Quel impact du confinement et de son intensité sur la croissance ?

Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux [1]

Depuis la
prise de conscience fin février dernier de la diffusion de l’épidémie de
coronavirus hors de Chine, foyer initial de la pandémie, et la mise en place
courant mars de politiques de confinement des populations dans le monde, le
paradigme conjoncturel a radicalement changé avec des PIB attendus en forte
baisse durant l’année 2020. Concernant le premier trimestre 2020, pour lequel
une première estimation des comptes nationaux est disponible, et même si des
révisions plus importantes que d’habitude sont à attendre, la croissance de
l’activité économique paraît pouvoir être rapprochée des mesures de restriction
de l’activité prises au cours de la même période.



Compte tenu de la multiplicité des mesures de
confinement et de leur nature qualitative, il est difficile de détailler
l’ensemble des décisions prises et surtout d’exprimer leur intensité. Les
chercheurs de l’Université d’Oxford et de la Blavatnik School of Government ont
néanmoins proposé un indicateur mesurant la rigueur des réponses
gouvernementales[2]. Cet
indicateur tente de synthétiser les mesures de confinement adoptées dans 163
pays selon deux types de critères : d’une part la sévérité de la
restriction pour chacune des huit mesures répertoriées (fermeture des écoles,
des entreprises, limitation des rassemblements, annulation d’événements
publics, confinement à domicile, fermeture des transports publics, restriction des
voyages domestiques et internationaux) et d’autre part le caractère local
ou national de chaque mesure dans un pays.

Au sein de l’ensemble des mesures répertoriées, certaines ont des effets directs sur l’activité, comme les fermetures, d’autres des effets plus diffus ou redondants, comme par exemple la limitation des rassemblements, le confinement à domicile ou les restrictions imposées aux activités événementielles. Parmi les mesures qui composent l’indicateur synthétique, deux nous paraissent avoir le plus d’influence sur l’activité : la fermeture des écoles (qui empêche l’activité des parents pour garder les enfants s’ils ne télétravaillent pas) et la fermeture plus ou moins étendue des entreprises et des commerces. Selon la méthodologie conçue par l’Université d’Oxford, le degré de sévérité des mesures est caractérisé sur une échelle conventionnelle allant de 0 (mesure inexistante) à 3 ou 4 dans leur application la plus contraignante. Par ailleurs, selon qu’une mesure est nationale ou reste simplement localisée géographiquement, son impact sur l’activité peut être différencié, caractéristique que nous avons prise en compte[3]. Au final, nous avons reconstruit un indice de sévérité à partir de ces deux seuls critères en appliquant la méthodologie de l’Université d’Oxford pour obtenir un indicateur davantage ciblé sur les effets économiques du confinement (Graphique 1).

À partir de
ces indicateurs, on peut juger de la sévérité des confinements par
pays sous l’angle de la précocité de leur mise en œuvre et de la
contrainte imposée par les mesures de fermeture et leur généralisation (Tableau
1 ).

Après les
premières mesures de confinement adoptées par la Chine courant janvier,
l’Europe est rapidement devenue l’épicentre de la pandémie, conduisant les pays
à prendre progressivement des mesures de fermetures. L’Italie a été le premier
pays développé à prendre de telles mesures : localement dès le 22 février
avec des fermetures très contraignantes dans une dizaine de communes, étendues
le 8 mars aux régions de Lombardie et de Veneto, avant d’être généralisées à
l’ensemble du pays dès le 10 mars.

Les autres
pays européens ont suivi tour à tour pour freiner la propagation du virus face
à la saturation des capacités hospitalières. L’Espagne et la France ont ainsi
mis en place des mesures strictes de confinement. L’Espagne à partir du 9 mars localement
puis le 16 au niveau national pour les écoles, et enfin le 14 mars pour la
plupart des entreprises (mesure qui a été étendue le 30 mars à l’ensemble des
entreprises non essentielles) ; la France à partir du 2 mars avec la fermeture
d’une centaine d’écoles dans l’Oise et dans diverses villes (Normandie, …),
puis la fermeture nationale des écoles le 16 mars et la fermeture totale des
entreprises non essentielles le 17 mars.

À l’autre
bout du spectre, la sévérité des fermetures d’entreprises est restée faible en
Allemagne (fermeture simplement recommandée) et a été appliquée plus
tardivement que dans les autres pays (le 22 mars). En revanche, la fermeture
des écoles a été totale, avec une mise en œuvre en deux temps, à savoir des
fermetures à l’échelon local dès le 26 février suivies d’une généralisation au
pays le 18 mars. Quant au Royaume-Uni, le gouvernement a fait le choix de
confiner plus tardivement, avec une fermeture des écoles le 23 mars[4]. La
fermeture des entreprises a en revanche été concomitante de la France mais
beaucoup moins sévère. Les États-Unis ont aussi conduit un confinement souple
avec l’absence de mesures nationales au premier trimestre, même si ces
dernières ont entraîné localement des fermetures totales d’écoles et d’entreprises
non essentielles. Parmi les pays avancés, seule la Suède se distingue par
l’absence de mesures fortes de confinement[5].

Pour évaluer
dans quelle mesure les politiques de confinement ont pu avoir un impact sur
l’activité économique, nous nous sommes appuyés sur les indices de sévérité des
fermetures (écoles et entreprises/commerces) calculés précédemment. Ces
indicateurs, calculés en moyenne sur le premier trimestre, ont été rapprochés
des taux de croissance du PIB sur la même période par le biais d’une
corrélation. La corrélation établie ainsi apparaît clairement négative, avec un
coefficient de corrélation de -0,76 (Graphique 2).
Au vu du degré de sévérité des fermetures, on pourrait s’attendre à ce que certains
pays révisent leur PIB à la baisse (Irlande, Pologne, Pays-Bas, Grèce, Corée
par exemple), et d’autres à la hausse (Espagne, France, Portugal, Belgique). Certaines
révisions ont déjà eu lieu en ce sens entre la première version des comptes du
premier trimestre publiée fin avril et celle publiée fin mai, de -5,8 à -5,3 %
pour la France et de -4,7 à -5,3 % pour l’Italie[6]. En
revanche, les États-Unis, la Suède et le Danemark affichent une évolution du
PIB qui semble conforme à la sévérité des restrictions qu’ils ont mises en
œuvre[7]. La
Chine quant à elle, pays d’où est partie la pandémie, a passé plus des 2/3 du
premier trimestre en confinement. Selon la première estimation, le PIB chinois
a baissé de 10,7 % au premier trimestre 2020 en rythme trimestriel, soit
nettement plus que les autres pays, ce qui semble en ligne avec l’ampleur du
confinement qui y a sévi même si des révisions en hausse sont possibles.

Naturellement, cette corrélation reste imparfaite dès lors que les comportements des agents économiques peuvent être affectés autrement que par les mesures obligatoires. Par exemple, la crainte de la contamination peut ainsi repousser des achats impliquant des contacts sociaux même en l’absence de contraintes légales. De plus, le caractère anxiogène de la crise peut pousser à la constitution d’une épargne de précaution.


[1] Ce
texte est issu du Policy brief «
Évaluation de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de
confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », OFCE Policy brief, n° 69, 5 juin 2020.

[2] Voir Hale Thomas, Sam Webster, Anna
Petherick, Toby Phillips, et Beatriz Kira (2020), Oxford COVID-19 Government Response Tracker, Blavatnik School of
Government.

[3] Les
mesures locales ont été pondérées conventionnellement par 0,5 dès lors qu’elles
peuvent avoir un effet sur l’activité globale.

[4] Le
gouvernement avait initialement fait le pari de l’immunité collective en
laissant se propager le virus au sein de la population.

[5] Il est à
noter que ce pays a enregistré par ailleurs des résultats moins bons en matière
de mortalité que ses voisins nordiques.

[6] Voir
sur ce point, Le Bayon S., Péléraux H., « Les comptes nationaux à
l’épreuve du coronavirus », le Blog
de l’OFCE
, 12 juin 2020.

[7] Le chiffre agrégé pour la
Suède masque toutefois des évolutions contrastées entre la demande intérieure
qui a régressé et le commerce extérieur qui affiche une contribution
positive ; voir sur ce point Dauvin M., Sampognaro R., « Suède et
covid-19 : l’absence de confinement ne permet pas d’éviter la récession »,
le Blog de l’OFCE, 30 juin 2020.




