L’économie européenne 2018 : l’hymne aux réformes

par Jérôme Creel

L’OFCE vient de publier L’économie européenne 2018. L’ouvrage dresse un bilan de l’Union européenne (UE) après une période de fortes tensions politiques mais dans un climat conjoncturel raffermi qui devrait être propice aux réformes, avant que s’enclenche le processus de séparation entre l’UE et le Royaume-Uni.

De très nombreuses questions économiques et politiques cruciales pour mieux appréhender l’avenir de l’UE sont au sommaire de l’ouvrage : l’histoire de son intégration et les risques de désintégration, l’amélioration récente de sa conjoncture, les enjeux économiques, politiques et financiers du Brexit, l’état de la mobilité du travail en son sein, sa politique climatique, la représentativité de ses institutions européennes, et les réformes de sa gouvernance économique, tant budgétaires que monétaires.

L’année 2018 est une année charnière avant les élections au Parlement européen au printemps 2019 mais aussi avant les vingt ans de l’euro, le 1er janvier 2019. La question des performances de l’euro sera centrale. Or, en 2018, la croissance du produit intérieur brut passera enfin bien au-dessus de son niveau d’avant-crise, grâce à la reprise de l’investissement des entreprises et au soutien de la politique monétaire, et désormais sans entrave de la part des politiques budgétaires.

L’année 2018 sera aussi celle du début des négociations sur les relations économiques et financières futures entre le Royaume-Uni et l’UE, après qu’en fin d’année 2017, les deux parties ont su trouver un terrain d’accord sur les modalités de sortie du Royaume-Uni. La croissance retrouvée de l’UE réduira les coûts éventuels du divorce d’avec les Britanniques et pourrait aussi accroître le désintérêt des Européens pour cette question.

Le Brexit aurait pu servir de catalyseur pour réformer l’Europe ; que ses modalités puissent désormais sembler moins cruciales au futur fonctionnement de l’UE ne doit pas retentir sur les réformes dont a besoin l’UE, en les faisant apparaître comme superflues. Dans les domaines politiques et monétaires, le besoin est grand de renforcer la représentativité démocratique des institutions (parlement, banque centrale) et d’assurer la légitimité de l’euro. Dans le domaine budgétaire comme dans celui des migrations, l’expérience passée a démontré la nécessité de disposer d’outils coordonnés pour mieux gérer les crises économiques et financières futures.

Il y a donc urgence à revitaliser un projet vieux de plus de soixante ans qui a su assurer la paix et la prospérité en Europe mais qui manque de souplesse face aux imprévus (les crises), qui manque de souffle face aux impératifs de la transition écologique, et qui manque singulièrement de créativité pour renforcer les convergences en son sein.




L’indicateur avancé : l’amarre est haute

Par Hervé Péléraux

La publication ce jour des enquêtes de conjoncture dans les différentes branches confirme l’optimisme des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE en février (graphique 1). Le climat général des affaires reste dans une zone comprise entre son niveau de la fin 2007 et son pic de rebond de début 2011. Depuis deux mois consécutifs, le climat est toutefois en repli, sous l’effet en particulier d’un optimisme moindre dans les services.
HP_Indicateur_graphiqueOn ne saurait, au stade actuel, voir dans ce tassement les prémisses d’un retournement conjoncturel, à l’image de celui de la première moitié de 2011 quand la fin du stimulus budgétaire mis en place pour contrer la récession de 2008/09, puis la période de forte consolidation budgétaire conduite face à la crise des dettes souveraines, ont brutalement interrompu la reprise. L’expérience montre qu’historiquement les séries d’enquête ne sont pas exempte de volatilité à l’échelon mensuel et que cette volatilité se manifeste aussi sur les hauts de cycle, comme entre 1987 et 1990, en 2000 ou entre 2004 et 2007.

Il n’en demeure pas moins que le hoquet actuel des enquêtes de conjoncture peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèsera, au premier trimestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief N°30, 15 janvier 2018).  L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, la hausse du tabac et la fiscalité écologique devraient retentir négativement sur la consommation des ménages, et de ce fait avoir un impact plus négatif sur le climat des services, secteur abrité  plus dépendant de la consommation nationale.

Par rapport au mois dernier, les anticipations de l’indicateur avancé répercutent à la baisse le repli des enquêtes : estimée à +0,6 % en janvier, la croissance pour le premier trimestre 2018 est en léger repli selon l’estimation de février (-0,05 point), et la première évaluation pour le deuxième trimestre ressort à +0,5 % (graphique 2).

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La croissance française en 2018-2019 : ce qu’en disent les prévisionnistes …

Par Sabine Le Bayon et Christine Rifflart

Alors que l’INSEE vient de publier la première version des comptes du quatrième trimestre 2017 et donc une première estimation de la croissance annuelle, nous nous interrogeons sur les perspectives 2018 et 2019 à travers une analyse comparative des prévisions réalisées sur la France par 18 instituts (publics et privés, dont l’OFCE), entre septembre et décembre 2017. Ce billet de blog présente les points saillants de cette analyse, détaillée dans le Policy brief de l’OFCE (n° 32 du 8 février 2018), intitulé « Une comparaison des prévisions macroéconomiques sur la France », et le document de travail (n° 06-2018) associé (où figurent les tableaux des prévisions par institut).

