Entrée des jeunes dans la vie active : quelles évolutions de leurs trajectoires professionnelles ces vingt dernières années ?

Par Xavier Joutard

Les premières années de vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les trajectoires professionnelles des jeunes sortant pour la première fois du système éducatif.



Cela peut concerner la « Génération
de 2010 », c’est-à-dire les jeunes sortis du système de formation en 2010.
Ces jeunes sont entrés sur un marché du travail ayant subi la Grande récession
de 2008. Moins de 3 ans après, ils ont été confrontés à une nouvelle crise, celle
des dettes souveraines européennes, et ont ensuite continué à évoluer sur un
marché du travail très dégradé.

De plus, cette génération, davantage
diplômée que les précédentes, se retrouve au cœur de transformations plus
structurelles du marché du travail : évolution des pratiques de recrutement
avec l’explosion des embauches sur contrats courts, nouvelles vagues
d’innovations technologiques liées à la numérisation et l’intelligence
artificielle, tertiarisation croissante des activités économiques, etc. 

Par rapport aux jeunes de la
« génération de 1998 », ayant eu la chance de s’insérer dans une
conjoncture plus favorable, quels résultats peut-on mettre en avant en
comparant leurs trajectoires professionnelles, au cours de leurs premières
années sur le marché du travail ? Peut-on observer des différences selon
le genre et les niveaux de formation ?

Un accès à l’emploi à durée
indéterminée plus tardif et moins fréquent pour les jeunes hommes les moins
diplômés de 2010

À l’aide des enquêtes Génération du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), on a reconstitué et comparé les trajectoires d’insertion de jeunes sur leurs 7 premières années d’activité : ces enquêtes permettent en effet de suivre des jeunes d’une même génération, sortant de formation initiale la même année et interrogés à 3 reprises, (3, 5 et 7 ans après leur sortie).  L’insertion des jeunes sortant du système éducatif sur le marché du travail s’est dégradée en vingt ans. Particulièrement pour les jeunes hommes sortant de formation initiale sans diplôme ou avec un seul diplôme du secondaire. Sept ans après leur entrée sur le marché du travail, seule une minorité des jeunes les moins qualifiés – disposant au mieux du baccalauréat – de la génération 2010 ont un emploi à durée indéterminée à temps complet (47 %, soit 20 points de moins qu’il y a 12 ans, cf. aires bleues des graphiques 1). Et le délai d’accession à un tel emploi s’est fortement rallongé :  il faut près de 5 ans en moyenne pour obtenir un premier CDI à temps complet pour un jeune homme peu ou non qualifié entré sur le marché du travail en 2010. Pour génération 1998, ce délai était de 2 à 3 ans (32 mois, cf. tableau I-1).

Une moindre dégradation de l’insertion des jeunes les plus qualifiés sur le marché du travail

Les jeunes plus qualifiés ayant
obtenu un diplôme du supérieur semblent moins impactés par des conditions
économiques dégradées en début de carrière : les taux d’insertion dans
l’emploi stable – CDI à temps partiel et complet – à horizon de 7 ans restent
toujours élevés pour les sortants de la génération 2010 : 77 % pour
les jeunes hommes et 71 % pour les jeunes femmes (cf. graphiques 3-B et
4-B). En revanche, ils mettent davantage de temps pour accéder au premier
emploi à durée indéterminée : 8 à 10 mois en moyenne de plus que la
génération 1998 (cf. tableau I-2). De plus, ils traversent plus souvent une
période de précarité, qui se traduit par un passage plus fréquent par un
contrat à durée déterminée au cours des 7 premières années de vie active :
68% (56%) des jeunes femmes (hommes) sont passées au moins une fois par un CDD
entre 2010 et 2017, soit une progression de 4 points par rapport à la
génération de 1998.

 Des analyses du Céreq ont également montré que les perspectives d’évolution de carrière et de salaire ont été dégradées pour les jeunes les plus qualifiés : plus grande difficulté à accéder au statut de cadre (Epiphane et al., 2019), progression des taux de déclassement professionnel (Di Paola et Moullet, 2018) et moindre « rentabilité » de leur diplôme avec des salaires inférieurs (Barret et Dupray, 2019).

Des trajectoires professionnelles devenues très proches entre les hommes et les femmes les moins qualifiés

Les trajectoires d’insertion s’étant
fortement dégradées pour les jeunes hommes les moins qualifiés, elles se sont
par conséquent très nettement rapprochées de celles des jeunes femmes les moins
qualifiées. Elles sont même aujourd’hui quasi-identiques selon le genre (cf.
graphiques 1-B et 2-B), alors que les jeunes femmes de la génération 1998
subissaient un taux d’emploi en CDI plus de 20 points inférieurs à celui de
leurs homologues masculins. Une différence subsiste toutefois entre les
genres : la part des CDI à temps partiels chez les jeunes femmes peu ou
non qualifiées (« aire jaune » dans les graphiques) reste largement
supérieure à celle des jeunes hommes.

En revanche, parmi les jeunes
diplômés les plus qualifiés, les écarts hommes-femmes restent marqués. 75 % des
jeunes hommes bénéficient de CDI à temps plein, après 7 ans d’expérience sur le
marché, contre 60 % des jeunes femmes, soit 15 points de plus. De plus, les
durées d’accès à un premier emploi de ce type sont plus longues de 8 mois pour
les jeunes femmes.

Références complémentaires :

Altonji J. G., Kahn L. B. et J. D.
Speer, 2016, « Cashier or Consultant? Entry Labor Market Conditions, Field of Study, and Career
Success », Journal of Labor Economics, 34(1), pp. 361-401.

Barret C.  et A. Dupray, 2019, « Que gagne-t-on à
se former ? Zoom sur 20 ans d’évolution des salaires en début de vie active », Céreq
Bref,
n° 372.

Couprie H. et X. Joutard, 2017,
« La place des emplois atypiques dans les trajectoires d’entrée dans la
vie active : évolutions depuis une décennie », Revue Française
d’Economie
, volume XXXII, pp. 59-93.

Couprie H. et X. Joutard, 2020, « Atypical
Employment and Prospects of Young Men and Women on the Labor Market in a Crisis
Context », mimeo.

Di Paola, V. et S. Moullet, 2018,
« Le déclassement, un phénomène enraciné »   dans « 20 ans d’insertion professionnelle
des jeunes, entre permanences et évolutions
 » coordonné par T.
Couppié, A. Dupray, D. Epiphane et V. Mora, Céreq Essentiels.  

Epiphane D., Mazari Z., Olaria M.
et E. Sulzer, 2019, « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une
génération plus diplômée », Céreq Bref, n° 382.




L’emploi des femmes seniores : une grande vulnérabilité

par Françoise Milewski

Maintenir les senior.e.s en emploi est un objectif des politiques
publiques, en particulier dans le cadre des réformes des retraites. Pour éclairer
ce débat sur la prolongation de l’activité, il est nécessaire d’analyser les
évolutions passées et la situation actuelle de l’activité et de l’emploi des
senior.e.s. L’accent sera mis sur les évolutions respectives de l’insertion sur
le marché du travail des femmes et des hommes. Il apparaît que l’emploi des femmes seniores se
caractérise par une plus grande vulnérabilité, comparé à celui des hommes
seniors et comparé à celui de leurs cadettes. Les critères de l’âge et du sexe
se cumulent pour fragiliser le maintien ou l’accès à l’emploi et constituent
des freins spécifiques[1].



La hausse du taux
d’activité des senior.e.s, en longue période, provient essentiellement de celle
du taux d’activité des femmes

La
hausse du taux d’activité[2]
des senior.e.s depuis 1975 résulte d’évolutions différenciées entre les femmes
et les hommes. Le taux d’activité des hommes de 50 à 64 ans avait
significativement reculé entre 1981 et 1995, sous l’effet de l’abaissement de
l’âge de la retraite et du développement des préretraites. Il s’est accru
ensuite, du fait de l’allongement des durées de cotisations nécessaires à la
cessation d’activité et de la baisse du nombre des préretraites. Mais en 2018,
le taux d’activité des hommes seniors est encore inférieur de 6.8 points à
celui de 1975. Le taux d’activité des femmes, à l’inverse, a stagné jusqu’au
milieu des années 1990, puis s’est fortement accru, beaucoup plus vite que
celui des hommes. En 2018, le taux d’activité des femmes seniores est supérieur
de 22.3 points à celui de 1975 (graphique 1).

Aux
raisons générales et communes concernant les réformes des retraites, s’ajoutent
des facteurs spécifiques : l’effet de l’insertion croissante des femmes
des générations de l’après-guerre sur le marché du travail, la multiplication
des séparations conjugales, qui rend l’emploi primordial, et la nécessité pour
les femmes, en moyenne, de prolonger leur carrière davantage que les hommes
pour bénéficier du taux plein de leur retraite.

La
vision d’une augmentation générale des taux d’activité des senior.e.s est donc
fragmentaire car elle néglige les évolutions différenciées selon le sexe, à
savoir des tendances divergentes du milieu des années 1970 au milieu des années
1990, puis une hausse commune mais à des rythmes différents. S’il en était encore
besoin, cela montre à nouveau qu’une analyse non sexuée du marché du travail
peut conduire à des conclusions partielles, voire fausses.

Du
fait de ces évolutions, les écarts de taux d’activité entre les femmes et les
hommes se sont très fortement réduits. En 2018, le taux d’activité des seniores
de 50 à 64 ans est inférieur de 6.2 points à celui des seniors (contre 35.3
points en 1975 et 16.6 points en 1993). L’écart est plus faible que ceux des
autres tranches d’âge et il s’amenuise avec l’âge : il est encore de 8.8
points entre 50 et 54 ans, de 7.3 points de 55 à 59 ans, mais n’est que de
0.5 point de 60 à 64 ans. Au-delà de 65 ans, il reste faible (-2.5 points
de 65 à 69 ans et -0.9 point après 70 ans, mais avec des niveaux bas de taux
d’activité).