Le chômage partiel, outil crucial en temps de crise : une évaluation au mois d’avril 2020

Par Département Analyse et Prévision, rédigé par Céline Antonin et Christine Rifflart

Le marché du travail a été frappé de plein fouet par la chute d’activité générée par la crise de la Covid-19. Dès la mi-mars 2020, les décisions d’urgence sanitaire prises pour endiguer la propagation du virus ont contraint les entreprises à s’ajuster. Les commerces non essentiels et les lieux recevant du public ont dû fermer mais plus largement, c’est l’ensemble des entreprises qui a dû faire face à ce choc d’ampleur inédite. Afin de protéger la structure productive et de soutenir le pouvoir d’achat, les gouvernements européens ont mis en place des mesures ciblées sur le marché du travail, d’ampleur inégalée – même au pire moment de la crise de 2008 – dans le but de mutualiser le coût économique et social de la crise. En particulier, les dispositifs de chômage partiel (ou activité partielle) indemnisant les salariés en cas de réduction temporaire de la durée du travail, permettent de limiter l’impact de la crise sur l’emploi. Sur la base du Policy Brief 69[1] rédigé par le Département Analyse et Prévision de l’OFCE, nous retraçons brièvement les conséquences de cette crise sur l’emploi au cours du mois d’avril et soulignons que l’impact final sur l’emploi salarié apparaît in fine, du moins en Europe, très faible au regard des pertes potentielles d’emplois liées à la crise, notamment grâce au dispositif du chômage partiel. Faute d’un dispositif similaire, les Etats-Unis connaissent de très fortes destructions d’emplois salariés.



La demande de travail
s’ajuste instantanément et intégralement à la baisse d’activité…

Le Policy Brief 69 évalue l’impact économique de la pandémie sur l’économie mondiale en avril 2020, et notamment sur le marché du travail. L’analyse est menée sur les 5 grands pays de l’Union Européenne (Allemagne, France, Italie, Espagne et Royaume-Uni) et les Etats-Unis. Etant données la sévérité des mesures de confinement prises dans les différents pays, la chute d’activité aura été un peu moins violente aux Etats-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni – la valeur ajoutée ayant chuté de respectivement 22, 24 et 25 % en avril – qu’en France, en Italie et surtout en Espagne, pays dans lesquels la chute atteindrait respectivement 30 %, 32 % et 36 % sur un mois.

Face à un tel choc, nous supposons que les entreprises réduisent immédiatement leur demande de travail et ce, dans les mêmes proportions que la chute d’activité qu’elles enregistrent. Compte tenu de la structure productive de chacun des pays et d’un contenu en emplois particulièrement fort dans les secteurs directement frappés par les fermetures administratives (commerces, hôtellerie-restauration, loisirs), l’impact total est plus fort sur la demande de travail que sur l’activité, à l’exception de l’Allemagne, mieux protégée du fait de sa spécialisation dans l’industrie manufacturière (tableau). Cette caractéristique allemande rend l’ajustement au sein des entreprises, moins coûteux qu’ailleurs. Dans les 5 autres pays, les pertes potentielles d’emploi sont estimées à entre 30 et 40 % de l’emploi total en avril.

… mais le chômage
partiel permet de limiter fortement les destructions d’emplois

Dans ce contexte, les entreprises
ont eu massivement recours au mécanisme de chômage partiel pour reporter leurs coûts
salariaux sur l’Etat, d’autant que les conditions d’éligibilité sont larges
(baisse d’activité liée à la crise, affiliation des salariés au régime de
Sécurité sociale). Le taux de prise en charge par l’Etat est variable : il
dépend à la fois du taux de remplacement et du plafond de compensation du
salaire. Le taux de remplacement est plus ou moins généreux selon les régimes
nationaux, et selon que les autorités se situent dans une logique de maintien
du pouvoir d’achat ou dans une logique de revenu de subsistance (Italie,
Espagne). La France répond à la première logique de maintien du pouvoir
d’achat, avec un taux de remplacement d’environ 84 % du salaire net et un
plafond de compensation élevé au mois d’avril. L’Italie et l’Espagne se situent
davantage dans la seconde logique avec un plafond de compensation faible, de
même que l’Allemagne, qui connaît un taux de remplacement faible (60 à 67 % du
salaire net). Par ailleurs, se pose en Allemagne le problème des Minijobbers, qui bien qu’étant salariés
ne sont pas couverts par l’assurance chômage, et sont donc exclus du dispositif
de chômage partiel. Or, d’après nos estimations, 1,5 million de Minijobbers, soit 3,6 % de l’emploi
salarié allemand, seraient affectés par les fermetures ou la chute d’activité
dans les secteurs où ils travaillent.

Malgré ces imperfections, le mécanisme d’amortisseur du chômage partiel a été une arme efficace pour permettre de sauver, au moins transitoirement, la grande majorité des emplois qui auraient été potentiellement détruits, (graphique). On estime que les pertes effectives d’emplois salariés concerneraient environ 1 % de l’emploi salarié total en France et en Italie et 3 % en Espagne et au Royaume-Uni. L’Allemagne qui rappelons-le, subit une chute d’activité moins forte que les autres pays européens, enregistre des destructions sèches d’emplois plus élevées du fait du poids des Minijobbers : ces derniers représenteraient 80 % des 1,8 million d’emplois salariés perdus.

Le rôle crucial du chômage partiel s’apprécie notamment à l’aune de la situation des Etats-Unis[2]. Le mécanisme de mutualisation du coût du travail n’existant pas (ou peu), il revient aux entreprises de gérer les conséquences de la crise : licencier ou assumer le cout financier de maintenir l’emploi. Selon le Bureau of Labor Statistics, les pertes d’emplois salariés enregistrées pour le mois d’avril atteignent 22,4 millions, soit 14,6 % de l’emploi salarié total. Elles représenteraient 48 % de la baisse de la demande de travail salarié par les entreprises selon nos hypothèses – ce qui suggère une forte rétention de main d’œuvre par les entreprises -, contre 3 % en France et en l’Italie, 8 % en Espagne et au Royaume-Uni, et 19 % en Allemagne (3,4 % hors Minijobs).


[1] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief69.pdf

[2] https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/quelle-information-tirer-des-chiffres-du-chomage-americain-sur-la-reprise/




Plan de relance européen : attention aux incohérences

Jérôme Creel (OFCE & ESCP Business School) [1]

Le 27 mai dernier, la Commission européenne a proposé la
création d’un nouvel instrument financier, Next Generation
EU
, doté de 750 milliards d’euros. Reposant sur plusieurs piliers, il
serait notamment accompagné d’un nouveau dispositif pour favoriser la relance
d’activité dans les pays les plus touchés par la crise du coronavirus, en sus
du Pandemic Crisis Support adopté par le Conseil européen en avril 2020. Ce
nouveau dispositif intitulé Recovery and Resilience Facility serait doté de 560
milliards d’euros, soit peu ou prou le même montant que le Pandemic Crisis
Support. Le Recovery and Resilience Facility s’en distingue cependant
doublement : d’une part, par le fait qu’une partie de son budget donnera
lieu à des transferts plutôt qu’à des prêts ; d’autre part, par son
horizon temporel, bien plus long.



Le Pandemic Crisis Support (et les outils complémentaires
adoptés en même temps, voir Creel,
Ragot & Saraceno, 2020
) consistait exclusivement en prêts et les gains
nets que pouvaient en retirer les Etats membres étaient par définition
faibles : les prêts européens permettaient une réduction de charges
d’intérêt pour les Etats soumis à des taux d’intérêt de marché élevés. Le gain
pour l’Italie, gravement touchée par la crise du coronavirus, était de l’ordre
de 0,04 à 0,08 % de son PIB (il n’y a pas de faute de frappe !).

Au titre du Recovery and Resilience Facility, les Etats
membres de la zone euro se partageraient 193 milliards d’euros de prêts et 241
milliards d’euros de transferts, soit au total 78% des montants alloués (le
reste ira aux Etats de l’Union européenne non membres de la zone euro). Les
prêts produiront des gains nets faibles aux Etats membres (les économies sur
les écarts de taux, les fameux spreads),
tandis que les transferts produiront des gains plus considérables puisqu’ils ne
seront pas assujettis à un remboursement, sinon via l’augmentation entre 2028
et 2058 des contributions au budget européen (si des ressources propres n’ont
pas été créées ou augmentées d’ici là). A court terme, en tout cas, les
transferts perçus sont des gains nets pour les bénéficiaires : ils
n’auront besoin ni d’émettre une dette ni de payer des charges d’intérêt sur
cette dette.

