Que peuvent encore faire les banques centrales face à la crise ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le retour de nouvelles mesures de
confinement dans plusieurs pays devrait infléchir le rythme de la reprise
économique, voire entraîner une nouvelle chute de l’activité en fin d’année.
Pour faire face à ce risque, les gouvernements annoncent de nouvelles mesures
de soutien qui viennent dans certains cas compléter les plans de relance mis en
œuvre à l’automne. Du côté de la politique monétaire, aucune mesure supplémentaire
n’a pour l’instant été annoncée. Mais avec des taux proches ou à 0 % et
une politique massive d’achat de titres obligataires, on peut se demander si
les banques centrales disposent encore de marges de manœuvre. En pratique,
elles pourraient poursuivre les programmes de QE et augmenter les montants d’achats
d’actifs. Mais d’autres options sont également envisageables, comme celle d’une
monétisation des dettes publiques.



Avec la crise de la Covid-19, les
banques centrales – la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre ou la BCE – ont
repris ou amplifié leur politique de QE si bien que certains y voient une
monétisation de facto de la dette. Dans un récent Policy
Brief
, nous argumentons que le QE ne peut pas être strictement
considéré comme de la monétisation de la dette publique, notamment parce que
les achats de titres n’ont pas pour contrepartie l’émission de monnaie
mais de réserves excédentaires. Or celles-ci sont distinctes de la
monnaie en circulation dans l’économie puisqu’elles ne peuvent être utilisées
qu’au sein du système bancaire et qu’elles sont sujettes à un taux d’intérêt
(le taux des facilités de dépôt dans le cas de la zone euro) alors que la
monnaie ne l’est pas.

Notre analyse permet donc de
revenir sur les caractéristiques du QE et de préciser les conditions d’une
monétisation des dettes. Celle-ci devrait se traduire par i) une économie
d’intérêts payés par le gouvernement, ii) une création de monnaie, iii)
permanente (ou durable) et iv) refléter un changement implicite de l’objectif
des banques centrales ou de leur cible d’inflation. La mise en œuvre d’une
telle stratégie est donc une option à la disposition des banques centrales et
permettrait le financement de politiques budgétaires expansionnistes. Le
gouvernement, en contrepartie d’un ensemble de mesures budgétaires – transferts
aux ménages ou dépenses de santé, soutien aux entreprises – émettrait une
obligation perpétuelle à coupon zéro, achetée par les banques commerciales qui
créditeraient le compte des agents ciblés par les mesures de soutien. La dette
n’aurait aucune obligation de remboursement ou de paiement d’intérêt et serait
ensuite acquise par la banque centrale et conservée dans son bilan.

La monétisation serait
probablement plus efficace que le QE pour la stabilisation de la croissance
nominale. Elle réduirait le risque sur la stabilité financière induit par le QE
dont l’effet repose sur sa transmission aux prix d’actifs susceptibles de créer
des bulles de prix d’actifs ou d’inciter les agents privés à s’endetter de
façon excessive. La monétisation a souvent été repoussée en raison de la
crainte qu’elle se traduise par une hausse de l’inflation. Dans le contexte
actuel, une politique budgétaire expansionniste est nécessaire pour soutenir
l’activité et envisager la reprise, une fois que la pandémie sera maîtrisée.
Une accélération de l’inflation satisferait aussi les banques centrales et
l’insuffisance de la demande devrait largement réduire le risque d’une spirale
inflationniste hors de contrôle. La monétisation requiert une plus forte
coordination avec la politique budgétaire, ce qui rend sa mise en œuvre plus
difficile dans la zone euro.




Europe / Etats-Unis : comment les politiques budgétaires ont –elles soutenu les revenus ?

par Christophe Blot, Magali Dauvin et Raul Sampognaro

La forte chute de l’activité et ses conséquences sociales brutales ont conduit les gouvernements et les banques centrales à prendre des mesures ambitieuses de soutien afin d’amortir le choc qui s’est traduit par une récession mondiale inédite au premier semestre 2020, analysée dans le Policy Brief n° 78. Face à une crise sanitaire sans précédent dans l’histoire contemporaine, ayant nécessité des arrêts d’activité forcés pour freiner la propagation du virus, les gouvernements ont mis en place des mesures urgentes de soutien afin d’éviter l’enclenchement d’une crise incontrôlée susceptible d’altérer durablement la trajectoire économique[1]. Trois grands types de mesures ont été prises : certaines visent à maintenir le pouvoir d’achat des ménages malgré les arrêts d’activité ; d’autres à l’intention des entreprises tentent de préserver l’outil de production et enfin des mesures spécifiques au secteur de la santé. Les comptes nationaux trimestriels, disponibles à la fin du premier semestre, permettent de connaître à quel point le revenu disponible des agents privés a été préservé par la politique budgétaire à ce stade de la crise de la covid-19[2].



La politique
budgétaire fait exploser le revenu des ménages américains et préserve celui des
européens

Dans les principales économies avancées, la crise de la covid-19 a généré des pertes de revenu primaire (avant transferts monétaires) s’échelonnant de 81 milliards de livres sterling au Royaume-Uni à 458 milliards de dollars aux États-Unis (Tableau 1). Le choc initial de revenu fut plus important en Espagne et en Italie – respectivement 6,5 et 6,7 points de PIB – et de moindre ampleur en Allemagne (3,4 points de PIB) et aux États-Unis (2,1 points de PIB).

Le graphique 1 décompose la part du choc sur le revenu primaire (RP) encaissée par agent (première barre à gauche pour chaque pays, notée « RP »). En Espagne et en Italie, les ménages ont subi la majorité des pertes, à hauteur de respectivement 54 % et 60 % de la perte de revenu totale dans l’économie. En France et en Allemagne, ce sont les entreprises qui ont supporté la plus grosse part (48%) de la baisse de revenu. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les entreprises ont encaissé une perte respective de 50 milliards de livres et 275 milliards de dollars, représentant 62 et 60 % de la perte totale dans l’économie. Dans tous les pays, les administrations publiques (APU) subissent un moindre choc, qui s’explique par l’évolution spontané de certains stabilisateurs automatiques, et par une valeur ajoutée en valeur relativement épargnée par les restrictions d’activité pendant le confinement.

Si l’on se tourne maintenant sur
la décomposition des pertes de revenu disponible (RD), qui tient compte des
transferts monétaires, des cotisations sociales et des impôts sur les revenus,
l’histoire est toute autre. La mise en place des mesures d’urgence a permis
d’absorber une partie de ces pertes comme illustrée par la barre dénommée
« RD » dans le graphique 1.
La mise en place du chômage partiel dans les pays européens a ainsi reporté la
charge des salaires des entreprises vers les APU ce qui a permis de préserver
le revenu des ménages et d’éviter les ruptures des contrats de travail. De
même, les allègements de cotisations sociales, les réductions d’impôts sur les
revenus ou les profits ont transféré le coût de la crise des agents privés vers
les gouvernements. Face à un choc non prévisible, l’État aurait ainsi joué d’un
rôle d’assureur en dernier ressort des revenus des agents privés, bien que
d’ampleur différente selon les pays. Ainsi, alors que les APU espagnoles ont
absorbé 13,5 % du choc de revenu primaire, les mesures de soutien ont
porté cette part à 59 %, un niveau supérieur à celui de l’Italie
(55,3 %) et de la France (54,3 %) en termes de revenu disponible.
Comparativement, les mesures prises par le gouvernement allemand ont permis
d’absorber une part plus élevée du choc puisqu’elle s’élève 67 % de la
perte du revenu disponible contre 28 % de la baisse du revenu primaire.

Au Royaume-Uni les mesures
d’urgence ont absorbé la totalité du choc. Alors que les entreprises et les
ménages enregistrent une perte de revenu primaire de 50 et 15 milliards de
livres respectivement, leur revenu disponible n’a baissé que de 4 et 2
milliards de livres. En termes de revenu disponible, les administrations
publiques absorbent ainsi 93,6 % du choc. Le contraste est encore plus
marqué en Allemagne et aux États-Unis puisque les mesures ont surcompensé le
choc initial de revenu primaire, notamment pour les ménages. Les chiffres
américains sont particulièrement impressionnants. Sur le semestre, la baisse de
revenu primaire est de 192 milliards tandis que le revenu disponible des
ménages a progressé de 576 milliards notamment du fait du versement d’un crédit
d’impôt et d’une allocation chômage fédérale exceptionnelle d’un montant de 600
dollars par semaine versée aux chômeurs quel que soit leur revenu initial[3].
Les différentes mesures fiscales et les subventions octroyées aux entreprises
ont réduit la perte de 210 milliards. Ainsi, le gouvernement américain a
absorbé 237 % du choc reflétant l’ampleur des mesures de soutien prises en
mars-avril.

Les destructions
d’emplois et l’incertitude sur l’avenir peuvent entraver la reprise
outre-Atlantique

Comme on l’a vu, la politique
budgétaire a été mobilisée massivement outre-Atlantique. Même si à ce stade, le
choc macroéconomique est plus faible aux États-Unis que dans l’UE[4],
l’impulsion budgétaire est bien plus importante. L’ensemble des transferts en
faveur des ménages dépassent, à l’issue du 1er semestre, le choc
immédiat sur leur revenu primaire. De cette façon le revenu disponible des
ménages américains a augmenté de 13 %, au moment où leur revenu primaire
baissait de 4 % en lien avec les destructions d’emplois. Cette situation
s’explique notamment par un crédit d’impôt versé aux ménages et une allocation
additionnelle et forfaitaire de 600 dollars par semaine versée par le
gouvernement fédéral à toute personne éligible au chômage. Entre le quatrième
trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2020, les transferts aux ménages ont
ainsi bondi de 80 % et représentaient 31 % du revenu disponible
contre 19 % en 2019.

