlin) : “How does income inequality influence economic growth in Germany?” présentent un modèle macroéconométrique où, à court terme, les inégalités de revenu augmentent la productivité de chaque actif (effet d’incitation), mais réduisent la consommation globale (effet d’épargne) ; à long terme, elles ont un impact négatif sur la formation du capital humain des jeunes des classes populaires. Ainsi, une hausse exogène des inégalités de revenu a d’abord un effet négatif sur le PIB (effet demande), puis positif (effet incitation individuel), puis négatif à long terme (effet capital humain). L’effet est toujours négatif sur la consommation des ménages et positif sur la balance extérieure.

 

 

 




Une reprise à durée déterminée

par Bruno Ducoudré et Xavier Timbeau

La ministre du Travail, Madame Muriel Pénicaud, a décidé de ne plus commenter mensuellement le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois mais de consacrer un point presse chaque trimestre à un tour d’horizon plus général de la situation du marché du travail et, espérons, un bilan des mesures engagées par le gouvernement pour améliorer le marché du travail. Curieusement, en effet, chaque mois les différents ministres du Travail avaient pris l’habitude de commenter, par un communiqué de presse, l’évolution du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois, alors que d’autres statistiques, comme les créations d’emplois ou encore la publication par l’INSEE du taux chômage au sens du BIT à partir de l’enquête Emploi, ne faisait pas l’objet d’une attention égale du ministre et rencontrait dans l’espace médiatique une couverture moindre. En faisant du chômage un objectif central de la politique économique – François Hollande l’avait érigé en condition de sa candidature à sa réélection – les différents gouvernements ont encore accentué la centralité de toute information sur le chômage. La coexistence de deux sources – les demandes d’emploi en fin de mois collectées par Pôle Emploi et le taux de chômage au sens du BIT établi à partir de l’enquête Emploi – a ajouté à la confusion. Or la méthodologie « au sens du BIT » vise à résoudre les faiblesses de la source « administrative », les demandeurs d’emploi en fin de mois. Cette dernière échantillonne mal (puisque sont comptabilisés les chômeurs qui se déclarent comme chômeurs) et est très sensible aux « comportements » de l’administration (accueil des chômeurs, radiations, etc.). Vouloir élargir l’analyse du marché du travail au-delà des informations apportées par le chiffre mensuel de Pôle Emploi est louable. Nous faisons ici, à cette occasion, un rapide panorama de la situation du marché du travail, jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2017, c’est-à-dire avant l’élection d’Emmanuel Macron, pour comprendre dans quel contexte et avec quelles perspectives les politiques de l’emploi du gouvernement Philippe s’inscrivent.

Le premier point est que depuis presque deux années, en matière de chômage, les indicateurs indiquent une amélioration franche de la situation économique de l’emploi et du marché du travail. Ainsi, le taux de croissance de l’économie française, à 0,5% lors des trois derniers trimestres, a atteint un rythme qui induit une fermeture de l’écart de production (la différence entre la production potentielle et la production observée) et une décrue nette du taux de chômage. Le rebond de l’activité, couplé aux dispositifs de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche), s’est traduit par un enrichissement de la croissance en emplois : les créations d’emplois salariés ont accéléré pour atteindre 149 400 dans le secteur privé au premier semestre de l’année 2017 et près de 300 000 depuis un an.

Le second point est la baisse du taux de chômage, de 0,5 point en un an et de 1 point depuis son point haut atteint au deuxième trimestre 2015. L’inversion de la courbe du chômage a donc débuté il y a deux ans maintenant. Si la baisse ne s’observe pas aussi franchement du côté des inscrits à Pôle emploi, cette amélioration notable sur le front du chômage s’est accompagnée d’une progression des taux d’activité et d’emploi pour toutes les classes d’âge (cf. graphique 1). Certes le taux d’activité des seniors a le plus progressé (+1,9 point depuis le T2 2015) du fait de la montée en charge des réformes successives visant à retarder l’âge de départ à la retraite, mais celui des 15-49 ans a progressé également de 0,2 point depuis le point haut atteint du taux de chômage en 2015. La baisse du chômage s’est donc faite par une progression de l’emploi et non par des sorties massives du marché du travail, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis.

IMG1_post08-09

Ces chiffres positifs ne doivent toutefois pas masquer une situation toujours dégradée. Le taux de chômage reste à un niveau élevé, de 2,3 points supérieur à son point bas atteint au premier trimestre 2008. Au rythme de baisse du chômage au cours des derniers trimestres, il faudra trois à cinq années pour revenir à la situation d’avant la crise de 2008. De plus, l’amélioration de l’emploi ne garantit pas l’amélioration des conditions d’emploi ou de la qualité des emplois. Ainsi, le taux d’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) a baissé de plus d’un point depuis 2008 alors que l’emploi en contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim, a priori plus précaire, a progressé de 0,8 point sur la même période (graphique 2). Depuis 2015, le taux d’emploi en CDI est stable et l’amélioration du taux d’emploi général s’est faite uniquement par les CDD ou l’intérim. La part de l’emploi à temps partiel pour l’ensemble de la population s’est stabilisée depuis 2015, elle a fortement progressé chez les jeunes (+1,4 point) et les seniors (+0,4 point).

IMG2_post08-09

Alors que la croissance est encore très modeste, de fortes créations d’emplois peuvent indiquer (aux révisions près de la croissance du PIB dans les trimestres à venir) un ralentissement de la productivité. Ce ralentissement pourrait être un symptôme supplémentaire de la précarisation du marché du travail, de la déformation structurelle et des mesures d’enrichissement de la croissance en emplois (notamment les baisses de charges sur les non-qualifiés dans le cadre du Pacte de responsabilité). La productivité apparente dans le secteur marchand non-agricole a ainsi progressé de 0,1% au deuxième trimestre 2017 en glissement annuel, quand notre estimation du taux de croissance tendanciel de la productivité situe celui-ci à 0,8%. Les évolutions de salaires semblent déterminées par la volatilité des prix à la consommation, dont l’origine est liée aux prix du pétrole. Elles sont en apparence plus dynamiques que la productivité, mais la prise en compte du CICE dans le coût du travail (anticipant sa transformation en baisse de cotisations attendue pour janvier 2019) tempère largement le diagnostic et permet de retrouver le rétablissement des marges ou des profits pour les entreprises non financières.