Exprimés en pourcentage du PIB de 2019, les gains nets dus
aux transferts sont loin d’être négligeables (tableau 1)[2] :
9 points de PIB pour la Grèce, 6 pour le Portugal, 5 pour l’Espagne et 3,5 pour
l’Italie. Vu la chute du PIB attendue en 2020, ils sont plus importants encore.
Le volontarisme de la Commission est donc clairement visible.

Pour autant, ces transferts n’ont pas vocation à être
mobilisés dans le court terme. La Commission européenne a beau jeu de vouloir
que les montants alloués soient dépensés au plus vite, en 2021, 2022 et en tout
cas avant 2024. C’est ce qu’elle nomme le « front-loading » : ne
pas remettre à demain ce qu’on pourrait faire aujourd’hui. Sauf que la clé de
répartition des dépenses de transferts au cours du temps est un peu en
contradiction avec ce principe (tableau 2). Les engagements de transferts
seraient concentrés en 2021 et 2022, mais les paiements effectifs seraient
prévus plus tardivement : moins d’un quart d’ici 2023, la moitié en 2023 et
2024, le solde au-delà. Un tel décalage est fréquent : il faut un peu de
temps pour concevoir un projet d’investissement et pour s’assurer de sa
conformité avec les ambitions numériques et d’économie bas-carbone de la
Commission européenne.

Du coup, les transferts aux Etats membres vont mettre un peu
de temps à être effectivement versés (tableau 3) et ceux le plus en difficulté
devront être résilients avant de bénéficier des fonds de relance et… de
résilience. Cela semble contradictoire. Il faudra ainsi attendre 2022 en Grèce
et au Portugal et 2023 en Espagne et en Italie pour percevoir effectivement
autour d’1 point de PIB chacun. Cela correspondra à 3 milliards d’euros pour la
Grèce, 2 pour le Portugal, et 14 pour l’Espagne et l’Italie respectivement. A
titre de comparaison, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas recevront alors
respectivement 5, 7 et 1 milliards d’euros, soit entre 0,2 et 0,3 pourcent de
leur PIB.

On imagine les cris d’orfraie des représentants des pays frugaux (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède) à propos de ces dépenses immenses qui récompensent les pays non vertueux. Qu’ils se rassurent : on est encore loin de la gabegie !


[1] Ce texte
est paru dans Les
Echos
le 23 mai 2020, sans les tableaux.

[2] La règle
de répartition des transferts entre pays figure dans le document COM(2020) 408
final/3 du 2 juin 2020. Elle dépend pour chaque pays de la taille de sa
population, de l’inverse du PIB par habitant par rapport à la moyenne de
l’UE-27, et de l’écart de son taux de chômage sur 5 ans par rapport à la
moyenne de l’UE-27. Afin d’éviter une trop forte concentration des transferts
dans quelques pays, des limites ad hoc
sont imposées sur ces trois critères. A titre d’exemple, l’Allemagne recevra 7%
des transferts, la France 10%, l’Espagne et l’Italie 20% respectivement.




Suède et Covid-19 : l’absence de confinement ne permet pas d’éviter la récession

Par Magali Dauvin et Raul Sampognaro, DAP OFCE

Depuis l’arrivée de l’épidémie de Covid-19 sur le vieux continent, les différents pays ont mis en œuvre des mesures fortes pour limiter les foyers de contamination. L’Italie, l’Espagne, la France et le Royaume-Uni plus tard se sont distingués par des mesures particulièrement fortes, incluant notamment le confinement de la population ne travaillant pas dans des secteurs essentiels. A contrario, la Suède s’est distinguée par l’absence de confinement. Si les événements avec du public ont été bannis, comme dans le reste des grands pays européens, aucune décision de fermeture administrative de commerces n’a été décidée ni de contrainte légale sur les déplacements domestiques[1].



Compte tenu de la multiplicité des mesures et leur nature qualitative, il est difficile de détailler l’ensemble des décisions prises et surtout d’exprimer leur intensité. Les chercheurs de l’Université de Oxford et de la Blavatnik School of Government ont construit un indicateur mesurant la rigueur des réponses gouvernementales[2]. Cet indicateur montre bien la spécificité du cas suédois en Europe (Figure 1).

Les données de mobilité fournies
par Apple Mobility offrent une image
complémentaire de la sévérité des confinements selon les pays. Au moment où le
confinement a été le plus fort, la mobilité automobile a été réduite de 89 % en
Espagne, 87 % en Italie, 85 % en France et de 76 % au Royaume-Uni. La baisse a
été moins forte en Allemagne et aux États-Unis (de l’ordre de 60 % dans ces
deux pays). Enfin, la Suède aurait vu son trafic réduit de
« seulement » 23 %. Si ces données sont à prendre avec prudence,
elles donnent aussi un signal clair sur le timing et l’ampleur du confinement
mis en place dans les différents pays et montre une nouvelle fois une exception
suédoise.

Au cours de la première quinzaine
du mois de mai, les différents pays européens ont commencé à lever,
progressivement, les mesures prises afin de lutter contre la propagation de
l’épidémie de Covid-19.

Le PIB suédois résiste au 1er
trimestre

Lors de notre évaluation de l’impact du confinement sur l’économie mondiale nous avons mis en avant la corrélation entre la baisse du PIB observée au 1er trimestre et la sévérité des mesures mises en place pour lutter contre la Covid-19. Dans ce contexte, la Suède (en rouge dans la Figure 2) s’en sort nettement mieux que le groupe des pays membres de l’OCDE (barre verte) et surtout que le reste de l’Union Européenne (barre violette). Même s’il s’agit d’une première estimation, le PIB a non seulement mieux tenu qu’ailleurs mais a même affiché une stabilisation (+0,1 %). Seuls quelques économies émergentes, peu touchées par la pandémie en début d’année (Chili, Inde, Turquie et Russie), et l’Irlande qui a bénéficié de facteurs exceptionnels auraient fait mieux au 1er trimestre[3].

La relative résistance du PIB en
Suède au 1er trimestre semble suggérer que la Suède aurait trouvé un
arbitrage différent entre objectifs épidémiologiques et économiques par rapport
aux autres pays[4]. Or, ce
chiffre agrégé masque des évolutions importantes à garder en tête. Au
1er trimestre
, la stabilisation
du PIB suédois s’explique par la contribution positive du commerce extérieur
(+1,7 point de PIB) à la faveur d’exportations dynamiques (+3,4 % en volume),
notamment au mois de janvier avant que toute mesure sanitaire soit prise.

Au 1er trimestre, la
demande intérieure suédoise a pesé sur l’activité (contribution de -0,8 point
de PIB de la consommation des ménages et de -0,2 point de PIB pour
l’investissement) comme dans le reste de l’UE. Certes le choc sur la demande
intérieure a été plus atténué qu’en zone euro où la consommation contribue
négativement sur le PIB à hauteur de 2,5 points et l’investissement de 0,9
point. Néanmoins les recommandations de distanciation physique mises en œuvre
en Suède auraient eu un impact non négligeable au cours du 1er
trimestre.

Dans un contexte global
perturbé, la Suède ne pourra pas échapper à une récession

Si l’on fait l’hypothèse que
l’absence de confinement et des fermetures administratives relativement
limitées (au-delà des spectacles avec du public) ne créent pas de choc
significatif de demande intérieure – ce qui semble optimiste au regard des
données du 1er trimestre- la Suède restera néanmoins fortement
touchée par le choc de commerce mondial[5].

Selon nos calculs, réalisées à l’aide des tableaux entrées-sorties issus de la World Input-Output Database (WIOD)[6] et de notre estimation du choc de confinement du Policy Brief 69, la valeur ajoutée devrait reculer de 8,5 points en Suède au mois d’avril du fait des mesures de confinement dans le reste du monde. Le choc serait particulièrement fort dans l’industrie, il est semblable à celui que nous estimons au niveau mondial (-19 % et – 21% respectivement). Sans surprise, l’industrie du raffinage (-32%), la fabrication de matériels de transports (-30%), de biens d’équipements (-20%) et la branche des autres industries manufacturières (-20%) se prennent de plein fouet l’arrêt de l’activité mondiale. Une part importante de la production étant destinée à être utilisée par les branches étrangères, les mesures de confinement prises au niveau mondial contribuent à la baisse de la production suédoise de près de 15 points au mois d’avril (Figure 3). Du côté des services marchands, le constat reste identique : l’exposition aux chaînes de production mondiales pénalise le transport et entreposage (-15%) et la branche des services aux entreprises (-11%).  Finalement, la diffusion de l’impact des mesures de confinement passe principalement par le commerce intra-branche.

