Quelle croissance pour la France en 2020 et 2021 ? Les enseignements de l’OFCN, un panel de prévisions

par Magali
Dauvin
et Adeline
Guéret

Quelques semaines après la
publication des prévisions de croissance pour la France (le 16 octobre, disponibles
ici),
l’OFCE a organisé un atelier avec  les
différentes institutions françaises publiques (Banque de France, Direction
Générale du Trésor, INSEE) et internationales (Commission européenne, OCDE et
FMI)  : l’Observatoire Français des
Comptes Nationaux (OFCN). Les institutions privées françaises ou opérant en France
étaient également invitées. Le sujet de la journée était la conjoncture française
et son environnement international, les prévisions macroéconomiques à l’horizon
2021, les perspectives budgétaires ainsi que des éléments de méthodes ou
structurels comme l’utilisation des indicateurs avancés pour prédire le PIB ou encore
la polarisation du marché du travail. La troisième édition de cette rencontre
annuelle a eu lieu vendredi 8 novembre 2019. Une vingtaine d’instituts de
prévision à 1 ou 2 ans étaient représentés[1].



Les débats ont montré une certaine
convergence des prévisions pour l’année en cours, avec cependant de nombreuses
incertitudes quant aux conséquences sur l’économie française des évolutions
internationales. En effet, en 2018, l’activité économique a souffert d’un
calendrier fiscal défavorable couplé à d’intenses mouvements sociaux et d’une
dégradation de l’environnement extérieur. La croissance du PIB a ralenti, elle
est passé de 2,4 % en 2017 à 1,4 % l’année suivante. Avec un acquis de
croissance à + 1,2 % à l’issue du troisième trimestre 2019 selon les derniers
chiffres publiés par l’INSEE à la fin octobre, l’ensemble des prévisionnistes
s’accorde sur un dynamisme moindre de l’activité économique en France en 2019 (Graphique 1). En
moyenne, les prévisions situent la croissance à + 1,3% pour cette année, avec
une faible dispersion autour de la moyenne (entre 1,2% et 1,4%). Ce chiffre est
quasiment en ligne avec la prévision du gouvernement à + 1,4 %  que le Haut Conseil des Finances Publiques
avait jugé « atteignable » dans son avis du 23 septembre 2019[2]. Le
ralentissement, commun à tous les instituts, s’inscrit dans un contexte où l’environnement
international est moins porteur qu’il ne l’a été en 2018. Selon l’ensemble des
prévisionnistes, la dynamique du commerce mondial serait réduite de moitié au
moins entre 2018 et 2019 (passant de + 3,4 % à 1,5% de croissance en moyenne). La
baisse de la croissance du PIB des pays partenaires de la France est également
inscrite dans le scénario des différents instituts entre 2018 et 2019.

Pour l’année 2020, la moyenne des
prévisions donne une croissance légèrement plus faible par rapport à 2019, à +
1,2%, avec relativement peu de disparités dans la dynamique. Le consensus
s’oriente vers une contribution de la demande intérieure hors stocks à la
croissance moins importante qu’en 2019 (en particulier de l’investissement des
entreprises non financières et celui des administrations publiques) ainsi
qu’une contribution négative du commerce extérieur. Toujours en moyenne, la
croissance du PIB se verrait amputée de -0,2 point du fait de l’accélération
des importations (passant de + 2,3 % à + 2,6 % entre 2019 et 2020) non
compensée par le moindre dynamisme des exportations (+2,3 % en moyenne en 2019
et + 2,1 % en 2020).

De plus, l’environnement
international est jonché d’incertitudes et de risques majoritairement orientés
à la baisse (Graphique 2). La
grande majorité des prévisionnistes s’accorde sur un chemin de croissance plus
modéré, se rapprochant du potentiel. Les prévisions de croissance sont
comprises entre 0,7% et 1,5%, avec une moyenne à + 1,3 %. Enfin, la journée a
permis de mettre en lumière, au-delà des chiffres de croissance, les
différences des atouts de l’économie française. 
Nous gardons le détail de ces analyses pour le policy brief à venir.


[1] D’autres organismes étaient
présents comme le COR, la DARES, France Stratégie, le HCFP, Pair Conseil et l’Unedic
en tant qu’observateurs.

[2] Avis n° HCFP – 2019 – 3
relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité
sociale pour l’année 2020 (23 septembre 2019), téléchargeable ici : https://www.hcfp.fr/sites/default/files/2019-10/Avis%20n%C2%B02019-3%20PLF-PLFSS%202020.pdf.

Au moment où les prévisions du gouvernement étaient
rendues publiques, la croissance du PIB du troisième trimestre n’était pas
encore connue et l’acquis de croissance était aux environs de 1,1%.




Qui profite du contrôle des loyers ? Chronique de San-Francisco

Par Gregory
Verdugo
,

Si, d’après les sondages, il séduit de plus en plus l’opinion
publique et la gauche d’Anne Hidalgo à Bernie Sanders, le contrôle des loyers laisse
sceptique la plupart des économistes[1].
Dès les premiers cours de licence nous apprenons à nos élèves que les lois de
l’offre et la demande s’appliquent aussi sur le marché locatif. Si le contrôle
des loyers a pour conséquence de faire baisser les loyers, il entraîne aussi une
chute de l’offre de logements qui ne fait qu’aggraver le manque de logements à
l’origine des loyers élevés. Pour un économiste, la messe est dite : s’il
bénéficie aux chanceux locataires en place, le contrôle des loyers aggrave la
situation de ceux qui cherchent à se loger en asphyxiant l’offre alors que des
loyers trop élevés sonnent l’alarme sur l’urgence à l’augmenter[2].



Toutefois, les dégâts du contrôle
des loyers dépendent de la pente de la courbe d’offre de logements à louer, c’est-à-dire
de l’importance du retrait des propriétaires du marché locatif en réponse à la
baisse des prix. Or en défense du contrôle des loyers, on oppose souvent que
dans les zones tendues comme Paris, l’offre est inélastique, et le niveau des
loyers influence peu le nombre de logements offerts. Si l’offre locative est
fixe, alors le contrôle des loyers ne fait que redistribuer de pouvoir d’achat
aux locataires. Hélas, les études sont unanimes à rejeter l’hypothèse d’inélasticité
de l’offre.

L’expérience de San-Francisco : un contrôle des loyers qui « gentrifie »

Parmi les travaux les plus convaincant, un article publié cette
année par des chercheurs de l’Université de Stanford dans l’American Economic Review[3],
une des revues les plus prestigieuses en économie, examine les conséquences de l’expérience
d’extension du contrôle des loyers mise en place à San Francisco dans les
années 1990.

Initialement, la ville de San
Francisco instaura en 1979 un contrôle des loyers à tous les immeubles qui
comprenaient au moins 5 appartements construits avant cette date. Les petits immeubles
de 4 appartements et moins d’avant 1979 restèrent hors du contrôle car on les considérait
comme possédés par petits bailleurs dont on voulait protéger l’investissement.
Cette exemption était non négligeable car elle concernait 44% du parc. Mais en
1994, à la surprise générale, un référendum local qui dénonçait le rachat de
ces petits immeubles par de grands conglomérats financiers supprima cette
exemption.

Cette extension inattendue du
périmètre du contrôle des loyers a permis aux chercheurs de Stanford d’évaluer l’effet
du contrôle non seulement sur l’offre de logements mais aussi sur les caractéristiques
du voisinage en comparant des quartiers où une plus ou moins grande partie des immeubles
basculèrent soudainement dans le secteur contrôlé, les constructions datant
d’après 1980 restant exemptées (voir le graphique 1 extrait de l’article).

Les résultats sont spectaculaires.
D’abord, les auteurs montrent que le contrôle des loyers influence bien le
profil des habitants en diminuant leur mobilité. Dans les quartiers où le
contrôle a eu le plus d’importance, on observe moins de renouvellement résidentiel
dans le parc locatif qui comprend davantage de personnes âgées et de membres
des minorités. Cette plus forte stabilité résidentielle a permis de préserver une
certaine diversité de la population du parc locatif.

Mais si le parc locatif est resté
plus diverse, il s’est fortement rétréci. Les auteurs estiment que l’offre
d’appartements à louer dans les quartiers les plus affectés par l’extension du
contrôle a baissé de plus de 25% ! Cette baisse de l’offre provient à la
fois de la vente des appartements à des propriétaires occupants et de la
destruction d’anciens immeubles soumis au contrôle au profit de nouvelles
constructions sans locataires où les appartements sont occupés par leur
propriétaires.

Paradoxalement, les auteurs observent
que l’extension du contrôle des loyers, en asphyxiant l’offre locative, a accéléré
la gentrification de certains quartiers ! En effet, relativement aux
locataires d’autrefois, les nouveaux propriétaires occupants qui les remplacent
sont bien plus riches.

Quelles leçons pour Paris ?

Quelles leçons tirer de cette étude pour la France,
notamment la ville de Paris, dans le viseur des partisans du contrôle ? Tout
d’abord le contrôle des loyers mis en place à San Francisco était bien plus
léger que celui de nouveau en vigueur à Paris. Le système de San Francisco protégeait
le locataire en place en limitant les hausses de loyer à un indice annuel, tout
en laissant le loyer libre à la relocation. L’encadrement des loyers en vigueur
à Paris est plus contraignant puisqu’il régule non seulement les hausses pour
le locataire en place mais également le prix à la relocation au travers un
indice de référence. On peut donc craindre des effets plus importants sur
l’offre.

De plus, la situation parisienne montre
une baisse rapide de l’offre locative ces dernières années. Les recensements de
la population 2016 et 2011 indiquent en effet une chute de 4,4% de la
population du parc de locataires dans le privé alors que la population
parisienne ne baissait que de 2,2%[4].

Le fait qu’à la fois Paris se
dépeuple selon les derniers recensements alors que le prix de l’immobilier
augmente suggère que le marché locatif a subi un choc d’offre négatif ces
dernières années[5].

Clairement, le contrôle des
loyers n’est pas le seul ou même le principal responsable de la chute de
l’offre locative privée à Paris qui s’explique aussi par l’attrait de la location
saisonnière du type Airbnb. Mais il ne fait qu’aggraver la tendance au rétrécissement
du marché locatif.