Un chômage moindre
chez les senior.e.s que chez les jeunes, mais davantage de longue durée

Le
chômage des senior.e.s, femmes et hommes, est inférieur à celui des autres
classes d’âge. On peut expliquer ces caractéristiques du chômage des senior.e.s
(moindre niveau et moindres fluctuations) par des retraits du marché du
travail, induits par les politiques publiques passées (dispenses de recherches
d’emploi…) ou les pratiques antérieures des entreprises (préretraites…), et par
le découragement de la recherche d’emploi, passé un certain âge. En 2018, la
différence entre les 25-49 ans et les 50-64 ans est de 1.4 point pour les
hommes et 2.4 points pour les femmes.

Le
taux de chômage des seniores (6.5 % en 2018) est du même ordre de grandeur
que celui des seniors (6.7%). Durant les deux dernières décennies, pour les
femmes seniores, c’est le taux de chômage des 60-64 ans qui a le plus augmenté.
Les catégories moins âgées avaient subi des hausses plus précoces : on lit
dans ces évolutions, entre autre, les effets des réformes successives des
retraites.

Mais
le chômage des senior.e.s est de plus longue durée. La part du chômage de
longue durée (plus d’un an) et de très longue durée (plus de deux ans) atteint
respectivement 54.3 et 34.1 % chez les seniores, contre 61.2 et 41.2 %
chez les seniors. Ces parts sont bien plus élevées que celles des catégories
plus jeunes. Cela traduit la grande difficulté de retrouver un emploi, passé un
certain âge. Les senior.e.s sont donc moins souvent au chômage que les autres
classes d’âge, mais ils et elles y demeurent plus longtemps.

En
outre, les femmes seniores sont surreprésentées dans les demandes d’emploi en
activité réduite[3].

Les seniores qui
ont un emploi partiel et qui s’inscrivent à Pôle emploi pour travailler
davantage sont nettement plus nombreuses que les seniors dans cette situation.
L’écart n’a cessé de s’amplifier. Les demandes d’emploi des seniores en
activité réduite représentent 60.8 % du total à la fin de 2018. La
surreprésentation des femmes dans les demandes d’emploi en activité réduite
n’est pas spécifique à cette tranche d’âge, mais elle est amplifiée. Les femmes
finissent, plus souvent que les hommes, par retrouver et/ou accepter un
travail, mais celui-ci ne correspond pas à leurs attentes.

Le cumul
emploi-chômage : des hommes jeunes sur des contrats très courts et des
femmes âgées sur des contrats plus longs

Parmi
les personnes qui cumulent emploi et chômage[4]
sur des contrats de moins d’un mois, on trouve une majorité d’hommes et le
profil des âges pour les hommes et les femmes est similaire : un nombre
élevé de personnes en début de vie active, puis un recul et une légère
remontée. En revanche, parmi les cumulant.e.s sur des contrats de plus d’un
mois, où les femmes sont majoritaires, le nombre d’hommes diminue avec l’âge
mais le nombre de femmes augmente. Elles ont certes davantage de contrats de
plus d’un mois que les hommes, mais elles sont de plus en plus nombreuses avec
l’âge à cumuler chômage et emploi[5].
Cela traduit la plus grande vulnérabilité des seniores sur le marché du travail.

Parmi les
salarié.e.s en multi-employeurs qui, perdant un de leurs emplois, peuvent
bénéficier d’une indemnisation chômage leur permettant la poursuite de leurs
autres emplois, 80 % sont des femmes et près de la moitié a plus de 50
ans. Les métiers recherchés par ces allocataires sont le plus souvent dans les
secteurs de l’assistance aux enfants, des services domestiques, du nettoyage
des locaux, de l’assistance auprès d’adultes.

Des emplois moins
qualifiés

Lorsque les
femmes seniores ont un emploi, celui-ci est davantage concentré dans le
tertiaire et moins qualifié. Un niveau de formation initiale moins élevé en
moyenne, une moindre valorisation des diplômes et une reconnaissance des
qualifications et compétences plus difficile à obtenir les pénalisent. La
répartition socio-professionnelle reflète les qualifications acquises lors des
décennies précédentes. Mais il apparaît que la qualification s’accroît avec
l’âge pour les hommes, alors que ce n’est pas le cas pour les femmes. Les
hommes progressent dans la carrière et obtiennent des postes de plus en plus qualifiés
(ils sont plus souvent cadres et moins souvent non qualifiés après 50 ans
qu’avant), ce qui compense le moindre niveau de formation initiale des
générations anciennes. A l’inverse, les femmes de plus de 50 ans ont des postes
moins qualifiés que leurs cadettes (graphique 2).

Le moindre niveau
de formation initiale des seniores pèse donc davantage car le déroulement de
carrière est plus discriminant. Lorsqu’elles se sont interrompues ou qu’elles
ont perdu leur emploi, elles peinent à retrouver du travail et acceptent plus
souvent un poste moins qualifié, faute de mieux. Celles qui n’ont pas connu
d’interruption ont également un parcours moins favorable que les hommes. L’élévation
du niveau de formation des jeunes femmes ne suffira donc pas, à lui seul, à
surmonter les inégalités entre seniores et seniors, compte tenu des freins et
des discriminations qui s’exercent.

Des emplois de
moindre qualité…

La
part des contrats temporaires dans l’emploi des femmes seniores est plus élevée
que celle des hommes. Elle reste cependant inférieure à celle des autres
classes d’âge, tant pour les hommes que pour les femmes. Mais l’instabilité de
l’emploi s’est amplifiée dans la période récente et les femmes sont les plus
concernées.

Les
senior.e.s sont plus souvent à temps partiel que les autres actifs occupés et
les différences entre les hommes et les femmes sont importantes. L’emploi à
temps partiel des senior.e.s représente 21.7 % de l’emploi, contre 16.5 %
pour les salarié.e.s de 25 à 49 ans en 2018. Pour les seniores, la part est de
32.8 % (26.8 % pour les femmes de 25 à 49 ans) et pour les seniors
elle est de 10.9 % (6.0 % pour les hommes de 25 à 49 ans).

Les
évolutions dans le temps ont été nettement différenciées. Pour les femmes de
plus de 50 ans, la progression du temps partiel s’est amorcée dès le début des
années 1980 et fut régulière, alors que celle des 25-49 ans s’est accélérée
dans les années 1990 sous l’effet des politiques publiques. L’écart, de presque
10 points au milieu des années 1970, avait presque disparu 30 ans plus tard.
Mais dans la dernière décennie, ce sont des évolutions divergentes qui se
manifestent : le temps partiel progresse parmi les femmes seniores, mais
recule parmi les femmes de 25 à 49 ans, recréant un écart de 6 points.

Les temps partiels des hommes seniors, longtemps cantonné à
7-8 % de leur emploi, atteint désormais 10.9 %, car il a connu une
hausse similaire à celle des femmes depuis la deuxième moitié des années 2000,
témoin de la dégradation générale du marché de l’emploi pour les plus âgé.e.s.
L’écart avec les femmes seniores est de 21.9 points en 2018, proche de la
moyenne de longue période.

L’allongement de
la vie active reproduit donc les caractéristiques des emplois, en les
exacerbant. Le travail à temps partiel progresse avec l’âge et les faibles
quotités tiennent une place de plus en plus importante. Au-delà de 60 ans, le
temps partiel atteint 45.2% de l’emploi des femmes. 16.5 % des femmes de
plus de 60 ans en emploi exercent des emplois de moins de 15 heures, qui
représentent 36.6 % des emplois à temps partiel de cette tranche d’âge. La
diffusion du temps partiel au fil de l’âge vaut même si l’on ne prend en compte
que les personnes actives qui ne cumulent pas leur activité avec une retraite. Le
sous-emploi (essentiellement dû au temps partiel) s’est développé davantage
parmi les femmes seniores que parmi les hommes seniors.

Il n’apparaît
donc pas nettement de comportement de réduction volontaire du temps de travail avant
la retraite, ni de convergence entre les femmes et les hommes senior.e.s. Au
contraire, la montée du sous-emploi chez les femmes de plus de 50 ans participe
au diagnostic d’une plus grande fragilité de l’emploi.

… et moins bien
rémunérés

Les écarts des
salaires moyens entre les femmes et les hommes croissent avec l’âge.
L’inégalité est accrue si l’on raisonne en équivalent-temps-plein. Aux
fondements généraux des inégalités entre les femmes et les hommes s’ajoutent
donc des discriminations spécifiques à l’encontre des seniores. Quel que soit
le niveau de diplôme, les inégalités se forment dès l’entrée dans la vie active
et s’amplifient avec l’âge. Pour les salarié.e.s à temps complet, la
progression est beaucoup plus marquée chez les hommes, en particulier pour les
plus diplômés, alors que pour les femmes, les carrières sont plus plates,
qu’elles soient diplômées ou non, sans progression au fil des générations.

Des ruptures de
parcours avant la retraite

Les trajectoires
en fin de carrière témoignent de la fréquence des ruptures de parcours. Une
proportion significative des seniores passe par des périodes de chômage ou
d’inactivité entre leur sortie définitive du marché du travail et leur départ à
la retraite. La part des femmes ayant quitté le marché du travail avant 50 ans
ou bien n’ayant jamais travaillé est plus élevée que la part des hommes et cet
écart s’accroît avec l’âge. En outre, plus de la moitié des femmes prennent
leur retraite en ayant connu des années de non emploi dans les années qui
précèdent, et elles subissent davantage de changements de statuts que les
hommes.

Questions pour
l’avenir

Dans les analyses
des inégalités entre les femmes et les hommes en général, il est usuel de
commenter la situation des femmes comme étant « dans, en marge et hors du
marché du travail ». On en attribue l’origine, en partie, aux difficultés
d’articulation entre les tâches professionnelles et parentales. Il est frappant
de constater que cela vaut aussi pour les plus de 50 ans. Il faut donc bien
chercher ailleurs le fondement des inégalités : dans l’évolution des
structures de l’emploi et dans les discriminations spécifiques que subissent
les femmes quel que soit leur âge. Sous couvert de moindre disponibilité
lorsqu’elles sont jeunes et qu’elles ont des enfants en bas âge, sous couvert
d’autres formes de discriminations lorsqu’elles vieillissent et qu’elles
subissent des freins spécifiques.