Cette différence de gestion de la crise s’explique sans doute par l’absence de filets de protection sociale aux États-Unis réduisant de fait le rôle des stabilisateurs automatiques et limitant également les citoyens non ou peu couverts par une assurance maladie à faire face aux dépenses de soins en cas de baisse des revenus. La mise en œuvre de mesures contra-cycliques est alors d’autant plus importante, ce qui explique sans doute pourquoi les plans de relance sont plus conséquents, comme ils l’avaient été pendant la crise de 2008-2009 et que les mesures soutiennent directement et fortement les revenus des ménages. Par ailleurs, aux États-Unis, cette relance incombe à l’État fédéral alors que dans l’Union, l’essentiel des plans de soutien émanent des États.

La forte poussée du chômage observée outre-Atlantique – qui a atteint un pic à 14,7 % en avril – contraste avec la situation européenne, s’explique en partie par la stratégie différenciée de politique économique. Aux États-Unis, un transfert positif et conséquent de revenu a été fait aux ménages pour palier la baisse des rémunérations résultant des destructions d’emplois, ce qui a également permis d’atténuer le choc sur les marges des firmes. A contrario, dans les principales économies européennes, les relations contractuelles d’emploi ont été maintenues mais les revenus des ménages ont été un peu moins bien préservés – ils seraient en légère baisse sauf en Allemagne. Dans les principales économies européennes, le choix a été fait de mobiliser massivement les dispositifs d’activité partielle et aux États-Unis la réponse s’est faite par un envoi direct et immédiat de chèques aux ménages.

Le fait d’avoir préservé les
revenus, pendant une période où la consommation était empêchée par la fermeture
des commerces non essentiels, a permis d’accumuler 76 milliards d’euros
« d’épargne covid » en Allemagne (8 points de RDB), 62 milliards en
France (9 points de RDB) et 38 milliards en Espagne et en Italie
(respectivement 10 et 6 points de RDB). Dans les pays anglo-saxons « l’épargne
covid » est encore plus importante : 89 milliards de livres au
Royaume-Uni (12 points de RDB)) et la somme arrive à 961 milliards de dollars
aux États-Unis (12 points de RDB). L’évolution de l’épidémie et la mobilisation
de cette épargne seront les deux clés pour connaître l’ampleur du rebond de
l’activité à partir du second semestre 2020.

Or c’est précisément le moment où les différences d’approche peuvent créer une divergence des trajectoires économiques. Si on peut dire que la situation des ménages a été jusqu’ici mieux préservée outre-Atlantique, les contrats de travail ont été rompus. Dans ce contexte, la rembauche de la main d’œuvre peut prendre un certain délai, entravant le redéploiement rapide de l’appareil productif. Ceci risque de ralentir la vitesse de normalisation de l’activité, contribuant à maintenir les pertes d’emplois et limitant la restauration des bilans des entreprises. Dans le contexte des élections du 3 novembre, les négociations entre Démocrates et Républicains au Congrès sont bloquées. Si les mesures prises pendant la crise ne sont pas – au moins partiellement – reconduites, la situation des ménages américains risque de devenir plus critique dans la mesure où la faiblesse des filets de protection sociale ne permettra pas d’atténuer un choc qui serait durable. Ceci peut avoir des effets de second tour sur la génération des revenus primaires et de l’investissement[5]. A l’issue des élections, il est probable que de nouvelles mesures seront prises mais les délais pourraient longs notamment en cas de victoire de Joe Biden puisqu’il faudra alors attendre sa prise de fonction prévue en janvier 2021. Le maintien d’une forte incertitude sur l’ampleur de la reprise – accentuée par l’incertitude politique – peut encourager les ménages américains à ne pas dépenser « l’épargne covid » afin de garder une « épargne de précaution » pour faire face à une crise sanitaire, économique et sociale qui risque de durer.

Lexique

Revenu primaire : les revenus primaires comprennent les
revenus directement liés à une participation au processus de production. La
majeure partie des revenus primaires des ménages est constituée des salaires et
des revenus de la propriété.

Revenu disponible brut : Revenu dont disposent les agents
pour consommer ou investir, après opérations de redistribution. Il comprend le
revenu primaire auquel on ajoute les prestations sociales en espèces et on en
retranche les cotisations sociales et les impôts versés.

*
* *


[1] Voir
« Evaluation
de la pandémie de Covid-19 sur l’économie mondiale 
», Revue de l’OFCE
n°166 pour une première analyse de ces différentes mesures de soutien
budgétaire et monétaire.

[2] Ces
résultats sont à prendre avec prudence. Si les comptes nationaux trimestriels
constituent le cadre cohérent le plus complet disponible avec les données
recueillies par les instituts statistiques officiels, ils restent provisoires.
Ces comptes sont soumis à des fortes révisions qui pourront modifier
sensiblement les résultats finaux lorsqu’ils intégreront des nouvelles données
(bilans des entreprises…) et qu’ils seront jugés définitifs dans un délai de
deux ans.

[3] Cette
allocation s’ajoute de surcroît à celle versée par les systèmes
d’assurance-chômage géré par les États.

[4] La perte
de PIB semestrielle est de 5 % aux US, contre 8,3 % dans l’UE.

[5] F. Buera, R. Fattal-Jaef, H.
Hopenhayn, A. Neumeyer, et J. Shin (2020), “The Economic Ripple Effects of
COVID-19”, Working Paper.




Investissement et capital productif publics en France: état des lieux et perspectives

par Mathieu Plane, Xavier Ragot, Francesco Saraceno

Comparé aux autres pays de l’OCDE, le capital public en France est élevé ainsi que la qualité des infrastructures. Mais la tendance depuis dix ans n’est pas favorable. L’investissement public brut est sur une tendance décroissante depuis maintenant plusieurs années. Le taux de croissance de l’investissement public net montre une chute plus importante encore. Cela signifie que la dépréciation du capital public et des infrastructures n’est que très partiellement compensée.



La valeur patrimoniale
des administrations publiques est encore positive mais a subi une chute
importante et atteint un point bas inquiétant. En effet, la dette publique a
cru plus vite que le capital public.

En plus des effets de
long terme, les analyses montrent que l’investissement public a l’avantage de stimuler
l’activité économique à court terme. Pendant la période de crise de la
Covid-19, il faut s’attendre à des effets positifs importants en France du fait
de la situation économique courante. L’investissement public est presque
autofinancé en période de récession.

Les collectivités locales
sont le premier investisseur public. Elles réalisent près de 70 % de
l’investissement public civil. L’investissement public pour les ouvrages de
génie civil, le logement, l’éducation et la protection de l’environnement est
principalement réalisé par les collectivités locales.

Trois fonctions de
l’investissement public demandent un effort particulier. La première est la
maintenance des infrastructures existantes, en particulier de génie civil. La
seconde est la transition énergétique et l’investissement pour la biodiversité,
dont les montants totaux nécessaires sont élevés. Enfin la troisième concerne les
infrastructures de l’économie numérique.

Le plan de relance de 100
milliards d’euros indique une inflexion encore modeste en faveur de l’investissement
public. En effet, les montants nécessaires sont élevés sur plusieurs années. À
court terme, l’enjeu essentiel est la mise en œuvre rapide de l’investissement
public afin de bénéficier à la fois des effets de court et long terme.

Pour consulter l’étude : https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief79.pdf




Les marchés financiers prédisent-ils les récessions ?

par Giovanni Ricco

Les acteurs des marchés financiers,
collectivement, possèdent-ils une sagesse particulière quant au moment où les
économies risquent de tomber en récession ? Nous avons examiné cette question
dans un article préparé pour la conférence à la Brookings Institution[1]. Nos
résultats suggèrent que la réponse est : « probablement pas ». En fait,
les variables financières ont un pouvoir prédictif très limité pour les
récessions.



Après la Grande Récession, et encore une fois avec la crise de la COVID-19,
il y a eu un intérêt croissant pour comprendre la relation entre l’accumulation
de fragilité financière et le cycle économique. N’ayant pas réussi à prédire les
krachs, la profession économique a essayé de comprendre ce qui manquait dans
les modèles macroéconomiques et économétriques standards et quels étaient les
principaux indicateurs de stress sur les marchés financiers qui peuvent aider à
prévoir les crises et à identifier l’accumulation de risques macroéconomiques.

En fait, dans une contribution très importante, Adrian et al. (2018) ont proposé l’évaluation de la distribution
prédictive du PIB pour définir le concept de croissance à risque, défini comme la valeur de la croissance du PIB
au cinquième centile inférieur de la répartition de la croissance prévue, conditionnée
à un indice de stress financier[2].  Ce concept a été adopté par de nombreuses institutions
dans plusieurs pays pour surveiller les risques (voir, par exemple, Prasad et al., 2019, pour une description de
l’utilisation de cette méthode au FMI).

Clairement, les marchés financiers et l’économie réelle (la production de
biens et de services) interagissent. Leurs mouvements sont fortement corrélés
et les indicateurs financiers peuvent, bien entendu, fournir des informations
utiles sur les conditions économiques actuelles. Ils reflètent également les
attentes des acteurs du marché quant à la direction de l’économie réelle.

La question spécifique que nous avons examinée dans notre document de
travail « When is
Growth at Risk ?
 » (Quand la croissance est-elle menacée ?),
un article préparé pour la conférence à la Brookings Institution, est de savoir
si les indicateurs financiers fournissent un pouvoir prédictif supplémentaire, en
plus des indicateurs de l’économie réelle tels que les enquêtes auprès des
directeurs d’achat des entreprises. Si oui, la sagesse des marchés pourrait
être exploitée par les décideurs pour anticiper et se préparer à une crise
macroéconomique.