Après la profonde récession de 2008-2009 et la crise de la zone euro de 2011, la croissance française avait amorcé en 2013 un timide mouvement de récupération qui s’est accéléré fin 2016. L’année 2017 est donc une année de reprise, avec une croissance légèrement plus dynamique que ce qu’anticipaient récemment la plupart des prévisionnistes : 1,9 % selon la première estimation de l’INSEE contre 1,8 % prévue en moyenne. En 2018 et 2019 cette dynamique devrait se poursuivre puisque la moyenne des prévisions atteint 1,8 % et 1,7 % respectivement. Les écarts-types sont faibles (0,1 point en 2018 et 0,2 en 2019), les prévisions restant assez proches pour 2018 et divergeant plus nettement en 2019 (1,4 % pour la prévision plus basse à 2,2 % pour la plus haute) (graphique 1). En 2019, 5 instituts sur 15 prévoient une accélération de la croissance et 8 prévoient un ralentissement.

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Globalement, tous les instituts, sauf 4, prévoient un rééquilibrage des moteurs de la croissance sur la période avec un commerce extérieur moins pénalisant que par le passé et une demande intérieure toujours dynamique (graphique 2). Pour autant, le redressement du commerce extérieur fait débat face aux pertes chroniques des parts de marché enregistrées depuis le début des années 2000. Il semble en effet que l’accélération anticipée des exportations en 2018 soit davantage le fruit du rebond de la demande étrangère adressée à la France et du dégonflement des stocks accumulés en 2016 et 2017 dans certains secteurs (matériel de transport, aéronautique notamment) et destinés à être exportés, qu’à un regain de compétitivité. Pour 2019 des avis diffèrent concernant l’impact des politiques d’offre mises en place depuis 2013 sur la compétitivité prix et hors prix des entreprises françaises. Certains instituts inscrivent une amélioration des performances à l’exportation et donc un redressement des parts de marché à l’horizon 2019, tandis que d’autres maintiennent des baisses du fait d’investissements jugés insuffisants dans les secteurs à forte valeur ajoutée, et d’un coût du travail encore trop pénalisant pour les entreprises.

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Un autre débat porte sur les prévisions d’emplois et de salaires et notamment sur l’impact de la baisse des emplois aidés, l’effet des politiques de baisse des coûts du travail en 2019 (transformation du CICE en baisse des cotisations sociales patronales), et la productivité (tendance et cycle). En moyenne, le taux de chômage devrait passer de 9,5 % en 2017 à 8,8 % en 2019 allant de 8,1 % pour les plus optimistes à 9,2 % pour les plus pessimistes. L’appréciation du degré de tensions sur le marché du travail et aussi l’impact sur les salaires de la décentralisation des négociations collectives mise en place en 2017 sont des éléments d’explication sur les écarts de prévisions sur les salaires. De 1,8 % en 2017, le salaire progresserait en moyenne de 1,9 % en 2018 et 2 % en 2019 (avec 1,3 % pour les plus bas et 2,6 % pour les plus élevés).

Dans ce contexte, la croissance progressera beaucoup plus vite que la croissance potentielle estimée par la plupart des instituts autour de 1,25 % (certains instituts prévoient une accélération du fait de l’impact positif des réformes structurelles et des investissements réalisés, d’autres inscrivent une croissance potentielle plus faible). Si en 2017, l’écart de croissance – mesurant la différence entre le PIB observé et le PIB potentiel – est franchement négatif (entre –2,2 et –0,7 point de PIB potentiel), il se réduirait en 2019. Pour une majorité des instituts (parmi ceux qui nous ont fourni des données chiffrées ou des informations qualitatives), l’output gap se refermerait (proche de 0 ou clairement positif) et des tensions inflationnistes pourraient apparaître. Pour 4 instituts, l’output gap serait aux alentours de –0,7 point.

Enfin, le déficit budgétaire devrait repasser sous le seuil des 3 % du PIB dès 2017 pour la totalité des instituts. La France sortirait de la Procédure de déficit excessif en 2018. Mais malgré la vigueur de la croissance, et en l’absence d’une consolidation budgétaire plus stricte, le déficit public resterait élevé sur la période pour une majorité d’instituts.




La reprise de – et par – l’investissement

par Hervé Péléraux

Les comptes nationaux du quatrième trimestre, publiés le 30 janvier dernier, confirment la reprise de l’investissement en France en 2017, avec une hausse des dépenses de +5,3 % en valeur et de +4,3 % en volume sur l’ensemble de l’année, après des résultats déjà largement positifs en 2016. Ce résultat pouvait être anticipé, au moins de manière qualitative, par l’analyse de l’enquête sur les investissements dans l’industrie qui est un des indicateurs conjoncturels infra-annuels produit par l’INSEE. Selon ses résultats préliminaires pour 2018, elle laisse augurer la poursuite de ce mouvement cette année.

L’information fournie par cette enquête auprès des entreprises est une prévision périodique, ou une réalisation pour l’année précédente, du taux de croissance en valeur de l’investissement dans l’industrie, qui représente 25 % de l’investissement productif en France. Pour une même année, on dispose de 8 évaluations : une première en octobre de l’année précédente, puis en janvier, en avril, en juillet et en octobre de l’année en cours, puis enfin des réalisations constatées en janvier, en avril et en juillet de l’année suivante et qui peuvent différer des données de comptabilité nationale. Les entreprises ne sont questionnées en juillet que depuis 2003. Le graphique présente la chronologie, depuis 1992, de ces évaluations périodiques pour une même année, avec en parallèle les données de comptabilité nationale sur le champ spécifique « industrie » et sur le champ « sociétés non financières » (SNF).