IMG3_post08-09

Le mouvement conjoncturel amorcé depuis quelques trimestres est enclenché de façon robuste. Il a été stimulé par la fin de la crise des dettes souveraines en zone euro, une politique monétaire expansive, une baisse du prix du pétrole et un euro plutôt déprécié par rapport aux monnaies des partenaires commerciaux. La pause dans la consolidation budgétaire, tout comme le redressement des marges des entreprises, expliquent également l’amorce de la fermeture de l’écart de croissance. Certains de ces facteurs positifs devraient s’estomper dans les trimestres qui viennent. La remontée de l’euro, la reprise de la consolidation budgétaire, voire la normalisation de la politique monétaire, pourraient ralentir la reprise. À cela peuvent s’ajouter les effets de court terme de la réforme du marché du travail ou la réduction du nombre des emplois aidés. À plus long terme, la précarisation sensible du marché du travail français pourrait également s’accentuer.

Le gouvernement a ainsi annoncé 310 000 contrats aidés signés en 2017 après 459 000 en 2016, ce qui se traduira mécaniquement par une baisse du nombre de personnes en emploi aidé, notamment dans le secteur non marchand : les contrats les plus fréquents, les CUI-CAE (Contrat unique d’insertion-Contrat d’accompagnement dans l’emploi) avaient une durée moyenne à la signature de 11,6 mois en 2015, ce qui signifie qu’une grande partie des contrats signés au deuxième semestre 2016 arrivent à échéance au deuxième semestre 2017. Le baisse du nombre de contrats aidés ne permettra pas de les renouveler, ce qui pourrait se traduire par une baisse de 50 000 du stock d’emplois aidés non marchands entre fin juin et fin décembre 2017. L’effet d’aubaine étant plus faible pour ces contrats que pour les contrats aidés dans le secteur marchand, la mesure se traduirait par 0,1 point de chômage supplémentaire fin 2017 par rapport à un scénario où les emplois aidés auraient été maintenus à un niveau constant.




« Emplois francs » : que faut-il en attendre ?

par Paul Bauchet et Pierre Madec

Dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron figurait une mesure visant à baisser le coût du travail pour les entreprises embauchant, en CDI ou en CDD, un habitant des quartiers dits prioritaires : « Lorsqu’une entreprise, où qu’elle soit située, embauchera un habitant des quartiers prioritaires de la politique de la ville en CDI, elle bénéficiera d’une prime de 15 000 euros, étalée sur les trois premières années : ce sera comme si elle ne payait plus de charges. En CDD, la prime sera de 5 000 euros sur les deux premières années ». L’objectif affiché de la mesure est de 150 000 contrats signés pour un budget prévu de 1 milliard d’euros par an.

Bien que les contours de la mesure ne soient pas tout à fait identiques, le dispositif « d’emplois francs » a pour la première fois été mis en place sous le mandat de François Hollande. Le diagnostic posé sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville est en effet ancien. Avec une population plus pauvre, plus jeune, moins diplômée et plus enclavée, ces quartiers sont davantage exposés au chômage. Avant la réforme du zonage de la politique de la ville menée en 2014, les quartiers prioritaires, alors nommés Zones Urbaines Sensibles (ZUS), enregistraient un taux de chômage deux fois et demi supérieur au taux national et un taux de pauvreté trois fois supérieur (ONZUS, 2014). Malgré leur population plus jeune, le chômage de longue durée y était sur-représenté (+9,4 points de pourcentage de plus que la moyenne nationale hors ZUS)) (graphique 1).

graph 1

Si ces quartiers bénéficient, depuis leur entrée dans le zonage prioritaire, des crédits de la politique de la ville, les « emplois francs » mis en place par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ont constitué l’une des premières politiques d’emploi visant à discriminer positivement les habitants de ces quartiers.

« Emplois francs » : une expérience peu concluante

Le dispositif, mis en place en 2013, expérimental et initialement prévu pour une durée de 3 ans, consistait au versement en deux fois d’une aide financière d’un montant de 5 000 euros versé (2 500 € à la fin de la période d’essai et 2 500 € après 10 mois de CDI)[1]. Cette aide devait être distribuée à toute entreprise embauchant, en CDI, un « jeune » (entre 15 et 30 ans), résidant en ZUS depuis plus de 6 mois et cumulant plus de 12 mois de chômage au cours des 18 derniers mois. L’objectif affiché était la signature de 2 000 contrats en 2013[2] et de 10 000 sur les 3 ans, mais ce dernier n’a pas été atteint. En octobre 2014, date de fin prématurée du dispositif, seul 280 contrats avaient été signés.

L’une des explications est à chercher dans les caractéristiques d’une population-cible très restreinte. Selon l’enquête Emploi en continu de l’INSEE, au quatrième trimestre de 2014, 38 000 jeunes étaient éligibles au dispositif sur les 366 000 chômeurs des ZUS. Si ce recensement ne rend compte que du nombre d’éligibles au moment de l’enquête, c’est-à-dire au quatrième trimestre 2014, et non de l’ensemble des personnes potentiellement en position d’éligibilité au cours de l’année, il informe sur le caractère extrêmement restreint de la population ciblée. D’autre part, le dispositif « Emplois francs », tel que proposé par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, s’est avéré être en concurrence avec de nombreux dispositifs d’emplois aidés, non spécifiquement ciblés sur la géographie prioritaire mais plus avantageux et non cumulables entre eux (tableau).

tab 1

Les nouveaux « Emplois francs » : que faut-il en attendre ?

Exception faite de leur ciblage sur les quartiers prioritaires, les nouveaux « Emplois francs » proposés par Emmanuel Macron s’écartent du dispositif précédent. Le champ de l’aide s’étendrait à l’ensemble de la population de ces quartiers faisant passer la population éligible de 38 000 à 467 000 chômeurs selon l’EEC de l’INSEE de 2015, soit une population-cible multipliée par 12. La critique portée quant au nombre très (trop) restreint de demandeurs d’emploi éligibles semble donc dans cette nouvelle mouture écartée puisque ce dispositif devrait concerner l’ensemble des demandeurs d’emploi des quartiers prioritaires et non plus les jeunes demandeurs d’emploi de longue durée. Il en est d’ailleurs de même concernant celle portant sur l’existence d’une trop forte concurrence entre les différents dispositifs d’aide puisqu’il existe à l’heure actuelle un certain flou quant à la persistance des autres dispositifs d’emplois aidés, bien que la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, se soit prononcée en faveur d’une continuité « dans la politique de gestion des emplois aidés ».