Pour l’avenir,
plusieurs questions peuvent être posées, au regard des tendances passées. Se
pose d’abord la question du partage entre l’emploi et le non-emploi. La hausse,
voulue et favorisée, des taux d’activité se traduira-t-elle par une
augmentation de l’emploi ou bien par celle du chômage ? Ou bien par une
instabilité des parcours et des allers-retours multiples entre emploi et
non-emploi, que celui-ci prenne la forme de l’inactivité, du chômage ou du
sous-emploi ?

Les difficultés à
rester en emploi sont multiples. En cas de chômage, le risque d’y demeurer
longtemps est accru car les seniores subissent des freins spécifiques pour
retrouver un emploi. Le secteur tertiaire, en particulier les services à la
personne et les métiers sanitaires et sociaux, offre et continuera d’offrir un
débouché croissant aux femmes seniores. Qu’elles soient en recherche d’emploi à
la suite d’une perte d’emploi, que la crise économique ou les réformes des
retraites aient retardé l’acquisition des droits nécessaires pour bénéficier
d’une retraite à taux plein lorsqu’elles ont une carrière incomplète, qu’elles
soient demandeuses d’emploi en activité réduite et souhaitent travailler
davantage, qu’elles aient besoin de cumuler retraite et emploi du fait de leur
faible niveau de pension. Mais cela risque d’accroître encore plus la dualité
du travail entre femmes et hommes et entre les femmes.

La question se
pose aussi de l’ampleur que prendra le temps partiel. La hausse de l’activité
des femmes s’est faite avec une progression du temps partiel. Si l’on considère
que le temps partiel a permis aux mères de s’insérer dans l’emploi et qu’il
s’est substitué à l’inactivité, alors une inflexion devrait se produire (une
fois que les enfants ont grandi) ; mais ce n’est pas ce que laissent
prévoir les évolutions passées. Si, en revanche, le développement du temps
partiel tient essentiellement à la tertiarisation de l’économie et à la demande
de travail (part élevée du temps partiel dans les services, dont les métiers
sont majoritairement pourvus par les femmes), alors l’emploi des femmes
seniores restera durablement marqué par le temps partiel.

Les difficultés
d’insertion et de réinsertion après une perte d’emploi s’ajoutent à cette
caractéristique structurelle. De plus, le report de l’âge de départ en retraite
renforce la tendance, puisque le temps partiel s’amplifie aux âges avancés.
L’emploi des femmes seniores serait alors de plus en plus à temps partiel. Seul
pourrait jouer en sens contraire le fait que le niveau de diplôme des jeunes
femmes s’élevant, elles seraient progressivement moins concentrées sur les
emplois peu qualifiés du tertiaire, les plus pourvoyeurs de temps partiel. A
condition que les stéréotypes et les discriminations s’atténuent.

La question se
pose aussi de la reconnaissance des qualifications et des déroulements de
carrière. Les conditions d’emploi des seniores seront encore durablement
déterminées par les caractéristiques des générations de femmes moins formées
que les hommes et/ou formées dans des filières moins valorisées. Certes cette
situation changera à long terme. Mais cela suppose que la qualification acquise
soit reconnue sans discriminations et que les carrières des femmes progressent
à l’égal des hommes. Or jusqu’à présent, en moyenne, la qualification s’accroît
avec l’âge seulement pour les hommes.

La question de la
qualité de l’emploi est donc primordiale. La polarisation du marché du travail
concerne les femmes comme les hommes. Mais les femmes sont les plus touchées.
La ségrégation professionnelle les pénalise : emplois peu qualifiés,
souvent à temps partiel et à faibles salaires. Les femmes seniores sont cependant
hétérogènes. Les femmes cadres sont certes discriminées dans leurs carrières,
si bien que lorsque lorsqu’elles sont seniores elles n’exercent pas les mêmes
emplois que leurs collègues masculins. Mais elles ont des parcours le plus
souvent stables et parviennent à l’âge de la retraite sans ruptures majeures. A
l’opposé, la précarisation des femmes à l’origine peu formées les enferme dans
le sous-emploi au fil de l’âge : la ségrégation professionnelle est
renforcée et les ruptures de trajectoires plus nombreuses en fin de carrière.

Pour les femmes
seniores précaires en sous-emploi durable, l’évolution spontanée du marché du
travail (structures sectorielles, normes d’emploi…) ne permet pas d’anticiper
une amélioration de la situation. C’est donc d’une part du côté de la
sécurisation générale des parcours des emplois précaires, d’autre part de la
levée des freins qui s’exercent sur les femmes seniores et de façon plus
générale du combat contre les inégalités entre les femmes et les hommes tout au
long de la carrière que se situent les perspectives d’amélioration.


[1] Ce texte résume et actualise la première partie de
l’étude « Les femmes seniores dans l’emploi : état des lieux »,
CSEPFH (Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes), juin 2019. https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2019/07/CSEP-RAPPORT-FEMMES-SENIORS-EMPLOI-1.pdf

[2] Le taux d’activité est
le  rapport entre le nombre d’actifs en
emploi (actifs occupés) ou au chômage et l’ensemble de la population
correspondante.

[3] Les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle
emploi sont tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi. Ils sont
classés en catégories, dont : catégorie A : sans emploi au cours du
mois ;  catégorie B : ayant exercé
une activité réduite courte (78 heures ou moins) au cours du mois ;
catégorie C : ayant exercé une activité réduite longue (plus de 78 heures) au
cours du mois.

[4]
Si un
chômeur ou une chômeuse est inscrit.e à Pôle emploi et travaille en activité
réduite, il ou elle peut, sous certaines conditions, percevoir une partie de
ses allocations chômage en plus du salaire de son activité.

[5]
UNEDIC – L’Assurance Chômage, dossier de
référence à la négociation, novembre 2018,

https://www.unedic.org/publications/dossier-de-reference-de-la-negociation-ouverte-en-novembre-2018
https://www.unedic.org/publications/dossier-de-reference-de-la-negociation-ouverte-en-novembre-2018



Brexit : les négociations (re)commencent

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni
quittera donc l’Union européenne, 9 mois après la date du 31 mars 2019
initialement prévue, ce qui ne laisse que 11 mois pour aboutir à l’accord qui
devrait intervenir le 31 décembre prochain pour fixer les relations futures
entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Toutefois, cette période de
transition pourra être prolongée si les deux parties le décident conjointement,
avant le 1er juillet, et ce pour une période d’un à deux ans. Il
n’est pas totalement exclu que les négociations n’aboutissent pas d’ici la fin
de l’année ce qui pourrait conduire à un Brexit sans accord. Jusqu’au 31
décembre (et au-delà selon l’évolution des négociations), le Royaume-Uni restera
dans le marché unique et l’union douanière.



Les deux parties doivent en février
définir leurs lignes de négociations. Les négociations seront délicates. Le
Royaume-Uni doit choisir entre trois positions. Le soft Brexit supposerait que le Royaume-Uni se donne comme objectif
premier de maintenir ses liens avec l’UE27 ; le Royaume-Uni maintiendrait
les règlements qu’il appliquait en tant que membre de l’UE et les ferait évoluer
comme ceux de l’UE. Dans ces conditions, le commerce de marchandises et de
services entre le Royaume-Uni et l’UE27 ne connaitrait pas de barrières.
Cependant, le Royaume-Uni n’aurait gagné aucune des libertés souhaitées par les
partisans du Brexit en termes d’autonomie de sa réglementation ; il
devrait s’aligner sur des règlements sur lesquels il n’aurait pas son mot à
dire. Le Brexit n’aurait apporté qu’une certaine autonomie politique et le droit
de limiter l’immigration des européens.

Dans un scénario de hard Brexit, le Royaume-Uni
s’exonérerait totalement des règles européennes ; il pourrait entreprendre
un choc de libéralisation en matière de droit du travail, de réglementation des
produits ; il pourrait viser à devenir un paradis fiscal et réglementaire.
Dans ces conditions, l’Union européenne mettrait des barrières à l’entrée des
produits britanniques en commençant par la mise en place des droits de
douane selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), puis
progressivement des barrières non tarifaires (du fait de divergences des normes
et de règlementations) ; les échanges de services seraient limités (en
particulier, en matière financière). Le Royaume-Uni chercherait à compenser par
des accords avec les États-Unis et d’autres pays hors Union européenne (en
particulier, ceux du Commonwealth). Cependant, ce choc libéral ne
correspondrait pas aux attentes des électeurs des milieux populaires qui ont
voté pour le Brexit ; le Royaume-Uni resterait lié par les accords
internationaux (ceux de l’Organisation internationale du Travail (OIT), les accords
de Paris, les accords de Bâle III et de l’OMC) ; les accords commerciaux
extra-européens supposeront des concessions sans doute difficiles pour le
Royaume-Uni et ne pourront pas compenser entièrement la perte de l’accès
au marché européen. 

Le scénario intermédiaire, de
compromis est sans doute le meilleur pour l’UE27 et le Royaume-Uni pris dans
leur ensemble. Il s’agit de faire des concessions réciproques afin de maintenir
des liens étroits entre l’UE27 et le Royaume-Uni, d’abord parce que le Royaume-Uni
est un débouché important pour l’UE27 (en 2018, les exportations de l’UE27 vers
le Royaume-Uni représentent 2,6% de leur PIB , avec un excédent commercial de
50 milliards d’euros, 0,35% du PIB ) ; ensuite, parce qu’avoir un paradis
fiscal et réglementaire à la porte de l’UE est dangereux (en obligeant soit à
s’aligner, soit à prendre des mesures de rétorsions). Il faut d’une certaine
manière que l’évolution future des règlements européens soit négociée avec le
Royaume-Uni, mais l’UE ne peut pas perdre son autonomie de décision et ne peut
accorder plus au Royaume-Uni qu’aux pays de l’Association européenne de
libre-échange (AELE : Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse).

La déclaration politique révisée signée
le 17 octobre 2019 par l’UE27 et le Royaume-Uni donne les grandes lignes des
futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE27. Elle correspond à l’objectif
d’une relation forte, spécifique et équilibrée, le Royaume-Uni prenant un
certain nombre d’engagements réduisant le risque d’une stratégie fiscale et
réglementaire.

Ainsi, l’article 2 stipule que les
deux parties souhaitent maintenir des normes élevées en matière de droits du
travail et de protection des consommateurs et de l’environnement.