D’une manière générale, ces évaluations sont assez instables, avec presque toujours des révisions en hausse entre octobre de l’année précédente et janvier de l’année en cours (25 années sur 27) : les seules années de révision en baisse sont les années de récession, 1993 (-2,3 points), et 2009 (-7,1 points), ce qui pouvait, à un stade précoce, révéler la sévérité de la dégradation des projets d’investissement. Par la suite, les révisions s’effectuent toujours à la baisse entre l’enquête de janvier de l’année en cours et la réalisation constatée en avril de l’année suivante (25 années sur 25). On peut déduire de ces observations que les industriels sous-estiment leur investissement en octobre de l’année précédente, le surestiment en janvier de l’année en cours et corrigent par la suite ce biais de surestimation jusqu’à la réalisation constatée en avril de l’année suivante.

IMG_post07-02Derrière ces comportements de réponse instables se pose la question de savoir à quel stade des évaluations est atteint un niveau d’information satisfaisant sur l’évolution de l’investissement. Le calcul des corrélations entre les évaluations issues de l’enquête selon le degré d’avancement dans l’année et les estimations faites par la comptabilité nationale montre que la première évaluation faite en octobre de l’année précédente est pauvre en information (corrélation de 0,47), que l’enquête de janvier fait faire un saut qualitatif important (corrélation de 0,73), l’enquête d’avril un saut marginal et que l’information maximale est obtenue à l’enquête de juillet (corrélation de 0,85) et n’évolue plus par la suite (tableau). Ce calcul montre aussi qu’il n’y a pas de différences notables des corrélations liées à la différence des champs, le champ industrie sur lequel porte spécifiquement l’enquête, et le champ SNF.

Même si les résultats de l’enquête ne sont pas directement transposables pour anticiper sans erreur l’évolution de l’investissement mesurée par les comptes nationaux, il n’en demeure pas moins que, qualitativement, les déclarations des industriels fournissent une information précieuse sur l’orientation des dépenses.

Tabe_post07-02Les prévisions pour l’année 2017 n’ont pas dérogé au schéma général, avec une révision en hausse de 4,8 points entre la première évaluation faite en octobre 2016 et la deuxième faite en janvier. Par contre, le processus de révision en hausse s’est poursuivi entre janvier 2017 et juillet 2017 (+1,6 point), sous l’effet probablement du suramortissement fiscal, ciblant les investissements industriels, institué en avril 2015 pour un an et finalement prolongé jusqu’en avril 2017. Par la suite, la révision en baisse de +6,7 % en juillet 2017 à +2,1 % en janvier 2018 s’inscrit dans le schéma saisonnier habituel.

Pour 2018, la première évaluation faite en octobre 2017 à -0,4 % a été révisée en hausse à +3,8 %, ce qui ne déroge pas non plus au profil saisonnier de l’enquête. Cette révision, du même ordre que celle de 2017, est de bon augure pour la trajectoire de l’investissement, même si elle sera affinée par les publications ultérieures, car elle montre que les industriels répondent en même temps qu’ils y participent à la reprise économique effective en France depuis la fin 2016.

 




Quel nouveau sentier de croissance de la productivité du travail ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Les pays industrialisés connaissent un ralentissement apparent et persistant des gains de productivité du travail depuis le second choc pétrolier. Celui-ci a fait l’objet d’un grand nombre d’analyses dans la littérature économique[1] s’interrogeant sur la disparition possible du potentiel de croissance de ces économies développées et donc sur leur incapacité à renouer avec un niveau d’activité conforme à la trajectoire d’avant-crise. Autrement dit, les pays industrialisés seraient entrés dans une phase de « stagnation séculaire » rendant plus difficile la résorption de l’endettement public et privé. Mais cet épuisement des gains de productivité modifie également le diagnostic que l’on pose sur leur situation conjoncturelle et tout particulièrement sur celui de leur marché du travail.

Les gains de productivité tendanciels sont par nature inobservables ; il est donc nécessaire de décomposer la productivité observée entre une tendance et une composante cyclique, liée à l’ajustement plus ou moins rapide de l’emploi à l’évolution de l’activité économique (le cycle de productivité). Dans une étude récente parue dans la Revue de l’OFCE, nous cherchons à mettre en évidence le ralentissement des gains de productivité tendanciels et le cycle de productivité dans six grands pays développés (Allemagne, Espagne, États-Unis, France, Italie et Royaume-Uni) à partir d’une méthode économétrique – le filtre de Kalman – permettant l’estimation d’une équation de demande de travail aux fondements théoriques explicités et l’estimation des gains de productivité tendancielle.

Après être revenus sur les différentes explications possibles à ce ralentissement évoquées dans la littérature économique, nous présentons la modélisation théorique de l’équation de demande de travail et notre stratégie d’estimation empirique. Cette équation, dérivée d’une fonction de production de type CES [2] repose sur l’hypothèse de maximisation du profit des entreprises en concurrence monopolistique, et sur l’hypothèse de stabilité du ratio capital/output dans le long terme. Elle permet une décomposition tendance/cycle en une étape, mais fait reposer les gains de productivité uniquement sur le travail[3].

Les études empiriques existantes s’appuient traditionnellement sur une estimation log-linéaire de la tendance de productivité, et introduisent des ruptures de tendances à date fixe[4]. Nous proposons une méthode alternative consistant à écrire l’équation d’emploi sous la forme d’un modèle espace-état représentant la tendance de productivité sous-jacente. Ce modèle a pour avantage de permettre une évolution moins heurtée des gains tendanciels de productivité puisqu’il ne repose pas sur des dates de rupture ad-hoc.

Nous évaluons ensuite le nouveau sentier de croissance de la productivité du travail, et le cycle de productivité pour les six pays considérés. Nos résultats confirment le ralentissement des gains tendanciels de productivité (graphique 1).