Concernant la territorialisation de cette politique, les quartiers visés diffèrent légèrement de ceux émanant de la géographie des ZUS. En effet, la réforme du zonage de la politique de la ville intervenue début 2014 a visé à clarifier la multitude de critères d’éligibilité au zonage prioritaire. En lieu et place, la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 s’est fixée pour objectif de mieux identifier les quartiers les plus en difficulté à travers la mise en place d’un zonage plus simple et plus objectif reposant sur un critère unique : le revenu médian des habitants. Selon l’Insee, cet indicateur résume bien les différentes dimensions urbaines, démographiques et sociales de l’ancienne géographie de la politique de la ville. Autrement dit, l’ensemble des caractéristiques utilisées pour construire l’ancienne géographie sont captées par ce nouvel indicateur, ce qui expliquerait la relative stabilité entre l’ancienne et la nouvelle géographie. Néanmoins, ces nouveaux quartiers de la politique de ville concentrent en leur sein des ménages en plus grande difficulté que les anciennes ZUS (Madec et Rifflart, 2015). Les demandeurs d’emploi y sont ainsi plus nombreux et, semble-t-il, encore plus éloignés du marché du travail (graphique 2).

Il est enfin à noter que contrairement au dispositif précédent qui visait à sortir du chômage les jeunes les plus éloignés du marché du travail, les détails programmatiques des « emplois francs » d’Emmanuel Macron sont à chercher dans le volet « Compétitivité » du programme présidentiel au sein de l’objectif « Un travail moins cher pour l’employeur ». Si le périmètre territorial de ce nouveau type de contrat est donc proche de celui utilisé en 2013, le constat opéré par les équipes du nouveau chef de l’Etat semble, lui, différer de celui avancé par François Hollande. Ce n’est ainsi plus tant la discrimination territoriale dont seraient victimes les habitants des quartiers prioritaires qui serait visée mais le caractère moins « productif » de cette population qui nécessiterait une forte baisse du coût du travail : 15 000 euros sur 3 ans pour la signature d’un CDI et 5 000 euros sur 2 ans pour la signature d’un CDD, soit une baisse équivalente, selon les équipes du candidat, à une suppression complète des cotisations patronales. Dans les faits, le montant d’aide devrait dépasser le montant total de cotisations patronales au niveau du SMIC qui s’établit à l’heure actuelle à environ 2 000 euros par an et par salarié.

graph 2

Les difficultés mentionnées (voir supra) dues aux spécificités de la population-cible des « emplois francs » semblent demeurer dans cette nouvelle version. De plus, si la réforme de la géographie prioritaire a permis de relativement bien homogénéiser les caractéristiques socio-économiques des quartiers de la politique de ville, des hétérogénéités importantes persistent tant en termes de dynamisme de l’emploi au sein des quartiers qu’en termes d’écart relatif aux zones d’emploi qui les englobent. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, la part des demandeurs d’emploi de catégorie A dans la population âgée de 16 à 60 ans[3] varie de 7,8 % à 54,5 %. De même, la part des emplois « précaires » (contrat d’apprentissage, intérim, Emplois-jeunes, CES, contrats de qualification, stagiaires rémunérés, autres CDD) varie elle de 8,5 % à 48,3 %.

Si ces écarts peuvent s’expliquer en partie par les disparités importantes de dynamisme de l’emploi entre les zones d’emploi, l’analyse, une fois contrôlée de l’appartenance à une zone d’emploi, apporte des conclusions similaires. Au sein d’une même zone d’emploi, les parts de demandeurs d’emploi varient, selon les quartiers prioritaires, de 14,9 % à 31,2 %. La part d’emplois précaires dans les quartiers prioritaires peut, elle, osciller entre 11,3 % et 36,1 %. Ainsi, à zone d’emploi donnée, il existe une grande hétérogénéité dans les caractéristiques des quartiers prioritaires[4].

Ne sont illustrées ici que les données relatives à la part des demandeurs d’emplois inscrits en catégorie A (graphique 3) et la part des emplois « précaires » dans l’emploi total (graphique 4) comparativement au taux de chômage de la zone d’emploi des quartiers, c’est-à-dire à zone d’emploi donnée. Malgré tout, l’ensemble des données permettant de comparer les quartiers prioritaires à la zone d’emploi à laquelle ils appartiennent indiquent de fortes disparités intra zone d’emploi et une décorrélation importante entre les caractéristiques de la zone d’emploi et celles des quartiers qu’elle contient. Autrement dit, les différences analysées précédemment entre quartiers prioritaires ne semblent pas être expliquées par des différences inhérentes aux zones d’emplois dans lesquelles ils sont contenus.

graph 3

grazph 4

Si la mesure proposée par Emmanuel Macron dans le cadre de la campagne présidentielle élargit le champ d’éligibilité des « emplois francs » de 2014 et permet, du fait d’une augmentation significative du montant d’aide versée, de répondre à certaines critiques adressées à l’endroit du dispositif précédent, elle ne permet pas de capter de façon homogène les territoires les plus en difficulté. Si l’objectif est de dynamiser les territoires les plus en difficulté, l’implantation des entreprises au sein des quartiers pourrait constituer une condition supplémentaire d’éligibilité au dispositif, à l’image des zones franches urbaines par exemple. De même, l’échelle géographique de la zone d’emploi pourrait être privilégiée afin de mieux capter les disparités importantes dans les dynamiques de l’emploi à l’œuvre sur les territoires, le zonage de la politique de la ville n’ayant pas pour vocation lors de sa création d’identifier les territoires aux marchés du travail les moins dynamiques[5].

En termes de création d’emplois, du fait de l’existence d’effets d’aubaine importants inhérents à ce type de dispositif à destination du secteur privé[6], en retenant un coefficient d’emploi de 0,15, de l’ordre de celui mesuré pour les contrats uniques d’insertion de type Contrat Initiative-Emploi (CUI-CIE), il ressortirait de la mise en place du dispositif un effet net sur les créations d’emplois de l’ordre de 22 500 pour un objectif de 150 000 contrats signés. Sous cette l’hypothèse, dont la réalisation semble au vu des éléments précités largement compromise, si 80 % des contrats signés sont des CDD de 2 ans, le coût budgétaire de la mesure devrait s’établir à 450 millions d’euros la première année et à 1 milliard d’euro par an à l’horizon de trois ans.