L’article 4 stipule d’une part que
l’intégrité du marché unique et les quatre libertés seront préservées, d’autre part
que le Royaume-Uni pourra mener une politique commerciale autonome et mettre
fin à la libre circulation des personnes entre le Royaume-Uni et l’UE27.

L’article 11 stipule que les deux parties
chercheront à coopérer et à agir en concertation, que le Royaume-Uni pourra
participer aux programmes de l’UE en matière de culture, d’éducation, de
science, d’innovation, etc. dans des conditions à négocier.

L’article 17 annonce la mise en place
d’un « partenariat économique ambitieux, large et équilibré », comportant un
accord de libre-échange. Mais l’article 20 reconnait que les deux zones
formeront des espaces économiques distincts, ce qui rendra nécessaires des
vérifications douanières. L’article 21 exprime la volonté de créer une zone de
libre-échange pour les marchandises, à travers une coopération approfondie en
matière douanière et réglementaire et des dispositions qui mettront tous les
participants sur un pied d’égalité pour une concurrence ouverte et loyale. Selon
l’article 22, les droits de douane seront évités et la règle d’origine sera
appliquée de « manière moderne et appropriée ».  Une coopération en matière de normes techniques
et sanitaires facilitera l’entrée des produits britanniques dans le marché
unique, dans le respect de son intégrité.

 L’article 27 annonce qu’en termes de services
et d’investissement, les parties devraient conclure des accords
ambitieux, complets et équilibrés, en respectant le droit de chaque partie à
réglementer. L’autonomie réglementaire nationale sera préservée, mais elle
devrait être transparente et compatible, dans la mesure du possible. Des
accords de coopération et de reconnaissance mutuelle seront signés sur les
services, notamment les télécommunications, les transports, les services aux
entreprises et le commerce sur Internet. La liberté de circulation des capitaux
et des paiements sera garantie. En matière financière, l’article 36 précise
l’objectif que des accords d’équivalence soient négociés avant la fin de juin
2020 ; une coopération sera établie dans le domaine de la réglementation et de
la surveillance. Les droits de propriété intellectuelle seront protégés,
notamment en ce qui concerne les indications géographiques. Des accords seront
signés sur le transport aérien, maritime et terrestre et l’énergie. Les deux
parties s’engagent à coopérer dans la lutte contre le changement climatique,
sur le développement durable, la stabilité financière et le protectionnisme.
Les possibilités de voyage pour des raisons touristiques, scientifiques et
commerciales ne seront pas affectées. Un accord sur la pêche devra être signé
avant le 1er juillet 2020.

Des dispositions devraient couvrir
l’aide publique, le maintien de normes de hauts niveaux, le droit au travail, la
protection sociale, l’environnement, le changement climatique et la fiscalité,
afin d’assurer une concurrence ouverte et équitable entre des acteurs placés
sur un pied d’égalité.

Le texte prévoit des organes de
coordination aux niveaux technique, ministériel et parlementaire. L’accord sera
géré par un comité mixte, chargé de résoudre les conflits qui pourraient
survenir. Un processus d’arbitrage peut être mis en place. Il devra se référer
à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’il s’agit d’une
interprétation du droit de l’Union, mais uniquement dans ce cas.

D’une part, le texte prévoit un
partenariat étroit et spécial, comme l’a demandé le Royaume-Uni ; d’autre part,
le Royaume-Uni s’engage à ne pas trop s’écarter des règles européennes ; enfin,
il reste des questions problématiques à négocier, comme les droits de pêche ou
l’autonomie de la politique commerciale britannique.

La
position du Royaume-Uni

Boris Johnson se donne comme priorité
une sortie effective du Royaume-Uni le 31 décembre 2020. Il espère aboutir à un
« Accord de libre-échange de première classe » avec « Zéro
Tarif, Zéro Quota ». Il engage des négociations en même temps avec
d’autres pays, en particulier les États-Unis, le Japon, le Canada… Par
ailleurs, il lance un ambitieux programme de sortie de l’austérité budgétaire
avec un programme pluriannuel de remise à niveau du système de santé
britannique, de l’aide à la dépendance, de l’éducation, des infrastructures en
particulier en Ecosse et au nord de l’Angleterre. Il propose de poursuivre la
hausse du salaire minimum (une hausse de 6 % vient d’être décidée pour
avril). Sa politique d’immigration visera à attirer au Royaume-Uni les
compétences nécessaires. Il maintient l’ambition britannique en matière de
lutte contre le changement climatique.

Boris Johnson et Sajid Javid, le chancelier de l’Échiquier, ont indiqué clairement qu’ils ne
souhaitaient pas de prolongation de la période de transition, que le
Royaume-Uni ne serait pas suiveur, qu’il aura sa propre politique commerciale
et ses propres réglementations.

Cependant, les accords avec les pays
tiers n’aboutiront pas facilement. Ceux-ci demanderont des concessions du
Royaume-Uni. Les États-Unis veulent pouvoir exporter des produits agricoles et
prendre pied dans les services publics (santé, éducation). Donald Trump a déjà menacé
le Royaume-Uni de sanctions s’il taxait les GAFA.

La
position de l’UE

L’UE 27 a désigné Michel Barnier comme le responsable de la
négociation avec le Royaume-Uni quant aux relations futures avec l’UE. La
Commission européenne adoptera des directives de négociations complètes et
préliminaires le 3 février. Ces directives seront soumises à l’accord d’un Conseil des
affaires générales, dont la prochaine réunion se tiendra le 25 février. L’UE
souhaiterait que la période de transition soit prolongée pour permettre
d’aboutir à un accord complet. L’intention est de négocier un accord de
partenariat global unique, avec la possibilité de le compléter ultérieurement.
La possibilité d’une sortie sans accord n’est pas écartée.

Un mandat de négociation sera donc donné à Michel Barnier. Le
risque est grand de reproduire la même stratégie que dans la première phase de
négociation de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Dans une interview accordée le
26 janvier 2020 au Journal du Dimanche[1],
Michel Barnier réaffirme que « nous défendrons notre identité et nos
valeurs ; « nous ne prendrons pas le risque de fragiliser le marché
unique ». Il rappelle que c’est le Royaume-Uni a demandé le divorce ;
que l’UE est en position de force puisque le commerce entre l’UE et le Royaume-Uni
est beaucoup plus important pour le Royaume-Uni que pour l’UE ; qu’un pays
à l’extérieur du marché unique ne peut avoir les mêmes avantages qu’un pays
membre. Ce discours ne peut que rendre plus tendues les négociations. Michel
Barnier souligne déjà que la demande du Royaume-Uni d’une libre entrée des
marchandises britanniques dans le marché unique suppose, d’une façon ou d’une
autre, que l’UE ait un droit de regard sur les réglementations britanniques : « zéro tarif, zéro quota, zéro dumping ».

Douze textes publiés par la Commission européenne les 14 et 20
janvier lors de séminaires de travail précisent déjà les objectifs de l’UE. L’UE
prétend empêcher le Royaume-Uni de bénéficier d’un avantage concurrentiel
déloyal en réduisant les réglementations en matière de concurrence, de droits
du travail, d’aides d’État, de fiscalité. Elle veut à la fois un accord sur ces
points, des mécanismes de règlement des différends et la possibilité d’agir de
façon autonome si les engagements ne sont pas respectés. Le Royaume-Uni doit
s’engager à ne pas abaisser ses normes de droit du travail et de protection
sociale pour des motifs de compétitivité et d’attractivité. Il doit lutter
contre les pratiques d’optimisation fiscale. L’UE insiste sur le fait que les
deux zones seront des économies distinctes, ce qui implique la fin de la libre
circulation, la nécessité de contrôles douaniers, la fin de la reconnaissance
automatique mutuelle des réglementations (en particulier en matière de services
financiers), le refus de la négociation des régulations (le pays importateur
doit se plier aux règles de l’UE). 

La question de la pêche fait partie des questions prioritaires
pour plusieurs pays de l’UE27 (dont la France).  L’UE27 souhaite conserver les droits d’accès
de ses pêcheurs dans les eaux britanniques et maintenir une gestion commune des
ressources halieutiques.  La tenue en
parallèle de négociations sur la pêche et sur les services financiers (où les
Britanniques sont demandeurs) d’ici le 1er juillet suggère qu’un
compromis sera cherché sur ces deux secteurs.

Notons que la position de l’UE serait plus forte si elle s’appliquait
aussi aux pays membres, en luttant contre la concurrence fiscale de l’Irlande,
la tolérance de l’optimisation fiscale des Pays-Bas et la concurrence sociale
de certains nouveaux pays membres.

La
situation économique du Royaume-Uni

Le Brexit (qui n’a pas encore eu lieu)
n’a jusqu’à présent pas eu de conséquences catastrophiques pour l’économie
britannique. La croissance a été de 1,15 % (en glissement sur un an second
semestre 2019), proche de celle de la zone euro (1,2 %). Le taux d’inflation (en
glissement annuel en 2019) s’est stabilisé à 1,3% (1 % en zone euro). Fin 2019
le taux de chômage a baissé à 3,7% (contre 7,5% pour la zone euro). Avec la
victoire de Boris Johnson, la livre s’est stabilisée aux alentours de 1,18
euros, ce qui est au-dessus de sa valeur moyenne depuis le référendum. Le taux
directeur de la Banque d’Angleterre se situe à 0,75%, le taux à 10 ans à 0,55%
ce qui est modérément expansionniste, compte-tenu d’une croissance en valeur de
l’ordre de 2,5%. Le solde public était déficitaire de 2,2% du PIB en 2018 ;
le gouvernement britannique pourrait renoncer à l’objectif d’un solde équilibré
à moyen terme et même d’un solde inférieur à 2% du PIB, pour privilégier une
relance des dépenses publiques ; toutefois la marge est limitée.  Par contre, le Royaume-Uni a toujours un
déficit extérieur de l’ordre de 4,5% du PIB.