IMG1_post02-02Le taux de croissance de la productivité tendancielle présente pour cinq pays (France, Allemagne, Italie, États-Unis et Royaume-Uni) une lente baisse depuis les années 1990. La tendance de productivité, estimée à 1,5% aux États-Unis dans les années 1980, augmente au cours des années 1990 avec la vague de nouvelles technologies, puis diminue progressivement pour atteindre 0,9% en fin de période. Pour la France, l’Italie et l’Allemagne le rattrapage s’interrompt au cours des années 1990 (au cours des années 2000 pour l’Espagne) bien que le ralentissement des gains de productivité tendanciels s’interrompe brièvement entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000. Excepté l’Italie, dont les gains tendanciels de productivité estimés sont nuls en fin de période, les taux de croissance tendanciels convergent vers un intervalle compris entre 0,8% et 1% de gains annuels de productivité tendancielle.

Les cycles de productivité estimés sont représentés dans le graphique 2. Ils présentent le plus de fluctuations pour la France, l’Italie et l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le calcul des délais moyens d’ajustement de l’emploi à la demande indique un délai d’ajustement de 4 à 5 trimestres pour ces pays. Le cycle fluctue beaucoup moins pour les États-Unis et l’Espagne, indiquant une vitesse d’ajustement de l’emploi à l’activité économique plus rapide pour ces deux pays, ce que confirment les délais moyens d’ajustement à la demande (respectivement 2 et 3 trimestres). Enfin, les estimations indiquent globalement que le cycle de productivité se serait refermé pour chacun des pays considérés au deuxième trimestre 2017.

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[1] Voir par exemple A. Bergeaud, G. Cette et R. Lecat, 2016, « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », The Review of Income Wealth, (62: 420-444) ou encore N. Crafts et K. H. O’Rourke, 2013, « Twentieth Century Growth », CEPR Discussion Papers.

[2] Voir C. Allard-Prigent, C. Audenis, K. Berger, N. Carnot, S. Duchêne et F. Pesin, 2002, « Présentation du modèle MESANGE », Ministère de l’Economie, des finances et de l’industrie, Dir. la Prévision, MINEFI, Document de travail.

[3] L’équation de demande de travail repose sur une fonction de production et une hypothèse de progrès technique neutre au sens de Harrod.

[4] Voir M. Cochard, G. Cornilleau et E. Heyer, 2010, « Les marchés du travail dans la crise », Économie et Statistique, (438: 181-204) et B. Ducoudré et M. Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE (142: 21-53).




Pourquoi rendre le congé de paternité obligatoire ?

par Hélène Périvier

Le gouvernement engage une réflexion sur une réforme du congé de paternité. Un rapport vient d’être demandé à l’Inspection générale des affaires sociales. Aujourd’hui, les pères salariés[1] ont droit à 11 jours calendaires consécutifs au titre du congé de paternité. Indemnisé par la Sécurité sociale dans les mêmes conditions que celles du congé de maternité, le congé de paternité est optionnel. Un allongement de la durée de ce congé est envisagé alors que l’idée de le rendre obligatoire semble être écartée, au vu des déclarations de Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de Muriel Pénicaud, Ministre du Travail.

Un levier pour l’égalité professionnelle

Le Policy brief OFCE n°11, publié en janvier 2017, expose les raisons pour lesquelles une réforme du congé de paternité constitue un levier pour réduire les inégalités professionnelles. En matière de partage des congés parentaux, la France est en retard par rapport à d’autres pays européens, et pas seulement les pays nordiques qui ont depuis longtemps mis en place des politiques de congés parentaux obligeant à un partage de ce temps consacré aux enfants. Le Portugal a également innové en la matière : les pères ont droit à un mois de congé de paternité, indemnisé à 100% du salaire, dont deux semaines obligatoires[2].

Obligation et protection des travailleurs

La Ministre du Travail a déclaré le 31 janvier 2018: « Je ne suis pas sûre que l’on change les mœurs d’une société avec une obligation » du recours au congé de paternité. Rappelons que sur les 16 semaines de congé maternité (pour un enfant de rang 1 ou 2), 8 semaines sont obligatoires, dont 6 après la naissance. Cette obligation a été introduite pour protéger les femmes d’une pression que leur employeur pourrait exercer sur elles pour qu’elles ne prennent pas ce congé auquel elles ont droit. Le caractère obligatoire du congé relève donc de la protection des travailleuses[3]. Pourquoi ne pas protéger les pères de la même façon ? Les hommes qui souhaitent consacrer plus de temps à leurs enfants dans le cadre de ce congé peuvent être stigmatisés par leurs collègues ou leurs supérieurs hiérarchiques. L’obligation coupe court à toute négociation. Elle constitue une garantie du respect du droit des travailleurs à prendre le congé de paternité, tout comme l’obligation de congés annuels ou de repos hebdomadaires[4] que personne ne conteste aujourd’hui. Notre histoire sociale montre au contraire que l’obligation est un moyen puissant de changer la norme sociale ; alors pourquoi ne pourrait-elle pas faire bouger les lignes des normes de genre ?

Libre choix individuel et choix de société

Le caractère obligatoire du congé est contesté au nom du libre choix des pères et des couples de s’organiser comme ils l’entendent. La liberté de chacun et de chacune en matière d’organisation familiale est incontestable, mais le caractère sexué de cette organisation au niveau global en fait un problème social et collectif (voir le Policy Brief n°11). Autrement dit, ce qui pose problème, ce n’est pas que des femmes ajustent leur carrière pour consacrer du temps à leurs enfants, c’est que ce soit majoritairement des femmes qui agissent ainsi. De fait, toutes les femmes se trouvent pénalisées par le caractère sexué de la division du travail dans les couples, y compris celles qui optent avec leur conjoint pour une organisation égalitaire. Il s’agit donc d’une externalité négative qu’il convient de corriger.