La faiblesse de l’industrie
manufacturière, lestée par les échanges internationaux, semble confirmée par
les premières données dures disponibles. Selon
l’office statistique suédois
, les exportations reculent de 17 % en
glissement annuel, chiffre comparable avec la baisse du commerce mondial telle
que mesurée par le CPB au cours du même mois (-16 % en volume). Dans ce
contexte, la production manufacturière serait inférieure de 17 % au mois
d’avril par rapport à son niveau un an plus tôt.

Que peut-on dire sur la
demande intérieure au T2 ?

Dans un contexte d’incertitude
généralisée, la demande intérieure peut rester pénalisée. En effet, les ménages
suédois peuvent légitimement se questionner sur les conséquences sur l’emploi
du choc – essentiellement industriel- décrit ci-dessus. Par ailleurs, la
peur de l’épidémie peut dissuader des consommateurs à réaliser certains achats
impliquant des fortes interactions sociales même en absence de contraintes
légales. Que nous apprennent les données suédoises du début du 2e
trimestre à propos de la demande intérieure suédoise?

En Suède, la consommation des
ménages a reculé au mois de mars (-5 % en glissement annuel). Pour rappel les
consignes de précaution et les mesures de distanciation physique ont été
instaurées le 10 mars. La baisse s’est accentuée en avril, après un mois
complet d’application des mesures (-10 % en glissement annuel). En effet, les
mesures en place ont sanctionné les achats dans l’habillement (-37%), le
transport (-29%), l’hébergement-restauration (-29%) et les loisirs (-11%). Si
les données restent parcellaires, les ventes de détail du mois de mai,
indicateur qui ne couvre pas la totalité du champ de la consommation suggère que
les ventes restent sévèrement affectées dans les magasins d’habillement (-32%).
Par ailleurs, les immatriculations de véhicules neufs ont poursuivi leur chute
en mai (-15 % sur un mois et -50 % en glissement annuel). Dans l’attente de
données plus récentes sur l’activité dans le reste de l’économie, le volume
d’heures travaillées[7]
au mois de mai reste très faible dans l’hébergement-restauration (-50 %), dans
les services aux ménages et la culture (-18%) suggérant que des pertes
d’activité fortes et durables peuvent être attendues.

Point positif, les données montrent
une tendance à la normalisation des achats des ménages au mois de mai pour certains
postes de la consommation. Comme dans d’autres pays européens, le rebond a été
particulièrement fort dans l’équipement du ménage, secteur où les ventes de
détail ont retrouvé leur niveau d’avant-Covid et dans l’équipement sportif
alors que la consommation alimentaire reste soutenue.

Au final, les mesures sanitaires
prises en Suède depuis le début du confinement semblent proches de celles en
place dans le reste en Europe depuis la levée progressive du confinement. Si
les chocs sur la consommation de certains produits sont moins forts que ceux
observés en France, on remarque que, dans le contexte de l’épidémie, certains
postes de la consommation peuvent être sévèrement affectés même en absence de
fermetures administratives. Au-delà du choc récessif importé du reste du monde,
la Suède souffrirait aussi d’une demande intérieure qui devrait rester contenue
particulièrement dans certains secteurs. Le cas suédois suggère que les
secteurs liés à l’habillement, de l’automobile, de l’hébergement-restauration et
les services aux ménages et activités culturelles pourraient
subir un choc durable même en absence de mesure contraignante. Selon les
données disponibles au mois de mai, ce choc pourrait amputé la consommation des
ménages de 8 points de la consommation des ménages, ce qui représente 3 points
de PIB. La persistance du choc dépendra de l’évolution de l’épidémie en Suède
comme dans le reste du monde.


[1]
Le cadre institutionnel suédois permet d’expliquer en partie cette réponse
différenciée, misant plus sur la responsabilité individuelle que sur la
contrainte (voir https://voxeu.org/article/sweden-s-constitution-decides-its-exceptional-covid-19-policy).
La faible densité de population pourrait aussi expliquer la différence de
comportement vis-à-vis du reste de l’Europe mais pas par rapport à ses voisins
scandinaves.

[2]
Cet indicateur tente de synthétiser les mesures de confinement adoptées selon
deux types de critères : d’une part la sévérité de la restriction pour chaque
mesure répertoriée (fermeture des écoles, des entreprises, limitation des
rassemblements, annulation d’événements publics, confinement à domicile,
fermeture des transports publics, restriction aux voyages domestiques et
internationaux) et d’autre part le caractère local ou généralisé de chaque
mesure dans un pays. Pour une discussion sur l’indicateur voir le Policy
brief 69
.

[3] Les
exportations très dynamiques en mars 2020
(+ 39 %  en valeur) portées par une forte demande de
de produits pharmaceutiques et informatiques ont permis de contrebalancer la
chute de la demande intérieure irlandaise au premier trimestre .

[4] Ce post
de blog ne porte pas sur l’efficacité des mesures suédoises en ce qui concerne
le cantonnement de l’épidémie. La mortalité liée à la covid-19 en Suède serait
supérieure à celles des pays proches (Norvège, Finlande, Danemark) ce qui
semble suggérer que la Suède a pris des risques supérieurs d’un point de vue
épidémiologique. Ceci suscite des débats qui dépassent largement l’objet de ce
post de blog mais qui méritent d’être soulevés.

[5] La
contribution des échanges internationaux à la croissance peut être meilleur que
prévue en lien avec les contraintes sur le tourisme international. En effet, en
2018 la Suède avait une balance touristique négative de 0,6 % de PIB (source :
OECD Tourism Statistics Database) qui pourrait avoir un effet sur
l’activité domestique si les voyages restent limités, notamment pendant l’été.

[6] Timmer, M. P., Dietzenbacher, E.,
Los, B., Stehrer, R. and de Vries, G. J. (2015), “An Illustrated User
Guide to the World Input–Output Database: the Case of Global Automotive
Production”, Review of International
Economics
., 23: 575–605

[7] Au mois
de mai, le volume d’heures travaillées est en baisse de 8 % sur un an (après
-15 %). En mai, le rebond des heures travaillées se retrouvent essentiellement
dans l’industrie manufacturière et la construction. Dans les services
marchands, le rebond est moins marqué voire inexistant.




Réflexions sur la dynamique des faillites : entre court et long terme

par Jean-Luc Gaffard

La crise économique issue de la crise sanitaire a un aspect particulier et immédiat : l’activité économique a été stoppée totalement et brutalement du fait d’une décision administrative prise par les pouvoirs publics. Il s’en est suivi un défaut de liquidité des entreprises pouvant les conduire à la faillite. Dans le même temps, cependant, les mesures de chômage partiel et le report des charges sociales ont permis de réduire significativement ce risque et de prévenir des baisses de salaires qui auraient entraîné l’économie dans la spirale de la déflation et de la dépression. Cette politique peut être présentée comme une réponse au dysfonctionnement des mécanismes de sélection de marché opérant pour partie au détriment des entreprises productives. Elle est complétée par l’octroi de prêts garantis par l’État dans certains secteurs et pour certaines entreprises qui poursuivent le même but à une échéance plus éloignée (Policy Brief, n° 73 de l’OFCE).