Selon les prévisions de janvier 2020 du
Fonds monétaire international (FMI), la croissance britannique serait un peu
plus forte en 2020 et 2021 (1,4 % puis 1,5%) que celle de la zone euro (1,3 % puis
1,4 %). Sans attacher trop d’importance à des différences minimes de
pourcentage, on constate cependant que les scénarios d’effondrement sont
écartés, et donc implicitement de hard Brexit[2],
et que de nombreux observateurs font confiance à Boris Johnson, comptent sur
son pragmatisme et son dynamisme dans les négociations avec l’UE, et sont aussi
confiants dans l’activisme de son programme de relance

Beaucoup dépendra des négociations qui
vont s’engager à partir de février. Il est probable (et souhaitable) qu’un
compromis soit trouvé, autorisant, mais limitant, une certaine prise de
distance du Royaume-Uni par rapport aux normes de l’UE, distance qui sera
limitée par les accords internationaux et le réalisme de Boris Johnson. L’article
« Brexit:
What economic impacts does the literature anticipate?
», présente
une revue de littérature des évaluations des impacts du Brexit. Le champ des
possibles est grand. Selon le NIESR[3],
le projet d’accord de libre-échange de Boris Johnson aurait un impact de -3,5
points à long terme sur l’économie britannique, ce qui est un chiffre moyen des
estimations, dans le cas d’une sortie avec accord de libre-échange. Une double
incertitude demeure, à la fois sur l’impact macroéconomique de la sortie, de
l’autre sur la capacité de trouver un accord entre un pays qui veut retrouver
son autonomie et une zone qui conditionne l’accord à la soumission à ses règles.


[1] voir :
« Nous ne
nous laisserons pas impressionner
 ».

[2] Dans la prévision
d’octobre 2019
de l’OFCE, l’impact d’une sortie sans accord le 31 octobre
2019 sur le PIB britannique était estimé à -2,8 % à l’horizon 2021 et -4,5 % à
l’horizon 2033,  sur la base d’une simulation
réalisée avec le modèle NiGEM.

[3] Hantzsche,
A., et G. Young. (2019). The Economic Impact of Prime Minister Johnson’s New
Brexit Deal. National Institute Economic Review, 250, F34-F37.




Quelles conséquences des taux d’intérêt bas sur les marges de manœuvre de la politique budgétaire ?

par Bruno Ducoudré, Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

Les économies développées
connaissent depuis plusieurs années des taux d’intérêt réels historiquement bas.
Si la crise de 2008 est derrière nous – le chômage a retrouvé son niveau
d’avant-crise dans la plupart des pays développés et les PIB par habitant sont
les plus élevés jamais observés – ses stigmates sur les plans économique,
social et politique sont toujours là. De fait, les ratios d’endettement public
sont bien au-dessus de ceux d’avant 2008 : plus de 40 points en plus pour
la France, 50 points pour les États-Unis ou le Royaume-Uni, 30 points
pour la zone euro dans son ensemble, grâce à un ratio d’endettement en
Allemagne inférieur à celui de 2008. La situation conjoncturelle favorable, les
profits élevés, le dégonflement des bilans des banques centrales et les hauts
niveaux d’endettement devraient se traduire – dans une vision naïve – par une
hausse des taux d’intérêt réel. Dans ce contexte, le haut niveau des dettes
publiques aurait également été une incitation forte à réduire les déficits
publics pour éviter le risque d’insoutenabilité des finances publiques lié à un
emballement de la charge de la dette généré par une remontée des taux
d’intérêt, et c’est précisément cet argument qui présidait à la prudence
budgétaire.



Quelles sont les explications
possibles à ces taux d’intérêt réels bas ? C’est la question à laquelle
nous tentons de répondre dans une étude récente.
Au-delà de la surprise conjoncturelle, il apparaît que la faiblesse des taux
d’intérêt répond plutôt à des causes structurelles qui entravent la
normalisation de la politique monétaire. Ceci se traduit par des anticipations
durables de taux bas, aboutissant in fine
à l’aplatissement de la courbe des taux au moins pour le segment des actifs
sans risque. Dans cette étude, nous retraçons les tendances des taux d’intérêt
souverains depuis la décennie des années 1970 et rappelons les causes possibles
identifiées dans la littérature économique – effet des politiques monétaires
expansionnistes, stagnation séculaire, surabondance d’épargne privée. Nous
évaluons ensuite l’ampleur de l’espace fiscal ouvert par un scénario de taux
souverains durablement bas.

Nos simulations, conduites avec
le modèle iAGS de l’OFCE[1]
pour la zone euro, indiquent qu’une baisse de 1 point du taux d’intérêt long
pendant 10 ans aboutirait à un stock de dette publique rapporté au PIB plus bas
à l’horizon de 20 ans (cf. graphique). Les ordres de grandeur s’élèveraient à
-2 points de dette publique pour l’Irlande et iraient au-delà de -10 points
pour l’Italie, libérant ainsi des marges de manœuvre budgétaire significatives
pour les États
de la zone euro. Ces effets seraient toutefois limités en cas de ralentissement
concomitant de la croissance potentielle.


[1] Voir ici
pour une description détaillée du modèle iAGS.




Transmission de la politique monétaire : les contraintes sur les emprunts immobiliers sont importantes !

par Fergus Cumming (Banque d’Angleterre) et Paul Hubert (Sciences Po – OFCE)

La
transmission de la politique monétaire dépend-elle de la situation
d’endettement des ménages ? Dans ce billet de blog, nous montrons que les
variations des taux d’intérêt sont plus effectives lorsqu’une grande partie des
ménages est contrainte financièrement, c’est-à-dire lorsque les ménages sont
proches de leurs limites d’emprunt. Nous trouvons aussi que l’impact global de
la politique monétaire dépend en partie de la dynamique des prix immobiliers et
peut ne pas être symétrique pour les hausses et les baisses de taux d’intérêt.



Du micro au macro

Dans
un récent
article, nous utilisons des données de prêts immobiliers au Royaume-Uni pour
construire une mesure précise de la proportion de ménages proches de leurs
contraintes d’emprunt basée sur le ratio du prêt immobilier sur le revenu. Ces
données hypothécaires nous permettent d’avoir une connaissance précise des
différents facteurs qui ont motivé les décisions individuelles en matière de
dette immobilière entre 2005 et 2017. Après avoir éliminé les effets de la
réglementation, du comportement des banques, des effets géographiques et
d’autres évolutions macroéconomiques, nous estimons la part relative des
ménages très endettés pour construire une mesure comparable dans le temps. Ce
faisant, nous regroupons les informations obtenues pour 11 millions de prêts
hypothécaires en une seule série temporelle, ce qui nous permet ensuite d’explorer
la question de la transmission de la politique monétaire.

Nous
utilisons la variation temporelle dans cette variable d’endettement pour
explorer si et comment les effets de la politique monétaire dépendent de la
part des personnes qui sont financièrement contraintes. En particulier, nous
nous concentrons sur la réponse de la consommation. Intuitivement, nous savons
qu’une politique monétaire restrictive entraîne une baisse de la consommation à
court et moyen terme, raison pour laquelle les banques centrales augmentent les
taux d’intérêt lorsque l’économie est en surchauffe. Nous cherchons à savoir si
ce résultat évolue en fonction de la part de ménages financièrement contraints.

Politique monétaire contingente aux contraintes de crédit

Nous
constatons que la politique monétaire est plus effective lorsqu’une grande
partie des ménages a contracté des engagements de dette élevés. Dans le
graphique ci-dessous, nous montrons la réponse de la consommation de biens non-durables,
durables et totale en réponse à une augmentation de 1 point de pourcentage du
taux d’intérêt directeur. Les bandes grises (respectivement bleues) représentent
la réponse de la consommation lorsqu’il y a une part importante (respectivement
faible) de personnes proches de leurs contraintes d’emprunt. Les écarts entre
les bandes bleue et grise suggèrent que la politique monétaire est plus
puissante lorsque la part de ménages qui s’endettent fortement est élevée.

Cet effet différentié s’explique probablement par au moins deux mécanismes : premièrement, dans une économie où les taux sont en partie variables[1], lorsque le montant emprunté par les ménages augmente par rapport à leur revenu, l’effet mécanique de la politique monétaire sur le revenu disponible est amplifié. Ceux qui ont des emprunts importants sont pénalisés par l’augmentation des mensualités de prêt en cas de hausse des taux, ce qui réduit leur pouvoir d’achat et donc leur consommation ! Par conséquent, plus la part des agents fortement endettés augmente, plus l’effet agrégé sur la consommation devient important. Deuxièmement, les ménages proches de leurs contraintes d’emprunt sont susceptibles de dépenser une proportion plus élevée de leurs revenus (ils ont une propension marginale à consommer plus élevée). Dit autrement, plus vous consacrez une part élevée de votre revenu au remboursement de votre dette, plus votre consommation dépend de votre revenu. La modification du revenu liée à la politique monétaire se répercutera alors plus fortement sur votre consommation. Fait intéressant, nous constatons que nos résultats sont davantage attribuables à la répartition des ménages très endettés qu’à une hausse générale des emprunts.

Nos résultats indiquent également une
certaine asymétrie de la transmission de la politique monétaire. Lorsque la
part des ménages contraints est importante, les hausses de taux d’intérêt ont
un impact plus important (en valeur absolue) que les baisses de taux d’intérêt.
Dans une certaine mesure, cela n’est pas surprenant. Lorsque vos revenus sont
très proches de vos dépenses, manquer d’argent est très différent de recevoir
une petite manne supplémentaire.

Nos résultats suggèrent également que
la dynamique des prix immobiliers est importante. Lorsque le prix des logements
augmente, les propriétaires se sentent plus riches et sont en mesure de
refinancer leurs emprunts plus facilement afin de libérer des fonds pour d’autres
dépenses. Cela peut compenser certains des effets d’amortissement d’une hausse
des taux d’intérêt. En revanche, lorsque le prix des logements baisse, une
augmentation des taux d’intérêt aggrave l’effet de contraction sur l’économie,
rendant la politique monétaire très puissante.

Implications
de politiques économiques

Nous montrons que la situation des
ménages en termes d’endettement pourrait expliquer une partie de la variation
de l’efficacité de la politique monétaire au cours du cycle économique. Cependant,
il convient de garder à l’esprit que les décideurs des politiques macro-prudentielles
peuvent influencer la répartition de la dette dans l’économie. Nos résultats
suggèrent ainsi qu’il y a une interaction forte entre la politique monétaire et
la politique macro-prudentielle.