L’article évalue empiriquement la relation potentiellement non linéaire
entre les indicateurs financiers et la distribution de la croissance future du PIB,
à la fois à très court terme (un trimestre) et à moyen terme (quatre
trimestres), en utilisant un riche ensemble de variables macroéconomiques et
financières couvrant 13 économies avancées. Tout d’abord, nous évaluons les
performances hors échantillon, y compris un exercice en temps réel basé sur un
modèle non paramétrique flexible. Ensuite, nous utilisons un modèle
paramétrique pour estimer les moments de la distribution du PIB conditionnel à
des variables financières et pour évaluer leur l’incertitude d’estimation dans
l’échantillon.

Notre conclusion générale est pessimiste : les moments autres que la
moyenne conditionnelle sont mal estimés et aucun des prédicteurs que nous
considérons ne fournit un avertissement avancé, robustes et précis des risques
extrêmes ou toute autre caractéristique de la distribution de la croissance du
PIB autre que la moyenne. En particulier, les variables financières contribuent
peu à de telles prévisions distributionnelles, au-delà des informations
contenues dans les indicateurs macroéconomiques.

À titre d’exemple, la figure ci-dessus montre un exercice au cours des
premiers mois de la crise de la COVID-19 pour les États-Unis. Nous
conditionnons nos prédictions sur les informations financières disponibles à trois
dates différentes : les premiers jours ouvrés de février, mars et avril 2020. À
ce moment-là, aucun des indicateurs de cycle relatifs à la période de blocage
étaient disponibles jusqu’à fin avril. Cependant, les reportages et les
discussions politiques sur le virus étaient endémiques à partir de janvier
2020, et cette information aurait pu potentiellement être reflétée dans le prix
des actifs financiers, les enquêtes auprès des entreprises et des
consommateurs, etc.

Les graphes montrent que le modèle avec informations financières (à droite) commence à signaler la probabilité d’une récession en avril, tandis que le modèle contenant uniquement des informations macroéconomiques (à gauche) ne rend pas compte de la détérioration des conditions macroéconomiques. Pendant que les indicateurs macroéconomiques tardent à arriver, les variables financières ne sont qu’un peu plus rapides et en fait n’ont commencé à clignoter que fin février, quelques jours à peine avant que des mesures politiques dramatiques ne soient introduites dans plusieurs États américains.

La leçon que nous tirons de nos résultats est que les marchés financiers n’anticipent pas les récessions et ils évaluent le risque seulement une fois qu’ils le voient. Cet aveuglement suggère que les informations relatives à la trajectoire à court terme de l’économie sont rapidement accessibles à tous, mais des événements rares, tels que les récessions, sont fondamentalement imprévisibles ou en tout cas, imprévus.

Le message adressé aux décideurs politiques et aux prévisionnistes
économiques des banques centrales et d’ailleurs est qu’ils ne peuvent pas
utiliser mécaniquement les indicateurs financiers pour fournir un signe
d’alerte précoce et fiable d’une récession. Les décideurs devraient toujours
prêter attention aux variables financières, même si elles offrent
malheureusement peu de pouvoir prédictif de risque de récession – et ils
devraient chercher à limiter l’accumulation de fragilités financières puisque
ces fragilités amplifient probablement les dommages causés à l’économie réelle
une fois que les récessions se produisent.


[1] Hasenzagl, Thomas, Mikkel Plagborg-Møller, Lucrezia Reichlin et
Giovanni Ricco, 2020, « When is Growth at Risk?  », Brookings Papers on
Economic Activity
, printemps.

[2] Adrian Tobias, Nina Boyarchenko et Domenico Giannone, 2019, « Vulnerable Growth », American Economic Review, vol. 109,
n° 4, pp. 1263-89.




Une histoire du désajustement franco-allemand (1995-2011)

Par Hadrien Camatte et Guillaume Daudin

Les
salaires par employé des secteurs « abrités » ont progressé beaucoup
plus rapidement en France qu’en Allemagne entre 1993 et 2012 (+47
 % en cumulé en France, +12 % en Allemagne). Selon X. Ragot et M. Le
Moigne, cette modération salariale des secteurs abrités en Allemagne serait
responsable de la moitié de l’écart de performances à l’exportation entre les
deux pays (28 points d’écarts en 2011, en prenant 1995 comme base).  



Grâce
à une approche capturant les chaînes de valeurs (modèle PIWIM) et en suivant
les hypothèses
utilisées
par X. Ragot et M. Le Moigne
, nous
estimons que l’écart de dynamique des salaires abrités entre la France et
l’Allemagne entre 1996 et 2011 explique 40 % de l’écart de performance à
l’exportation entre les deux pays (avec l’élasticité-prix des exportations
σ = 3). Ce résultat est un peu inférieur à celui
obtenu par X. Ragot et M. Le Moigne (50
 % du
total de l’écart) sur un horizon un peu plus étendu (1993-2012 pour X. Ragot /
M. Le Moigne) et sur des données agrégées.

Compte
tenu de la forte incertitude autour de l’élasticité-prix des exportations, nous
réalisons deux variantes : la première en retenant
σ = 2 (test de robustesse de X. Ragot et
M. Le Moigne) et σ = 1,3
correspondant
au coefficient de compétitivité-prix de long-terme du modèle
FR-BDF de la Banque de France. Dans le premier cas,
l’écart de dynamique des salaires abrités entre la France et l’Allemagne entre
1995 et 2011 explique près de 30% de l’écart de performance à l’exportation
entre les deux pays, tandis que l’effet obtenu est de 18 % en utilisant
FR-BDF. Ces résultats sont de nature à confirmer l’importance de la dynamique
des salaires abrités dans la performance du secteur exposé en France vis-à-vis
de l’Allemagne, ce qui a pu conduire à une baisse de son taux de marge ou de
ses performances à l’exportation.

* * *

Dans l’article « France et Allemagne : une histoire du
désajustement européen 
»
(2015, Revue de l’OFCE), X. Ragot et
M. Le Moigne étudient les raisons de la divergence économique entre la France
et l’Allemagne depuis le milieu des années 1990. Selon eux, la modération
salariale allemande dans les secteurs abrités[1]
serait responsable de la moitié de l’écart de performances à l’exportation entre
les deux pays et expliquerait environ 2 points de pourcentages – pp – du
taux de chômage français. « Le problème de l’offre en France est
essentiellement le résultat du désajustement européen. » écrivent les deux
auteurs. Certains travaux de recherche soutiennent cette thèse : à la
Banque de France, J. Carluccio[2]
a montré par exemple que les différences constatées au niveau des prix
immobiliers peuvent expliquer jusqu’à 70 % de l’écart de croissance des
salaires entre les deux pays entre 1996 et 2012. En revanche, d’autres travaux[3]
nuancent le rôle de la hausse des coûts du travail spécifique aux services dans
les pertes de parts de marché françaises à l’exportation. Selon V. Vicard et L.
Le Saux, les contributions significatives des services abrités aux exportations
manufacturières ne sont issues que de quelques secteurs des services, dont les
coûts unitaires du travail évoluent à un rythme proche de celui observé dans le
secteur manufacturier.

Cette note propose d’explorer
cette question en mobilisant le modèle PIWIM (Push-cost Inflation through
World Input-output Matrices
), qui permet une approche sectorielle prenant
en compte l’évolution des chaînes de valeur mondiales.

1 – Un état
des lieux : les salaires abrités français ont progressé nettement plus
vite que les salaires exposés allemands entre 1995 et 2011

La progression des salaires
abrités par tête a été beaucoup plus rapide en France qu’en Allemagne entre
1995 et 2011
(+47 %
en cumulé en France, +12 % en Allemagne soit quatre fois plus, voir graphique
1). Cet écart est beaucoup plus faible entre les salaires exposés français et
allemands : entre 1995 et 2011, ils ont augmenté en cumulé de 61 % en
France par rapport à 32 % en Allemagne, soit « seulement » deux
fois plus (voir graphique 2). L’utilisation des rémunérations par tête plutôt
que les salaires par tête ne change pas le diagnostic, même si l’écart est légèrement
plus creusé entre la France et l’Allemagne dans le secteur exposé (annexes 1).

      Bien que les salaires par tête aient progressé plus fortement en France qu’en Allemagne dans l’ensemble des secteurs abrités, il existe toutefois une grande hétérogénéité entre les secteurs (voir graphique 3 et graphiques en annexes 2). Par exemple, les salaires par tête ont progressé de 84 % dans les activités immobilières en France entre 1995 et 2011, tandis qu’ils ont baissé de 2 % en Allemagne sur cette période. En revanche, l’écart de progression des salaires par tête des services administratifs et de soutien n’a été que de 10 points entre la France et l’Allemagne sur la période, soit 20 points de moins que la moyenne des secteurs abrités. Ce point est central pour tenir compte de la critique de V. Vicard et L. Le Saux, dans la mesure où il s’agit du secteur abrité qui fournit le plus d’intrants au secteur exposé (annexes 2). Aussi, nous pondérons les secteurs abrités par rapport la production exportée pour tenir compte de cette critique.

2 – Méthode :
Que ce serait-il passé si les salaires abrités français avaient évolué comme
les salaires abrités allemands ?