Bien sûr, penser que le contrôle
des loyers est mauvais ne signifie pas que le laisser faire et le libre marché permet
d’aboutir à une solution équitable. Loin de là. Les loyers restent trop élevés
et les prix de l’immobilier inaccessibles dans certaines grandes villes. Mais
geler les prix revient à casser le thermomètre qui mesure la fièvre et n’offrira
pas de logement à ceux qui en cherchent.


[1] Alston, R. M., Kearl, J. R., & Vaughan, M. B., 1992, « Is There a Consensus among
Economists in the 1990’s?  », The American Economic Review,
82(2), 203-209.

https://www.jstor.org/stable/2117401

[2]
Il existe néanmoins de rares exceptions à ce constat. Comme l’ont démontré Arnott
et Igarashi, des contrôles de loyers peuvent être efficaces lorsqu’un faible nombre
de bailleurs est en situation de monopole, ce qui est loin d’être le cas en
France. Voir Arnott et
Igarashi, M., 2000, « Rent control, mismatch costs and search efficiency », Regional Science and Urban Economics,
30(3), 249-288. https://doi.org/10.1016/S0166-0462(00)00033-8

[3] Diamond, Rebecca, Tim McQuade, and
Franklin Qian, 2019, « The Effects of Rent Control Expansion on Tenants, Landlords, and
Inequality: Evidence from San Francisco  », American
Economic Review
, 109 (9): 3365-94.

https://doi.org/10.1257/aer.20181289

[4]
Le nombre de logements locatifs occupés baisse lui de 3% alors que l’ensemble
des logements ne baisse que de 2%. Calculs de l’auteur à partir des résultats
du recensement fournis par l’INSEE. Sources : https://insee.fr/fr/statistiques/4177183?sommaire=4177606&geo=DEP-75
pour 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2132251?sommaire=2133011&geo=DEP-75
pour 2011.

[5]
Les économistes parlent de choc d’offre négatif lorsque, dans un marché, le
prix d’équilibre augmente alors que les quantités échangées baissent.




Le casse-tête de l’inflation dans la zone euro : c’est la tendance, pas le cycle!

Par Thomas Hasenzagl, Filippo Pellegrino,
Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco

Que se passe-t-il avec l’inflation et la productivité dans la zone euro ?
La Banque centrale européenne semble avoir perdu la capacité de relever
l’inflation et les anticipations de prix ont glissé depuis la dernière
récession. Une grande partie du débat politique a porté sur l’aplatissement de
la courbe de Phillips. Pourtant, les estimations du processus conjoint
d’inflation et de production indiquent que les éléments les plus pertinents du
puzzle sont la diminution du potentiel de production et de l’inflation
tendancielle.



La dernière prévision d’inflation (HICP) de la BCE montre
une révision à la baisse brutale par rapport à ce qui avait été prévu il y a
deux ans (voir BCE, 2017, 2019). Par exemple, l’inflation pour cette année
était estimée à 1,5%, contre 1,2% aujourd’hui. Les chiffres correspondants pour
2020 sont respectivement de 1,7% et 1%.

En janvier 2018, dans notre billet de blog, nous avions
prévu que l’inflation globale de la zone euro serait de 1,1% cette année et
resterait proche de 1% pour les cinq prochaines années. Cette prévision était
basée sur notre modèle semi-structurel d’inflation américaine (Hasenzagl et al., 2018a) adapté aux données de la
zone euro. À l’époque, nous étions beaucoup plus pessimistes que la BCE, mais
conformes aux attentes du marché (Hasenzagl et
al
., 2018b).

Dans ce billet, nous posons deux questions. Premièrement,
avec l’avantage de près de deux ans de données supplémentaires, notre vision a-t-elle
changé ? Deuxièmement, qu’implique la réponse pour nos estimations de la
courbe de Phillips et de l’écart de production dans l’Union ?

La réponse à la première question est négative. Nos prévisions pour cette année sont conformes à celles prédites il y a deux ans et indiquent 1,48% pour le T4-2022. Ceci est proche de ce que la BCE prévoit pour 2021.

Pour répondre à la deuxième question, nous pouvons utiliser le modèle pour
obtenir une vue cohérente. En effet, notre modèle produit des estimations d’un
certain nombre des composantes structurelles – production potentielle, écart de
production, loi d’Okun, cycle de prix de l’énergie – et décompose l’inflation
en (i) un cycle expliqué par la courbe de Phillips qui connecte l’écart de
production aux prix, (ii) une composante liée aux prix du pétrole, et (iii) l’inflation
tendancielle identifiée comme une anticipation d’inflation à long terme.

La figure 2 présente notre estimation de l’écart de production par rapport
aux estimations du FMI, de la Commission européenne et de Bloomberg, et la
figure 3 montre notre taux de croissance de la production potentielle.

Notre mesure de l’écart de production est assez corrélée aux mesures
institutionnelles. Cela implique une tendance adaptative qui montre un déclin
constant depuis le début de notre échantillon au milieu des années 1980 et un
ralentissement supplémentaire persistant depuis la grande crise financière (la
croissance potentielle est maintenant estimée à 1%). Celles-ci, en accord avec
l’idée selon laquelle de profondes récessions créent une hystérèse dans l’activité
économique réelle (voir, par exemple, Galì, 2015). Nous attribuons le
ralentissement de la croissance moyenne de la production depuis la crise à la
tendance plutôt qu’au cycle. Cette opinion est également corroborée par
l’observation selon laquelle la récession de 2008 est associée à une baisse
persistante de l’investissement privé, ce qui est en contradiction avec les
régularités du cycle économique précédent (Caruso et al., 2019).

Notre modèle implique une courbe de Phillips relativement pentue par
rapport aux estimations de la littérature selon lesquelles, elle s’est affaiblie
ou a même disparu (voir, par exemple, Ball et Mazumder, 2011 ; FMI, 2013 et
Hall, 2013). Cependant, l’écart de production étant relativement faible et, à
l’heure actuelle, le prix de l’énergie ayant un effet neutre sur l’inflation
globale, la dynamique de l’inflation est expliquée en grande partie par sa
tendance. Le graphique 4 montre la décomposition de la composante cyclique de
l’inflation mesurée par l’IPCH en énergie (en rouge), le cycle économique (en
bleu) et le bruit (en jaune) et fait le bilan.

Cette vision de la dynamique macroéconomique de la zone
euro peut être résumée comme suit.

Nous avons toujours un écart de production positif qui
est proche du sommet (premier trimestre de 2020) et l’économie devrait
maintenant retrouver une croissance tendancielle estimée à environ 1%. La
baisse de l’inflation est principalement imputable à sa composante tendancielle
que nous identifions comme des anticipations de long terme. La courbe de
Phillips, bien que pentue, contribue peu à la hausse car la baisse de la
croissance de la production est due en grande partie à un ajustement à la
baisse du potentiel de production.

Bien que la discussion politique ait principalement porté
sur la courbe de Phillips et le cycle économique, il convient de comprendre les
tendances. Cela est vrai tant pour la production que pour l’inflation.

En ce qui concerne les implications politiques, le point
à retenir dans la zone euro devrait être le fait que les anticipations
d’inflation (la tendance) sont en baisse depuis le début de 2014 et que, malgré
une certaine volatilité, elle devrait rester inférieure à l’objectif pendant
longtemps. Le retard de l’action de la politique monétaire en 2012-2014 pourrait
être une explication. Il est intéressant de noter que nos estimations aux
États-Unis indiquent une tendance à la hausse de l’inflation (voir Hasenzagl et al., 2018b). Cette tendance est
également corroborée par la dynamique des anticipations d’inflation sur un
horizon de cinq ans par les prévisionnistes professionnels, illustrée à la
figure 5.

Un objet de réflexion intéressant est la compréhension
des causes communes de la baisse de la croissance de la production tendancielle
et de l’inflation tendancielle. La dette héritée et l’aversion pour le risque,
qui sont la conséquence de la grande crise, ainsi que des incertitudes liées à
une profonde transformation de nos économies, du changement climatique à la
technologie, en passant par le vieillissement, pourraient peser de manière
persistante sur la production et l’inflation. Cela nécessite une politique
monétaire et budgétaire non standard pour faire face aux tendances du PIB
nominal.

Notez également que la même prévision d’inflation aurait
pu être obtenue en appliquant au modèle un écart de production plus important
(et une tendance plus prononcée du PIB) mais une courbe de Phillips plus plate
(voir, par exemple, Jarociński et Lenza, 2018). Par conséquent, la question qui
se pose n’est pas de savoir quelle est la pente de la courbe de Phillips, mais
bien de savoir si nous croyons à un monde caractérisé par une courbe de
Phillips pentue et une croissance de la production potentielle en baisse, ou
dans un monde où la courbe de Phillips est plate et une croissance de la production
potentielle constante.

Ce billet a été publié en anglais sur le site de Vox.eu

Références

Ball, Laurence, et Sandeep
Mazumder, 2011, “Inflation Dynamics and the Great Recession”, Brookings Papers on Economic Activity,
42 (Spring): 337-381.

Caruso, Alberto, Lucrezia Reichlin,
Giovanni Ricco, 2019, “Financial and Fiscal Interaction in the Euro Area
Crisis: This Time was Different”, European
Economic Review,
119: 333-355.

European Central Bank, 2017, “ECB
Staff macroeconomic projections for the euro area”, décembre :

https://www.ecb.europa.eu/mopo/strategy/ecana/html/table.en.html

European Central Bank, 2019, “ECB
Staff macroeconomic projections for the euro area”, septembre :

https://www.ecb.europa.eu/pub/projections/html/ecb.projections201909_ecbstaff~0ac7cbcf7a.en.html#toc6

Galí, Jordi, “Hysteresis and the
European unemployment problem revisited”, ECB Forum on Central Banking, mai
2015.