[1] Ce qui est le cas au Royaume-Uni.




Quelles marges de manœuvre pour la politique budgétaire en zone euro face aux menaces de ralentissement ?

par Christophe Blot, Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Raul Sampognaro

L’activité économique en Europe a
donné des signes d’essoufflement qui se sont traduits par un ralentissement en
2018, amplifié en 2019. La croissance du PIB de la zone euro a progressé de 1,2
% au troisième trimestre 2019 en glissement annuel contre 1,6 % un an plus tôt
et 3 % fin 2017. Les perspectives pour 2020 restent moroses et la croissance se
maintiendrait à un rythme de 1,2 % tirée notamment vers le bas par le
ralentissement allemand et la stagnation de l’Italie. Surtout, les risques sur
le scénario de croissance restent principalement orientés à la baisse, ce qui
pose la question de la capacité des autorités budgétaires à réagir pour amortir
un choc négatif et empêcher une éventuelle récession dans un contexte qui reste
marqué par un niveau des dettes publiques bien plus élevé qu’avant la Grande
Récession de 2009.



Dans un Policy
Brief
récent, nous discutons l’évolution de la dette publique et déterminons
quelle devrait être l’orientation des politiques budgétaires des pays de la
zone euro permettant d’atteindre un objectif de 60% de dette publique par
rapport au PIB en 2040. Nos analyses suggèrent qu’un assainissement budgétaire supplémentaire
semble irréaliste dans certains pays (France, Italie, Espagne et Belgique),
remettant en question la crédibilité de cet objectif. Certains pays – Allemagne
en tête – bénéficient cependant de marges de manœuvre pour conduire une
politique budgétaire plus expansionniste, ce qui permettrait non seulement
d’amortir le choc négatif en cours mais aussi d’atténuer les besoins de
consolidation devant être effectués par les autres pays. Il reste cependant que
la convergence vers un ratio de dette publique de 60 % du PIB à l’horizon
2040 pour l’ensemble des pays se traduirait par une réduction de la croissance
dans la zone euro, notamment dans les pays qui accusent déjà un retard de
croissance, renforçant de fait l’hétérogénéité. Comme l’ont montré les
précédents rapports iAGS et iASES. Ces
simulations rappellent que l’orientation de la politique budgétaire en zone
euro doit tenir compte des conséquences qu’elle génère en termes de croissance
du PIB – et par conséquent d’emploi – et de la vitesse de réduction de la dette
publique. Les autorités budgétaires n’échapperont pas à cet arbitrage entre des
objectifs qui peuvent être concurrents.

Cet arbitrage se fait dans un
contexte où les taux d’intérêts nominaux souverains s’établissent à des niveaux
historiquement bas, même négatifs, dans nombreux pays de l’union monétaire. Ce
scénario de taux bas semble être causé par des facteurs structurels
(démographie, montée des inégalités, ralentissement du tendanciel de
productivité) et pourrait être durable. Or, un niveau de taux plus bas facilite
l’ajustement de la dette et donne de l’espace fiscal aux États.
Nous illustrons cet effet en analysant l’impact (modéré) du taux d’intérêt sur
l’exigence de consolidation budgétaire. Ainsi, l’ampleur des marges de manœuvre
budgétaires dépendra fortement de la vitesse d’ajustement de la dette publique souhaitée
et du niveau des taux d’intérêt.




L’industrie européenne va-t-elle se recharger dans la batterie ?

par Sarah Guillou

Le 9
décembre 2019, la Commission européenne a donné son accord aux versements
d’aides d’Etat pour le développement de la recherche et de l’innovation du
secteur des batteries en Europe. Cet accord porte sur un montant de 3,2
milliards d’euros offerts par 7 pays membres ; il est sensé entraîner des investissements
privés pour 5-7 milliards d’euros. Le projet a obtenu le label IPCEI,
c’est-à-dire celui de projet jugé important et portant sur des intérêts
européens communs. La décision ne faisait pas mystère mais elle marque le
démarrage d’une politique industrielle européenne plus décidée que par le passé.



Les batteries seront un
élément important de la transition écologique, d’une part pour assurer la
disparition du moteur à combustion et, d’autre part pour emmagasiner les
énergies renouvelables dont la production est intermittente.

Le secteur de la production des batteries pour les voitures électriques est
en pleine expansion. Le Japon, la Chine et la Corée du Sud dominent le marché,
l’Europe est très loin derrière.

Il est rare
de saisir la stratégie industrielle de l’UE tant elle est souvent brouillée par
les positions contradictoires de ses membres ou dénuée de substance car fondée
sur un consensus minimal retirant toute valeur ajoutée à l’échelon européen.

Les
initiatives pour soutenir la recherche, la production et le recyclage des
batteries amorcées depuis 2017 jusqu’à ce dernier feu vert de Bruxelles aux
aides des Etats font apparaître une stratégie cohérente en matière industrielle,
qui devra cependant être adossée à des arbitrages en matière de politique
commerciale et de politiques urbaines.

L’industrie de la batterie, une industrie
au carrefour du passé et du futur industriel de l’Europe

Elle est
cohérente non seulement avec l’actuelle spécialisation de l’industrie
européenne mais aussi avec les objectifs environnementaux de l’UE. Elle est
cohérente avec son passé, l’automobile, et son futur, l’environnement.

En effet, la
production de batteries va devenir très vite un enjeu crucial pour l’avenir de
l’industrie automobile en Europe qui doit faire face à deux chocs majeurs :
un choc de régulation associé aux limites d’émissions de CO2 et à
l’organisation des mobilités urbaines et un choc technologique mélangeant les
véhicules autonomes, les objets connectés et la voiture électrique. Or cette
industrie représente 700 milliards d’euros de production pour la seule zone euro
et 6,1% de l’emploi total européen. Elle exporte 37% de sa production et participe
fortement à l’excédent commercial de l’UE (Eurostat). Elle réalise 25% de la recherche
et développement (R&D) des 1000 premières entreprises européennes en 2018 (206,3 milliards
d’euros, EU R&D Scoreboard). Volkswagen, Daimler et BMW sont les trois
premiers investisseurs en R&D parmi les 1000 premiers investisseurs
européens tous secteurs confondus. En France, Renault et Peugeot sont les deux
premiers investisseurs en R&D après Sanofi. En outre c’est une industrie
fortement fragmentée sur le territoire européen qui induit une sensibilité très
partagée à tout choc qui toucherait le secteur.

En matière de véhicule
électrique, la batterie est la pièce maîtresse des véhicules électriques, elle
en constitue entre le tiers et la moitié de la valeur ajoutée. De plus, la
production de batteries ne doit pas être trop éloignée, tant physiquement qu’au
sens de l’intégration verticale de la production des véhicules. C’est en effet
un élément de poids, au sens propre, donc les coûts de transports sont élevés,
et au sens figuré parce que c’est l’essentiel de la valeur ajoutée[1]. Or l’UE est très peu
présente dans la production mondiale de batteries.

Du côté du futur, le
« green new deal » annonce un changement de braquet en matière de
contrôle des émissions. La neutralité carbone est visée à l’horizon de 2050. Déjà
la pression est forte sur les constructeurs pour qu’ils passent à l’électrique,
car en effet ils doivent se conformer d’ici 2021 à ce que leurs flottes de
véhicules ne dépassent pas les 95 grammes de CO2 par kilomètre. Ils devront
payer une amende de 95 euros pour chaque gramme additionnel multiplié par le
nombre de voitures vendues. La contrainte est telle que Fiat n’a pas hésité à
s’allier avec Tesla (rachat des crédits d’émission de Tesla) pour se conformer
aux objectifs (voir « Quand Fiat-Chrysler s’offre les crédits Co2 de
Tesla », Les Echos, 6 mai 2019).

Les constructeurs
européens n’ont pas trop tardé à se lancer dans la production de véhicules électriques :
le marché des voitures électriques européen est plus grand que celui des
Etats-Unis. Mais la production européenne, qui représente 22% de la production
mondiale, est réalisée avec des batteries importées.

Les batteries sont
également une pièce maîtresse de la transformation énergétique, les énergies
renouvelables, de nature intermittente, nécessitent d’être stockées. A cet
égard, le stockage dans les batteries de véhicules à l’arrêt pourrait être un
des vecteurs de l’articulation des véhicules avec les besoins en énergie de la
ville.

La réalisation des objectifs du
« green new deal » ne se fera qu’en développant les technologies de
conservation de l’énergie. La disponibilité de batteries bon marché aidera à
développer les énergies renouvelables. Aujourd’hui seuls les Chinois peuvent produire
des batteries bon marché. Mais si on veut transformer les subventions
européennes en profits futurs, faut-il laisser le marché européen totalement ouvert
aux batteries chinoises ?

L’équilibre entre protectionnisme et
ouverture commerciale reste à trouver

L’UE est
fortement insérée dans la légalité internationale et en matière de politique
commerciale, elle a plutôt penché du côté de l’ouverture aux échanges que du
côté du protectionnisme. La concurrence chinoise a rebattu les cartes et l’UE
tend de plus en plus à analyser la réciprocité des conditions de l’échange. Les
subventions publiques chinoises et les barrières posées aux entreprises
européennes pour accéder au marché chinois sont de moins en moins ignorées.
Cependant le rôle de l’UE dans la défense de règles de commerce juste et
équitable, voire le poids de la responsabilité d’être historiquement cette voix
du libéralisme régulé, pourrait contraindre ses marges de manœuvre.

Les
subventions européennes sont-elles légales au regard des règles du commerce
international ? Les Etats-Unis pourraient-ils demain venir contester la
position de leadership du suédois Nothvolt ou du français Saft au motif que ces
entreprises ont reçu des subventions européennes ? Rappelons que l’UE
vient de se faire condamner par l’OMC pour avoir versé des subventions à Airbus
(décision d’octobre 2019) entraînant des droits de douane américains sur 7
milliards de dollars d’exportations européennes.