Notre stratégie consiste à bâtir un
scénario contrefactuel de manière séquentielle :

  • Nous construisons un scénario contrefactuel de prix de production abrités, en supposant que les salaires de chaque secteur abrité français (par tête) ont évolué comme les salaires des secteurs équivalents allemands (par tête). Le passage des salaires au prix de production se fait sous l’hypothèse que l’excédent brut d’exploitation est constant. Nous utilisons les données de salaires et d’emploi d’Eurostat pour calculer des salaires par tête pour chaque secteur abrité de la base TiVA de l’OCDE pour la France et pour l’Allemagne.
  • Nous construisons un scénario contrefactuel de prix d’exportation, en calculant l’évolution des prix d’exports français si les salaires abrités français avaient évolué au même rythme que les salaires abrités allemands. Le modèle PIWIM utilisé avec la base de données TiVA nous permet d’obtenir le rôle des prix de production des secteurs abrités dans le total des prix d’exportation, pour la France et l’Allemagne entre 1995 et 2011. Pour mémoire, le modèle PIWIM utilise les tableaux d’entrées/sorties au niveau mondial des bases TiVA (OCDE) et WIOD (Commission européenne). Pour chaque année, il permet de calculer la sensibilité des prix des exportations aux salaires des secteurs abrités. La base TiVA (version 2016) est retenue car elle commence en 1995 (vs. 2000 pour WIOD)
  • À partir du scénario contrefactuel de prix
    d’exportation, nous en déduisons des performances à l’exportation
    contrefactuelles.
    Il
    n’est malheureusement pas possible d’utiliser PIWIM pour cette étape et de
    raisonner en équilibre général, dans la mesure où il s’agit d’un modèle
    purement comptable. L’hypothèse relative à l’élasticité-prix est fondamentale,
    dans la mesure où il existe une forte incertitude des estimations empiriques de
    la littérature : si la plupart des estimations macroéconomiques font état
    d’une élasticité proche de l’unité pour la France, d’autres peuvent aller jusqu’à
    6 (Broda
    et Weinstein[4],
    2006). Comme l’hypothèse de
    cette élasticité conditionne les résultats du contrefactuel de performances à
    l’exportation, nous choisissons d’utiliser σ = 3, σ = 2 et σ = 1,3. Les deux
    premières élasticités sont celles utilisées par X. Ragot et M. Le Moigne, 3
    étant considérée comme une valeur moyenne et 2 étant utilisée comme test de
    robustesse. Nous ajoutons à ces deux élasticités un scénario avec le
    coefficient de long-terme de la compétitivité-prix dans FR-BDF (1,3), le modèle
    de prévision utilisé à la Banque de France.

3 – Résultats

D’après le modèle PIWIM, si
les salaires abrités français avaient évolué comme les salaires abrités allemands,
toutes choses égales par ailleurs, les prix d’exports français totaux auraient
été inférieurs de 3,9 pp par rapport à leur progression réelle (graphique 4).

Sur cette période, l’écart de
performances à l’exportation (exportations en volume / demande mondiale) entre
la France et l’Allemagne s’élève à 28 points (graphique 5).

  1. En
    utilisant l’élasticité de de la compétitivité-prix σ = 3
    à l’évolution contrefactuelle des prix
    d’exportations (-3,9 pp), nous obtenons un effet de l’écart de dynamique des
    salaires abrités de l’ordre de 12 points, soit un peu plus de 40 % du
    total de l’écart ;
  2. En
    utilisant l’élasticité de de la compétitivité-prix σ = 2
    correspondant au test de robustesse de X.
    Ragot et M. Le Moigne, nous obtenons un effet de l’écart de dynamique des
    salaires abrités de l’ordre de 8 points, soit près de 30 % du total de
    l’écart ;
  3. En
    utilisant l’élasticité de de la compétitivité-prix σ = 1,3
    correspondant à l’élasticité-prix de
    long-terme de la compétitivité-prix de l’équation des exportations du modèle FR-BDF
    de la Banque de France à l’évolution contrefactuelle des prix d’exportations (-3,9
    pp), nous obtenons un effet de l’écart de dynamique des salaires abrités de
    l’ordre de de 18% du total de l’écart.

À élasticité-prix identique,
notre résultat (40 % de l’écart) est un peu inférieur à celui trouvé par
X. Ragot et M. Le Moigne (50%) sur un horizon toutefois un peu plus large
(1993-2012 vs. 1996-2011 pour cette étude). L’utilisation de données
désagrégées, avec une meilleure prise en compte de l’évolution des salaires
abrités de chaque service de soutien est également susceptible d’expliquer une
partie de l’écart. Il est également cohérent avec les résultats obtenus par R.
Cézar et F. Cartellier (« Compétitivité prix et hors-prix : leçons des chaînes
de valeur mondiales
 »,
Bulletin de la Banque de France,
224/2, juillet-août 2019), qui trouvent qu’en France, l’essentiel de la hausse
du coût unitaire du travail corrigé de l’insertion dans les chaînes de valeur
mondiales provient des secteurs de services, surtout abrités, alors que cet
effet est faible en Allemagne. Malgré la prise en compte de la critique de V.
Vicart / L. Le Saux et quelle que soit l’élasticité-prix retenue, ces
simulations confortent l’importance de la dynamique des salaires abrités dans
les divergences de performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne. 

* Les prix à l’exportation français et allemands ont évolué à un rythme très proche depuis 1995, alors que les exportations en volume ont progressé beaucoup plus vite en Allemagne qu’en France. Dans un modèle d’offre et de demande, cela suggère que l’Allemagne a bénéficié d’un choc d’offre positif lié à la modération des prix des intrants.

Annexe 1 : Salaire et rémunération par employé


Annexe 2 : Importance
comparée des secteurs abrités en France et en Allemagne

Poids dans la production des secteurs abrités 

La part des différents secteurs abrités dans la production abritée est assez proche en France et en Allemagne.

Poids des consommations intermédiaires
issues des secteurs abrités dans la production des secteurs exposés

Les branches commerces, réparation d’automobiles et activités de services administratifs et de soutien sont les deux branches des secteurs abrités qui fournissent le plus d’intrants au secteur exposé.

Annexe 3 : Salaire par tête dans les secteurs abrités entre 1995 et 2011

Annexe 4 : Taux de marge net
par industrie (EBE et revenu mixte net/Valeur ajoutée)

Une critique assez usuelle consiste à dire que la fixation des prix d’exportations est réalisée par la concurrence et que l’ajustement est réalisé par les marges des exportateurs et in fine par l’innovation, l’investissement et la compétitivité hors prix. Si le taux de marge net des secteurs abrités a évolué de manière assez concomitante en France et en Allemagne entre 1995 et 2011 (cf. G A), celui-ci a connu des dynamiques très différentes dans le secteur exposé depuis le début des années 2000 : il a augmenté en Allemagne, malgré une forte chute observée pendant la crise de 2009, alors qu’il a baissé de façon quasi ininterrompue en France sur cette période (cf. G B).  

[1] Le
secteur abrité rassemble l’ensemble des biens non-exportables : la
construction, le commerce de gros et de détail, le transport, l’hébergement et
la restauration, les services immobiliers, les autres services, notamment les
services principalement non-marchands.

[2] Cf. Carluccio J., 2014, « L’impact
de l’évolution des prix immobiliers sur les coûts salariaux : comparaison
France-Allemagne 
», Bulletin de la
Banque de France
, n°196, 2e trimestre.

[3] Cf. Vicard V. & Le Saux L., 2014, « Les coûts du travail des
services domestiques incorporés aux exportations pèsent-ils sur la
compétitivité-coût ?, » Bulletin de
la Banque de France
, Banque de France, n° 197, pages 55-65.

[4] Broda
C. et Weinstein D., 2006, « Globalization and the Gains from Variety », The Quarterly Journal of Economics,
121(2) 541–585.




Central bank asset purchases: Inflation targeting or spread targeting?

by Christophe Blot, Jérôme Creel, and Paul Hubert

Five years after the
ECB launched its asset purchase programme (APP), the Covid-19 crisis has put
the ECB again at the center of euro area attention, with a new extension of APP
and with the creation of the Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP). The simultaneity between
APP’s extension and PEPP – they were decided within a two-week interval – could
be interpreted as arising from the pursuit of the same objective. This
interpretation may be misleading though and may bias the respective appraisal of
these policies.



The APP arrived at a
moment when the euro area was facing strong deflationary risks whereas the PEPP
was implemented when the inflation outlook was unclear (because the Covid-19
crisis is a mix of a supply, demand and uncertainty shocks) but fragmentation
risks were on the upside. Sovereign risks and increasing spreads could impair
the transmission of monetary policy across euro area countries. The declared
will by ECB officials to tackle the fragmentation of the euro area and the (temporary)
removal of the self-imposed limits on asset purchases suggest that the ECB sets
a sort of a “spread targeting” objective to the PEPP. We develop this argument
in a recent Monetary Dialogue Paper for the ECON committee of the
European Parliament. From the point of view of this “spread targeting”
objective, the PEPP is successful with both the level and volatility of
sovereign spreads at low levels (figure 1).

This outcome was
obtained without a full utilisation of the potential resources of the PEPP. The
weekly flow of purchases is even decreasing since July (figure 2). This
suggests that the signaling effect of the PEPP has been strong and credible in
taming sovereign stress. It also suggests that the ECB is not short of
ammunitions if the crisis persists or intensifies. The outcome of the PEPP was
also achieved without deviating much from the ECB capital key (figure 3),
except for France (for which the ECB capital share exceeds bond purchases) and
Italy (for which bond purchases exceed the share at the ECB capital exceeds).

The ruling of the
German Federal Constitutional Court last May has revived discussions on the
adequacy of asset purchases by the ECB.[1]
Discussions have
opposed those who think that the ECB has had “disproportionate” economic policy
effects (on public debts, personal savings and the keeping afloat of
economically unviable companies) and those who think that the distinction
between the “monetary policy objective” and “the economic policy effects
arising from the programme” is misleading. The reason is that this distinction
seems to imply that achieving the objective of the ECB – inflation at the 2%
target – can be achieved without interactions with other macroeconomic and
financial variables, which is nonsense. Moreover, this distinction gives too
much weight to the price stability objective during a real economic crisis at
the expense of all the secondary objectives that the Treaty on the Functioning
of the EU imposes to the ECB.

Finally, the success or
failure of a given policy must be assessed according to its objective(s). In
that respect, the PEPP, under the assumption that it aimed at reducing
sovereign spreads to avoid the fragmentation of the euro area, has been
effective. Although it may depart from the ECB mandate that does not explicitly
mention the reduction of sovereign spreads as a monetary policy objective, PEPP
has improved the transmission of monetary policy. In a situation where the
pandemic crisis requires a fiscal stimulus more than a fiscal consolidation and
where a rise in inflation or in real GDP is very unlikely, the accommodative
ECB monetary policy has been undeniably relevant to ensure public debt
sustainability in Europe and to remove the risk of a break-up of the euro area.