Hall, Robert E., 2013, “The Routes into
and Out of the Zero Lower Bound”, Paper presented at the Global Dimensions of
Unconventional Monetary Policy Federal Reserve Bank of Kansas City Symposium,
Jackson Hole, Wyoming:

https://www.kansascityfed.org/publicat/sympos/2013/2013hall.pdf

Hasenzagl, Thomas, Filippo
Pellegrino, Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco, 2018a, “Low inflation for longer”,
janvier :

https://voxeu.org/article/low-inflation-longer

Hasenzagl, Thomas, Filippo
Pellegrino, Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco, 2018b, “A Model of the Fed’s View on Inflation”, CEPR Discussion Paper, No. 12564.

IMF, 2013, “The Dog that Didnt
Bark: Has Inflation Been Muzzled or Was It Just Sleeping?” In World Economic Outlook, avril 2013:
Hopes, Realities, Risks. Chapter 3.

Jarociński, Marek et Michele Lenza,
2018, “An Inflation‐Predicting Measure of the Output Gap in the Euro Area,” Journal of Money, Credit and Banking,
Blackwell Publishing, vol. 50(6), pages 1189-1224, septembre.




Quelles sont les marges de manœuvre pour les finances publiques françaises dans un univers de taux d’intérêt durablement bas ?

Par Eric Heyer et Xavier Timbeau

En France, comme dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les taux d’intérêt souverains baissent et sont maintenant inférieurs à la croissance potentielle nominale. Les raisons avancées de cette baisse sont multiples : politiques monétaires ultra-expansionnistes, insuffisance de l’offre d’actifs sûrs par rapport à la demande, excès d’épargne privée, anticipations de croissance économique à la baisse. Les conséquences économiques le sont également : ce que cela implique pour les anticipations, l’investissement, la soutenabilité des intermédiaires financiers ou encore l’allocation des capitaux sur les actifs risqués. Nous nous intéressons ici au point de vue budgétaire et aux marges de manœuvre pour les finances publiques françaises à l’horizon 2030, ouvertes par la perspective de taux durablement bas.



Partant de la situation anticipée
pour 2021 dans
la dernière prévision de l’OFCE
, deux cas polaires sont considérés pour
la période 2022-2030 :

  1. Dans le premier, celui du statu quo, les taux d’intérêt auxquels emprunte l’Etat français restent bas. Ainsi, l’écart entre le taux souverain français à 10 ans et la croissance nominale resterait constant autour de -2 points. Compte tenu de la maturité de la dette française (supérieure à 7 ans), le taux apparent continuerait de baisser jusqu’à 1% en 2030 (graphique 1).
  2. Le second cas est une situation de « normalisation » du taux souverain qui, dès 2022, se stabiliserait en moyenne à 2,7%. Le taux apparent augmenterait alors progressivement tout au long de la période d’analyse comme l’illustre le graphique 2, jusqu’à 2,7% en 2030. Dans chacun des cas, un aléa est simulé autour des scénarios de référence.

A l’intérieur de ces deux cas
polaires, nous simulons l’incidence de la stratégie budgétaire de la
France :

  1. La
    première stratégie consiste à respecter les règles budgétaires du PSC, en procédant
    à des ajustements structurels de 0,5 point de PIB jusqu’à ce que le déficit
    public structurel soit de 0,4 point de PIB. Partant d’un déficit structurel en
    2021 de 1,5 point de PIB, cette stratégie impose 2 années d’ajustement de 0,5
    point (2022 et 2023), une année à 0,1 point (2024) et neutre ensuite.
  2. La
    seconde stratégie, plus proche de celle du gouvernement présent, consiste à
    recycler la réduction de la charge d’intérêt dans le soutien à l’activité. Ainsi,
    l’ajustement structurel est nul et le déficit structurel reste à 1,5 point de
    PIB jusqu’en 2030.

Un résumé des simulations est
présenté dans le tableau 1.

Trois résultats principaux
ressortent :

  1. Dans tous les cas, la dette publique baisserait à l’horizon 2030. Cette baisse serait faible (-3,5 points de PIB entre 2021 et 2030) – proche de la stabilité – si les taux se normalisent rapidement et qu’il n’y a pas d’ajustement budgétaire. Elle serait de plus de 10 points de PIB (soit plus de 1 point de réduction par an) dans un contexte de taux durablement bas et de respect des règles budgétaires ;
  2. Le non-respect de règles budgétaires permet de dégager 1 point de PIB de marges budgétaires primaires à l’horizon 2030 ;
  3. Des taux d’intérêt bas (par rapport à leur normalisation) permettent 1,7 point de PIB de marges budgétaires primaires à l’horizon 2030 ;

Enfin, dans le cas qui nous apparaît le plus probable, à savoir le maintien de taux durablement bas et l’absence d’ajustement budgétaire, la baisse de la dette publique serait limitée (graphique 3). L’incertitude usuelle ne remettrait pas en cause ce scénario, mais une crise majeure le rendrait évidemment caduque. On pourrait également opposer que les taux souverains bas sont le symptôme d’une crise latente. Notre optique est que cette crise est de fait inclue dans le scénario de croissance et que c’est au contraire le scénario de normalisation des taux qui devrait intégrer un rebond de l’activité plus important.




Political Acceptability of Climate Policies: Do we Need a ‘Just Transition’ or Simply Less Unequal Societies?

By
Francesco Vona

This blog
post is partly based on the policy paper published in the journal Climate
Policy: ‘Job
Losses and the Political Acceptability of Climate Policies: why the job killing
argument is so persistent and how to overturn it.

Concerns for a ‘just transition’ towards a
low-carbon economy are now part of mainstream political debates as well as of
international negotiations on climate change. Key political concerns centre on
the distributional impacts of climate policies. On the one hand, the ‘job
killing’ argument has been repeatedly used to undermine the political
acceptability of climate policy and to ensure generous exemptions to polluting
industries in most countries. On the other hand, the rising populist parties
point to carbon taxes as another enhancer of socio-economic inequalities. For
instance, the Gilets Jaunes (Yellow vest) movement in France is a classic
example of the perceived tension between social justice and environmental
sustainability. 



Demand for a fairer distribution of
carbon-related fuel taxes and of subsidies for electric vehicles mirrors the
political demand for income compensation to workers in ‘brown’ jobs displaced
by climate policies. Such increased demand for redistribution depends on the
fact that main winners of climate policies (e.g. those with the right set of
skills to perform emerging green jobs or with enough income to consider buying
a subsidized electric car) are fundamentally different from the main losers
(e.g. those who work in polluting industries and drive long distances with diesel
cars). Importantly, the identity of the winners and losers coincides with that
of the winners and losers of other, more pervasive, structural transformations,
such as automation and globalization. Indeed, the winners are wealthier, more
educated and living in nicer neighbourhoods than the losers. The spatial
sorting of winners and losers polarizes not only the perception of the costs
and benefits of climate policies, but leads also to the emergence of apparently
irrational behaviour. In several cases such as Taranto in Italy or Dunkirk in
France, employees in polluting activities, whose families are the first to be
exposed to such pollution, are willing to accept health risks to preserve their
jobs.

Absurd as it may appear, such opposition
against ambitious climate policies from the left-behind is the tip of the
iceberg of more fundamental problems of our societies, namely, the enormous
increase in income inequality. For both the left-behind and an increasingly
fragile middle class, it may be more important to satisfy basic needs such as
‘work’, ‘food’, ‘shelter’, ‘communicating’ than eating organic food or
supporting climate policies. For a given level of income per capita, citizens’
support for green policies is likely to be significantly lower the more unequal
the society because the median voter’s income may be just enough to satisfy the
basic needs mentioned above. Likewise, a lower level support for climate
policies is concentrated in regions that depend more on carbon-intensive
industries.

Fortunately, there are well-known solutions to
restore the right support to an ambitious plan to fight climate change.
Politicians can easily identify the right amount of subsidies to neutralize the
distributional effects of climate policies either on displaced workers, or on
most affected consumers. Several solutions have been discussed and implemented
ranging from direct transfers of the revenues of a carbon tax to recycling
schemes to reduce taxes on labour and capital. In its operational definition,
the just transition is thus a policy package whose aim is to mitigate the
negative distributional effects of climate policies for those at the bottom of
the income distribution.

There is, however, a powerful ethical argument
that undermines the viability of these well-known solutions. Why should a
worker displaced by a carbon tax have more rights than a worker displaced by a
robot? The ethical bases to justify the special status of any policies inspired
by the just transition are at best weak, and special policy solutions for
workers in ‘brown’ jobs may fuel the resentment of those left behind by
automation and globalization. An alternative and far more radical solution
appears to be to think at the high level of inequality of our societies as a
main constraint to fight climate change. The threat posed by growing tension
between inequality and environmental sustainability should thus push reforms of
our welfare and fiscal systems that protect the workers left behind by trade,
globalization and climate policies, thus weakening one of the main constraints
to ensure a broad political support to the low-carbon transition.

Read the full
paper
.

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Strategies and Climate Policy Blog




Les indicateurs d’inégalités relatives sont-ils biaisés?

Par Guillaume Allègre

La question des inégalités est
revenue au cœur des préoccupations des économistes. L’évolution, les causes,
les conséquences sont amplement discutées et débattues. Étrangement, les questions de
mesure semblent aujourd’hui relativement consensuelles[1].
Les économistes travaillant sur les inégalités utilisent à tour de rôle l’indice
de Gini de revenu disponible, la part du revenu détenue par les 10% les plus
aisés, le ratio inter-décile, … Toutes ces mesures ont pour caractéristique
d’être relatives : si l’on multiplie par 10 le revenu de toute la
population, l’indicateur n’est pas modifié. C’est le rapport de revenus entre
les plus aisés et les moins aisés qui compte. Peut-on mesurer les inégalités et
leur évolution autrement ?