 

[1] Les 2 500 premiers euros devant être remboursés si l’individu n’atteignait pas le 10e mois de CDI.

[2] Le 3 août 2013, le Président de la République relevait cet objectif à 5 000 « emplois francs » pour la seule année 2013.

[3] Les données à disposition pour les quartiers prioritaires ne permettent pas de reconstituer la population active ou en âge de travailler (15-64 ans) de ces territoires.

[4] Une partie de l’hétérogénéité observée au sein d’une même zone d’emploi pourrait également provenir de comportements d’inscription à Pôle Emploi différents, ces différences étant liées aux comportements d’activité mais également à l’âge, les jeunes ayant par exemple moins intérêt à s’inscrire à Pole Emploi.

[5] L’objectif de ce zonage était lors de sa création d’identifier précisément les « poches de pauvreté » sur le territoire national.

[6] « Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », Dares, Analyses, n°21, mars 2017 et « Rapport d’information sur l’enquête de la Cour des comptes portant sur les contrats aidés », Sénat, n°255, 2007.

 

 

 

 




Climat : Trump souffle le chaud et l’effroi

Par Aurélien Saussay

Donald Trump a donc une nouvelle fois respecté une de ses promesses de campagne. Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris ne semblait pourtant pas acquis.

Des personnalités centrales du lobby pétrolier américain comme le Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, ancien patron d’Exxon-Mobil, son actuel PDG, Darren Woods, ou encore le gouverneur du Texas, principal Etat producteur de pétrole aux Etats-Unis, conseillaient au président de maintenir les Etats-Unis au sein de l’accord – ne serait-ce que pour en influencer l’application.

Ce retrait n’est assurément pas une bonne nouvelle. Il n’en constitue pas pour autant la catastrophe que l’on pourrait redouter.

Sur le plan international, la Chine a tout de suite renouvelé son engagement en remplaçant l’ancien axe sino-américain par une nouvelle alliance climatique sino-européenne.

Malgré l’importance du charbon dans son mix énergétique, la Chine est en effet devenue la première puissance mondiale en matière d’énergie solaire, tant en puissance installée qu’en capacité de production de cellules photovoltaïques. Les dirigeants chinois n’ont aucune intention de tourner le dos à ce virage technologique, qui place leur pays dans une position enviable de leadership technologique et industriel.

Par ailleurs, au-delà de la problématique globale du changement climatique, la réduction de la consommation de charbon est d’abord pour la Chine un enjeu majeur de politique locale.

Les émissions de particules fines générées par ses centrales électriques étouffent ses villes et dégradent très sensiblement la qualité de vie de ses habitants. L’exigence environnementale allant croissant au sein de la population chinoise, il serait impensable de renoncer à poursuivre les efforts visant à réduire la consommation de charbon.

Le leadership combiné de la Chine et de l’Europe devrait suffire à isoler la position de Trump sur la scène internationale, et ne pas remettre en cause la participation des autres principaux pays émetteurs à l’accord. Reste que les Etats-Unis représentent encore à eux seuls 15% des émissions mondiales (contre 30% pour la Chine et 9% pour l’Union Européenne).

Un renoncement complet à toute politique climatique sur le plan domestique aurait des conséquences importantes sur les trajectoires futures d’émissions.

L’annonce, par les gouverneurs des Etats de Californie, New York et Washington de la création d’une Alliance pour le Climat au lendemain même du retrait américain est à cet égard riche d’enseignements.

Tout d’abord il vient confirmer qu’une large part de la politique climatique américaine se décide à l’échelon local (Etat, voire municipalité).

Il révèle ensuite la grande divergence entre Etats face au changement climatique : d’autres Etats côtiers très engagés dans la transition énergétique comme le Massachussetts ou l’Oregon pourraient rejoindre cette Alliance, qui totalisent déjà plus du tiers du PIB américain.

Enfin, il souligne la division profonde du pays sur ce sujet : une enquête récente du Pew Research Center indique que près de 60% des américains souhaitaient un maintien de leur pays au sein de l’Accord de Paris. Trump est en réalité presque aussi isolé à l’intérieur des Etats-Unis qu’à l’international.

Le retrait de l’Accord de Paris est avant tout une décision de politique intérieure pour Trump. Son discours d’annonce, focalisé sur l’industrie du charbon, est destiné principalement à ses électeurs des mines des Appalaches, qui croient leur survie menacée par la transition énergétique.

C’est pourtant bien plus la concurrence du gaz de schistes qui menace à brève échéance l’industrie charbonnière américaine.

La compétitivité nouvelle des énergies renouvelables, même sans subventions, la condamne à plus long terme : le premier producteur d’énergie éolienne aux Etats-Unis est ainsi le Texas, pourtant peu suspect de sympathies environnementalistes.

Donald Trump a donc pris le risque de briser la dynamique internationale de l’Accord de Paris pour tenter de relancer une industrie moribonde – sans grand espoir de succès. Heureusement, son isolement international et domestique devrait limiter la portée de sa décision.




La BCE prépare l’avenir

Par Christophe Blot et Paul Hubert

Lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE du jeudi 8 juin, Mario Draghi a annoncé la stabilité des taux directeurs de la politique monétaire (soit 0 % pour le taux des opérations principales de refinancement, -0,40 % pour le taux des facilités de dépôts et 0,25 % pour le taux des facilités de prêt). Il a surtout donné de précieuses indications sur l’orientation future de la politique monétaire menée dans la zone euro en modifiant sa communication. Alors qu’il déclarait systématiquement que les taux pourraient être diminués (« at lower levels »), il a déclaré que ceux-ci serait maintenus au niveau actuel (« at present level »), ceci pendant une « période prolongée » et « bien au-delà de la fin du programme d’achat de titres ».

En annonçant qu’il n’y aurait pas de baisse supplémentaire des taux, la BCE juge que l’orientation actuelle de la politique monétaire devrait lui permettre d’atteindre ses objectifs et fait le premier pas vers un resserrement futur des conditions monétaires. On peut toutefois noter que dans le même temps, la BCE n’anticipe pas un retour de l’inflation à sa cible de 2 % d’ici 2019. Les nouvelles projections macroéconomiques de l’Eurosystème publiées pendant la conférence de presse prévoient une inflation à 1,5 % en 2017, 1,3 % en 2018 et 1,6 % en 2019[1]. Certes la reprise se confirme mais l’inflation resterait inférieure à sa cible sur un horizon d’au moins 3 ans, de quoi justifier le maintien d’une politique monétaire expansionniste. En précisant que les taux ne remonteraient pas aussitôt les achats de titres terminés[2], la BCE entend bien continuer à soutenir l’activité.