Indemnisation et perte de revenu

Si le congé de paternité devient obligatoire, alors certains pères verront leurs revenus diminuer pendant la durée du congé. C’est le cas des hommes dont le salaire est supérieur au plafond d’indemnisation de la Sécurité sociale[5] et qui travaillent dans des entreprises ne disposant pas d’une convention collective favorable, qui comporterait une couverture complète par l’employeur. C’est également le cas pour les femmes dans des situations similaires, et pour elles la perte de revenu est plus importante car la durée du congé est plus longue. Revoir l’indemnisation pour qu’elle soit plus généreuse pour les femmes comme pour les hommes est une meilleure réponse à ce problème que de renoncer à l’obligation du recours au congé pour les pères.

Coût de la réforme et financement

Reste la question du coût d’une telle réforme : c’est un point important mais cela ne doit pas couper court à toute discussion. Un congé de paternité allongé à 22 jours et obligatoire impliquerait un surcoût de l’ordre de 500 millions (Policy brief OFCE n°11)[6]. Il doit être pensé à l’aune d’une refonte de l’ensemble des congés et de l’imposition des couples, notamment d’une réforme du quotient conjugal (Allègre et Périvier). Par exemple, un plafonnement du quotient conjugal à 2 500 euros (donc au-dessus du plafond du quotient familial, qui est de 1 500 euros) représenterait un gain pour les finances publiques de 1,35 milliard, ce qui procurait des marges de manœuvre pour ouvrir une réforme des congés et de l’accueil des jeunes enfants. C’est donc l’ensemble des politiques sociales et fiscales qu’il faudrait remettre à plat pour donner plus d’espace aux pères dans la famille et aux femmes dans la sphère professionnelle.

Une réforme du congé de paternité ne saurait suffire à résorber les inégalités persistantes, mais c’est une piste de changement qui permet d’ouvrir un débat sur la place respective des femmes et des hommes dans notre société.

 

 

[1] Pour les travailleurs indépendants, la question dépasse le cas du congé de paternité, c’est l’ensemble du régime de sécurité sociale des indépendants qui est en cause.

[2] Wall Karin, Leitão Mafalda. « Le congé paternel au Portugal : une diversité d’expériences », Revue des politiques sociales et familiales, n° 122, 2016. Exercice de la paternité et congé parental en Europe. pp. 33-50.

[3] Isabel Odul-Asorey, « Congé maternité, droit des femmes ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 3 /2013,

[4] La date des congés ou le jour de liberté dans la semaine (dimanche ou pas) est le seul sujet de débat, pas l’obligation faite aux entreprises d’accorder un congé à l’ensemble des salarié.e.s.

[5] Le salaire pris en compte ne peut pas dépasser le plafond mensuel de la Sécurité sociale en vigueur lors du dernier jour du mois qui précède l’arrêt, soit 3 311,00 € brut par mois en 2018.

[6] Les indemnités de congés maternité et paternité sont plafonnées. Selon les accords d’entreprises et les conventions collectives, les employeurs peuvent les compléter pour assurer une indemnisation de 100 % à leurs salarié-e-s. Aucune donnée consolidée ne permet d’en évaluer le montant (HCF, 2009). Les coûts présentés ici ne tiennent pas compte du coût que ces réformes entraîneraient pour les employeurs.




Haro sur les investisseurs chinois !

Par Sarah Guillou

Dans son discours de vœux du 15 Janvier 2017, le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire, parle « d’investissements de pillage » suspectant les investisseurs chinois de vouloir « piller » les technologies françaises. Ces déclarations inscrivent le ministre de l’Economie français dans la filiation du patriotisme économique de Colbert à Montebourg, mais cette fois, elles se situent dans un mouvement plus large de méfiance et de résistance aux investissements en provenance de Chine qui parcourt tous les pays occidentaux. Et si le gouvernement français projette d’élargir le champ du décret qui permet de contrôler les investissements étrangers, de nombreux pays en font de même.

La France n’est pas le seul pays à vouloir modifier sa législation pour renforcer les motifs de contrôle des investisseurs étrangers. L’entrée de capitaux étrangers était avant tout perçue comme un apport de moyens financiers et le signe de l’attractivité du territoire. La France a toujours été bien située dans les classements internationaux en termes de terre d’accueil. En 2015, la France se classait au onzième rang mondial au titre des entrées d’investissements directs de l’étranger pour un montant de 43 milliards de dollars en provenance principalement des pays développés (contre 31 milliards pour l’Allemagne et 20 milliards de dollars pour l’Italie). Et comme les investisseurs résidents français ont, eux, investis 38 milliards de dollars à l’étranger (l’Allemagne et l’Italie, 94 et 25 milliards de dollars respectivement), la balance est en faveur des entrées de capitaux productifs qui dépassent les sorties de capitaux.

Cependant, la France s’est toujours distinguée par une méfiance politique plus marquée à l’égard des prises de participation étrangères, surtout lorsqu’il s’agit de ses « fleurons » industriels. Mais voilà que cette méfiance rencontre un écho dans les pays occidentaux à l’égard des investisseurs chinois, et pas seulement outre-Atlantique où l’ensemble des acteurs politiques ont dû se mettre au diapason du patriotisme économique de l’administration Trump. Les investisseurs chinois sont aussi perçus comme des prédateurs par les Allemands, les Anglais, les Australiens, les Italiens pour ne citer qu’eux.