L’observatoire
des inégalités
discute non seulement l’évolution du rapport de
revenus entre les plus et les moins aisés, mais également l’évolution de
l’écart de revenus : « En une
année, les 10 % les plus riches perçoivent en moyenne environ 57 000 euros, les
10 % les plus pauvres 8 400 euros. Une différence de 48 800 euros, équivalente
à un peu plus de 3,5 années de travail payées au Smic. L’écart a grimpé de 38
000 euros annuels en 1996 à 53 000 euros en 2011, puis a baissé pour revenir à
48 800 euros en 2017
. »  Mesurer
l’évolution de l’écart de revenus ne semble pas pertinent. Prenons deux
personnes de revenus de 500 et 1 000 euros, puis multiplions par 10 leurs
revenus : le rapport de revenus est stable, l’écart de revenus est
multiplié par 10. L’inégalité a-t-elle augmenté, a-t-elle été stable ou
a-t-elle diminué ? Selon la mesure de l’écart de revenus, elle a augmenté,
selon celle du rapport elle est stable. Selon nous, elle a peut-être diminué.

En effet, en France aujourd’hui,
l’écart de condition de vie, de mode de vie ou de bien-être, est peut-être plus
important entre une personne ayant un revenu de 500 euros, qui la met dans la
très grande pauvreté, et une personne ayant un revenu de 1 000 euros, qui la
met à la limite de la pauvreté qu’entre une personne ayant 5 000 euros de
revenus, que l’on peut qualifier de riche, et une personne ayant 10 000 euros de
revenus, que l’on peut qualifier de très riche. Ces deux dernières personnes
partagent en effet à peu près le même mode de vie, même si la dernière vit
probablement dans un logement un peu plus grand et mieux placé, et fréquente
des restaurants plus luxueux. Dit autrement, retirer 10% de revenus à une
personne très aisée a probablement moins d’effet que retirer 10% à une personne
à la limite du seuil de pauvreté. Une littérature importante sur l’aversion au
risque montre que les individus sont prêts à payer plus de 10% de leur revenu
lorsque celui-ci est élevé pour se protéger contre une baisse de 10% de leur
revenu lorsque celui-ci est faible. Ceci est d’ailleurs une des justifications de l’impôt progressif : on retire un
plus grand pourcentage aux plus aisés, mais le sacrifice est supposé égal car,
selon la théorie marginaliste, la capacité contributive croît plus vite que le
revenu (ou l’utilité croît moins que proportionnellement que le revenu).

Si l’on accepte cet argument, on
pourrait conclure qu’à niveau d’inégalités relatives constant (indice de Gini,
rapport de revenus entre les plus aisés et les plus pauvres), toutes choses égales par ailleurs, une
société plus riche serait en fait plus égalitaire, dans le sens où ses citoyens
ont un mode de vie ou un bien-être plus proche. L’intuition nous dit que ceci
est vrai pour les écarts importants de richesse (comme la multiplication par 10
des revenus de notre exemple). Si c’est le cas, il faut relativiser les
comparaisons d’inégalités relatives faites sur très longue période ou entre
pays développés et pays en voie de développement.  Lorsque Thomas Piketty
montre
que les 10% les plus aisés ont capté 50% du revenu entre 1780
et 1910, on pourrait alors conclure que les inégalités ont baissé durant la
période !

Milanovic
et Milanovic,
Lindert et Williamson
ont développé des concepts qui tiennent compte
de cet effet richesse dans une perspective historique de très
long-terme : la frontière des inégalités (inequality frontier) est l’inégalité maximale possible dans une
société en tenant compte du fait que la société doit garantir la subsistance
des plus pauvres (le revenu minimal pour vivre) : dans une économie avec
très peu de surplus (ou le reste à vivre moyen est faible), l’inégalité réalisable
maximale sera faible[2] ;
dans une économie très aisée, le coefficient de Gini réalisable maximal sera
proche de 100 pourcent[3].
Le ratio d’extraction est le Gini actuel divisé par le Gini réalisable
maximal. Plus une société est aisée, plus le coefficient de Gini réalisable
maximal sera faible, et plus – à Gini égal – 
le ratio d’extraction sera faible. On pourrait aussi calculer un « Gini
de reste à vivre » (au sens du revenu disponible moins le revenu
minimum de subsistance)[4].

Il peut être argué que lorsque l’on compare les inégalités dans deux sociétés de développement inégal, le ratio d’extraction est un meilleur indicateur d’inégalités que le Gini de revenu disponible[5] ou que les autres indicateurs d’inégalité relative. Une conclusion de Milanovic et al. : « ainsi, bien que l’inégalité dans les sociétés préindustrielles historiques soit équivalente à celle des sociétés industrielles actuelles, l’inégalité ancienne était beaucoup plus importante lorsqu’exprimée en termes d’inégalité réalisable maximale. Comparée à l’inégalité réalisable maximale, l’inégalité actuelle est bien inférieure à celle des sociétés anciennes ». D’après les auteurs, au début des années 2000, le Gini réalisable maximal était de 55,7 au Nigéria et de 98,2 aux États-Unis : la comparaison des inégalités entre les deux pays sera alors très différente selon que l’indicateur choisi est le Gini de revenus ou le ratio d’extraction. Par contre, il y aura peu de différences entre les États-Unis et la Suède (Gini réalisable maximal de 97,3) malgré une différence de revenu moyen de 45%. L’effet est en fait saturé puisque le revenu suédois correspond déjà à 40 fois le minimum de subsistance (400 dollars annuels en parité de pouvoir d’achat) et l’américain, 58 fois. Dans l’approche des auteurs, le minimum de subsistance est fixé en parité de pouvoir d’achat et est fixe entre les pays et dans le temps. Mais le minimum de subsistance est-il réellement de 400 dollars annuels en Suède aujourd’hui ? Lorsque l’on compare les inégalités aux États-Unis et en Suède aujourd’hui, ce minimum de subsistance est-il pertinent ? Prendre un minimum de subsistance nettement plus élevé pourrait changer la comparaison des inégalités, même dans les pays développés (à Gini de niveau de vie comparable, la Suisse est-elle en fait plus égalitaire que la France ?). Le problème qui se pose alors est d’établir un montant de revenu minimum de subsistance[6].

Le choix d’un indicateur
d’inégalités dépend de l’objectif poursuivi. Si l’idée est de comparer les
inégalités de condition de vie à travers le temps ou entre les pays, le Gini de
reste à vivre est peut-être pertinent. Par contre, si la crainte est que des
revenus trop élevés présentent un danger pour la démocratie (position notamment
développée par Stiglitz dans Le
prix de l’inégalité
), la mesure des  inégalités relatives telles que calculées par
la part du revenu captée par les 1% les plus aisés semble plus pertinente. 

Lorsque l’on compare des sociétés
proches en termes de développement, il existe d’autres limites, peut-être plus
importantes, à la comparaison des Gini de niveau de vie. À inégalités de
revenus identiques, un pays dont les dépenses publiques en santé, logement,
éducation, culture, etc. sont plus élevées, sera (probablement) plus égalitaire
(à moins que les dépenses publiques profitent proportionnellement davantage aux
plus aisés). La question du logement est également importante, celui-ci pesant
pour une très large part dans le budget des ménages : des loyers élevés,
dus à une offre de logement contrainte, augmentera les inégalités toutes choses
égales par ailleurs (les locataires sont aujourd’hui en moyenne plus pauvres). En
comparaison ou évolution, il est difficile de tenir compte de cet effet, car le
prix des logements peut refléter une meilleure qualité ou de meilleures
aménités. De plus, les inégalités entre propriétaires et locataires ne sont pas
prises en compte dans le calcul usuel du niveau de vie : à revenu égal, un
propriétaire ayant fini de rembourser son emprunt est plus aisé qu’un locataire
mais le loyer fictif dont bénéficie le propriétaire ne rentre pas dans le
calcul de son niveau de vie. Enfin, et sans vouloir être exhaustif, la question
de la durée du travail et de la production domestique complique également
l’équation : un écart de revenus peut être lié à un écart de durée du
travail, notamment si un des conjoints dans un couple (le plus souvent la
femme) est inactif ou travaille à temps-partiel. Or, le conjoint inactif peut
participer à la production domestique (notamment garder les enfants) non prise
en compte dans les statistiques : l’écart de niveau de vie avec le couple
bi-actif est plus faible que ce qu’implique l’écart de revenus. Les
statistiques ne prennent en général pas en compte cet effet car il est
difficile de donner une valeur à la production domestique.

On voit donc que la mesure du revenu
et du niveau de vie, et donc des inégalités est imparfaite. L’effet richesse (à
Gini de niveau de vie égal, une société plus riche est probablement plus
égalitaire toutes choses égales par ailleurs) est une limite, parmi d’autres
dont certaines probablement plus importantes lorsque l’on compare les économies
développées. Par contre, cet effet richesse pourrait être relativement important
si l’on veut comparer les inégalités de condition de vie entre la France de
1780 à celle de 1910 et a fortiori d’aujourd’hui.


[1]
Alors qu’elle était proéminente du début des années 1970 à la fin des années 1990 :
voir notamment les travaux d’Atkinson, Bourguignon, Fleurbaey et Sen.

[2]
Milanovic et al. donnent l’exemple
suivant : supposons une société de 100 individus dont 99 sont dans la
classe inférieure. Le minimum de subsistance dans cette société est de 10
unités et le revenu total de 1 050 unités. L’unique membre de la classe
supérieur reçoit 60 unités. Le coefficient de Gini associé à cette distribution
(le Gini réalisable maximal) est seulement de 4,7 pourcent.

[3]
En fait, le Gini réalisable maximal progresse vite : si dans la société
précédente, le revenu progresse à 2 000 unités et que le dictateur extrait
tout le surplus (1 010 unités), le Gini bondit à 49,5. 

[4]
Le Gini de reste à vivre, ou le ratio d’extraction partagent certaines
caractéristiques de l’indice
d’Atkinson
, notamment l’idée qu’il faille différencier les
inégalités parmi les plus aisés et parmi les plus pauvres. Néanmoins, l’indice
d’Atkinson reste un indicateur d’inégalités relatif : si tous les revenus
sont multipliés par 10, l’indicateur reste constant. L’indice satisfait
l’indépendance à la moyenne, ce qui est généralement recherché parmi les indicateurs
d’inégalité, mais que nous cherchons à dépasser ici.