Vient alors la question de la date de fin du programme d’achats de titres. Selon le discours actuel, les achats se poursuivront jusqu’en décembre 2017 mais ils pourraient se prolonger si la BCE le juge nécessaire. Quelle stratégie adoptera la BCE après cette date ? Il est possible que les achats de titres diminuent progressivement à l’image de ce qu’avait fait la Réserve fédérale en 2014[3]. Dans ce cas, la fin de l’assouplissement quantitatif prendrait encore quelques mois. C’est aujourd’hui l’option la plus probable ce qui repousserait la hausse des taux à la fin de l’année 2018. On peut cependant envisager que des annonces de réduction des achats se fassent d’ici la fin de l’année, ce qui pourrait conduire à mettre un terme au QE dès le début de l’année 2018. Quelle que soit l’option choisie, la BCE prendra très certainement soin de communiquer sa stratégie afin d’orienter progressivement les anticipations sur la première hausse des taux.

Pour autant, s’il s’agit d’un élément important de la stratégie de normalisation de la politique monétaire en zone euro, celle-ci ne se cantonne pas à la question de la remontée des taux. La BCE doit également apporter des éléments sur ses intentions relatives à sa politique de taux négatifs ou encore sur le moment où elle décidera de ne plus satisfaire l’intégralité des demandes de refinancement à taux fixe comme elle le fait depuis octobre 2008. Enfin, elle devra également indiquer à quel rythme, elle envisage ensuite de réduire la taille de son bilan comme a commencé à le faire récemment la Réserve fédérale (voir ici). Sur ces points, la BCE devra également faire preuve de transparence.

[1] Ces anticipations ont même été revues à la baisse depuis mars 2017.

[2] Depuis avril 2017, les achats de titres s’élèvent à 60 milliards par mois contre 80 milliards les mois précédents.

[3] La Réserve fédérale avait étalé la réduction de ces achats de titres entre janvier et octobre.

 

 




Evolution des taux d’activité en Europe pendant la Grande Récession : le rôle de la démographie et de la polarisation de l’emploi

par Guillaume Allègre et Gregory Verdugo

En Europe comme aux Etats-Unis l’emploi a considérablement reculé pendant la Grande Récession. De plus, au cours des dernières décennies, les forces de l’automatisation et de la mondialisation ont bouleversé les marchés du travail dans les deux régions. Cependant, la réponse des taux d’activités à ces changements a varié d’un pays à l’autre. L’un des événements les plus importants sur le marché du travail aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie a été le déclin de la population active. De 2004 à 2013, le taux d’activité des 25 à 54 ans a diminué de 2,6 points de pourcentage (passant de 83,8% à 81,1%) et cette baisse a persisté bien au-delà de la fin de la Grande Récession. A l’inverse, dans l’UE 15, le taux d’activité pour cette catégorie d’âge a augmenté de 2 points au cours de la même période (de 83,7% à 85,6%), malgré la faible croissance et la persistance d’un niveau élevé de chômage.

Qu’est ce qui explique ces différences des deux côtés de l’Atlantique ? Pour répondre à cette question, nous étudions ici les déterminants de l’évolution de la population active au cours des deux dernières décennies dans douze pays européens que nous comparons aux Etats-Unis.

Conformément aux travaux antérieurs sur les Etats-Unis, nous constatons que les changements démographiques récents expliquent une part substantielle des différences entre les pays. La part des baby-boomers à la retraite a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis, et y a donc déclenché une baisse plus importante des taux d’activité qu’en Europe. Au cours de la dernière décennie, l’Europe a également été caractérisée par une augmentation du nombre de diplômés du supérieur deux fois plus élevée qu’aux Etats-Unis, et ce notamment en Europe du Sud et en particulier pour les femmes. Les femmes ayant des niveaux d’éducation plus élevés sont plus susceptibles de rejoindre la population active et elles ont ainsi contribué de manière spectaculaire à l’augmentation de la population active en Europe.

Cependant, ces changements n’expliquent pas tout. Pour la population ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, les taux d’activité des hommes ont diminué dans tous les pays. Pour les femmes, ils ont augmenté rapidement, en particulier dans les pays les plus touchés par le chômage. En Espagne, en Grèce et en Italie, les taux d’activité des femmes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat ont augmenté de respectivement 12, 5,5 et 2 points entre 2007 et 2013 alors que ces économies étaient plongées dans une récession profonde.

Pour expliquer ces faits, nous étudions le rôle des changements de demande de travail au cours des dernières décennies et en particulier lors de la Grande Récession. Nous montrons que, comme aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi (qui désigne la réaffectation de l’emploi vers les professions les moins et les plus rémunérées au détriment des professions intermédiaires) s’est accélérée en Europe lors de la Grande Récession (graphique 1). En raison d’une plus grande destruction d’emplois dans les professions intermédiaires, la polarisation récente a été largement plus intense en Europe.

graph 1

Autre différence importante par rapport aux Etats-Unis, la ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes est plus marquée en Europe. Les emplois intermédiaires qui disparaissent rapidement sont ainsi bien plus susceptibles d’employer des travailleurs masculins en Europe alors que l’expansion des professions peu qualifiées bénéficie au contraire de manière disproportionnée aux femmes (graphique 2). En conséquence, en Europe plus qu’aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi et la destruction des emplois intermédiaires ont entraîné un déclin spectaculaire des opportunités sur le marché du travail pour les hommes par rapport aux possibilités offertes aux femmes. Nous trouvons que ces chocs de demande asymétriques entre hommes et femmes expliquent la plus grande part de la hausse des taux d’activité des femmes les moins diplômées durant la Grande Récession.