Les batteries,
des cellules aux packs complets, ont été exclues de l’accord sur les
technologies de l’information (ITA, 1996, 2015). Donc les batteries ne sont pas
couvertes par un accord spécifique. En revanche, une politique de subvention de
la production des batteries pourrait conduire à des mesures de représailles (counterveiling measures). Précisément,
l’accord de l’OMC sur les subventions (Subsidies and countervailing measures,
SCM) prohibe l’usage de subventions qui pourraient affecter le commerce dans la
mesure où elles donneraient un avantage au contenu local.

A contrario, l’UE doit-elle se
protéger de l’entrée des batteries chinoises voire japonaises ?[2]
A l’égard des batteries chinoises, elle pourrait légalement le faire au motif que
leur production a été subventionnée. Mais une telle position n’est pas exempte
d’un effet boomerang sur sa politique actuelle. De
manière plus indirecte, une réglementation en termes de standards relatifs à
l’extraction des minerais et au recyclage des batteries pourrait être mise en
place et reviendrait à protéger les producteurs européens de la concurrence
asiatique tout en renforçant les exigences environnementales et technologiques
du processus de production des batteries.

Enfin, l’UE
doit-elle accueillir à bras ouverts les investisseurs étrangers du secteur des
batteries ? Au regard des objectifs de court terme de l’emploi, de
l’environnement et des transferts de technologie, la réponse doit être
positive. Mais il faut mesurer que cela peut créer une concurrence difficile
pour les nouveaux entrants qui devront faire face à des coûts plus élevés,
étant en bas de la courbe d’apprentissage et ne bénéficiant pas encore d’économies
d’échelle. Le choix de l’ouverture aux investisseurs a jusqu’à présent plutôt prévalu.
On a pu voir ainsi le chinois CATL investir avec BMW en Allemagne, le sud-coréen LG Chem investir en Pologne tandis que Samsung
SDI et SK Innovation se sont implantés en Hongrie.

Il faut
veiller à contrôler ces investissements de telle manière à qu’ils ne soient pas
prédateurs, ni sur la captation de la demande européenne, ni sur la captation
des subventions (tel que cela a pu se produire avec les panneaux solaires).

Des ressources aux débouchés, des
efforts encore nécessaires

Outre la définition du degré
d’ouverture optimale pour le développement de l’industrie, deux autres leviers
majeurs sont à envisager : celui de l’accès aux ressources et celui des débouchés.

En effet, la
question de l’approvisionnement en lithium reste une probable pierre
d’achoppement future. Ces 10 dernières années, la Chine est devenu un
fournisseur incontournable de lithium, en 2019 elle contrôle 60% de la
production de lithium. Les producteurs de batteries doivent s’assurer un approvisionnement
en lithium et en cobalt. Les mines de cobalt se trouvent principalement en
République du Congo, détenues en grande partie par le suisse Glencore mais
aussi le chinois Zhejiang Huayou. Avec la hausse de la demande, les prix de ces
ressources vont augmenter.

Northvolt a signé un accord de
vente en 2018 avec le canadien Nemaska Lithium  pour s’assurer les ressources en hydroxide
de lithium[3]. Les Européens ne
devraient-ils pas joindre leurs forces pour gagner plus d’indépendance en
matière d’accès aux terres rares ?

En matière
de débouchés, il va falloir que les gouvernements locaux soient fortement
incités à modifier leurs parcs de transports publics et à investir dans des
infrastructures favorables aux changements de comportements des agents. Le cas
des villes chinoises qui achètent les bus électriques de BYD – le deuxième plus
grand producteur chinois de batteries et producteurs de véhicules électriques –
et qui contraignent de plus en plus la circulation aux véhicules hybrides ou
électriques montre une autre dimension de la politique très volontariste des Chinois.
La question du traitement comptable de ces dépenses publiques locales, des
aides au financement des investissements aux infrastructures des mobilités
électriques devra être discutée plus précisément à l’échelle européenne. Il
faudrait également penser le déploiement des stations de charge au niveau
européen pour parachever l’intégration européenne des transports.

De plus la technologie
des véhicules électriques est complexe et nécessite aussi un réseau de
sous-traitants notamment en micro-électronique. Enfin, la localisation de la
production de véhicules électriques doit se faire auprès des usines de
batteries et les deux nécessitent de grands espaces. Cela implique une
concordance de plusieurs éléments qui détermineront la localisation de
l’industrie des batteries pour véhicules électriques. Pour le moment, la Chine
cumule tous ces éléments, et le défaut qu’elle peut avoir en termes de
technologie, elle le conquiert en échange du reste – un marché soutenu,
l’engagement de l’Etat, le contrôle des ressources. C’est pourquoi tant
d’entreprises automobiles se sont alliées à des constructeurs chinois pour
produire des véhicules électriques en Chine. L’investissement de CATL en
Allemagne n’est pas une mauvaise nouvelle. Cela signifie que l’Allemagne et
l’Union européenne sont des territoires attractifs pour le fabricant de
batteries chinois. Cela tient au fait que BMW apporte sa technologie mais aussi
au fait que les infrastructures européennes et le marché européen permettent
d’envisager la viabilité de ce marché. La dépendance aux batteries chinoises
sera difficile à éviter à court terme, tant le gouvernement chinois est
pro-actif dans la construction d’un environnement favorable aux véhicules
électriques ; dans ce cas, autant influencer les conditions d’une
interdépendance aujourd’hui tout en pensant l’indépendance future. Les
constructeurs européens gagneront à se servir des compétences des Chinois et de
leurs investissements tout en cherchant à se développer sur des technologies
parallèles et de rupture.

En conclusion, le marché
des batteries illustre une interdépendance saine et démocratique entre la
puissance publique – vecteur des préférences des citoyens – et les entreprises
privées. La régulation sera un élément structurant du secteur et déterminant de
la rentabilité de l’investissement dans le secteur. Tant le prix du carbone que
la régulation sur les émissions que la mise en place d’infrastructures propices
à l’usage des voitures électriques, les subventions directes (achat par l’Etat,
ou financement de la R&D ou autres investissements) ou indirectes
(fiscalité) au développement des véhicules électriques, et in fine le degré
d’ouverture aux investissements et aux importations, créent l’environnement de
la décision d’investissement des acteurs privés. La compétitivité est le
résultat d’un processus continu et stable d’incitations favorables qui
conduisent les acteurs à investir durablement. Si les Etats européens décident,
en accord avec le mandat qui leur a été accordé, de parier et de s’engager dans
l’électrique durablement, alors les acteurs privés pourraient suivre.


[1] De fait
les constructeurs automobiles se sont installés partout où ils vendaient,
rapprochant le lieu de vente et le lieu de production ou au moins d’assemblage.

[2] La concurrence n’est pas seulement chinoise. Du côté des Japonais, pionniers
dans le secteur, l’alliance des constructeurs automobiles avec les producteurs
de batteries a démarré bien avant le projet de consortium européen. Toyota est
très actif dans le domaine de la recherche sur les batteries solides,
planifiant de dépenser plus de 13 milliards de dollars de R&D d’ici 2030 sur les batteries de la prochaine génération.
Un consortium japonais a également été lancé par la New Energy and Industrial
Technology Development Organisation incluant 23 industriels japonais. Les
Japonais risquent bien d’être les leaders des batteries solides avec
l’engagement de Toyota.

[3] Nemaska Lithium est un
producteur canadien d’hydroxide de lithium et de carbonate de lithium.  Il extrait le lithium de sa mine Whabouchi, au
nord de Chibougamau au Québec.




L’impact de la grève de la RATP le 17 décembre pour l’accessibilité de l’emploi

Par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

L’accessibilité de
l’emploi est un indicateur de plus en plus utilisé en géographie urbaine (voir ici,
un exemple
pour Seattle
). Il mesure le nombre d’emplois auquel on peut accéder
en partant d’un point donné (le lieu où l’on réside). L’opération est loin
d’être simple lorsqu’on utilise non pas les kilomètres qui vous séparent de
chaque emploi mais le temps qu’il faut pour se rendre d’un point à un autre en
utilisant le système de transport en commun. Un indicateur d’accessibilité peut
être défini comme la somme de tous les emplois que l’on peut atteindre par les
transports en commun en un temps donné. Il ne s’agit bien sûr pas d’occuper
tous ces emplois, mais de mesurer les opportunités auxquelles ont accès les
individus en fonction de leur lieu de résidence.



La diffusion
d’informations très détaillées sur les systèmes de transport permet de
construire une carte de l’indicateur d’accessibilité sur une grille de point
de départ aussi fine que voulue. Cette information est librement accessible sur
un smartphone grâce au développement depuis 2005 du format GTFS (initialement
Google Transit Feed Specification, aujourd’hui le General Feed
Transit Specification
). Ile de
France Mobilité
, mais aussi la RATP ou encore la SNCF diffusent et
mettent à jour régulièrement les lignes, les horaires théoriques et les accès à
l’ensemble des réseaux de transports, ferrés comme routiers – les funiculaires
sont aussi inclus ! GTFS prévoit également un format temps réel afin de
renseigner les voyageurs sur leur temps d’attente ou leur trouver le meilleure
itinéraire pour se rendre à leur destination.

Cette information détaillée, combinée à un algorithme qui calcule les temps minimums de déplacement sous quelques contraintes (ne pas trop attendre, ne pas trop marcher, ne pas trop changer de moyen de transport) permet de construire un indicateur d’accessibilité à l’emploi par les transports en commun. La carte suivante représente l’indicateur d’accessibilité en transport en commun (métro, RER, tramway et bus) à l’emploi (localisé au niveau de l’IRIS) pour l’unité urbaine de Paris un jour normal de fonctionnement du réseau de transport. Sans surprise, les habitants du centre de l’agglomération bénéficient d’un réseau dense et rapide qui leur permet d’accéder en moins d’une heure à plus de 4 millions d’emplois (sur les 7 que compte l’aire urbaine) qui sont très concentrés eux-mêmes au centre de l’aire urbaine. Le long des lignes de RER l’accessibilité est élevée et plus on s’éloigne du réseau de transport, plus l’accessibilité à l’emploi se réduit. Cet indicateur est théorique puisqu’il ne permet pas les déplacements multimodaux (voiture puis RER, ou encore vélo+métro) et ne prends pas en compte ni la congestion (qui est un facteur essentiel pour les déplacements en voiture) ni les temps de parcours effectifs sur les réseaux ferrés. Malgré tout, il donne une bonne indication de la géographie urbaine.