[1] It also revived discussions on the ability of the Bundesbank to
continue to be involved in unconventional monetary operations. At the end of
June 2020, the Bundestag pronounced itself in favour of the ECB and PEPP which,
in the short term, removes the threat of an early end to monetary easing. This
will however not prevent a further appeal by German plaintiffs against the ECB
and, in the longer term, a new judicial episode.




La Prime d’activité n’est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d’un licenciement

par Muriel Pucci

En janvier 2019, le gouvernement
a souhaité soutenir le niveau de revenu des salariés rémunérés au smic. Pour ce
faire, il a opté pour une réforme du barème de la Prime d’activité qui accroît
son montant de 90 euros au niveau du smic. À court terme, cela peut
paraître équivalent, pour un salarié rémunéré au smic, à une hausse de
90 euros du niveau du smic mensuel[1],
mais cela ne l’est plus si le salarié perd son emploi car alors la solution
choisie amplifie les effets du licenciement sur le revenu disponible du
travailleur.



Si la Prime d’activité permet
bien en général d’augmenter le revenu des personnes qui travaillent, il ne
s’agit pas d’un supplément de salaire. Et la différence est importante !
Alors qu’une augmentation du salaire s’accompagne d’un surcroît de cotisations
et donc de droits acquis aux allocations chômage et pensions de retraite
notamment, la Prime d’activité n’ouvre aucun droit. Lorsqu’un travailleur perd
son emploi, il perd à la fois son salaire et sa prime d’activité mais le
montant d’allocation chômage perçu ne dépend que du seul salaire. Ainsi, à
l’inverse des autres prestations sociales qui limitent la baisse des revenus
disponibles en période de crise, la Prime d’activité est pro-cyclique : les
sommes versées diminuent lorsque le chômage augmente.

La Prime d’activité est une
prestation sociale pour les travailleurs à bas salaire dont le montant doit garantir
aux familles un revenu disponible croissant avec le revenu d’activité des
actifs du foyer. Son calcul tient compte de l’ensemble des ressources du foyer
en accordant un statut particulier aux revenus professionnels : un euro de
revenu professionnel en plus réduit la Prime d’activité de 39 centimes, mais un
euro en plus d’une autre ressource la réduit d’un euro.

Alors
que le revenu d’activité d’une personne seule rémunérée au smic baisse de 28% à
la suite d’un licenciement, son revenu d’activité PA comprise baisse de 40%

En effet, considérons une
personne seule rémunérée au smic (1 219 €). Si elle ne dispose d’aucune
autre ressource, le montant de sa prime d’activité est de 237 euros, son
revenu disponible est donc de 1 456 euros (voir graphique 1). Si elle
perd son emploi en étant éligible au chômage indemnisé, elle percevra  878 euros au titre de l’ARE[2],
le taux de remplacement de l’ARE étant de 72 % au niveau du smic. Mais les
allocations chômage, bien qu’elles soient des revenus d’activité, n’ouvrent pas
droit à la Prime d’activité qui ne bonifie que les revenus professionnels. Outre
son salaire, le salarié perd donc également l’intégralité de sa PA et son
revenu disponible diminue de 578 euros (soit 1456 € – 878 €).

À titre de comparaison, si la Prime
d’activité était un élément de rémunération ouvrant les mêmes droits que le
salaire, le montant de l’ARE serait de 1 048 euros, soit 72% de la
somme salaire + PA. La baisse du revenu d’activité après licenciement serait de
171 euros de moins que dans le système actuel. Notons que cette différence serait
en partie compensée par les prestations sociales. Par exemple, pour une
personne seule rémunérée au smic et vivant en ville moyenne, le licenciement
pourra ouvrir droit à une aide au logement de 188 euros dans le système
actuel contre seulement 61 euros si la PA était considérée comme un
complément de salaire (voir graphique 2). Néanmoins, cette compensation par les
aides au logement n’est que partielle et, pour ce salarié, la baisse du revenu
disponible à la suite d’un licenciement reste amplifiée par le fait qu’une
partie de sa rémunération est une prestation sociale sans droits acquis (-32%
au lieu de -24% si la PA était considérée comme un complément de salaire). En
perdant son emploi, il perd 113 euros de plus (aide au logement comprise) dans
le système actuel que dans une situation fictive où la Prime d’activité
ouvrirait les mêmes droits sociaux que le salaire.

Si l’on
considère maintenant la réforme de 2019, si l’augmentation de la Prime
d’activité avait ouvert les mêmes droits qu’une hausse de salaire, un salarié
au smic perdant son emploi aurait pu bénéficier d’un montant d’ARE de
942 euros (soit 72 % de 1 219 € + 90 €), soit
64 euro de plus que dans le système actuel.

Les gouvernements successifs ont,
avec le RSA-activité d’abord et la Prime d’activité ensuite, souhaité augmenter
le revenu des travailleurs à bas salaire au moyen d’une prestation
différentielle. Il est important de souligner que ce faisant, ils ont fragilisé
la situation de ces mêmes travailleurs en période de crise en réduisant le taux
de remplacement des allocations chômage. Au-delà, on peut craindre que les
effets de ce basculement sur le taux de remplacement des pensions de retraite
soit à l’avenir la source d’un nouvel appauvrissement des retraités. Une
solution serait qu’à l’instar de ce qui est fait pour les parents de jeunes
enfant recourant à la Prepare[3],
la Prime d’activité donne lieu au versement par la Caf de cotisations chômage
et vieillesse permettant d’éviter la baisse des taux de remplacements de ces
prestations assurantielles pour les travailleurs qui bénéficient de la Prime
d’activité.


[1] C’est le cas pour un salarié vivant seul mais pas
toujours s’il vit en couple et/ou a des enfants à charge.

Elle amplifie la perte
de revenu à la suite d’un licenciement.

[2] Le calcul est effectué ici pour un mois de 30 jours et
en négligeant la période de maintien du droit à la Prime d’activité qui peut
aller jusqu’à 3 mois.

[3] La Prepare (Prestation partagée d’éducation de l’enfant) est une aide financière versée par la Caf aux parents qui réduisent ou interrompent leur activité à la naissance d’un enfant. Elle peut, sous conditions de ressources du foyer, ouvrir droit à l’AVPF (assurance vieillesse du parent au foyer), dispositif par lequel la Caf verse des cotisations vieillesse pour garantir la continuité dans la constitution des droits à la retraite.




Liban : sortir de la spirale de l’endettement

Par Céline Antonin

La crise du Covid-19, suivie
de la double explosion meurtrière intervenue à Beyrouth le 4 août 2020 ont
frappé un pays en pleine crise économique, politique et sociale. Après deux
années de récession marquées par une baisse de PIB de -1,9 % en 2018 et de
-6,5 % en 2019 (FMI), le Liban continue en effet à s’enfoncer dans la crise.
L’inflation est galopante : en juillet 2020, l’indice des prix à la
consommation a progressé de 112 % par rapport à son niveau de juillet 2019. Le
taux de chômage est préoccupant : il atteindrait 25 % de la
population active en 2017[1]
(37% chez les jeunes), et aurait largement progressé depuis. Cette situation,
conjuguée à la corruption gouvernementale et à l’augmentation de la fiscalité
sur l’essence et le tabac, a conduit des milliers de Libanais à lancer une
série de manifestations à partir du 17 octobre 2019 pour demander le départ de
tous les partis de gouvernement. Ce mouvement apolitique, baptisé la
« révolution d’octobre » est le plus important depuis près de 15 ans.



La révolution n’est pas née du
jour au lendemain ; l’économie libanaise a souffert de plusieurs revers
depuis 2009, qui ont conduit le pays à un ratio d’endettement public insoutenable
(155 % en 2019), déclenché un défaut de paiement et nécessité d’un plan d’aide
du FMI. Ce billet analyse l’évolution de l’endettement public libanais, qui a
connu plusieurs phases depuis la fin de la guerre civile. Le pays est
aujourd’hui pris au piège d’une spirale entre charge d’intérêts élevée, déficit
public et faible croissance. Sortir de cette spirale nécessite des réformes à
la fois d’ordre économique – restructuration de la dette et réforme fiscale –
et politique.

Le Liban est le
troisième pays du monde pour le ratio d’endettement public

L’économie libanaise est une
économie « dollarisée » reposant essentiellement sur les services.
Ces derniers représentent 76 % du PIB, avec une macrocéphalie des services
financiers, immobiliers et touristiques. Le PIB par habitant représente environ
un quart de celui des États-Unis. Mais la guerre civile a laissé des
stigmates : le Liban reste fragilisé par la situation géopolitique
régionale et pâtit d’infrastructures de mauvaise qualité (routes, électricité).
La reconstruction post-guerre initiée par le gouvernement Hariri (1992-2004) a
eu un coût élevé, et le pays a accumulé une importante dette publique afin de
réhabiliter ses infrastructures en recourant à des emprunts externes et
internes. En effet, le gouvernement a été contraint d’offrir des primes de
risque élevées aux investisseurs. Ces rendements élevés ont pu évincer les
investissements dans les secteurs productifs du pays (Baldacci et al., 2003[2];
Patillo et al., 2014[3]).

Le coût élevé de la
reconstruction post-guerre, combiné à une charge d’intérêt importante dans un
contexte de croissance modérée a laissé les finances publiques dans un état
préoccupant. Le revenu du gouvernement libanais ne représente que 18 % du PIB,
dont 78 % proviennent des impôts. Par ailleurs, après le Japon et la Grèce,
le Liban est ainsi le troisième pays du monde pour son ratio d’endettement
public, qui atteint 155 % du PIB fin 2019 – l’équivalent de huit ans et demi de
recettes publiques (graphique 1).