 

graph 2

Pour en savoir plus : Gregory Verdugo, Guillaume Allègre, « Labour Force Participation and Job Polarization: Evidence from Europe during the Great Recession », Sciences Po OFCE Working Paper, n°16, 2017-05-10




Quels facteurs expliquent la récente hausse des taux d’intérêt longs ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Depuis l’éclatement de la crise financière, l’évolution des taux d’intérêt souverains à long terme dans la zone euro a connu de larges fluctuations ainsi que des périodes de forte divergence entre les États membres, notamment entre 2010 et 2013 (graphique 1). Une forte réduction des taux à long terme a débuté après juillet 2012 et le célèbre « Whatever it takes » de Mario Draghi. Malgré la mise en œuvre et l’extension du programme d’achat de titres publics (PSPP) en 2015 et bien qu’ils restent à des niveaux historiquement bas, les taux d’intérêt souverains à long terme ont récemment augmenté.

graph 1

La hausse récente des taux d’intérêt souverains à long terme de la zone euro peut avoir plusieurs interprétations. Il se peut que, compte tenu de la situation économique et financière actuelle, la hausse des taux d’intérêt à long terme reflète la croissance et les anticipations de croissance future orientées à la hausse dans la zone euro. Un autre facteur pourrait être que les marchés obligataires de la zone euro suivent les marchés américains : les taux européens augmenteraient à la suite de la hausse des taux américains malgré les divergences entre l’orientation des politiques de la BCE et celle de la Fed. L’impact de la politique monétaire de la Fed sur les taux d’intérêt de la zone euro serait ainsi plus fort que celui de la politique de la BCE. On peut aussi imaginer que la récente hausse n’est pas en ligne avec les fondamentaux de la zone, ce qui, par conséquent, compromettrait la sortie de crise en rendant plus difficile le désendettement alors que les dettes publiques et privées restent élevées.

Dans une récente étude, nous calculons les contributions des différents déterminants des taux d’intérêt à long terme et mettons en évidence les plus importants. Les taux d’intérêt à long terme peuvent réagir aux anticipations privées de croissance et d’inflation, aux fondamentaux économiques ainsi qu’aux politiques monétaires et budgétaires, tant domestiques (en zone euro) qu’étrangères (aux Etats-Unis par exemple). Ils peuvent aussi réagir aux perceptions de différents risques, financiers, politiques ou économiques[1]. Le graphique 2 présente les principaux facteurs qui influent positivement et négativement sur les taux d’intérêt à long terme de la zone euro sur trois périodes différentes.

Entre septembre 2013 et avril 2015, le taux d’intérêt à long terme de la zone euro a diminué de 2,3 points de pourcentage. Au cours de cette période, seules les anticipations de croissance du PIB ont eu une incidence positive sur les taux d’intérêt alors que tous les autres facteurs les ont poussés à la baisse. En particulier, le taux d’intérêt à long terme des États-Unis, les anticipations d’inflation, la réduction du risque souverain et les politiques non-conventionnelles de la BCE ont contribué à la baisse des taux d’intérêt de la zone euro. Entre juin 2015 et août 2016, la nouvelle baisse d’environ 1 point de pourcentage s’explique principalement par deux facteurs : le taux d’intérêt à long terme et les anticipations de croissance du PIB aux États-Unis.

Entre août 2016 et février 2017, les taux d’intérêt à long terme ont progressé de 0,7 point de pourcentage. Alors que le programme d’achat d’actifs de la BCE a contribué à réduire le taux d’intérêt, deux facteurs ont contribué à son accroissement. Le premier est l’augmentation des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis après le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Le second facteur découle des tensions politiques en France, en Italie ou en Espagne qui ont généré une perception du risque politique et du risque souverain plus élevée. Alors que le premier facteur pourrait continuer de pousser à la hausse les taux d’intérêt de la zone euro, le second devrait les faire reculer avec les résultats des élections présidentielles françaises.

graph 2

 

[1] L’estimation de l’équation de détermination des taux longs est réalisée sur la période janvier 1999 – février 2017 et explique 96% de la variation des taux longs sur cette période. Pour plus de détails sur les variables utilisées ou les paramètres estimés, voir l’étude.




Où en est-on du cycle de crédit dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

En décembre 2016, la BCE annonçait la poursuite de sa politique de Quantitative Easing (QE) jusqu’à décembre 2017. Alors que la reprise économique se confirme dans la zone euro et que l’inflation repart à la hausse, se pose la question des risques liés à cette politique. D’un côté, la poursuite d’une politique monétaire très expansionniste n’est-elle pas une source d’instabilité financière ? Inversement, une fin prématurée des mesures non conventionnelles pourrait remettre en cause la dynamique de croissance et la capacité de la BCE à atteindre ses objectifs. Nous étudions ici le dilemme auquel pourrait faire face la BCE au travers d’une analyse des cycles du crédit et de l’activité bancaire dans la zone euro.

L’annonce de la BCE envoie deux signaux sur l’orientation de la politique monétaire. D’une part, en retardant la date de fin du QE, la BCE annonce implicitement que la normalisation de la politique monétaire, en particulier la remontée de son taux directeur, ne se fera pas avant début 2018. La BCE continue donc de mener une politique expansionniste d’augmentation de la taille du bilan. D’autre part, la réduction des achats mensuels est aussi un signe d’une réduction de ce caractère expansionniste. L’annonce s’apparente ainsi au « tapering » amorcé en janvier 2014 par la Réserve fédérale aux États-Unis. La réduction des achats de titres s’était alors faite progressivement, jusqu’à un arrêt effectif des achats fin octobre 2016.

Le caractère indiscutablement expansionniste de la politique monétaire en zone euro suggère que la BCE juge toujours nécessaire de poursuivre le stimulus pour atteindre les objectifs finaux de la politique monétaire dont le premier est la stabilité des prix, définie par une inflation inférieure mais proche de 2 % par an. Ni l’inflation[1],  ni la croissance en zone euro ne donnent des signes d’emballement[2]. Le programme d’achat d’actifs doit alors permettre de consolider la croissance et d’accélérer l’inflation pour favoriser un retour vers la cible de 2 %. Dans le même temps, les liquidités émises par la banque centrale dans le cadre de ses programmes d’achat de titres et le faible niveau des taux d’intérêt (à court comme à long terme) alimentent les craintes d’effets indésirables de la politique monétaire en matière de stabilité financière[3].

Il en résulte un dilemme que doit arbitrer la BCE. Mettre un terme prématuré à l’assouplissement quantitatif pourrait maintenir la zone euro dans une situation de faible inflation et de basse croissance. Prolonger inutilement le QE, alors que la Réserve fédérale a amorcé la normalisation de sa politique monétaire, créerait un risque d’instabilité financière caractérisé par un emballement des prix d’actifs, du crédit ou plus largement du risque pris par le système financier.