[5]
Les deux indicateurs ne mesurent pas les mêmes concepts. D’une part, il peut
être intéressant d’utiliser plusieurs indicateurs mais d’autre part la
multiplication des indicateurs pose le problème de la lisibilité donc il faut
bien choisir. Le choix d’un indicateur s’appuie sur un jugement normatif
puisque, a minima implicitement, l’idée est de réduire les inégalités selon la
mesure choisie (il est consensuel parmi les économistes que, toutes choses égales par ailleurs, moins
d’inégalité est préférable). 

[6]
D’autant plus que ce revenu doit être cohérent dans le temps ou entre pays si
l’objectif est d’appréhender une évolution ou de faire une comparaison.




Une plus grande cohésion dans un monde de plus en plus fracturé : où en est le projet européen ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Une plus grande cohésion dans un monde de plus en plus
fracturé : où en est le projet européen ? ». Tel était le thème
du 16e Colloque EUROFRAME
sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est
tenu le 7 juin 2019 à Dublin[1].
Cette note fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.




Comme le souligne le titre du colloque, l’année 2019 est marquée
par les risques de fractures de l’économie mondiale. Donald Trump a lancé une
guerre commerciale contre la Chine et l’Europe. Il met en cause l’accord de
Paris sur la lutte contre le changement climatique. L’Union européenne (UE) est
sous la menace du Brexit alors que les questions migratoires comme les
questions de fonctionnement démocratique opposent les pays de l’Ouest à ceux de
l’Est de l’Europe. Les accords commerciaux bilatéraux peuvent être considérés
comme un progrès ; en même temps, ils mettent en cause l’utilité de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC). Les négociations sur la fiscalité des entreprises
multinationales ont été engagées, mais piétinent du fait des intérêts
nationaux. Dans ce contexte, la zone euro a fait des progrès institutionnels,
mais ceux-ci, difficiles à mettre en place, sont restés limités. L’Europe a un
rôle crucial à jouer pour mettre en place les instruments indispensables de
gestion de la mondialisation, en matière écologique, commerciale, fiscale,
financière mais cela demanderait une unité et une impulsion politique qui font
défaut aujourd’hui. Comment relancer le projet européen ?

La présentation introductive de Karl Wheelan portait sur les
problèmes spécifiques de l’euro. La monnaie unique apparaît comme un succès
puisqu’elle a survécu, qu’elle bénéficie du soutien des peuples, qu’elle a
assuré la stabilité des prix, mis fin à l’instabilité des taux de change entre
pays membres, que l’union bancaire est en voie d’être achevée. La politique
monétaire a pu être réactive. Mais les déséquilibres se sont creusés entre
États membres, le risque de défaut sur les dettes publiques est apparu, les
risques de faillite bancaire se sont accrus. Des progrès restent à faire :
repenser les règles de politique budgétaire, créer une capacité d’intervention
budgétaire à l’échelle de la zone, prévoir un mécanisme de restructuration des
dettes publiques, inciter les banques à détenir moins de dette publique de leur
pays en la considérant comme risquée, créer un mécanisme européen d’assurance
des dépôts, préciser la fonction de prêteur en dernier ressort de la BCE
vis-à-vis des banques et des États. L’exemple du Brexit montre que la construction
européenne reste à la merci des mouvements nationalistes.

Marek Dabrowski dresse un panorama de l’histoire de l’euro depuis
20 ans. L’auteur se félicite du succès de la monnaie unique, mais s’inquiète
toutefois des réticences de certains pays à achever les réformes nécessaires.
Il propose d’approfondir l’intégration politique, d’augmenter la taille du
budget européen pour financer des projets communs, de renforcer la discipline
de marché pour contrôler les politiques budgétaires, de simplifier et de
renforcer l’application des règles budgétaires. Il estime que les pays d’Europe
centrale et orientale membres de l’UE mais qui n’ont pas adopté l’euro
devraient se donner l’objectif de le faire dans un futur proche, ce qui
permettrait de simplifier l’architecture institutionnelle de l’UE.

Dans la discussion, plusieurs points de vue ont été exprimés. Selon
Klaus-Jürgen Gern, l’UE doit choisir entre deux paradigmes. L’Union budgétaire,
avec plus d’harmonisation, de coordination et de partage des risques,
nécessiterait, selon l’auteur, la restriction budgétaire dans beaucoup de pays,
la stricte application de règles budgétaires, des réformes structurelles des
marchés des biens et du travail, qui devraient être prises en charge au niveau
de chaque pays. Maastricht 2.0 reposerait sur la diversité, la concurrence et
la responsabilité de chaque pays. La clause de non-assistance devrait être
renforcée ; elle serait rendue crédible en renforçant l’Union bancaire par
un filet de protection européen, en brisant le lien entre les banques et la
dette de leur pays d’origine ; en créant un mécanisme de restructuration
des dette publiques.

Pour notre part, nous nous sommes inquiétés de projets qui
fragiliseraient les politiques économiques des États membres, décidées
démocratiquement, au profit d‘institutions européennes technocratiques,
éloignées des réalités nationales. Nous avons rappelé l’exemple des politiques
budgétaires inappropriées imposées après la crise financière. Il nous semble
dangereux d’affaiblir la capacité des États à se financer et de compter sur les
marchés financiers pour imposer la bonne politique budgétaire. Certains ont
estimé que tout projet doit tenir compte des disparités et des divergences
politiques et économiques entre les pays de l’UE.

Le Brexit

Mathieu et Sterdyniak présentent un survol des questions posées par le Brexit. Ils analysent les positions des institutions européennes et celles des forces politiques au Royaume-Uni, entre les partisans de rester dans l’UE, les partisans d’un partenariat étroit et les partisans d’une franche rupture, éventuellement sans accord, positions qui ont conduit à une impasse. Jusqu’à présent, les résultats du referendum n’ont pas entrainé la récession annoncée, mais un léger ralentissement de la croissance. L’article présente les différents travaux macroéconomiques qui évaluent l’impact à long terme du Brexit sur l’économie britannique. L’impact serait très négatif si le Brexit se traduit par une fermeture du Royaume-Uni qui aurait des effets durables sur la croissance de la productivité du travail.

Compte-tenu de l’actualité et du lieu de la conférence, trois interventions ont porté sur l’impact du Brexit sur l’Irlande. Martina Lawless analyse en détail les secteurs économiques et les comtés qui seraient frappés par le Brexit, en particulier par un Brexit sans accord. Le commerce entre les deux parties de l’île est intense et de type local, plutôt qu’international. Ce sont les petites entreprises et le secteur agricole (produits laitiers, viande) qui courent le plus grand risque. La baisse du commerce ne pourrait être compensée par une hausse des investissements directs étrangers (IDE). Globalement, le choc pourrait être une baisse du PIB de 4 à 6% pour la République d’Irlande.

L’étude d’Arriola et al. souligne que la République d’Irlande est le pays de l’UE qui a le plus de liens économiques avec le Royaume-Uni ; en particulier, le secteur agricole exporte beaucoup vers le Royaume-Uni ; beaucoup de biens intermédiaires utilisés par les entreprises irlandaises proviennent du Royaume-Uni, de sorte que les chaines de production devront être restructurées ; l’effet de relocalisation des IDE serait positif, mais faible. Au total, l’effet à long terme ne serait qu’une baisse du PIB de 2,3%.

Adele
Bergin et al. comparent 3 scénarios :
la sortie avec accord, la sortie ordonnée sans accord et la sortie désordonnée
sans accord. Dans les 3 cas, l’effet négatif sur le commerce est un peu
compensé par un effet positif via les IDE. Au total, l’effet à 10 ans sur le
PIB de la République d’Irlande serait de -2,6 ; -4,8 ou -5%, selon le scénario.

Questions
monétaires   

Rachel Slaymaker et al.analysent les arriérés de paiements sur
les crédits au logement en Irlande. Ils montrent que ceux-ci dépendent du
revenu du ménage, du montant de leur dette, mais qu’ils sont plus importants
pour les crédits à taux variable et à la suite d’une hausse des taux d’intérêt,
ce qui posera problème quand la période de bas taux d’intérêt prendra fin. 

Roberto Pancrazi et Luca Zavalloni montrentqu’un pays en difficulté peut se trouver en face de taux d’intérêt
trop élevés qui l’incitent à faire faillite au détriment de ses créanciers.
Cela peut justifier une intervention publique (ou une aide internationale) pour
réduire le coût de son nouvel endettement. L’article montre que cette politique
peut être Pareto-améliorante, ce qui justifie l’intervention du Fonds monétaire
international (FMI), du mécanisme européen de stabilité (MES), ou l’émission de
titres seniors.

Jérôme Creel et Mehdi El Herradi analysent avec un modèle VAR le
lien entre la politique monétaire et les inégalités de revenu. Ils estiment
qu’une politique monétaire restrictive tend à augmenter les inégalités de
revenu, l’effet étant surtout sensible pour les pays périphériques (Espagne,
Grèce, Italie, Portugal).

Économie bancaire

Ray
Barrell et Dilruba Karim analysent les déterminants des crises financières. Deux
variables jouent un rôle central : le déficit du solde courant et la
croissance des prix de l’immobilier ; deux variables jouent un rôle
stabilisateur : le capital des banques et leur liquidité. Par contre, le
rôle de la croissance du crédit bancaire n’est pas mis en évidence. Par
ailleurs, certaines crises demeurent inexpliquées. Les auteurs estiment que des
exigences en termes de ratio de capital sont le meilleur outil de politique
macroprudentielle, ainsi que le contrôle de la qualité du crédit, plutôt que de
sa quantité.

Hiona Balfoussia, Dellas et Papageorgiou analysent la relation entre le risque de défaut de l’Etat et le risque
de défaut des banques. La fragilité des finances publiques renforce, par le
canal du crédit, l’impact des chocs économiques. Cette fragilité peut être
évitée si les exigences de fonds propres des banques sont ajustées de façon
optimale. Appliquée à l’Union bancaire, l’analyse montre que les pays fragiles
peuvent avoir intérêt à l’union, tandis que les pays avec des finances
publiques en bonne santé peuvent en pâtir.

José
Carrasco-Gallego utilise un modèle DSGE pour comparer les propriétés
stabilisatrices de deux instruments de la politique macroprudentielle, le ratio
prêts/valeur (LTV) ou le ratio contracyclique de fonds propres (CCB). Il montre
que chacun de ces ratios peut amener, pour certains types de chocs à des
réactions inappropriées et que leurs indications peuvent être contradictoires.