La situation
ainsi créée conduit à interroger de manière renouvelée les mécanismes de
sélection, les relations entre l’État et le marché, le rapport entre les
événements de court terme et les performances à moyen terme des entreprises. Un
vieux débat peut resurgir qui est de savoir si, au-delà du très court terme, il
est opportun de privilégier une démarche macroéconomique visant à stabiliser
l’économie (à prévenir la dépression) ou de laisser la sélection de marché opérer
un nettoyage des entreprises structurellement condamnées, le fameux
« cleaning effect » que prônait Schumpeter à l’encontre de Keynes. Poser
la question en ces termes, c’est inévitablement se rapporter à la nature du
phénomène impliqué par la crise sanitaire. Est-ce un épisode extraordinaire et
de ce fait transitoire signifiant que l’on s’attend à une fluctuation en forme
de V ? Ou bien cet épisode, pour extraordinaire qu’il soit, vient-il se
greffer sur une évolution déjà marquée par de profondes et réelles
distorsions ? Dans le premier cas de figure, la dimension macroéconomique
de court terme de l’intervention publique l’emporte dans l’attente d’un retour
rapide à la normale dont l’un des aspects est le rétablissement d’un
fonctionnement efficace de la sélection de marché. Dans le second cas de
figure, une intervention purement conjoncturelle a d’autant moins de sens que
ce qui est en jeu est bel et bien l’interaction entre court et long terme, un
long terme qui ne saurait être réduit à l’existence d’un équilibre vers lequel
l’on convergerait naturellement pourvu de laisse jouer les forces du marché. On
l’aura compris le débat reste ouvert, quoique dans des termes modifiés, entre
tenants d’une analyse qui acceptent temporairement un gonflement des déficits
publics en gardant leur confiance dans le rétablissement aussi rapide que
possible de règles de neutralité monétaire et budgétaire, et tenants d’une
analyse qui entendent reconnaître la complémentarité entre l’État et le marché
dans une perspective de gestion récurrente des processus de destruction
créatrice inhérents aux économies de marché. Le propos, en l’occurrence, n’est
pas de restaurer le débat entre classiques et keynésiens, mais de le dépasser
en établissant le lien qui existe entre phénomènes conjoncturels et structurels,
la complémentarité entre politiques conjoncturelles et structurelles.

Initier ce
dépassement suppose de partir du fonctionnement du marché et du mécanisme de
sélection dont il est le siège en s’intéressant, non pas, d’entrée de jeu, à la
confrontation courante des entreprises sur ce marché, mais à leur confrontation
dans le temps au moyen de l’investissement, impliquant d’en considérer la
dimension financière.

La sélection
de marché s’inscrit dans deux effets. L’effet immédiat porte sur le contrôle
des ressources et se traduit par leur réallocation entre les entreprises
suivant leur niveau de compétitivité à un instant donné. Il n’est autre que
l’effet de nettoyage évoqué plus haut qui doit entraîner une augmentation de la
productivité et de la profitabilité de l’industrie, sans préjuger, au plan
macroéconomique, de la possible montée du chômage ou, plus exactement, en
imaginant que la réallocation en question va de pair avec une mobilité du
travail, fruit de la flexibilité des salaires, qui se dirige vers les emplois
les plus productifs. L’effet indirect porte sur la motivation (les
anticipations) de l’entreprise et relève de la création de ressources, et
concerne son comportement d’investissement. Il détermine la capacité de
l’entreprise de prévoir et de planifier.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est possible de prévoir le futur seulement si des contraintes lient le futur au présent (Richardson 1960). Quand une entreprise planifie d’investir, elle doit pouvoir faire des anticipations fiables à propos des circonstances qui la concernent et, particulièrement, à propos des offres futures, aussi bien concurrentes que complémentaires (les informations de marché) (ibid.). Former de telles anticipations dépend de quantités de facteurs, en fait des modes de coordination mis en œuvre qui sont d’ordre organisationnel. Il peut s’agir de l’imperfection et la division des connaissances qui sont à la base d’une concurrence monopolistique.  Il peut aussi s’agir d’arrangements contractuels à plus ou moins long terme, qui semblent relever d’imperfections de marché, mais sont en réalité des connexions incitant à investir en introduisant des contraintes ou des limites sur les investissements concurrents et complémentaires dont le but est de prévenir l’excès des premiers et le manque des seconds (ibid.). Dans tous les cas, la structure de marché est naturellement imparfaite. Les prix ne jouent nullement le rôle de coordination qui leur est attribué dans la théorie de la concurrence parfaite : ils sont plutôt stables, garantissant l’ancrage nécessaire à la prédiction de la demande et facilitant la planification financière. Le mécanisme de sélection ne s’en trouve pas forcément affecté : il s’exerce dans le temps. L’intérêt public sera d’autant mieux servi par la coexistence de plusieurs entreprises entre lesquelles le mécanisme de sélection opère, si la structure de marché (les imperfections de marché) rend possible l’introduction de nouveaux produits et de nouvelles technologies plus fréquemment et à moindre risque.

Un tel
mécanisme de sélection est étroitement dépendant de l’attitude des détenteurs
de capitaux. Au regard de la situation actuelle, comme nous l’avons souligné,
il est question, non seulement, de prévenir des difficultés de liquidité (de
trésorerie) à court terme imposées par la réponse administrative à la crise
sanitaire, mais aussi de se garder de mesures conduisant à un surendettement
fatal des entreprises à moyen terme.

Pour que les
entreprises puissent former des anticipations fiables et investir en
conséquence, non seulement les structures de marché doivent être imparfaites,
mais les arrangements conclus (y compris les contrats de travail à durée
indéterminée) doivent être validés par l’engagement des détenteurs de capitaux.
Cet engagement signifie que les entreprises doivent disposer de liquidités dans
les montants et les moments requis par des décisions d’investissement prises en
situation d’irréversibilité et d’incertitude. Un tel engagement est le fait des
banques et des actionnaires dont le comportement s’inscrit dans un
environnement institutionnel. Il appartient aux pouvoirs publics de fixer cet
environnement et de procéder, le cas échéant, aux réformes nécessaires. Dans le
cas qui nous occupe, des mesures spécifiques sont nécessaires en même temps que
des réformes à portée générale. Compte tenu de la situation créée par la crise
sanitaire, il est opportun que le soutien financier immédiat de l’État prenne
la forme d’entrées au capital des entreprises concernées ou d’obligations
convertibles en actions, précisément pour éviter un surendettement ultérieur source
de d’illiquidité et d’insolvabilité. De telles mesures n’excluent pas, bien au
contraire, de procéder aux réformes permettant de rendre patients les
détenteurs de capitaux, qu’il s’agisse de se prémunir de l’activisme de
certains fonds de placement en développant les actions de loyauté et
contrariant les transactions financières à haute fréquence, ou de favoriser la
banque dite de proximité plutôt que la banque de marché. Ce sont là autant de
conditions pour que le mécanisme de sélection de marché fonctionne correctement
du double point de vue micro et macroéconomique.

Références

OFCE, 2020, « Dynamique des défaillances d’entreprises en France et crise de la COVID 19 », Policy Brief, n° 73.

Richardson G. B., 1960, Information and Investment : A Study in the Working of the Competitive Economy, Oxford, Clarendon Press. Reedition 1990.




Quelle information tirer des chiffres du chômage américain sur la reprise ?

par Christophe Blot

Alors que certains craignaient
une envolée du chômage aux États-Unis et pronostiquaient un pic
au-delà de 20 %[1], les
chiffres communiqués par le Bureau of
Labor Statistics
pour le mois de mai ont surpris. Selon les données d’enquête,
le nombre de chômeurs a baissé de plus de 2 millions en un mois dans un
contexte marqué par la levée progressive des mesures restreignant l’activité et
la circulation des citoyens américains. Toutefois, les contraintes du
confinement ont également affecté la collecte d’information auprès des
entreprises et des ménages et potentiellement biaisé l’estimation du taux de
chômage. La baisse du chômage pourrait-elle être fallacieuse ? S’il ne
fait aucun doute que l’économie américaine est en récession[2], il n’en
demeure pas moins qu’il est crucial de savoir si le creux est passé ou si les États-Unis
continuent à s’enfoncer dans la crise économique.



Après la plus forte hausse du
chômage enregistré en un seul mois (+10,3 points, soit presque 16 millions de
chômeurs supplémentaires), les chiffres pour le mois de mai faisaient craindre
un nouveau record alors que les États n’assouplissaient que très
progressivement les mesures de confinement. Selon les données des chercheurs de
la Blavatnik School of Government de
l’Université d’Oxford, l’intensité du confinement aux États-Unis serait même sur un
plateau depuis fin mars. En l’absence de dispositif de chômage partiel et du
fait d’une grande flexibilité du marché du travail, l’ajustement de l’emploi à
l’activité se fait rapidement aux États-Unis. Les entreprises peuvent
facilement licencier ou réduire le nombre d’heures travaillées de leurs
salariés en cas de réduction de l’activité. Mais, la reprise se traduit
également par une remontée rapide des embauches, les entreprises pouvant
facilement rappeler les salariés licenciés.[3]  Les estimations publiées par le BLS le 5 juin indiquent une
amélioration de la situation avec une baisse de deux millions du nombre de
chômeurs et un nombre record de créations d’emplois en mai estimées à plus 2,5
millions. Le rebond de l’activité serait donc plus précoce et plus rapide
qu’anticipé même si le nombre de chômeurs restent à un niveau
exceptionnellement élevé, dépassant les 20 millions de personnes contre moins
de 6 millions en février. Néanmoins, les circonstances exceptionnelles ont
modifié les conditions dans lesquelles les enquêtes servant à établir
mensuellement la situation en termes d’emplois, de population active et de chômage,
ce qui perturbe la fiabilité des statistiques depuis le début de la crise. Le Bureau of Labor Statistics a
effectivement publié une mise en garde indiquant qu’en mai, le taux de réponse à
l’enquête auprès des ménages était inférieur de 15 points à son taux habituel et
qu’une partie des individus classés en emploi aurait probablement dû être
considérés comme chômeurs.  En effet,
certains individus auraient déclaré être en emploi mais ne pas travailler. En
l’absence de mécanisme de chômage partiel, ils auraient normalement dû être
considérés comme chômeurs, ce qui n’a semble-t-il pas été le cas. Selon le BLS,
ce problème de classification entre chômage et emploi pourrait représenter 3
points de taux de chômage supplémentaire. Notons cepend,ant que ce biais avait
déjà été signalé pour les deux mois précédents ce qui aurait alors conduit à
une sous-estimation du taux de chômage d’un point en mars
(5,4 % au lieu de 4,4 %) et de 5 points en avril
(19,7  % au lieu de 14,7 %).