La carte suivante est construite en dégradant le réseau de transport de la RATP conformément aux informations de trafic pour la journée du 17 décembre 2019. Le mouvement social conduit à la fermeture totale d’une dizaine de lignes de métro, de réductions importantes de la fréquence sur le RER A et B, les lignes de métro 3, 4, 7, 8, 9 et 11, les tramway T1, T2,  T3A, T3B, T6 et t8,  de réductions de trajet sur les lignes 8, 9 et 11 et enfin de réductions de la fréquence ou d’interruptions de trafic sur les lignes de bus. Tout ceci conduit à un allongement des temps de transport et réduit l’accessibilité de l’emploi.

La dernière carte représente la perte relative d’accessibilité. Elle résulte de la différence en pourcentage des deux précédentes.

Note technique : les cartes présentées sont réalisées à partir de données et logiciels en données ouvertes. La carte routière est la carte Open Street Map téléchargée sur le site data.gouv.fr le 15/12/2019. Le fichier GTFS est celui publié par Ile de France mobilité et téléchargé le 12/12/2019. Les données d’emploi à l’IRIS sont celles pour l’année 2009 issues du dispositif CLAP de l’INSEE téléchargé sur data.gouv.fr en octobre 2019. Seule l’année 2009 est disponible la maille IRIS. OpenTripPlanner (version 1.4) est utilisé pour le calcul des isochrones à partir de la carte OSM et des données GTFS IDFM. Enfin, nous utilisons R et RStudio et notamment les packages tidyverse, tidytransit et tmap pour traiter les différentes données et produire les cartes. Le code sera prochainement disponible.




La BCE a-t-elle perdu la tête ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 12 septembre 2019, la BCE a
annoncé une série de nouvelles mesures d’assouplissement de sa politique
monétaire assez représentative de l’arsenal de mesures maintenant à disposition
des banques centrales. En effet, il a non seulement été décidé d’une réduction
de taux d’intérêt – celui des facilités de dépôts – mais aussi de reprendre les
achats d’actifs à compter du 1er novembre 2019, de lancer une
nouvelle vague d’octroi de liquidités en contrepartie des crédits accordés par
les banques de la zone euro. Au cours d’une de ses dernières réunions à la tête
de la BCE, Mario Draghi a également innové en introduisant un système de palier[1]
pour la rémunération – à taux négatif depuis juin 2014 – des réserves
excédentaires. Enfin, il a également souligné que la BCE conditionnerait une
normalisation des taux seulement lorsque l’inflation convergera vers la cible
de 2 % indiquant également que cette convergence serait appréciée à l’aune
de l’évolution de l’inflation sous-jacente.

Ces annonces ont fait l’objet de
vives critiques à la fois d’anciens banquiers centraux européens mais également
au sein même du Conseil des Gouverneurs de la BCE ; la représentante
allemande du Directoire ayant même démissionné de ses fonctions le 31 octobre.



Dans un Policy
Brief
, nous analysons les motivations qui ont conduit la BCE à
prendre de nouvelles mesures de soutien. La faiblesse de l’inflation depuis
plusieurs années, la perte d’ancrage des anticipations et les perspectives d’un
ralentissement économique justifient une politique monétaire qui reste
accommodante. Nous discutons également des différentes critiques émises. Notre
analyse suggère qu’elles sont faiblement fondées. Premièrement, il a été avancé
que des taux d’intérêt bas pourraient augmenter le taux d’épargne des ménages
en raison d’un effet de revenu[2].
Nous montrons que cela ne se matérialise pas sur les données récentes. Nous
n’observons une telle corrélation que pour l’Allemagne, et ce déjà avant 2008,
ce qui jette un doute sur le sens de la causalité. Deuxièmement, il est avancé
que les bénéfices des banques sont menacés en raison des faibles taux
d’intérêt. Les données montrent cependant que les bénéfices des banques n’ont
pas baissé et se redressent même depuis 2012. Troisièmement, en utilisant un
indicateur des déséquilibres financiers, nos analyses suggèrent qu’il n’y
aurait pas de bulles sur les marchés immobilier et boursier de la zone euro
considérés dans leur ensemble.


[1] Rappelons que les banques de la zone euro sont tenues
de conserver, auprès de la BCE, des réserves dites obligatoires en fonction des
dépôts qu’elles collectent. Les réserves excédentaires sont les liquidités
laissées par les banques sur leur compte auprès de la BCE, au-delà des réserves
obligatoires. Avant la décision du 12 septembre, l’intégralité des réserves
excédentaires était rémunérée au taux des facilités de dépôts. Celui-ci étant
négatif, ces réserves étaient de fait taxées. Depuis, les réserves excédentaires
sont exonérées de ce taux négatif tant qu’elles ne dépassent pas un certain
seuil – un multiple des réserves obligatoires – fixé par la BCE.

[2] L’impact du taux d’intérêt sur l’épargne peut être
décomposé en deux effets : substitution et revenu. Selon l’effet de
substitution, la baisse des taux réduit l’incitation à épargner au profit de la
consommation. L’effet de revenu suggère que les ménages souhaitent maintenir un
certain niveau de revenu de leur épargne. Ainsi, en réduisant les gains à l’épargne,
cet effet indique que les ménages vont épargner plus pour maintenir ce niveau
de revenu souhaité.




Time for Climate justice

Par Eloi Laurent

On September
18th 2019, 16 years old climate activist Greta Thunberg appeared
before the United States House of Representatives. When asked to submit a
formal version of her inaugural statement, she replied that she would be giving
lawmakers a copy of the IPPC special report on the impacts of global warming of
1.5 °C, the so-called “SR 1.5“. “I am submitting this
report as my testimony because I don’t want you to listen to me, I want you to
listen to the scientists”, she said eloquently.



By the same
token, when asked what words she wanted to be printed on the sails of the boat
carrying her across the Atlantic Ocean from Sweden to the US, she asked for a
blunt message urging citizens and policymakers to act upon climate knowledge:
“Unite behind Science”. Greta Thunberg deserves considerable praise for her
intelligence, courage and determination in the face of ignorance, skepticism
and animosity. But she is wrong on one important point: nations and people
around the world won’t unite behind science. They will only unite behind
justice.

Any
meaningful conversation among humans about reform, change and progress starts
with debating justice principles at play and imagining institutions able to
embody these principles. This is especially true of the titanic shift in
attitudes and behaviors required by the climate transition, which goal is
nothing short of saving the hospitality of the planet for humans.

Climate
injustice is obvious in our world. On the one hand, a handful of countries,
about ten percent (and a handful of people and industries within these
countries) are responsible for 80% of human greenhouse gas emissions, causing
climate change that is increasingly destroying the well-being of a considerable
part of humanity around the world, but mostly in poor and developing nations.
On the other hand, the vast majority of the people most affected by climate
change (in Africa and Asia), numbering in the billions, live in countries that
represent almost nothing in terms of responsibility but are highly vulnerable
to the disastrous consequences of climate change (heat waves, hurricanes,
flooding) triggered by the lifestyle of others, thousands of miles away.

Why is
climate change still not mitigated and actually worsening before our eyes,
while we have all the science, technology, economics, and policy tools we need
to fix it? Largely because the most responsible are not
the most vulnerable, and vice-versa
.

And yet, the time may be ripe for
climate justice to take center stage in international negotiations. Data
compiled by the Global Carbon
Project
released last week show that top emitters are converging in
terms of climate responsibility (table 1).

Of course, China remains by far
the first polluter: the country has emitted in 2018 roughly twice the volume of
CO2 than the US, thrice the amount of the EU, four times the amount of India,
five times the amount of Russia. Consider the amount per capita, and the
picture changes dramatically: a citizen of the United States emits more than
twice CO2 than a Chinese. And yet, for the first time, a European is (slightly)
less responsible than a Chinese in terms of per capita emissions. Conversely, it
is well established that historical responsibility for greenhouse gas emissions
falls largely on the shoulders of Western countries, with the US and the EU
jointly responsible for half of emissions since the industrial revolution,
while China only accounts for less than 15%. And yet, for the first time, China
is as responsible as the US when emissions are counted since 1990 onwards (both
countries accounting for 20% each of emissions over the 1990-2018 period).

It is thus the right time to
devise actionable equity criteria, commonly agreed upon top emitters, as to how
distributing the remaining “carbon budget” (the overall amount of emissions
remaining before the Earth’s climate reaches a catastrophic tipping point, approximately
1200 billion tons of carbon that remain to be emitted over the next three
decades so as to limit the rise of ground temperatures to around 2 degrees by
the end of the 21st century).

But as incredible as it may seem,
the formal global conversation has not yet started on climate justice: as the
COP 25 ends in Madrid and all eyes turn to COP 26 for a renewed climate
ambition, countries are still negotiating at the UN on volumes of emissions
that do not take into account current and projected population, human
development level, geographic basis (production vs. consumption emissions),
historical responsibility, etc. By the same token, The
Paris Agreement
(2015) mentions the term “justice” only a single
time, to affirm that signatories recognize “the importance for some of the
concept of ‘climate justice’”. This is clearly a misinterpretation. The whole
point of climate justice is precisely that it is not confined to a few nations
or important for a few people: it should be the concern of all involved in
climate negotiations.

It can be shown that the
application of a hybrid but relatively simple model of climate justice based on
five criteria would lead to substantially cutting global emissions in addition
to the carbon budget (by 36%) over the next three decades which would ensure
meeting the goal of 2 degrees, and even targeting 1.5 degrees, thereby
enhancing the fairness of this common rule with respect to the most vulnerable
countries and social groups (see table 2).

As available data make clear, we are collectively missing the wrong targets on climate. Even if all countries fulfilled their pledges and reach their targets, the increase in temperatures would still be of 3 degrees by the end of the 21st century (or twice the target agreed upon at the Paris Agreement in 2015). In other words, what is lacking is not just the political will but also the imagination. Climate justice is the way out of this impasse. Climate justice is the key to understanding and eventually solving the urgent climate crisis. Climate justice is the solution to climate change.