Elizabeth Jane Casabianca et
al.
comparent deux méthodes pour prévoir les crises bancaires, soit un
modèle logit économétrique, soit un algorithme d’apprentissage machine. Il
apparait que les variables pertinentes sont le poids de la dette extérieure, le
ratio crédit/PIB, l’inflation, le taux américain à 10 ans. Une forte croissance
mondiale augmente le risque de crise bancaire. Le ratio dette publique/PIB n’a
pas de valeur prédictive. Pour les pays développés, l’algorithme prévoit 53
crises sur 128 et donne 40 fausses alertes sur 785 situations. En 2006, le
risque de crise dépassait 50 % pour 25 pays ; en 2017, il atteint 40 %
pour 9 pays (dont le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas et la Suisse).

Finance

Amat Adarov met en évidence des cycles financiers dans 20 pays européens de
1960 à 2015. Ces cycles se caractérisent par des périodes d’expansion où des déséquilibres
se constituent, suivis de contractions brutales. Ces cycles sont
particulièrement importants et synchronisés pour les pays du cœur de la zone
euro. Ils doivent être pris en compte pour analyser les cycles économiques et
la dynamique de la dette publique, mais aussi dans l’organisation de l’Union
bancaire, de l’Union des marchés de capitaux et dans les objectifs de la politique monétaire.

Robert Unger revient sur le lien entre croissance et
développement. Selon une analyse empirique basée sur 34 pays développés de 1995
à 2014, c’est l’endettement des ménages, plutôt que celui des entreprises, qui
joue un rôle crucial, favorisant d’abord la croissance, puis lui étant nuisible
au-delà d’un certain seuil. L’étude ne met pas en évidence de différence entre
le financement par crédit bancaire ou par les marchés financiers.

Politique
budgétaire

Beau Soederhuizen et al.
utilisent un modèle VAR pour évaluer le multiplicateur budgétaire selon l’état
du cycle financier. Le multiplicateur des dépenses d’investissement serait
négatif en période de hausse des tensions financières et positif, supérieur à
1, en période de décrue. En prenant en compte le cycle conjoncturel, il
apparait que ces effets sont amplifiés en période de récession et affaiblis en
période d’expansion. Le multiplicateur des dépenses de consommation serait plus
faible et dépendrait moins du cycle financier.

Pedro Gomes et Felix Wellschmied analysent le fonctionnement du
marché du travail des secteurs publics et privés aux États-Unis, Royaume-Uni,
France et Espagne. Les travailleurs font des choix différents d’emploi entre
les deux secteurs au cours du cycle de vie selon leur aversion pour le risque,
selon leur patrimoine et selon l’importance qu’ils attribuent à la sécurité de
l’emploi et au différentiel de pensions de retraite.

Harris Dellas et al. construisent
un modèle d’équilibre général calculable de l’économie grecque, qui incorpore
un secteur informel dont la taille varie selon les taux d’imposition et le
contrôle des flux financiers. Ils montrent que les politiques de restrictions
budgétaires se sont traduites par une augmentation de 50% du secteur informel,
de sorte que le PIB officiel a baissé de 26% (au lieu des 18% initialement envisagés),
mais qu’en fait la production n’a baissé que de 17%.

Salvador Barrios et al. proposent
d’analyser les mesures de politique fiscale en utilisant une base de données
sur les réformes de l’impôt sur le revenu. Celles-ci sont décrites finement dans
un modèle de microsimulation ; leur impact macroéconomique est évalué à
l’aide d’un modèle VAR dont les résultats sont incorporés dans un modèle
macroéconomique. Il apparait que les réductions de l’impôt sur le revenu ont
bien un effet positif sur la production et l’emploi, mais les hausses de
recettes publiques sont insuffisantes pour inverser l’impact négatif de la
baisse de l’impôt sur le solde public.

Sebastian Weiske et Mustafa Yeter comparent différents mécanismes
de transferts budgétaires entre Etats membres. Ceux-ci devraient permettre de
stabiliser les économies des pays membres, sans induire des transferts
permanents, sans induire d’accumulation de dette, sans encourager des
comportements d’hasard moral. Il faut réaliser un arbitrage délicat entre
stabilisation et accumulation de dettes. Les auteurs proposent d’instaurer un
plafond sur les transferts nets reçus (ou versés) par chaque pays.

Commerce et
solde extérieur

Kieran McQuinn et Petros Varthalitis
montrent que la croissance de l’économie irlandaise, d’abord portée par le
secteur exportateur, a été impulsée de 2004 à 2007 par une bulle immobilière. La
crise financière a permis de rééquilibrer l’économie en faveur du secteur
industriel. La reprise de l’économie irlandaise ne s’explique pas par des
réformes structurelles, mais par le développement des exportations.

Cian Allen analyse empiriquement, de 1995 à 2015, pour les pays du
G20, l’impact sur les fluctuations du solde courant des fluctuations du solde
public, du solde des ménages, des entreprises et du secteur financier. Il
montre que ce sont les fluctuations du solde public et du solde des entreprises
(plutôt que celles du solde des ménages) qui jouent un rôle crucial.

Pascal Jacquinot et al. analysent,
dans un modèle dynamique d’équilibre général, avec des frictions sur le marché
de travail, l’impact de mesures protectionnistes. Celles-ci nuisent à l’emploi
dans le pays qui les entreprend, comme dans le pays qui en est victime ;
les pays tiers peuvent bénéficier d’un léger effet positif. Par contre, des
mesures frappant un des pays de la zone euro ont des effets récessifs sur
l’ensemble de la zone.

John
Lewis et Matt Swannell utilisent un modèle de gravité pour analyser les flux
migratoires. Ils mettent en évidence l’impact des variables de distance, de
liens historiques, de langue commune, du nombre de migrants déjà installés,
mais aussi de variables macroéconomiques, comme la croissance anticipée tant
dans le pays d’origine (avec un impact négatif) que dans le pays destination
(avec un impact positif) et la flexibilité du marché du travail.

Tatiana
Cesaroni et al. expliquent l’évolution
des inégalités dans les pays européens en séparant les pays du cœur et ceux de
la périphérie. La hausse du chômage contribue à la hausse des inégalités dans
les deux zones. La croissance du PIB par tête réduit les inégalités dans les
pays du cœur, l’augmente dans les pays de la périphérie. L’intégration
commerciale et financière, la fiscalité réduisent les inégalités dans les pays
périphériques. Elles ont peu d’impact dans les pays du cœur. Les auteurs en
concluent que les politiques redistributives doivent être pensées au niveau
national.

Angelos
Angelopoulos et al. analysent
l’impact de la recherche de rentes sur l’activité économique et la croissance.
La recherche de rentes peut être un stimulant pour accumuler de la richesse et
pour se protéger des chocs de revenu ; cependant, elle détourne de
l’activité productive, elle immobilise des capitaux et finalement elle induit
une hausse des inégalités de revenu.

Tryfon Christou et al.
estiment que dans des pays où les institutions sont de mauvaise qualité, les
individus consacrent une partie de leur temps de travail à s’emparer de rentes.
En distinguant les pays selon la qualité de leurs institutions, ils concluent
que les pays qui ont des institutions de meilleure qualité ont moins souffert
de la crise et que celle-ci a entrainé une détérioration de la qualité de leurs
institutions.

Interventions :

Karl Wheelan (University College
Dublin) : The Euro at 20: Successes,
Problems, Progress and Threat
s.

Marek Dabrowski (CASE, Varsovie):
The Economic and Monetary Union: Past, present and future

Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (OFCE) :  Brexit: Why, how, and when?

Martina Lawless (ESRI) : Brexit and trade on the island of Ireland.

Christine Arriola, Caitlyn Carrico, David
Haugh, Nigel Pain, Elena Rusticelli, Donal Smith, Frank van Tongeren et
Ben Westmore (OCDE) : The potential macroeconomic and sectoral consequences of Brexit on
Ireland.

Adele Bergin (ESRI), Philip Economides
(ESRI), Abian Garcia-Rodriguez (ESRI et Trinity College) et Gavin Murphy
(Department of Finance, Ireland) : Ireland
and Brexit: Modelling the impact of deal and no-deal scenarios.

Rachel Slaymaker, Conor O’Toole, Kieran
McQuinn (ESRI) et Mike Fahy, (Trinity College Dublin): Policy normalisation and mortgage arrears in a recovering economy: The
case of the Irish residential market.

Roberto Pancrazi (Université de Warwick)
et Luca Zavalloni (Banque centrale d’Irlande) : Interest overhang: a rationale
for the existence of sovereign lending mechanisms.

Jérôme Creel (OFCE et ESCP Europe) et
Mehdi El Herradi (Université de Bordeaux-LAREFI) : Shocking aspects of monetary policy on income
inequality in the Euro Area.

Ray Barrell et Dilruba Karim (LSE et
Brunel University, Londres) : Bank
capital, excess credit and crisis incidence.

Hiona Balfoussia (Banque de Grèce), Harris
Dellas (Université de Berne et CEPR) et Dimitris
Papageorgiou (Banque de Grèce) : Fiscal distress and banking performance: The role of
macroprudential regulation
.

José A. Carrasco-Gallego (King Juan Carlos
University, Madrid) : Effectiveness of
new macrofinancial policies.

Elizabeth Jane Casabianca (Prometeia
Associazione et Université Polytechnique des Marches, Michele Catalano
(Prometeia Associazione), Lorenzo Forni (Prometeia Associazione et Université
de Padoue), Elena Giarda (Prometeia Associazione et Université de Modène et
d’Émilie) et Simone Passeri (Prometeia Associazione) : An early warning system for banking crises: From regression-based
analysis to machine learning techniques

Amat Adarov (Vienna
Institute for International Economic Studies) : Financial cycles in Europe: Dynamics, synchronicity and implications
for business cycles and macroeconomic imbalances.

Robert Unger (Deutsche Bundesbank) : Revisiting the finance and growth nexus – A
deeper look at sectors and instruments.