Nous évaluons ce double risque au travers d’indicateurs sur l’activité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble et des pays qui la composent. Les crédits, aussi bien ceux octroyés aux ménages que ceux octroyés aux entreprises non financières, sont un élément central de l’actif des banques, souvent au cœur du risque d’instabilité financière[4]. Nous proposons ici d’élargir l’analyse à la taille du bilan ou de l’ensemble des crédits accordés – incluant le crédit aux autres institutions monétaires et financières –, ce qui permet notamment de mesurer le risque associé à l’ensemble des activités du système bancaire[5].

Ces différentes variables sont soit rapportées au PIB, ce qui permet de capter la déconnexion entre l’activité bancaire et l’activité réelle, soit au capital et réserves du système bancaire, permettant alors de capter l’effet de levier, c’est-à-dire la capacité de ce système à absorber les éventuelles pertes. Ici, nous nous concentrons sur les quantités plutôt que les prix, via des indicateurs tels que le ratio de crédit octroyé sur les capitaux propres et le ratio de crédit reçu sur les revenus. Ceux-ci sont centraux pour refléter la transmission de la politique monétaire et évaluer le risque d’instabilité financière.

Graphe_post30-05

Le graphique montre l’évolution des cycles de crédit, rapporté au PIB (ligne bleue) et rapporté aux capitaux et réserves du système bancaire (ligne rouge)[6]. Les aires vertes signalent les périodes où le crédit s’éloigne significativement à la hausse ou la baisse de sa tendance de long terme. D’une manière générale, l’analyse du crédit ou de la taille du bilan du système bancaire témoigne d’un regain d’activité mais ne suggère ni boom de crédit ni contraction excessive sur la période récente dans la zone euro. Si la dynamique du crédit est orientée plus favorablement par rapport à sa tendance en France et en Allemagne, le cycle ne témoigne pas d’une hausse excessive. Les Pays-Bas et l’Espagne se distinguent par la faiblesse de leur crédit rapporté au PIB. Pour les Pays-Bas, cette évolution est confirmée par les indicateurs rapportés aux capitaux et réserves du système bancaire, alors qu’en Espagne, l’encours de crédit rapporté aux capitaux et réserves se situe à un niveau historiquement élevé suggérant une prise de risque excessive étant donné la situation économique.

 

[1] Malgré le rebond récent de l’inflation, largement lié à la remontée du prix du pétrole et des anticipations d’inflation, les pressions inflationnistes restent modérées et le retour de l’inflation vers la cible de 2 % n’est pas suffisamment établi pour modifier l’orientation de la politique monétaire.

[2] Le chômage reste élevé alimentant la désinflation.

[3] Une analyse récente de Borio et Zabaï (2016) sur l’efficacité des politiques monétaires non conventionnelles suggère que leur efficacité pourrait se réduire tandis que les risques qu’elles comportent s’accroîtraient. Le rôle des prix d’actifs a été étudié par Andrade et al. (2016) pour montrer que le prix des actifs avait réagi, comme anticipé, à la suite des mesures prises par la BCE, et par Blot et al. (2017) pour évaluer le risque de bulle.

[4] Voir Jorda et al., 2013 et 2015.

[5] La législation Bâle III repose sur des indicateurs de risque calculés au niveau des établissements bancaires alors que notre approche repose sur des indicateurs macroéconomiques.

[6] Ces cycles sont obtenus à partir d’une analyse en composante principale (ACP) de plusieurs types de décompositions tendance/cycle : filtre Hodrick-Prescott, filtre Christiano-Fitzgerald, et moyenne mobile.




Début de quinquennat : emploi dynamique, chômage élevé

Département Analyse et Prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2017, publiés par Pôle emploi, font apparaître une baisse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (-37 700 personnes en France). Cette baisse fait suite à une forte hausse au mois de mars, après deux mois de relative stabilité. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), l’évolution mensuelle d’avril indique une hausse des demandeurs d’emploi de 30 900 personnes.

Cette publication combinée aux derniers chiffres publiés récemment par l’Insee (taux de chômage au sens du BIT, créations d’emplois marchands, enquêtes de conjoncture) pose la question de l’état du marché du travail. La situation de l’économie française peut apparaître meilleure aujourd’hui qu’au début du quinquennat de F. Hollande : le déficit public est plus faible, les marges des entreprises se sont redressées, … En revanche, le diagnostic du marché du travail apparaît moins tranché : le chômage reste élevé mais sa tendance est à la baisse et les créations d’emplois sont relativement dynamiques. Afin d’apprécier la situation actuelle sur le marché du travail, par rapport à celle qui prévalait au début du quinquennat précédent, nous comparons plusieurs indicateurs d’emploi et de chômage issus de sources différentes (nombres d’inscrits à Pôle emploi, enquête Emploi pour le chômage au sens du BIT, enquêtes de conjoncture).

Chômage : une situation moins bonne aujourd’hui qu’il y a cinq ans…

En mai 2012, la France comptait 3,159 millions de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à Pôle emploi (5,3 millions toutes catégories confondues). Sur l’ensemble du quinquennat de F. Hollande, le nombre de DEFM a fortement augmenté : les inscriptions toutes catégories confondues ont progressé de 1,329 million, dont 567 900 pour la seule catégorie A, soit un rythme d’augmentation annuel moyen de respectivement 265 900 personnes toutes catégories confondues et 113 600 personnes en catégorie A. De ce point de vue, la situation s’est dégradée, même si une partie de cette dégradation s’explique par la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (augmentation de l’âge minimum de liquidation des droits à la retraite) et la suppression de la Dispense de Recherche d’Emploi.

Les chiffres publiés par Pôle emploi peuvent être perturbés par des changements de pratique administrative et des incidents techniques ponctuels affectant la gestion des fichiers de Pôle emploi. Les chiffres fournis trimestriellement par l’INSEE ne sont pas affectés par des problèmes de cette nature et constituent une source plus fidèle pour analyser le chômage[1]. Ils indiquent que le taux de chômage est revenu à son niveau observé au deuxième trimestre 2012 (cf. graphique 1).

Mais cet indicateur de chômage reste restrictif. En effet, la définition stricte du BIT n’intègre pas les personnes actives occupées travaillant à temps partiel et souhaitant travailler davantage ou les personnes en situation de chômage partiel. En intégrant ces personnes dans un indicateur élargi du chômage, on constate une légère amélioration sur cinq ans (baisse de 0,3 point, cf. graphique 1).