La crise budgétaire
s’accompagne d’une crise monétaire et financière. La livre libanaise est
officiellement arrimée au dollar américain selon un régime de change fixe
depuis 1997, et il n’y a pas de contrôles de capitaux au sens strict. Cependant,
début 2020, les banques ont imposé des restrictions aux retraits en
dollars : tout transfert provenant de l’étranger est aujourd’hui
uniquement payé en devises locales. La rareté du dollar a conduit à une pression
importante sur les prix au marché noir et à la dépréciation de la livre
libanaise : fin août 2020, la monnaie aurait perdu environ 80 % de sa
valeur depuis octobre 2019[4].
C’est la pire dévaluation de l’histoire du Liban, d’autant plus problématique
qu’elle renchérit le prix des biens importés alors que le déficit de la balance
commerciale atteignait déjà 26,5 % du PIB en 2019. Ainsi, le Liban souffre
d’une situation de déficits jumeaux – déficit budgétaire et déficit de la
balance des transactions courantes.

Historique de
l’endettement public depuis 1993

La dynamique de l’endettement
public libanais a connu quatre phases successives au cours des trente
dernières années :

  • une première phase de hausse rapide de
    l’endettement public, entre 1993 et 2002, lors de laquelle le ratio dette
    publique/ PIB est passé de 46 % du PIB à 163 % du PIB ;
  • une deuxième phase de hausse lente de
    l’endettement public, entre 2002 et 2006, pour culminer à 183 % du PIB fin
    2006 ;
  • une troisième phase de baisse du ratio
    d’endettement entre 2006 et 2012, pour atteindre 130,4 % fin 2012 ;
  • une dernière phase de remontée lente du ratio
    d’endettement public.

Le graphique 2 illustre de quelle manière les différents moteurs de la dette publique et du PIB (déficit primaire des administrations publiques, dépenses d’intérêt, croissance du PIB réel et inflation) ont contribué à la croissance du ratio d’endettement public rapporté au PIB[5].

La période de 1993 à 2002 a
coïncidé avec une augmentation rapide de la dette publique, essentiellement
sous l’effet de deux facteurs : les déficits primaires récurrents et des
charges d’intérêt élevées sur la dette. Après la fin de la guerre et l’accord
de Taëf, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Rafic Hariri a mis en
œuvre une série de mesures pour rétablir la stabilité économique et restaurer
la confiance dans l’économie à partir d’octobre 1992. Le gouvernement libanais
a mené une politique budgétaire ouvertement expansionniste en s’engageant dans
un programme de reconstruction massif (Horizon 2000), avec un budget de 14
milliards de dollars à mettre en œuvre sur la période 1993-2002, dans le but de
réhabiliter les infrastructures endommagées du pays et de doubler le PIB par
habitant. Ce plan coûteux a toutefois été revu à la baisse et le budget initial
réduit de moitié ; l’accent a été mis sur les secteurs de l’électricité,
les routes et les transports publics, l’approvisionnement en eau et les
déchets. Le coût élevé des emprunts a par ailleurs contribué à la forte
progression de l’endettement public. Au départ, le gouvernement espérait
pouvoir compter sur un soutien financier extérieur, mais cette aide ne s’étant
pas concrétisée, le gouvernement a commencé à emprunter sur le marché intérieur
en émettant des bons du Trésor à haut rendement pour financer la phase de reconstruction.
Ainsi, le rendement des bons du Trésor nationaux a atteint 37,8 % par an en
septembre 1995, compte tenu du risque souverain élevé associé au pays, mais
aussi du niveau d’inflation élevé jusqu’en 1997 (12 % en moyenne annuelle
entre 1993 et 1997)[6]. En
conséquence, la dette publique a été multipliée par 9,5 entre 1993 et 2006.

L’année 2002 a marqué une
inflexion dans la dynamique de l’endettement : la hausse s’est poursuivie,
mais à un rythme beaucoup plus lent, sous l’effet d’une baisse des charges
d’intérêt et d’une maîtrise des déficits budgétaires. En 2002, la conférence de
Paris II[7],
qui prévoyait pour le Liban une aide internationale de 4,4 milliards de dollars
permettant de restructurer la dette publique (allongement des maturités et baisse
des taux d’intérêt), a eu des effets positifs, en rétablissant la confiance
dans l’économie libanaise. Les taux d’intérêt sur les bons du Trésor libanais
ont baissé de 16,1 % à 9,2 %, demeurant à un niveau très élevé malgré la
faiblesse de l’inflation. La Banque du Liban et les banques commerciales
libanaises se sont lancées dans des programme d’annulation, d’échange et de
refinancement de la dette. Par ailleurs, le pays a commencé à dégager des
excédents budgétaires primaires, notamment grâce à l’introduction de la taxe
sur la valeur ajoutée au taux de 10 % en février 2002. La loi de finances
de 2003 prévoyait ainsi de ramener le déficit public à 7,3 % du PIB contre
14 % en 2002, d’élargir l’assiette fiscale et de diminuer le service de la
dette. La dette a cependant continué à croître, notamment en raison d’une
croissance modérée, avec une période marquée par de nombreux épisodes
d’instabilité politique, notamment l’assassinat du Premier ministre Hariri en
février 2005 ou la guerre avec Israël à l’été 2006.

Entre 2007 et 2012, la très
forte croissance du PIB réel, couplée avec une forte inflation et la poursuite
de la baisse des charges d’intérêt, a permis la décroissance du ratio
d’endettement public. La croissance rapide a été stimulée par les dépenses de
reconstruction après la guerre de juillet 2006, l’abondance de liquidités liée
à la hausse des recettes pétrolières régionales, le rétablissement de la
confiance à la suite de l’accord de Doha, l’élection d’un nouveau président en
mai 2008 et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Tous ces facteurs
ont créé un climat d’affaires favorable et alimenté les entrées de capitaux
étrangers et la demande globale. Le déclenchement de la crise financière de
2008 a eu également un impact positif sur l’économie libanaise, les actifs de
la diaspora libanaise fuyant pour des refuges plus sûrs – comme le Liban –, à
cause de l’accroissement des incertitudes financières internationales et la
baisse des prix et des taux sur les marchés financiers internationaux. Pendant
quatre années consécutives (de 2007 et 2010), le taux de croissance du PIB a
atteint en moyenne 9,2 %. En conséquence, le ratio d’endettement a baissé
pour atteindre 130 % du PIB en 2012.

Depuis 2012, la faiblesse de
la croissance du PIB – 1,4 % en moyenne entre 2011 et 2018 – et la fin de la
consolidation budgétaire expliquent l’augmentation du niveau d’endettement
public. En raison de la faiblesse de la croissance, à partir de 2012, une
grande partie des progrès réalisés entre 2007 et 2012 a été annulée. Par
ailleurs, les recettes de l’État sont restées à un niveau faible
(14,5 % du PIB en moyenne entre 2012 et 2019), par rapport à l’ampleur des
dépenses publiques (23,5 % sur la même période). À partir de 2012, les intérêts
de la dette ont augmenté sans aucun signe de stabilisation. La situation s’est
aggravée à partir de 2018, date à laquelle le Liban est entré en récession et
le solde budgétaire s’est creusé pour atteindre -10 % du PIB (graphique 3).

La Banque mondiale[8]
(2020) compare le Liban aux autres pays ayant connu une crise de l’endettement
public (Islande, Irlande, Grèce, Chypre, Argentine) et montre que le Liban a
abordé la crise économique et sanitaire avec un équilibre budgétaire plus
dégradé que chacun de ces pays. Par ailleurs, seule l’Islande avait une balance
des paiements courants plus dégradée que le Liban aujourd’hui. 

Une dette publique essentiellement domestique

Au début de la période de
reconstruction après la guerre, entre 1993 et 2001, le gouvernement libanais a
d’abord eu recours à de lourds emprunts sur le marché intérieur et a ainsi
accumulé des dettes en monnaie locale pour répondre à ses besoins de financement.

Le ministère des Finances a
commencé à émettre des euro-obligations[9]
dès 1994, mais c’est en 1998 que le gouvernement de Rafic Hariri a demandé au
Parlement l’autorisation de convertir une partie de la dette en dollars. Par ailleurs, la conférence de Paris I de
2001 a favorisé l’utilisation par le Liban des marchés internationaux des
capitaux[10]. La
dette publique détenue en devises étrangères – essentiellement en dollars – est
ainsi passée de 22 % à 51 % de la dette totale détenue entre 1998 et 2004 (graphique
4). Après avoir culminé en 2004, la dépendance du gouvernement à l’égard de la
dette en monnaie étrangère a baissé au profit de la dette en monnaie locale.
Elle peut être partiellement attribuée à l’intervention de la Banque du Liban
auprès des banques commerciales. Depuis, la part de la dette en monnaie
extérieure dans la dette brute totale a régressé pour se stabiliser autour d’un
tiers.

L’existence de cet endettement
en dollars fait peser un risque sur le gouvernement libanais, qui ne peut faire
jouer la planche à billets pour rembourser une dette en monnaie étrangère. Néanmoins, l’essentiel de la dette libanaise
(en monnaie locale et étrangère) est détenu domestiquement, par le secteur
bancaire libanais et la Banque du Liban : en 2019, les non-résidents ne
détenaient que 13 % de la dette totale[11],
ce qui protège la souveraineté du pays des pressions extérieures, limite le
risque de défiance des investisseurs et donc de faillite.

Quelles
solutions ?

Le temps est compté pour le
Liban : en mars 2020, le pays a inauguré le premier défaut de paiement de
son histoire en annonçant qu’il ne serait pas en mesure de rembourser une dette
de 1,2 milliards de dollars arrivant à échéance.