Il faut dire que la stratégie industrielle de la Chine est très volontariste et les stratégies de croissance externe des entreprises chinoises sont soutenues par une politique de montée en gamme et d’acquisition de technologies par tous les moyens. De plus la présence de l’Etat derrière les investisseurs – c’est le propre de la Chine d’avoir une imbrication forte des intérêts privés et publics et une forte présence de l’État dans l’économie en raison de son passé communiste – crée de potentiels conflits de souveraineté. Enfin, la Chine menace de plus en plus des secteurs dans lesquels les pays occidentaux croyaient détenir des avantages technologiques, ce qui inquiète les gouvernements (voir le Policy Brief de l’OFCE de S. Guillou (n° 31, 2018), « Faut-il s’inquiéter de la stratégie industrielle de la Chine ? »). Enfin, la Chine n’est de son côté pas exemplaire en matière de réception des investissements étrangers érigeant des barrières et des contraintes souvent associées à des transferts de technologie.

Les pays occidentaux réagissent donc en augmentant le champ du contrôle : aux questions de sécurité nationale et d’ordre public sont ajoutées les technologies stratégiques et la propriété des bases de données concernant les citoyens. En France, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé vouloir l’étendre au stockage de données numériques et à l’intelligence artificielle. En Allemagne, l’acquisition de Kuka, fabricant de robots industriels par le chinois Midea a conduit à renforcer le contrôle allemand et notamment au refus du rachat du fabricant de semi-conducteurs Aixtron.

Aux Etats-Unis, c’est bien au motif de l’acquisition de données bancaires que le rachat de MoneyGram par Ant Financial – une émanation d’Alibaba – a conduit le CFIUS (Committee on Foreign Investment of the United States) à émettre un avis négatif très récemment. Le projet européen de la création d’une commission identique au CFIUS n’a pas encore abouti et il ne suscite pas l’adhésion de tous les membres de l’UE tant certains accueillent avec bienveillance les investisseurs chinois.

Cette politique est, sinon coordonnée, au moins commune parmi les principaux récipiendaires des investissements chinois. La France n’est pas la seule à tenir cette position. Une telle unanimité du clan occidental est rare mais elle comporte aussi des risques.

Le premier est celui de l’isolationnisme : trop de barrières conduisent à renoncer à des opportunités de partenariats, en certains domaines, de plus en plus incontournables, et à des opportunités de renforcement des entreprises occidentales. Le second est le risque de contournement des interdictions de prises de participation par les investisseurs chinois. Les acquisitions ne sont pas toujours hostiles et les entreprises en voie d’acquisition sont souvent prêtes à des partenariats qui prendront d’autres formes. Ainsi l’échec du rapprochement d’Alibaba avec l’américain MoneyGram est contrebalancé par de nombreux accords que l’entreprise a scellé avec des partenaires européens ou américains pour faciliter les paiements des touristes chinois et notamment pour permettre d’utiliser la plateforme de paiement Alipay. Elle scellera certainement un partenariat de ce type avec MoneyGram. Ces partenariats conduisent à des transferts de technologie et des partages de compétences, voire de données, sans la contrepartie des apports de capitaux. Le troisième est le déversement des capitaux chinois en Asie et/ou en Afrique par exemple permettant la capture de marchés et de ressources qui handicaperont les acteurs occidentaux. Il faudra bien que le capital chinois disponible s’investisse. L’absence d’acteurs occidentaux partenaires impliquera une perte de contrôle et un isolement qui pourraient s’avérer préjudiciables.

Il faut donc revenir à un contrôle retenu bien qu’exigeant mais absent d’un raisonnement dichotomique qui a prévalu aux déclarations, sinon aux intentions du ministre. Tant que les technologies françaises seront attractives, il faudra s’en réjouir et mesurer les avantages et les inconvénients des alliances. Peu d’années s’écouleront avant que les technologies chinoises deviennent aussi attractives que les françaises. Et les Chinois ne manqueront pas de venir rappeler à Monsieur Le Maire sa position.




L’indicateur avancé : la reprise sur de bons rails

par Hervé Péléraux

La publication ce jour des indicateurs de confiance dans les différentes branches confirme l’optimisme des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE en janvier. Quoiqu’en léger repli ce mois, le climat général des affaires reste proche de son sommet de fin 2007, au-dessus de son pic de rebond de début 2011.

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À partir de cette information qualitative, l’indicateur avancé anticipe une croissance de +0,6 % successivement au quatrième trimestre 2017 et au premier trimestre 2018. Si ces prévisions se réalisaient, l’économie française aurait alors aligné 6 trimestres consécutifs de croissance supérieure à +0,5 % depuis la fin 2016. Selon l’indicateur, la croissance sur l’ensemble de l’année 2017 atteindrait +1,9 % et l’année 2018 démarrerait avec un acquis de croissance de +1,5 %. Notons cependant qu’une inconnue subsiste au premier trimestre 2018 avec un alourdissement transitoire des prélèvements liés à la bascule cotisations sociales / CSG et à la hausse de la fiscalité écologique et du tabac, alors que les mesures de soutien au pouvoir d’achat joueront plutôt dans la seconde moitié de l’année. Ces facteurs, auxquels on peut ajouter les conditions climatiques exceptionnelles de l’hiver 2017/2018 avec des températures clémentes qui limitent les dépenses en chauffage, pourraient donner à l’activité un profil trimestriel un peu plus heurté que celui déduit des enquêtes de conjoncture qui décrivent plutôt une trajectoire sous-jacente comme ce fut le cas ces dernières années.