Il ne prend pas non plus en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage. En intégrant ces personnes dans un indicateur encore plus élargi du chômage, la situation reste moins bonne qu’il y a cinq ans, ce qui est cohérent avec les chiffres de Pôle emploi.

graph 1

…mais des indicateurs d’emploi mieux orientés

Depuis avril 2017, l’INSEE a complété sa batterie d’indicateurs conjoncturels issus des enquêtes de conjoncture (climats des affaires, indicateurs de retournement) par un indicateur de climat de l’emploi en France. Cette information de nature qualitative, synthétisant par une série unique l’information contenue dans les soldes d’opinions sectoriels sur l’évolution passée et prévue de l’emploi, apparaît très corrélée avec les évolutions annuelles de l’emploi marchand (graphique 2).

 

graph 2

Mis en parallèle avec les données quantitatives sur les effectifs disponibles par ailleurs, l’indicateur s’insère quasi-parfaitement dans les cycles de l’emploi, la reprise de 2003 interrompue par la Grande Crise qui a débuté en 2008, le rebond post-récession de 2008/09, puis ensuite le tassement lié à la mise en place des politiques d’austérité et enfin le redémarrage du marché du travail à la mi-2015.

Le début du quinquennat de F. Hollande s’inscrivait dans une dynamique négative de destruction d’emplois et de dégradation du climat de l’emploi, dégradation qui avait démarré début 2011 avec la crise de la zone euro. Le point bas a été atteint début 2013, mais l’économie française ne s’est remise à créer des emplois salariés dans le secteur marchand non agricole qu’à partir de la mi-2015. L’accélération a été notable par la suite.

Au vu du comportement de l’indicateur entre mars et mai 2017, rien ne laisse présager d’un changement de régime des créations d’emploi : ces dernières devraient se maintenir à un rythme voisin de celui enregistré au tournant de 2016 et de 2017, soit environ 200 000 par rapport à la même période de l’année précédente. Pour conclure, si les différents indicateurs de chômage font état d’une situation encore dégradée sur le marché du travail par rapport au deuxième trimestre 2012, la dynamique de l’emploi, quant à elle, est bien plus positive qu’à l’époque.

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

– être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;

– être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;

– avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.




La reprise en bonne voie ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2016-2018 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

Les chiffres de croissance pour l’année 2016 ont confirmé le scénario d’une reprise mondiale qui se généralise progressivement. Dans la zone euro, jusqu’ici à la traîne de ce mouvement, la croissance a atteint 1,7 %, soutenue notamment par une bonne dynamique de croissance en Espagne, en Irlande, aux Pays-Bas et en Allemagne. Le trou d’air sur la croissance américaine en début d’année s’est certes traduit par un ralentissement de la progression du PIB en 2016 par rapport à 2015 (1,6 % contre 2,6 %) mais le chômage a poursuivi sa décrue, repassant sous le seuil de 5 %. Quant aux pays en développement, qui avaient été marqués par le ralentissement de l’économie chinoise et celui du commerce mondial en 2015, ils ont ré-accéléré avec une croissance gagnant 0,2 point (3,9 %) en 2016. Avec une augmentation du PIB proche de 3 %, l’économie mondiale semble donc résiliente et la situation conjoncturelle apparaît moins morose qu’on ne pouvait le craindre il y a 18 mois, les facteurs négatifs s’étant avérés moins virulents qu’attendu. La mutation de l’économie chinoise vers un modèle de croissance reposant sur la demande intérieure n’a pas provoqué d’atterrissage brutal de l’économie chinoise mais un ralentissement contrôlé par la mise en œuvre de politiques publiques de soutien à la croissance. Si la question de la soutenabilité de la dette grecque n’est toujours pas définitivement réglée, la crise qui a éclaté au cours de l’été 2015 ne s’est pas traduite par la dislocation de l’union monétaire, et l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française a atténué les craintes d’un éclatement de la zone euro. Si la question du Brexit reste toujours posée, il n’en demeure pas moins que jusqu’ici, le choc n’a pas eu l’effet catastrophique annoncé.

Ce schéma devrait se poursuivre en 2017 et 2018 sous l’effet de politiques monétaires qui continueront à soutenir l’activité des pays industrialisés et d’efforts budgétaires un peu moins importants. La politique budgétaire américaine prendrait même un tournant plus expansionniste permettant un rebond de la croissance qui dépasserait à nouveau 2 % en 2018. Si le prix du pétrole a récemment augmenté, il ne devrait pas s’envoler limitant les effets négatifs en termes de pouvoir d’achat pour les ménages et de marges pour les entreprises. Cette remontée permettra même de stimuler l’inflation jusqu’ici moribonde, éloignant le risque déflationniste qui planait notamment sur la zone euro. Les pressions sur la BCE pour mettre un terme aux mesures non-conventionnelles pourraient même rapidement surgir.

Même si le processus de reprise se consolide et se généralise, la plupart des économies développées accusent en 2016 encore un retard de production, comme l’illustre l’écart de production à son niveau potentiel qui reste négatif (graphique). Cette situation, qui tranche singulièrement avec les comportements cycliques passés des économies consistant à ramener le PIB vers son potentiel, conduit à s’interroger sur les causes de la cassure du sentier de croissance survenue depuis presque dix ans. Un premier élément d’explication invoque l’affaiblissement du PIB potentiel. Il résulterait de l’ampleur de la crise, cette dernière ayant pu affecter le niveau et/ou la croissance de la capacité d’offre des économies sous l’effet des destructions de capacité de production, du ralentissement de la diffusion du progrès technique et de la déqualification des chômeurs. Une deuxième explication met l’accent sur l’insuffisance chronique de la demande qui maintiendrait l’écart de production en territoire négatif dans la plupart des pays. Ces difficultés à retrouver une trajectoire de la demande à même de résorber le sous-emploi renvoient aux excès d’endettement des agents privés avant la récession. Face au gonflement des passifs, les agents sont contraints de réduire leurs dépenses pour se désendetter et assainir leur situation patrimoniale. Dans ces conditions, la réduction du chômage ou du sous-emploi devrait se poursuivre, mais elle resterait plus lente que lors des phrases de reprise précédentes. Dix ans après le début de la Grande récession, l’économie mondiale n’aura donc toujours pas résorbé les déséquilibres macroéconomiques et sociaux induits par cette crise. La reprise est donc bien en marche mais elle n’est toujours pas assez rapide.

graph 1