Mais l’aide internationale
piétine. Lors de la Conférence économique pour le développement par les
réformes et avec les entreprises (Cedre), en 2018, les bailleurs de fonds
au Liban avaient promis une aide de 11 milliards de dollars en prêts et
dons, suspendue au feu vert du FMI. Or, les négociations sur un premier plan de
sauvetage de 10 milliards de dollars ont été interrompues par des dissensions
internes à la délégation libanaise. Les discussions achoppent notamment sur
l’ampleur des pertes du système bancaire du pays et le moyen de les éponger. Le
gouvernement chiffre à 68 milliards de dollars les pertes du secteur
financier libanais (50 milliards pour la Banque du Liban et
18 milliards pour les banques privées). Il prévoit une restructuration du
système bancaire libanais avec la mise à contribution des actionnaires et
détenteurs d’obligations, alors que l’Association des banques du Liban se
refuse à reconnaître les pertes et propose son propre plan de sauvetage.

Avec un besoin brut de
financement estimé à 30 points de PIB par le FMI, la restructuration de la dette de l’Etat semble inévitable. Elle
pourrait prendre la forme d’un moratoire ou d’un rééchelonnement portant sur les
intérêts de la dette et sur le principal. En effet, la maturité de la dette est
d’environ 5 ans pour la dette en devises locales et 7 ans pour la dette en
devises étrangères (FMI, 2019). Les intérêts de la dette représentent une
charge financière considérable (9,1 % du PIB en 2019). Un autre moyen serait
d’échanger les obligations publiques contre des obligations à plus longue
échéance ou à taux plus faible en négociant avec les banques commerciales,
principales détentrices de la dette, en échange d’une garantie de l’État.
Une fausse bonne idée serait de renoncer à la parité fixe entre livre libanaise
et dollar, et de laisser la livre se dévaluer pour alléger le poids des
remboursements. Cela alourdirait le paiement des intérêts sur la dette
extérieure (les fameuses euro-obligations) et par ailleurs, cela dégraderait
fortement la balance commerciale libanaise, dans la mesure où le Liban importe
la plupart de ses biens (-26,5 % du PIB en 2019).

Sur le plan budgétaire, une
réforme fiscale d’envergure s’impose afin d’instaurer
un système fiscal moderne
capable de financer les dépenses publiques. Cette
réforme permettrait d’une part de soutenir l’investissement public
(modernisation, grands travaux…), d’autre part de réduire les fortes
inégalités. Cela suppose un véritable changement de paradigme, car la
protection sociale et les réformes de l’État ont été constamment reléguées au
second plan. Ainsi, comme l’écrit Lydia Assouad, les revenus sont extrêmement
concentrés, le top 1% et le top 10 % de la population adulte recevant en
moyenne respectivement 25 et 55 % du revenu national[12].

Il faudrait élargir la base des revenus taxables, et rendre
le système fiscal plus progressif
. Le système fiscal libanais est
cédulaire, c’est-à-dire que chaque source de revenus est imposable à part selon
son propre régime et ses propres taux. Les revenus tirés de l’impôt sur les
sociétés et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques sont parmi les
plus faibles au sein des pays de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du
Nord), juste derrière la Jordanie. En 2015, les taxes sur les revenus et les
profits ne représentaient que 3,8 % du PIB, contre 4,1 % pour la TVA (FMI,
2017[13]).
En effet, les différents taux marginaux supérieurs d’imposition sont faibles
par rapport aux autres pays[14],
et pourraient être revus à la hausse.

Par ailleurs, une transparence accrue sur les revenus et le
patrimoine des ménages
permettrait de collecter plus efficacement l’impôt,
et de réprimer l’évasion fiscale. D’après le FMI (FMI, 2017) et sur la base des
travaux de Fenochietto et Pessino (2013)[15],
la performance du système fiscal libanais est inférieure à la moyenne des pays
comparables du Moyen Orient. Ainsi, la capacité fiscale du Liban – le niveau
théorique maximum de recettes fiscales qu’un pays peut atteindre – est estimée
à 34 % du PIB. Or, le niveau réel de recettes fiscales ne représente que 15 %
du PIB ; par conséquent l’effort fiscal – défini comme le rapport entre
recettes réelles et capacité fiscale – n’est que de 44 % au Liban contre
une moyenne de 60 % pour des pays de la région (voir FMI, 2017).

Ces réformes budgétaires ne
peuvent réussir sans une transformation politique
profonde du pays
, qui consiste à éliminer le clientélisme et le népotisme
 wasta »). Le système de
gouvernance « confessionnel », instauré par la constitution du Liban
de 1926, permet aux élites de capter et de redistribuer la plupart des ressources
selon un principe clientéliste[16].
Il existe par ailleurs de nombreux obstacles à la libre concurrence : le
coût élevé du crédit bancaire, le faible montant des crédits octroyés par les
banques[17],
ou encore les barrières administratives et légales.

Malgré cette grave crise
économique et politique, le Liban reste à ce jour paré de certains atouts :
son économie libérale réaffirmée par l’accord de Taëf de 1989, la libre
mobilité des capitaux, un important réseau de filiales bancaires à l’étranger, le
haut niveau d’éducation de la population, et surtout une diaspora de taille
exceptionnelle – trois fois la population libanaise – qui joue un rôle crucial
dans l’économie. Les envois de fonds de la diaspora ont ainsi atteint 7,2
milliards de dollars en 2018, soit environ 12 % du PIB d’après la Banque
mondiale. C’est sur ces atouts que le Liban doit à présent capitaliser pour
transformer le pays en profondeur, politiquement et économiquement.


[1] D’après
le ministère du Travail libanais, voir http://www.databank.com.lb/docs/Unemployment%20in%20Lebanon%20Findings%20and%20Recommendations%202019%20ECOSOC.pdf

[2] Baldacci , E., A. Hillman et N. Kojo (2003), « Growth,
Governance and Fiscal Policy Transmission Channels in Low-Income Countries »,
Working Paper, 03/237, International
Monetary Fund, Washington D.C.

[3] Patillo, C., H. Poirson et L. Ricci (2004), « What
Are the Channels Through Which External Debt Affects Growth? », Working Paper, 04/15, International
Monetary Fund, Washington D.C.

[4] Calcul effectué d’après la
plateforme lebaneselira.org qui a lancé un algorithme d’intelligence
artificielle (IA) proposant une estimation quotidienne du taux de change sur le
marché noir entre le dollar américain et la livre libanaise.

[5] Pour
comprendre le calcul « technique » des contributions des différentes
composantes à la dynamique de la dette publique, on pourra se reporter au
document de travail : C. Antonin, M. Guerini, M. Napoletano, F. Vona,
« Italy: Escaping the high-debt and low-growth trap », Sciences Po OFCE Working Paper, n°
07/2019.

[6]
Une question connexe concerne les interactions entre politique monétaire et
budgétaire : dans un intéressant article sur le Liban, Ayoub, Creel et
Farvaque (2008) concluent que la période 1991-2005 constitue le retour à une
période de domination monétaire, autrement dit à un régime
« ricardien ». Voir Ayoub, H., Creel, J., et Farvaque, E. (2008), « Détermination
du niveau des prix et finances publiques: le cas du Liban », 1965-2005. Revue
d’économie du développement
, 16 (3):, pp. 115-141.

[7]
La conférence de Paris II, réunissant les responsables de 23 États et
institutions internationales, prévoyait un soutien financier extérieur, avec
3,1 milliards de dollars alloués à la restructuration de la dette, et 1,3
milliard de dollars de prêts bonifiés.

[8] Banque
mondiale, Lebanon’s economic update,
avril 2020, https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/publication/economic-update-april-2020

[9] Les euro-obligations sont des titres obligataires
émis par le Ministère des Finances libanais, lui permettant de s’endetter sur
les marchés internationaux en dollars. Leur nom provient des
« eurodollars », apparus dans les années 1950 en raison de l’afflux
de dollars sur le continent européen à travers le Plan Marshall.

[10]
La France a convoqué la première réunion avec les institutions internationales
(Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Commission européenne),
dite conférence de Paris I, le 23 février 2001, afin de récolter une aide
internationale.

[11] FMI, IMF Country Report No. 19/312,
Lebanon, octobre 2019.

[12]
Lydia Assouad, « Rethinking the Lebanese economic miracle: The extreme
concentration of income and wealth in Lebanon 2005-2014 », World Inequality Lab Working papers, n° 2017/13.

[13]
International Monetary Fund/IMF (2017), Lebanon: Selected Issues: IMF
Country Report No. 17/20
, International Monetary Fund, Washington DC.

[14]
Le taux marginal supérieur est par exemple de 25 % pour l’impôt sur le revenu et
de 14 % pour la taxe foncière.

[15]
Fenochietto, R. et C. Pessino, 2013, « Understanding Countries’ Tax Effort »,
IMF Working Paper, n° 13/244, Washington:
International Monetary Fund.

[16]
Assemblée nationale, « Rapport d’information sur le Liban », n° 3865,
22 juin 2016.

[17] Gaspard T. K.
(2004). A political economy of Lebanon, 1948-2002: the limits of
laissez-faire
, Leideb, Boston, Brill.




L’aide exceptionnelle de solidarité a-t-elle permis de couvrir les coûts du confinement pour les familles?

Par Muriel Pucci, Hélène Périvier et Guillaume Allègre

Les mesures de confinement prises pour lutter contre la diffusion du virus de la covid-19 ont eu des répercussions à la fois sur l’activité des parents et leurs revenus, sur la scolarisation des enfants, et sur les coûts supportés par les familles. Ainsi, selon la situation professionnelle et familiale, certains parents ont télétravaillé, d’autres ont été mis au chômage partiel par leur employeur, d’autres encore ont pu bénéficier du dispositif d’indemnisation de l’arrêt d’activité pour garde d’enfant et une dernière catégorie de parents ont perdu leur emploi (voir le Policy brief OFCE n°65[1]). Seuls les premiers ont conservé leur salaire mais ils ont dû concilier à domicile les exigences de leur employeur et le temps à consacrer à leurs enfants, notamment sur le plan pédagogique. Les deux catégories suivantes ont bénéficié d’un maintien partiel de leur rémunération, le maintien était intégral pour ceux dont le salaire horaire est au niveau du smic. Enfin, les parents ayant perdu leur emploi, ont accédé au chômage indemnisé (allocation d’aide au retour à l’emploi, ARE) ou non en fonction de leur situation au regard de l’assurance chômage.