Selon James
Hamilton
, professeur à l’Université de Californie, d’autres biais
viendraient s’ajouter à ces estimations du chômage. Pour le mois de mai, il
avance un taux de chômage plutôt proche de 20 %. Il note qu’en plus d’une
mauvaise répartition des individus entre chômage et emploi, il se pourrait que certains
individus soient à tort considérés en dehors de la population active. C’est le
cas notamment lorsque les individus sans emploi déclarent ne pas avoir
entrepris de démarche pour trouver un emploi pendant la période de référence,
condition nécessaire pour être comptabilisé au chômage. Depuis le mois de
février, l’enquête indique une baisse de la population active de 4,7 millions
de personnes. Les conditions économiques ont probablement découragé une
fraction des individus sans emploi à rechercher activement un emploi[4]. Mais,
avec la fin du confinement, une partie d’entre eux pourrait à nouveau rechercher
activement un travail mais sans garantie d’en retrouver un à court terme si
l’activité économique reste inférieure à son niveau d’avant-crise pendant plusieurs
mois, voire plusieurs trimestres. La baisse de la population active pourrait
être moins importante conduisant mécaniquement à sous-estimer le taux de
chômage de 1,6 point[5]. Coibion,
Gorodnichenko et Weber
(2020) indiquent néanmoins qu’il y a une proportion
relativement plus élevée qu’en période normale d’individus déclarant ne pas
avoir recherché d’emploi pare qu’ils faisaient le choix de prendre leur
retraite.

Par ailleurs, Hamilton observe
généralement un biais dans les réponses aux enquêtes selon que les individus
sont ou non interrogés pour la première fois[6]. Le taux
de chômage des personne n’ayant jamais été interrogées est généralement plus élevé
mais serait probablement une meilleure estimation du chômage. Enfin, il
apparaît que le BLS n’a pu enquêter certains individus en mai. Or, il semble
que les personnes n’ayant pu être interrogées un certain mois (m) mais pouvant être interviewées le
mois suivant, ont un taux de chômage 1,7 fois plus élevé que celles ayant été
contactées deux mois consécutivement. Ces deux facteurs contribueraient pour
1,9 point de taux de chômage supplémentaire. La prise en compte de ces
différents éléments suggère donc un taux de chômage de 19,8 % au lieu de
13,3 %. Notons cependant que ces biais ont sans aucun doute également
affecté les estimations du taux de chômage pour les deux mois précédents. La
baisse du chômage ne serait donc pas nécessairement fallacieuse mais, dans tous
les cas, le niveau du chômage resterait à un niveau qui n’avait sans doute pas
été observé depuis la Grande Dépression.

Un autre indicateur conduit à
relativiser l’amélioration sur le marché du travail. Depuis le début de la
crise, une attention particulière a été portée aux nouvelles demandes
d’inscription au chômage qui avaient atteint des niveaux jamais observés.
Ainsi, dès les premières mesures de restriction de l’activité, la semaine du 21
mars, le Département du Travail a enregistré 3,3 millions de nouvelles demandes
d’indemnisation. Le pic a été atteint la semaine suivant avec 6,8 millions de
demandes supplémentaires. Ce chiffre a reculé depuis mais reste toujours à des
niveaux qui n’ont pas été observés même au plus fort de la récession de
2008-2009 (graphique 1). En moyenne, depuis le 2 mai 2019, ces demandes
d’indemnisation supplémentaires s’établissent à 2,1 millions contre moins de 220
000 sur la même période de 2019. Au plus fort de la récession de 2008-2009, la
moyenne s’élevait à 653 000. Ce chiffre ne permet pas de déduire le chiffre du
chômage puisqu’il s’agit uniquement de demandes d’indemnisation. Or, tous les
demandeurs ne seront pas forcément comptabilisés comme chômeurs et il se peut
par ailleurs que certaines personnes sortent aussi du chômage. Néanmoins, il
témoigne du fait que le marché du travail est loin d’un fonctionnement normal
ou même d’un fonctionnement caractéristique d’une récession aussi forte que
celle de 2008-2009 qui, jusqu’à la crise du coronavirus, était la récession la
plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale. Si certains individus retrouvent leur
emploi, tout indique que d’autres sont encore nombreux à le perdre !

Notons toutefois qu’en dépit de
ces réserves, d’autres indicateurs conjoncturels suggèrent que le pire de la
crise pourrait être passé. D’une part, l’indice de production industrielle a
amorcé un rebond très léger en mai avec une hausse de 1,4 % (graphique 2).
Le niveau reste néanmoins plus de 15 points inférieur à celui de février. Si
reprise il y a, elle serait donc très modérée et le niveau de production est de
toute évidence bien inférieur au potentiel. Fortement impactées par la
fermeture des commerces non essentiels, les ventes de détail s’étaient repliées
de 14,8 % en avril après une première chute de plus de 8 % observée
dès le mois de mars. En levant progressivement ces restrictions, le rebond a
été direct et les ventes ont progressé de 17,7 % en mai, se situant
néanmoins 8 points en-dessous du niveau observé en janvier.  La reprise de l’emploi et la baisse du chômage
seraient donc cohérentes à l’aune de ces indicateurs.

La situation économique est donc
probablement ambivalente. Le pire de la crise est peut-être passé mais il est
encore prématuré pour en conclure qu’un rebond, même important, effacera
rapidement les effets de la crise. Aujourd’hui, ni le CBO (Congressional Budget Office), ni les membres du FOMC
(Federal Open Market Committee) ne
considèrent que les pertes de PIB seront totalement effacées en fin d’année
2021. Enfin, au-delà du rebond se pose la question des éventuelles cicatrices
de la crise qui pourraient durablement affecter le marché du travail et
probablement surtout les personnes les plus vulnérables.


[1] C’est le cas notamment de Jerome Powell, le président
de la banque centrale américaine : https://www.cnbc.com/2020/05/17/powell-says-jobless-rate-could-top-30percent-but-he-doesnt-see-another-depression.html.

[2] Selon le NBER, la crise de la Covid-19 aura mis fin à la plus
longue phase d’expansion enregistrée par l’économie américaine depuis 1857.

[3] Les enquêtes auprès des ménages font apparaître la
notion de « licenciement temporaire » lorsque les individus
considèrent qu’ils sont susceptibles d’être rappelés par leur employeur dans un
délai de six mois. Notons que même si une date de reprise éventuelle a pu être
communiquée par l’employeur, cette déclaration reste purement indicative et n’engage
ni l’employeur ni le salarié.

[4] En général, les individus déclarent ne pas être en
recherche active d’emploi parce qu’ils sont dans l’incapacité de travailler
pour raison de leur état de santé ou pour s’occuper d’un enfant ou parce qu’ils
partent en retraite ou n’ont pas besoin de travailler. Ils sont proportionnellement
peu nombreux à se déclarer explicitement découragés.

[5] Hamilton estime ce chiffre à 2,7 millions de
personnes. Il résulte du fait que d’une enquête à la suivante, des individus se
déclareraient initialement en dehors de la population active puis, le mois
suivant, avoir été en recherche d’emploi – et donc au chômage – depuis
plusieurs semaines.

[6] Ce phénomène d’attrition a également été identifié
pour la France par Davezies et d’Haultfœuille
(2011).