Beau Soederhuizen, Rutger Teulings et Rob
Luginbuhl (CPB) :  Estimating the impact of the financial cycle on fiscal policy.

Pedro Gomes (Birkbeck et University of
London) et Felix Wellschmied (University Carlos III Madrid) :  Public-sector
employment over the life

Harris Dellas (Université de Berne), Dimitris Malliaropulos
(Banque de Grèce et Université du Pirée), Dimitris Papageorgiou (Banque de
Grèce) et Evangelia Vourvachaki (Banque de Grèce) : Fiscal multipliers with an informal sector.

Salvador Barrios (Commission européenne, Centre Commun de
Recherche), Adriana Reut, (Commission européenne, DG ECFIN), Sara Riscado
(Commission européenne, Centre Commun de Recherche et Ministère des finances
portugais) et Wouter van der Wielen (Commission européenne, Centre Commun de
Recherche) :  Dynamic
scoring of tax reforms in real time

Sebastian Weiske et Mustafa Yeter (Conseil allemand des experts
économiques) : An evaluation of
different proposals for a European fiscal capacit.y

Kieran McQuinn
et Petros Varthalitis (ESRI et Trinity College Dublin) : How openness to
trade rescued the Irish economy.

Cian Allen (Trinity College Dublin) : Revisiting external imbalances: Insights
from sectoral accounts.

Pascal Jacquinot (Banque centrale européenne), Matija Losej
(Banque Centrale d’Irlande) et Massimiliano Pisani (Banque d’Italie) : Nobody wins: Protectionism and
(un)employment in a model-based analysis.

John Lewis et Matt Swannell (Banque
d’Angleterre): The macroeconomic determinants of migration.

Tatiana
Cesaroni (Ministère de l’économie et des finances italien, MEF-DT), Enrico
D’Elia (Ministère de l’économie et des finances italien, MEF-DF) et Roberta De
Santis (Istat et LUISS) : Inequality
in EMU: is there a core periphery dualism?

Angelos
Angelopoulos Angelos (Université d’Athènes d’Économie et de Gestion et
Université ouverte de Grèce), Konstantinos Angelopoulos (Université de Glasgow et CESifo),
Spyridon Lazarakis (Université de Glasgow), Apostolis Philippopoulos (Université d’Athènes d’Économie et de
Gestion et CESifo) : Rent seeking worsens economic outcomes and
increases wealth inequality.

Tryfon Christou (Université d’Athènes d’Économie et de Gestion),
Apostolis Philippopoulos, (Université d’Athènes d’Économie et de
Gestion et CESifo) et Vanghelis Vassilatos (Université d’Athènes
d’Économie et de Gestion) : Modeling
rent seeking activities: quality of institutions, macroeconomic
performance.


[1]
EUROFRAME est un
réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW Berlin et IfW Kiel
(Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande),
PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni).
Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important
pour les économies européennes. Cette année, 27 contributions de chercheurs ont
été présentées, dont la plupart sont disponibles sur la page web
du colloque.




L’origine financière de la blessure budgétaire de la zone euro

Par Alberto
Caruso, Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco

Nous constatons que la situation conjointe du déficit public et de la dette
publique des pays de la zone euro de 2008 à 2013, caractérisée par une dette
publique élevée et persistante malgré un assainissement budgétaire sévère
depuis 2009, ne peut pas être expliquée par l’effondrement sans précédent du
PIB, compte tenu des relations historiques entre les variables
macroéconomiques, fiscales et financières. Elle reflète plutôt les
caractéristiques spécifiques des années de crise et surtout l’importance et la
nature de l’aide publique au secteur financier.



L’un des ouvrages écrit juste après la crise financière de 2008 les plus cités s’intitule « Cette fois, c’est différent » (Rogoff et Reinhart, 2009) et documente les caractéristiques particulières des récessions associées aux crises financières dans le temps et d’un pays à l’autre. Dans Caruso, Reichlin et Ricco (2019), nous posons la question de savoir si la situation conjointe du déficit public et de la dette publique dans les pays de la zone euro a été « différente » au cours de la période 2008-2013, qui inclut à la fois la grande récession financière et la crise souveraine de la dette.

Les doubles crises de la zone euro, associées à la grande
récession mondiale et à la crise de la dette souveraine, ont laissé en héritage
des niveaux d’endettement sans précédent, tant au niveau national qu’agrégé. La
dette publique projetée pour l’ensemble de la zone euro en 2019 s’élève à 85,8%
du PIB, soit une baisse par rapport au sommet historique de 94,4% atteint en
2014, mais elle reste néanmoins supérieure d’environ 20 points au niveau
d’avant la crise de 2007. Cette dette publique anormale – élevée et persistante
– fut associée à un effort d’assainissement budgétaire sans précédent, qui a
entraîné une diminution rapide du déficit public à partir de la mi-2009.

Dans la figure 1, les graphiques indiquent les
trajectoires de la dette (quadrant gauche) et du ratio déficit/PIB pour trois
récessions de la zone euro commençant respectivement en 1980, 1991 et 2008.
Pour chaque épisode, les variables dette et déficit sont égales à 100 au début
de la récession. L’axe horizontal indique les trimestres après cette date.

Après chaque récession, le ratio déficit/PIB augmente en
raison de la baisse du PIB (le dénominateur), de la baisse des recettes
fiscales et de l’effet des stabilisateurs budgétaires sur les dépenses
publiques. La récession de 2008 est toutefois d’un autre ordre de grandeur :
en raison de la chute spectaculaire du PIB, le ratio déficit/PIB a augmenté au
cours des cinq premiers trimestres et a atteint un maximum au deuxième
trimestre de 2009 lorsque la consolidation a eu lieu.

Les raisons potentielles pour lesquelles la dette
publique n’a pas diminué plus rapidement sont nombreuses. Parmi ces raisons
l’ampleur inhabituelle du choc macroéconomique négatif initial qui a frappé la
zone euro, la réaction des impôts et des stabilisateurs automatiques qui, de
par leur conception, est plus forte dans une récession profonde, mais aussi,
potentiellement, la nature financière de la crise qui affecte les primes de
risque et les dépenses publiques en raison du sauvetage des institutions
financières défaillantes.

Dans Caruso, Reichlin et Ricco (2019), nous évaluons
l’importance quantitative de ces différentes explications potentielles. Nous
procédons à une analyse contrefactuelle basée sur un modèle de vecteur
autorégressif (VAR) pour la zone euro. Notre modèle intègre des variables
budgétaires détaillées – dépenses, impôts, transferts, investissement public et
paiements d’intérêts –, des indicateurs macroéconomiques et financiers, les prix
et taux d’intérêt à différentes échéances ainsi que des variables de dette
privée.

Notre proposition consiste à se demander ce qu’un
observateur qui aurait collecté des données sur les précédentes récessions dans
la zone euro et qui connaîtrait avec certitude la trajectoire de la production
et des prix au cours des crises jumelles de 2008 et 2012 aurait pu prédire pour
la dette et le déficit publics en particulier, et pour toutes les autres
variables incluses dans le modèle.

À cette fin, nous estimons le modèle pour la période
allant du premier trimestre de 1981 au premier trimestre de 2008 et calculons
les attentes fondées sur le modèle pour toutes les variables, en fonction de
l’évolution réelle de la production et des prix au deuxième trimestre de 2008
et du quatrième trimestre de 2008. Cet exercice peut être interprété comme un
test de l’affirmation « cette fois, c’est différent ». En effet, une
différence significative entre la trajectoire observée et la médiane de la trajectoire
simulée (anticipation conditionnelle) suggérerait que la baisse exceptionnelle
du PIB (et de l’inflation réalisée) ne peut à elle seule expliquer ce que nous
avons observé, compte tenu de la structure historique des récessions
conjoncturelles.

Pour nous concentrer sur les effets budgétaires de la
crise, nous calculons la dette publique sous forme de somme cumulée du déficit
public et la comparons à la dette publique réalisée, qui inclut également les
effets de valorisation et les éléments liés à l’intervention publique en faveur
du système financier, telles que les garanties publiques qui sont
comptabilisées en dette mais non en déficit (la somme cumulée de cette
composante pour la période 2008-2011 représente à peine plus de 6% du PIB –
voir tableau).

Nos résultats mettent en évidence les faits suivants :

  1. La hausse du ratio déficit/PIB observée en 2009-2010 à la suite de la crise est statistiquement significativement différente et supérieure à celle de la trajectoire contre-factuelle. Cependant, elle atteint des niveaux qui ne sont pas significativement différents de la trajectoire simulée d’ici la fin de 2010 grâce à un assainissement budgétaire exceptionnel. Cela indique que la dynamique anormale des déficits disparaît d’ici la fin de la période sous l’effet de l’effort budgétaire (voir le quadrant gauche de la figure 2).
  • L’augmentation initiale « anormale » du déficit
    est principalement due à l’action des stabilisateurs budgétaires au cours d’une
    profonde récession qui a entraîné une forte augmentation des dépenses et une
    forte réduction des impôts. La figure 3 montre l’écart budgétaire qui s’est
    ouvert dans les budgets des gouvernements. Notre analyse détaillée des
    composantes budgétaires montre que si l’agrégat budgétaire donne d’importantes
    réactions pendant la crise, celles-ci se situent généralement à la marge des
    régularités historiques, étant donné l’ampleur de la crise, même si l’effet
    cumulé est bien supérieur à la prévision conditionnelle. Il est intéressant de
    noter que la consolidation s’obtient par un aplatissement des dépenses,
    accompagné d’une augmentation des revenus selon la tendance historique,
    renversant ainsi l’effet des stabilisateurs automatiques sur le revenu.
  • Fait important, la dette observée est bien en dehors des intervalles
    projetés des régularités historiques. Inversement, la mesure de la dette publique
    obtenue en tant que somme du déficit est relativement élevée par rapport au
    scénario contrefactuel, mais revient dans les intervalles de régularités
    historiques vers la fin de la période (quadrant de gauche du graphique 2). Ce
    fait souligne le caractère financier unique de la crise. Le tableau 1 montre
    les écarts entre le déficit et l’évolution de la dette – ce qu’on appelle les
    ajustements des stocks – au cours des années de crise. Ces ajustements prennent
    en compte la plupart des mesures spéciales en faveur du système financier qui,
    selon les règles comptables, sont comptabilisées en dette mais non en déficit.
    La figure 4 présente à la fois le déficit et la première différence de dette publique,
    illustrant l’intérêt des variations exceptionnelles de la dette publique en
    2008 et en 2010.
  • En ce qui concerne les taux d’intérêt, nous constatons
    que les paiements de taux d’intérêt, bien qu’en dessous de la trajectoire
    contrefactuelle dans la première phase de la crise, dépassent la limite
    supérieure de la région de confiance à 90% depuis 2011, parallèlement à la
    crise souveraine dans la zone euro. Comme on peut le voir sur la figure 5, il
    est intéressant de noter que cela n’est pas dû à un taux d’intérêt moyen à long
    terme exceptionnellement élevé au cours de cette période, mais à un écart
    anormalement élevé entre le noyau et la périphérie, que nous prenons ici comme
    différence entre taux des obligations d’État allemandes et italiennes à dix
    ans.
  • D’autres résultats intéressants de notre analyse
    indiquent que la dynamique des variables macroéconomiques – telles que le
    chômage, la consommation et le compte courant – est généralement bien captée
    par les régularités historiques. L’effondrement important et persistant de
    l’investissement privé est une exception importante. Les résultats sur la
    consommation et l’investissement privé sont rapportés à la figure 6. Les autres
    résultats figurent dans l’article.