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Trading à haute fréquence et régulation économique, un arbitrage inéluctable entre stabilité et résilience des marchés financiers

par Sandrine Jacob Leal et Mauro Napoletano

Au cours des dernières décennies, le trading à haute fréquence (THF) a fortement augmenté sur les marchés américains et européens. Le THF représente un défi majeur pour les autorités de régulation du fait, d’une part, de la grande variété de stratégies de trading qu’il englobe (AFM, 2010 ; SEC, 2010) et d’autre part des incertitudes qui planent toujours autour des avantages nets de cette innovation financière pour les marchés financiers (Lattemann et al., 2012 ; ESMA, 2014 ; Aguilar, 2015). Par ailleurs, bien que le THF ait été identifié comme l’une des causes probables des krachs éclairs (Jacob Leal et al., 2016), aucun consensus n’a encore réellement émergé sur les causes fondamentales de ces phénomènes extrêmes. Certains pays ont déjà décidé de réguler le THF[*]. Cependant, les approches adoptées jusqu’à présent varient en fonction des régions.

Les problèmes mentionnés ci-dessus renvoient directement au débat sur la régulation économique et son efficacité face aux effets néfastes du THF et des krachs éclairs. Nous contribuons à ce débat dans un nouvel article publié dans la revue Journal of Economic Behavior and Organization, dans lequel nous étudions l’effet d’un ensemble de mesures de régulation au travers d’un modèle multi-agents dans lequel les krachs éclairs émergent de façon endogène (Jacob Leal et Napoletano, 2017). Contrairement à notre précédant modèle (Jacob Leal et al., 2016), nous endogénéisons cette fois l’annulation des ordres caractéristique du THF. Ce modèle est ensuite utilisé comme un laboratoire afin d’étudier l’effet sur les marchés d’un certain nombre de mesures de régulation économique visant le THF. Notre modèle est particulièrement adapté et pertinent dans ce cas car, contrairement aux travaux existants (par exemple, Brewer et al., 2013), il est capable de générer de façon endogène les krachs éclairs, résultat des interactions entre les traders basse fréquence et les traders haute fréquence. Par ailleurs, nous examinons dans ce travail un plus grand nombre de mesures que les travaux existants. Notre objectif étant d’étudier l’effet des mesures de régulation proposées et mises en œuvre en Europe et aux États-Unis face à la montée du THF. La liste comprend des mesures relatives à la microstructure des marchés (comme les « circuit breakers »), des mesures de type « command-and-control » (comme les temps de garde des ordres minimaux) et les mesures qui influencent les incitations des traders (comme les frais d’annulation ou la taxe sur les transactions financières).

Après avoir vérifié la capacité de notre modèle à reproduire les principaux faits stylisés des marchés financiers, nous avons analysé l’efficacité des mesures de régulation économique susmentionnées.

Ainsi, nos résultats démontrent que les tentatives afin de réduire la fréquence d’activité des traders à haute fréquence, en les empêchant par exemple d’annuler fréquemment et rapidement leurs ordres à travers des temps de garde des ordres minimaux ou des frais d’annulation, ont des effets bénéfiques sur la volatilité des marchés et sur les krachs éclairs. Par ailleurs, nous montrons que l’introduction d’une taxe sur les transactions financières produit des résultats similaires (bien que l’ampleur des effets soit moindre) puisque cette mesure décourage le THF.

En résumé, ces mesures qui permettent d’imposer une limite à la vitesse du trading s’avèrent être des instruments efficaces pour réduire la volatilité des marchés et l’occurrence des krachs éclairs. Ces résultats confirment les conjectures de Haldane (2011) quant à la nécessité de s’attaquer à la «course effrénée» des traders HF afin d’améliorer la stabilité financière.

Cependant, nous constatons que ces mesures de régulation engendrent également une plus longue durée des krachs éclairs.

Par ailleurs, nos résultats révèlent que la mise en œuvre des circuit breakers a des effets mitigés. D’une part, l’introduction de circuit-breaker ex ante réduit nettement la volatilité des prix et supprime totalement les krachs éclairs. Ce résultat s’explique par le fait que ce type de mesures permet une intervention en amont de la chute brutale des prix, source du krach. D’autre part, les circuit breakers ex post n’ont aucun effet sur la volatilité des marchés et le nombre des krachs éclairs mais augmentent la durée des krachs éclairs.

En conclusion, nos résultats indiquent qu’en matière de régulation économique du HFT, il y a un arbitrage inéluctable entre la stabilité et la résilience du marché. Ainsi, nous démontrons que les mesures de régulation qui améliorent la stabilité du marché – en termes de volatilité moindre et d’incidence des krachs éclairs – impliquent également une détérioration de la résilience du marché – en termes de capacité réduite du prix des titres à se rétablir rapidement après un krach. Cet arbitrage s’explique par le double rôle joué par le THF dans les dynamiques de notre modèle. En effet, d’une part, le THF s’avère jouer un rôle fondamental à l’origine des krachs éclairs, du fait notamment des larges fourchettes de cotation créées ponctuellement et de la concentration de leurs ordres à la vente. D’autre part, le THF contribue à rétablir rapidement la liquidité du marché favorisant ainsi la reprise du prix des titres à la suite d’un krach.

[*] Certaines actions et enquêtes sans précédent de la part des régulateurs locaux ont été largement rapportées dans la presse (Le Figaro, 2011; Les Echos, 2011; 2014; Le Monde, 2013; Le Point, 2015).

 




Sur la double nature de la dette

par Mattia Guerini, Alessio Moneta, Mauro Napoletano, Andrea Roventini

Les crises financière et économique de 2008 ont été fortement liées à la dynamique de la dette. En fait, une étude de Ng et Wright (2013) rapporte qu’au cours des trente dernières années, toutes les récessions américaines avaient des origines financières.