Effets contrastés des mesures de confinement au mois d’avril

Magali
Dauvin
et Paul
Malliet

Dans les différents Policy
Brief
qui ont été publiés par l’OFCE depuis le déclenchement de la Covid-19[1],
nous avons fait le choix méthodologique de fonder notre analyse à partir des
tables input-output de la base de
données entrées-sorties WIOD[2]
publiée en 2016. Cette dernière permet de pouvoir évaluer l’impact sur la
valeur ajoutée au niveau sectoriel (nomenclature NACE à 17 produits) du choc
mondial de confinement que plusieurs observateurs ont qualifié The Great
Lockdown
.



Récemment, nous avons évalué
l’impact économique des mesures de confinement pour le mois d’avril et
estimions que l’ensemble des mesures de restrictions prises à l’échelle
mondiale entraînerait une baisse du PIB mondial de 19 %[3].
Outre les effets propres à chaque pays, directement liés à la sévérité des restrictions
imposées sur leur territoire, les échanges internationaux conduisent également à
la propagation de ces chocs nationaux au reste du monde et un effet de retour
sur les économies domestiques. Au final, les effets finaux dépendent à la fois
du degré d’ouverture de chaque pays mais également de leur spécialisation sectorielle
et de leur intégration à la chaîne de valeur globale.

Diffusion du choc de confinement au mois d’avril

Dans l’approche retenue, la baisse de la demande dans chacune des économies se diffuse à l’économie mondiale par un effet direct de la baisse de la demande en biens finals importés (voir graphique 1, lignes reliant la colonne « Demande intérieure » à la colonne « Demande finale ») et aussi par l’ajustement induit des consommations intermédiaires (lignes de la colonne « Demande finale » à « Valeur ajoutée »).

À titre illustratif, le graphique 1 retrace l’origine de la valeur ajoutée et le mécanisme de diffusion du choc de confinement. Nous avons mis en évidence les pays que nous suivons particulièrement au sein du Département Analyse et Prévision, les autres apparaissent en gris clair. Prenons le cas de la Chine (en violet) puisque ces flux sont d’une importance telle qu’ils sont facilement remarquables. Le flux violet observé entre la première colonne et la deuxième colonne au niveau des États-Unis correspond aux importations de biens et services chinois une fois prises en compte les mesures de restrictions imposées aux États-Unis. Le flux observé liant les États-Unis dans la deuxième colonne à la Chine dans la troisième se lit comme le montant de valeur ajoutée liée aux exportations de biens et services américains (finaux et intermédiaires) vers la Chine.

Le commerce international joue en défaveur des pays qui avaient imposé
des restrictions relativement moins sévères

Le  Tableau 1
reprend la contribution de chaque zone géographique à la baisse de la valeur
ajoutée mondiale et par pays. La contribution des États-Unis à la perte de
production est la plus importante (- 5,4 points), cela est davantage dû à son
poids dans la valeur ajoutée mondiale que à la sévérité des restrictions
imposées au niveau domestique (23 % cf. tableau
1
du Policy Brief69).
En effet, les mesures de confinement en vigueur dans le monde au mois d’avril
2020 génèrent une baisse de la valeur ajoutée américaine de près de 22% dont 20,1
points liés directement à la baisse de la demande américaine tandis que seuls 2
points sont imputables à la baisse de la demande intérieure dans le reste du
monde.

Le diagnostic est le même pour la
Chine, dont le choc est faible au regard de celui évalué chez ses homologues[4].
En revanche, la position de la Chine en amont des chaînes de production dans
l’industrie (les matériels de transports, la fabrication d’équipements
électriques et d’autres produits industriels) entraîne une contribution du choc
dans le reste du monde plus élevée (-16,2 – 12,2 = -4) qu’aux États-Unis. Le
constat est d’autant plus remarquable pour l’Allemagne puisque près de 40 % de
la perte de VA est due à une chute de la demande dans le reste du monde, soit
une contribution de – 10 points. La baisse des importations mondiales de biens
industriels allemands pour usages intermédiaires constitue la plus grosse
contribution.

L’exposition des autres pays de
la zone euro et de l’Union européenne[5]
est similaire à celle de l’Allemagne en termes d’ampleur et des produits
affectés par le choc de confinement. La France, L’Italie, l’Espagne et le
Royaume-Uni sont quant à eux relativement moins soumis au reste du monde
considérant une contribution de l’ordre de 15 % à la baisse de leur VA,
soit près de 5 points. Cela tient à leur position davantage en aval dans les
chaînes de production mondiale.

Ces résultats illustrent l’hétérogénéité
des impacts du confinement mondial sur les différentes économies du globe, en
fonction de leur exposition au commerce international, et qui conduit à avoir
des pays pour lesquels l’impact sur l’activité est plus fort que le choc de
demande initial tandis que pour d’autres cela est l’inverse. Le rapport entre
ces deux variables (Demande intérieure/Valeur ajoutée) montre que les pays qui
disposent structurellement d’une balance commerciale excédentaire (Allemagne,
Chine, Japon) sont ceux qui perdent le plus (graphique 2).

Une meilleure prise en compte du tourisme pourrait modifier quelque peu ce résultat, en particulier pour les principales destinations touristiques mondiales (la France, l’Espagne ou l’Italie). Pour ceux-là, le ratio pourrait se dégrader et inversement, il pourrait s’améliorer pour ceux dont ces touristes étrangers sont originaires).

En définitive, les pays
les plus impactés par les mesures de confinement prises en avril sont les pays
européens. En premier lieu pour ceux où le confinement a été le plus
strict, en particulier la France, l’Espagne et l’Italie mais également ceux
pour lesquels la contribution extérieure à la baisse de l’activité est plus
importante malgré des politiques de confinement moins sévères, l’Allemagne
étant particulièrement affectée par ce canal.

Cette évaluation a été réalisée et publiée dans le Policy Brief69
et reste circonscrite à la période de de confinement en avril. Elle ne constitue
donc pas une évaluation de l’impact total, lui-même dépendant de la vitesse à
laquelle les différentes restrictions seront levées à travers le monde.


[1] Les OFCE Policy
Brief
65,
66
et 69.

[2] Timmer M. P., Dietzenbacher E., Los B., Stehrer R. et de Vries G. J.,
2015, « An Illustrated User Guide to the World Input–Output Database: The
Case of Global Automotive Production », Review of International Economics., n° 23, pp. 575-605.

[3] Voir
Département analyse et prévision de l’OFCE, 2020 : « Évaluation
au 20 avril 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des
mesures de confinement sur l’économie mondiale en avril 2020
. »

[4] Des mesures
de confinement ont été mises en place entre le 23 janvier et le 25 mars 2020 en
Chine. Dès la mi-mars, certaines commençaient à être levées.

[5] Ces
groupes de pays sont notés ZE* et UE* dans le tableau
1.




Comment utiliser le fonds de relance : une proposition pour un programme européen post Covid-19

Jérôme Creel, Mario Holzner, Francesco Saraceno, Andrew Watt and Jérôme Wittwer[1]

Le Fonds de relance récemment proposé par la Commission européenne marque un changement radical dans l’intégration européenne. Mais cela ne suffira pas pour relever les défis auxquels l’Europe est confrontée. Le financement a fait l’objet de nombreux débats, mais peu de choses ont été dites sur le type de projets concrets auxquels l’UE devrait consacrer le Fonds de relance. Nous proposons dans le Policy Brief OFCE, n° 72, un programme d’investissement de 2 000 milliards d’euros sur dix ans, axé sur la santé publique, les infrastructures de transport et l’énergie/décarbonisation.



Ce programme d’investissement est constitué de deux
piliers décrit dans la figure 1. Dans lepilier national, les
États membres – à l’instar de la proposition de la Commission – se verraient
allouer 500 milliards d’euros. Les ressources devraient être ciblées vers les
pays les plus touchés par la crise et concentrées en début de période :
nous suggérons un horizon de trois ans.

La
majeure partie des fonds investis –  1 500 milliards d’euros – serait consacrée au financement de projets
véritablement européens, pour lesquels l’UE apporte une valeur ajoutée. Nous
décrivons une série d’initiatives phares que l’UE pourrait lancer dans les
domaines de la santé publique, des infrastructures de transport et de
l’énergie/décarbonisation.

Nous recommandons
ainsi la création d’une agence européenne unique de santé publique qui investirait
dans les compétences du personnel de santé et faciliterait ensuite leur mobilité
entre les pays européens dans les situations d’urgence, et qui serait chargée
d’assurer l’approvisionnement en médicaments essentiels (programme Health4EU).