Pris ensemble, ces faits suggèrent que l’effort de
consolidation a été déséquilibré en raison d’importants transferts vers le
secteur financier. Toutefois, la consommation a relativement bien résisté,
tandis que l’investissement privé a été plus touché que lors des récessions
précédentes. Cela peut être un facteur important pour expliquer le changement
de tendance de la croissance après la crise.

Références

Caruso, A., Reichlin, L., &
Ricco, G., 2019, « Financial and Fiscal Interaction in the Euro Area Crisis:
This Time was Different », European
Economic Review
, volume 119, pages 333-355.

Reinhart, C. M., & Rogoff, K.
S., 2009, This Time is Different: Eight
Centuries of Financial Folly
, Princeton University press.




Fiscalité du patrimoine : un débat capital

par Sandrine Levasseur

La fiscalité du
patrimoine constitue un élément important de notre politique socio-fiscale.
Elle contribue de façon non négligeable au financement des dépenses publiques :
les revenus fiscaux sur la détention, les revenus et la transmission du
patrimoine représentent en France environ 70 milliards d’euros, soit
l’équivalent de 3,5 % du PIB ou de 7 % des recettes fiscales.

Pour autant, la
fiscalité du patrimoine n’a pas qu’une dimension économique et financière. Au
travers de sa transmission, le patrimoine a une forte composante familiale, ce
qui va le doter d’une valeur symbolique. La fiscalité du patrimoine a aussi une
forte composante sociétale car tous les individus ne sont pas en mesure
d’épargner alors que l’épargne est souvent un préalable à la constitution d’un
capital. De même, tous les individus n’héritent pas. D’où un patrimoine qui,
d’une part, est source d’inégalités entre les ménages et d’autre part, peut
être considéré comme n’ayant pas la même légitimité selon qu’il est reçu ou
acquis. Sujet sensible, très médiatisé, émotionnel même[1], la
fiscalité du patrimoine nécessite une approche pluridisciplinaire afin d’en
aborder ses différentes facettes et oblige très souvent à convoquer des
éléments de sociologie, d’histoire en plus de ceux de l’économie.



La fiscalité
n’est pas un objet consensuel. De façon assez récurrente dans l’histoire, des
mouvements émergent afin de contester certains aménagements de la politique fiscale[2]. Ne
serait-ce qu’au cours des dix dernières années, la politique fiscale a connu
plusieurs basculements au gré des alternances politiques mais aussi, certaines
fois, en cours de mandat présidentiel afin de mieux tenir compte des réalités
économiques et sociales. Ainsi, afin de permettre de nouvelles recettes
budgétaires, la fiscalité sur le capital a-t-elle été augmentée à partir de
2010 sous la présidence Sarkozy tandis que le principe de taxation équivalente
des revenus du capital et du travail a été consacré sous la présidence
Hollande. Sous la présidence Macron, plusieurs chantiers liés à la fiscalité
ont été ouverts ; certains ont déjà été achevés tels que la mise en place d’une
flat tax sur les revenus du capital
et le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt
sur la fortune immobilière (IFI). La suppression de la taxe d’habitation, à
l’horizon de 2023, devrait conduire
à une réflexion sur une réforme de la taxe foncière dans les prochaines années.

Le numéro
161 de La Revue de l’OFCE

est consacré à la fiscalité du patrimoine[3]. Son
objectif est de fournir des éléments de réflexion que citoyens, politiques et
chercheurs pourront s’approprier de façon à éclairer et nourrir le débat sur la
fiscalité en général, et celle du patrimoine en particulier. Il s’inscrit en
complément d’un numéro de La Revue de l’OFCE paru en 2015 et dédié à
la « Fiscalité des ménages etdes
entreprises »[4].

Ce nouvel opus
est articulé autour de sept questions auxquelles sept articles apportent des
éléments de réponse, sinon de réflexion :

1. Où en est-on du
consentement à l’impôt en France ?

2. Quelles sont les
caractéristiques des inégalités patrimoniales ?

3. Comment a évolué
la fiscalisation des différents types d’actifs depuis 2018 ?

4. Comment ont
évolué les transmissions patrimoniales et leur fiscalisation dans le temps long
?

5. Faut-il
individualiser le patrimoine des ménages ?

6. Comment rénover
la fiscalité foncière ?

7. Comment financer
nos économies vieillissantes ?

Les auteurs (et experts reconnus dans
leur champ de recherche et discipline) des articles publiés dans ce numéro sont :
Céline Antonin, Luc Arrondel, Guillaume
Bérard, Kevin Bernard, Jérôme Coffinet, Clément Dherbécourt, Nicolas Frémeaux,
Marion Leturcq, André Masson, Alexis Spire, Vincent Touzé et Alain Trannoy.

La présentation
générale
, par Sandrine Levasseur, introduit et synthétise les sept
articles contenus de ce nouveau numéro de La Revue de
l’OFCE
.


[1]
L’héritage de
Johnny Halliday est très emblématique de l’émotion que suscitent les questions
d’héritage au sein des familles.

[2] Signalons, sans exhaustivité, trois mouvements
observés en France depuis le début de la décennie : ceux des « pigeons » et des
« bonnets rouges » en 2013 et, plus récemment, celui des « gilets
jaunes ».

[3] Ce numéro de La Revue de l’OFCE est constitué en partie de contributions ayant
été présentées lors de deux journées d’études, organisées conjointement avec
France Stratégie, en juin et décembre 2017 sur le thème « Fiscalité &
Patrimoine ».

[4] Revue de
l’OFCE n° 139 (2015),
numéro coordonné par Henri
Sterdyniak et Vincent Touzé.




Les effets redistributifs de la politique monétaire de la BCE

par Jérôme Creel et Mehdi El Herradi

À quelques semaines de la présidence de la Banque centrale européenne
(BCE) par Christine Lagarde, il peut être utile de s’interroger sur le bilan de
ses prédécesseurs, non pas seulement sur les questions macroéconomiques et
financières mais aussi sur les inégalités. Depuis quelques années en effet, la
problématique des effets redistributifs des politiques monétaires occupe un
espace important, autant sur le plan académique qu’au niveau des discussions de
politique économique.



L’intérêt pour ce sujet s’est développé
dans un contexte marqué par la conjonction de deux facteurs. D’abord, un niveau persistant
des inégalités de revenus et de patrimoine
qui peinent à se
résorber. Ensuite, l’action volontariste des banques centrales dans les
économies avancées après la crise de 2008 pour soutenir la croissance,
notamment à travers la mise en place de mesures dites « non-conventionnelles »[1].
Ces dernières, qui se manifestent principalement par des programmes de Quantitative Easing, sont soupçonnées
d’avoir augmenté les prix des actifs financiers et, de ce fait, favorisé les
ménages les plus aisés. En parallèle, la politique des taux bas se traduirait
par une réduction des revenus d’intérêt sur les actifs à rendement fixe,
détenus en majorité par les ménages à faible revenu. À l’inverse, les effets réels de la politique monétaire,
notamment sur l’évolution du taux de chômage, pourrait favoriser le maintien en
emploi des ménages à faible revenu. Ce débat qui a initialement fait irruption
aux États-Unis, s’est aussitôt invité au niveau de la zone
euro
, après que la BCE ait entamé son programme de QE.

Dans une étude
récente
, en se focalisant sur 10 pays de la zone euro entre 2000 et
2015, nous avons analysé l’impact des mesures de politique monétaire de la BCE –
à la fois conventionnelles et non-conventionnelles – sur les inégalités de
revenus. Pour cela, nous avons mobilisé trois indicateurs clés : le coefficient
de Gini avant et après redistribution ainsi qu’un rapport interdécile (le ratio
entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres).

Trois résultats principaux ressortent
de notre étude. D’une part, une politique monétaire restrictive produit un
impact modeste sur les inégalités de revenus, peu importe l’indicateur d’inégalité
retenu. D’autre part, cet effet est principalement tiré par les pays de l’Europe
du sud, particulièrement en période de politique monétaire conventionnelle.
Enfin, nous constatons que les effets redistributifs des politiques monétaires
conventionnelles et non-conventionnelles ne sont pas significativement
différents.

Ces résultats suggèrent donc que les
politiques monétaires menées par la BCE depuis la crise ont eu probablement un
impact insignifiant, voire éventuellement favorable sur les inégalités de
revenus. La normalisation à venir de la politique monétaire de la zone euro
pourrait au contraire augmenter les inégalités. Bien que cette augmentation
puisse être limitée, il est important que les décideurs l’anticipent.


[1]
Pour une analyse des effets attendus des politiques non conventionnelles de la
BCE, voir Blot et al. (2015).