La figure 1 montre que les dettes des entreprises privées non financières (ligne verte) et les prêts immobiliers (ligne bleue) ont augmenté régulièrement aux Etats-Unis depuis les années 1960 et jusqu`à la fin du XXe siècle. De plus, dans les années 2000, la dette liée au prêts immobiliers est passée d’environ 60% à 100% du PIB en moins d’une décennie. Cette situation est devenue insoutenable en 2008 avec l’explosion de la bulle des crédits hypothécaires (les subprime). Ensuite les prêts immobiliers ont fortement diminué tandis que le ratio dette publique / PIB des États-Unis (ligne rouge) est passé de 60% à un niveau légèrement supérieur à 100% en moins de 5 ans, comme conséquence de la réponse de la politique budgétaire à la Grande Récession.

IMG1_post24-01La forte croissance de la dette publique a suscité des inquiétudes par rapport la soutenabilité des finances publiques et, aussi, sur les possibles effets négatifs de la dette publique sur la croissance économique. Certains économistes ont même avancé l’idée d’un seuil de 90% dans le rapport dette publique/PIB, en dessus duquel la dette publique nuirait à la croissance du PIB (voir Reinhart et Rogoff, 2010). Malgré un grand nombre d’études empiriques contredisant cette hypothèse (voir Herdon et al., 2013 et Égert, 2015 comme exemples récents), le débat entre les économistes est toujours ouvert (voir Ash et al., 2017 et Chudik et al., 2017).

Nous avons contribué à ce débat dans un document de travail (voir Guerini et al., 2017), qui sera publié prochainement dans la revue Macroeconomic Dynamics. Dans cette contribution, nous étudions conjointement l’impact de la dette publique et privée sur la dynamique du PIB américain en exploitant de nouvelles techniques statistiques que nous permettent d’identifier les relations causales entre les variables reposant seulement sur la structure des données[1]. Cela nous a permis de garder une perspective « agnostique » dans l’identification de la causalité et donc plus robuste par rapport aux possibles restrictions suggérées par telle ou telle théorie économique et donc en « laissant parler les données ».

Les résultats obtenus suggèrent que les chocs de dette publique affectent positivement et durablement la production (voir la figure 2, panneau de gauche)[2]. En particulier, nos résultats apportent des preuves contre l’hypothèse selon laquelle la croissance de la dette publique diminue la croissance du PIB aux États-Unis. En effet, nous trouvons que l’augmentation de la dette publique, entraînée par une augmentation des dépenses publiques en investissements, génère aussi des hausses dans les investissements privés (voir la figure 2, à droite) confirmant à cet égard, les conjectures effectuées par Stiglitz (2012). Cela implique que les dépenses publiques et, plus généralement, la politique budgétaire expansionniste stimulent la production à court et à moyen terme. Il en ressort que les politiques d’austérité ne semblent pas être la réponse politique appropriée pour surmonter une crise.

IMG2_post24-01Au contraire, nous ne trouvons pas des effets positifs significatifs liés à une augmentation de la dette privée, et en particulier lorsque l’on se concentre sur la dette liée aux prêts immobiliers. Plus précisément, nous constatons que les effets positifs des chocs sur la dette privée ont une taille plus faible que ceux sur la dette publique, et qu’ils disparaissent avec le temps. En outre, l’augmentation des niveaux de la dette hypothécaire a un impact négatif sur la dynamique de la production et de la consommation à moyen terme (voir la figure 3), tandis que leurs effets positifs ne sont que temporaires et relativement légers. Un tel résultat semble correspondre pleinement aux résultats de Mian et Sufi (2009) et de Jordà et al. (2014): une croissance excessive des prêts immobiliers alimente les bulles réelles d’actifs, mais lorsque ces bulles éclatent, elles déclenchent une crise financière, qui transmet visiblement ses effets négatifs au système économique réel sur un horizon de temps long.

IMG3_post24-01Un autre fait intéressant qui ressort de nos recherches est que l’autre forme la plus importante de dette privée – à savoir la dette des sociétés non financières (SNF) – ne génère pas d’impacts négatifs à moyen terme. En effet (comme on peut le voir dans la figure 4), l’augmentation du niveau d’endettement des SNF semble avoir un effet positif à la fois sur le PIB et sur la formation brute de capital fixe.

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En conclusion, nos résultats suggèrent que la dette a une double nature : différents types de dettes ont un impact différent sur la dynamique macroéconomique agrégée. En particulier, les menaces possibles sur la croissance de la production à moyen et long terme ne semble pas provenir de la dette publique (qui pourrait bien être une conséquence d’une crise), mais plutôt d’une augmentation excessive du niveau de la dette privée. En outre la croissance de la dette liée au prêts immobiliers semble être beaucoup plus dangereuse que celle liée aux activités d’investissement et de production des entreprises non financières.

 

[1] En particulier, nous utilisons un algorithme de recherche causale basé sur l’analyse ICA (Independent Component Analysis) pour identifier la forme structurelle de la VAR cointégrée et résoudre le problème de la double causalité. Pour plus de détails sur l’algorithme ICA, voir Moneta et al. (2013). Pour plus de détails sur ses propriétés statistiques, voir Gourieroux et al. (2017).

[2] Lors du calcul des fonctions de réponse impulsionnelle, nous appliquons un choc de Déviation Standard (DS) à la variable de dette concernée. Ainsi, par exemple, sur l’axe des y de la figure 2, panneau de gauche, on peut lire qu’un choc de 1 DS à la dette publique a un effet positif de 0,5% sur le PIB à moyen terme.