Nous
présentons également des propositions chiffrées pour deux initiatives de
transport ambitieuses : un réseau ferroviaire européen à grande vitesse, l’Ultra-Rapid-Train,
avec quatre itinéraires réduisant les temps de trajet entre les capitales et
les régions de l’UE, et une initiative européenne intégrée de « Route de
la Soie » qui combinerait les modes de transport sur le modèle chinois.

Dans le
domaine de l’énergie/décarbonisation, nous visons enfin à « électrifier »
le Green Deal. Nous appelons à un financement spécifique pour accélérer la
réalisation d’un réseau électrique intelligent et intégré pour la transmission
d’énergie 100 % renouvelable (e-highway), un soutien aux projets de batteries
complémentaires et d’hydrogène décarboné, et à un programme, inspiré de
l’initiative SURE, pour cofinancer les politiques de décarbonisation des États
membres ainsi que celles mises en œuvre via
l’instrument Just Transition de la Commission.

La crise induite par la pandémie, qui vient s’ajouter à la crise financière et à la crise de l’euro, constitue en soi un énorme défi. La réponse doit tenir compte des défis structurels à long terme, et principalement celui du changement climatique. L’Union européenne devrait relever ces défis par un programme de relance ambitieux à moyen terme doté d’un financement conséquent. Les grandes lignes d’un tel programme sont présentées dans ce Policy brief à titre d’illustration, mais de nombreuses permutations et options sont à la disposition des décideurs politiques.


[1] Jérôme Creel, Francesco Saraceno: OFCE,
Paris. Mario Holzner: wiiw Wien. Andrew Watt: Macroeconomic Policy Institute
(IMK), Düsseldorf. Jérôme Wittwer: Université de Bordeaux.




Observe-t-on une amélioration de la production industrielle en mai ? Une réponse à partir de l’analyse de la consommation d’électricité

par Eric Heyer

En indiquant une chute de plus de
21 %, les chiffres de la production dans l’industrie manufacturière pour le mois
d’avril, publiés par
l’INSEE le 10 juin
, ont douché l’espoir entretenu par les
enquêtes de la Banque de France
d’un
effondrement de moindre ampleur par rapport au mois de mars.



Ce résultat
en forte baisse est en revanche en ligne avec l’analyse
que nous faisions le mois dernier
à partir de la consommation totale
d’électricité en France. Une fois purgée des effets saisonniers, des jours
fériés, des aléas météorologiques (écart entre la température journalière et la
normale saisonnière) et des gains d’efficacité énergétique, il apparaissait
très clairement que la consommation d’électricité observée depuis le début du
confinement se situait très en deçà de sa valeur attendue, dont la raison
pourrait être une moindre utilisation des équipements productifs. Sur la base
d’une relation économétrique, nous avions anticipé une baisse de l’IPI de plus
de 18 %, confirmant le caractère inédit de la crise depuis la création de cet
indice et infirmant tout début d’amélioration de la situation dans l’industrie
en avril (graphique 3).

Les données
(Réseau
de Transport d’électricité
), observées au cours du mois de mai indiquent
que cette consommation est restée, malgré le déconfinement, encore très
nettement inférieure à celle attendue en période normale d’activité (graphique 1).

Agrégée en
donnée mensuelle, la consommation d’électricité a été inférieure de près de 15 %
par rapport à une « situation normale » en mai contre 18 % en avril
(graphique 2)

Une fois
corrigée de ses composantes non conjoncturelles, la consommation d’électricité
permet d’expliquer une partie des variations de l’indice de production industrielle
(IPI). Sur la période 2010-2019, nous avons estimé un modèle statique reliant l’IPI
et la consommation d’électricité[1].

Sur la base
de ce modèle économétrique, nous pouvons tenter d’estimer de façon anticipée l’IPI
du mois de mai 2020 qui sera publié le 10 juillet 2020 (Graphique 3). D’après
nos estimations, ce dernier pourrait connaître une hausse de 8 %. L’industrie
tournerait alors à 70% de sa capacité d’avant la crise (graphiques 3). 


[1] Cette
relation entre l’IPI et la consommation d’électricité a été estimée par la
méthode DOLS (Dynamic Least Squares), le nombre de lag et de lead étant
déterminé à l’aide du critère Akaike.




Les comptes nationaux à l’épreuve du coronavirus

par Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux

À la fin du mois d’avril, ou à la
mi-mai pour certains pays, les instituts statistiques nationaux des pays
développés ont publié une première version des comptes du premier trimestre.
Marquée d’abord par la détérioration des perspectives du commerce et du
tourisme, puis progressivement à partir de la mi-mars par l’instauration de
mesures de confinement destinées à lutter contre la propagation du virus,
l’activité économique était attendue en forte baisse sur l’ensemble du
trimestre. Sans surprise, les chiffres de croissance du PIB ont déjà concrétisé,
dans leur version provisoire, les effets économiques de ce confinement durant
les deux dernières semaines du trimestre.



Parmi les pays industrialisés ayant publié leurs premiers comptes, les États-Unis et le Royaume-Uni paraissent moins affectés que les pays européens et, parmi les pays européens, la France, l’Italie et l’Espagne affichent les chutes du PIB les plus fortes (Graphique). À l’autre bout du spectre, la Pologne, l’Australie, la Suède et l’Irlande ressortent pour le moment quasiment indemnes de la crise en comparaison des pays ayant subi les contractions les plus fortes.   

Ces disparités observées de
l’effet de la pandémie et du confinement sur la croissance proviennent en
premier lieu des chocs d’origine interne subis par les économies, avec la durée
du confinement qui détermine le temps de mise en veille de l’activité ainsi que
son intensité qui régit l’étendue des arrêts d’activité. Elles s’expliquent aussi
par le degré d’ouverture des pays et leur exposition différenciée aux chocs
subis par leurs partenaires commerciaux. Elles peuvent enfin résulter des
problèmes de construction des comptes nationaux dans le contexte inédit de la
crise du Covid-19 et de la manière dont les instituts statistiques nationaux
ont remédié aux difficultés inhérentes à la situation[1].

La plupart des instituts
statistiques souligne que ces résultats sont davantage susceptibles qu’à
l’accoutumée d’être révisés. L’expérience passée illustre à cet égard la
difficulté de prendre la mesure de l’impact des chocs majeurs sur l’activité
économique. Lors de la grande récession de 2008/09, les révisions des comptes
nationaux entre la première version publiée à l’époque et la version
d’aujourd’hui ont quasiment toujours été faites à la baisse, tant pour les
trimestres de grande récession que pour l’évaluation de la croissance en
moyenne annuelle (Tableau 1).
Dans la situation actuelle, incommensurablement plus grave qu’en 2008/09 et où
les chiffres de récession se comptent en points de PIB et non plus en dixièmes
de points, les révisions des comptes nationaux risquent de revêtir une ampleur
jamais vue.

Le processus de révision des comptes du premier trimestre 2020 a d’ailleurs été engagé un mois après la publication de leur version préliminaire. La contraction du PIB français, initialement estimée à -5,8 % le 30 avril, ce qui plaçait l’Hexagone en queue de peloton, a été révisée à la baisse à -5,3 % selon la deuxième estimation rendue publique le 29 mai. Symétriquement, l’Italie qui avait publié une contraction de son PIB de -4,7 % dans sa version provisoire de fin avril, l’a révisée à -5,3 % le 29 mai. Au final, en l’état de l’information à la fin mai, la France et l’Italie affichent des résultats égaux au premier trimestre 2020 (Graphique).

D’autres pays
ont également révisé leurs comptes, certains à la baisse, d’autres à la hausse (Tableau
2).
En tout état de cause, ce processus de révision des comptes n’en n’est qu’à son
début. Une étape majeure sera franchie l’année prochaine une fois que les
comptes trimestriels auront été calés sur les comptes annuels de 2020. Ces
comptes annuels, révisés à deux reprises jusqu’à leur version définitive en
2023, révéleront alors progressivement l’ampleur d’une récession incomparable
dont on ne perçoit actuellement que les prémisses.


[1] Voir sur
ce point Eurostat, « Guidance on quarterly national accounts estimates in the context of the
covid-19 crisis
 », Methodological
Note
, 24 avril 2020. Voir aussi pour la France, « La statistique publique à
l’épreuve de la crise sanitaire
 », Jean-Luc Tavernier, blog de l’INSEE, 6 mai 2020.