L’analyse menée dans cette note est centrée sur les effets du confinement sur les familles au RSA, qui ont subi une forte augmentation du coût de l’alimentation, et sur les familles ayant vécu le chômage partiel ou le congé pour garde d’enfant, qui ont supporté une baisse plus ou moins importante de leur revenu. Les calculs considèrent la situation des familles parisiennes qui peuvent bénéficier d’une tarification sociale particulièrement généreuse pour lesquelles la municipalité a mis en place une aide exceptionnelle complémentaire à l’aide nationale. Une annexe permet de comparer la situation de ces familles avec celles vivant à Dijon où la cantine est plus onéreuse. La situation des familles dans lesquelles un parent a perdu son emploi pose des questions complexes qui seront étudiées dans une note dédiée.

Beaucoup
de familles d’actifs ont vu leurs revenus d’activité diminuer durant le
confinement, et c’est particulièrement le cas des ménages des premiers déciles
de niveaux de vie ayant des enfants à charge. En effet, alors que les mesures
de confinement ont conduit à fermer les écoles, collèges, lycées et modes de
garde pour la plupart des enfants (à l’exception de ceux dont les parents
travaillent dans les secteurs d’activité essentielles), la capacité
d’adaptation des parents dépend du type d’emploi occupé (cadre, employé ou
ouvrier) et du secteur. Dans les couples d’employés et certains couples de
cadres, les conjoints ont le plus souvent pu opter pour le télétravail et jongler
sur les deux emplois du temps pour s’occuper des enfants. Mais pour d’autre
catégories professionnelles ou d’autres secteurs, les possibilités de
télétravail étaient plus rares. En outre, lorsqu’un des parents travaillait à
l’extérieur du domicile (grande distribution, transport, propreté…) ou dans le
cas des parents isolés, le recours à l’arrêt de travail pour garde d’enfant était
la seule option.

Au-delà
de ces baisses de revenu d’activité[2] liées à l’impossibilité de
télétravail ou à la nécessité de garder les enfants, certaine familles sans
revenu d’activité ont supporté des coûts spécifiques liés à l’alimentation. Les
ménages qui perçoivent le RSA ont souvent recours à des aides alimentaires en
temps normal (restos du cœur, autres formes de solidarités locales) et le
confinement a réduit considérablement l’accès à ces aides. En ce qui concerne
les enfants, de nombreuses villes prennent en charge une partie importante du
coût des repas des enfants des ménages à bas revenu. Cette tarification sociale
de la cantine conduit à ce qu’un repas à domicile soit plus coûteux qu’un repas
à la cantine pour ces ménages dont les enfants n’étaient plus scolarisés. En
effet, seuls les enfants de soignants ont été pris en charge par les écoles et
les centres de loisir mais ce dispositif d’accompagnement des familles n’a pas
été étendu aux autres catégories de « premiers de corvée » (agent de
caisse, livreurs, éboueurs, agents d’entretien …). A l’inverse, pour
certaines familles de travailleurs, le confinement a pu être associé à une
baisse des dépenses à la fois parce que les repas des enfants étaient moins
onéreux qu’à la cantine et parce que les adultes eux-mêmes économisaient
certains frais professionnels (transport, repas à l’extérieur).

  1. Dispositif d’aide exceptionnelle et
    estimation des coûts liés au confinement

Pour
compenser la baisse de niveau de vie liée au confinement et soutenir les
ménages les plus en difficulté, les collectivités locales ont pu mettre en
place des aides (tablette pour assurer la continuité pédagogique, aide
alimentaire …) et ceci de façon inégale sur le territoire et par conséquent
difficile à estimer globalement.

Parallèlement, le gouvernement a mis en place une aide exceptionnelle de solidarité versée le 15 mai aux ménages éligibles au RSA, à l’ASS et aux ménages avec enfant(s) bénéficiaires d’aides au logement (tableau 1). Cette décision fait suite à l’allocution présidentielle du 13 avril 2020, elle a été prise en conseil des ministres le 15 avril 2020. L’éligibilité étant calée sur des prestations déjà existantes, le versement par les CAF a été automatique ce qui a permis d’éviter un non-recours, au-delà du non-recours aux prestations existantes, mais cela n’a pas permis de tenir compte des variations de revenu liées aux mesures de confinement et à ses conséquences économiques et sociale à plus long terme. Ainsi, 4.1 millions de foyers, dont près de 5 millions d’enfants, en ont bénéficié pour une enveloppe totale de 900 millions d’euros (Cnaf). Cette aide a particulièrement été ciblée pour aider le surcroît des dépenses liées aux enfants dû au confinement : les trois quarts de cette enveloppe a concerné des ménages avec enfants. Environ 60% des familles monoparentales ont perçu cette aide, 15% des couples avec deux enfants et 35% des couples avec trois enfants (calculs réalisés via le modèle de microsimulation INES – voir INSEE). Verser l’aide aux bénéficiaires du RSA, de l’ASS ou des aides au logement permet de cibler l’aide sur les plus pauvres : 72% des bénéficiaires des aides au logement, appartiennent aux trois premiers déciles de niveau de vie.

La ville de Paris a complété cette aide nationale par un dispositif de soutien aux familles éligibles aux plus bas tarifs de cantine (jusqu’à 1,62€ par repas) pour lesquelles la Caf de Paris a versé 150€ pour le premier enfant et 50€ par enfant supplémentaire.

Ces
dispositifs exceptionnels ont-ils permis de couvrir les coûts du confinement ?
Pour répondre à cette question nous évaluons deux types de coûts :

  1. le
    coût potentiel lié au fait que l’alimentation a pu coûter plus cher pour les
    familles à bas revenu en raison d’un recours plus difficile aux solidarités
    locales (associations, voisinage) et du fait que dans les villes pratiquant une
    tarification sociale, les enfants ne déjeunaient plus à moindre coût à la
    cantine[3]. Au-delà des dépenses
    alimentaires, les familles ont dû faire face à d’autres types de coûts
    spécifiques liés au suivi scolaire des enfants (équipement ordinateur et
    connexion internet…). Là encore le rôle des collectivités locales a été
    important pour soutenir les familles, mais de façon inégale sur le territoire. Mais
    ce type de coût n’est pas pris en compte dans l’analyse.
  • la potentielle
    perte de revenu liée au basculement dans le dispositif de chômage partiel (ou
    congé pour garde d’enfant). Les parents au chômage partiel ont en effet pu
    subir une baisse de leur revenu d’activité mais ils ont également économisé des
    frais professionnels. En outre, la baisse du revenu primaire a pu entraîner une
    variation positive ou négative de la prime d’activité qui a donc, selon les
    cas, partiellement compensé ou au contraire accentué la baisse du revenu
    primaire.

Pour estimer le coût des repas à domicile, nous utilisons les budgets de référence construits par le Credoc et l’Ires pour l’Onpes[4] en les adaptant à la situation parisienne qui sera retenue pour les cas types (voir tableau 2).

Les coûts des repas à domicile[5] estimés pour les budgets
de référence supposent que les ménages achètent l’intégralité de leurs denrées
aux prix en vigueur (avec un recours plus important aux grandes surfaces en
ville moyennes) qu’à Paris. Or, en réalité, les familles qui touchent le RSA
peuvent en temps normal bénéficier de paniers repas ou autres aides
alimentaires locales réduisant le poste de dépenses d’alimentation. Nous
supposerons que le coût des repas à domicile pour ces familles est réduit relativement
aux estimations du tableau 2 en temps normal, mais pas durant le confinement
qui a limité l’accès aux solidarités alimentaires.

Pour les familles
d’actifs, nous supposons que les coûts des repas à domicile en temps normal
sont ceux du tableau 2 mais que ce coût a été accru durant le confinement en
raison de difficultés à accéder aux grandes surfaces et de l’impossibilité de
déjeuner dans les cantines d’entreprise. Les économies éventuelles liées à
l’absence de déjeuners au restaurant les jours de travail ne sont pas prises en
compte ici mais elles sont intégrées dans les économies de frais professionnels
qui incluent également celles associées aux frais de transport (remboursement
du Pass Navigo). Ces économies de frais professionnels sont sans doute très
variables et sont très difficile à estimer. Nous retiendrons pour nos calculs
l’hypothèse faite par le trésor public en les valorisant par 10% du salaire.

Le tarif de la cantine est calculé à l’aide des barèmes de la ville de Paris qui pratique une tarification sociale particulièrement généreuse (tableau 3). Dans d’autres villes, la cantine peut coûter plus cher aux parents que l’alimentation à domicile (voir annexe).

Nous
supposons que les parents isolés ont un ou deux enfants écoliers et que les couples
ont 2 enfants écoliers ou 3 enfants dont 2 écoliers et un collégien[6]. Nous étudions pour
différentes configurations l’évolution du revenu et des coûts pour ces ménages durant
la période de confinement du 16 mars au 19 juin (date de réouverture des
écoles).

  • Hypothèses retenues pour les cas types

Pour
évaluer l’effet de l’aide exceptionnelle sur différentes catégories de ménages,
nous nous appuyons sur des cas types, en retenant les types de ménages qui ont
été particulièrement ciblés par l’aide (graphiques 1a et 1b) :

  • un
    parent isolé ayant un enfant : 61 % des parents isolés ayant un
    enfant à charge ont perçu l’aide, et cette catégorie représente 16 % des
    ménages éligibles selon nos simulations;
  • un
    parent isolé ayant deux enfants : 64 % des parents isolés ayant deux enfants
    à charge ont perçu l’aide, et cette catégorie représente 11 % des ménages
    éligibles ;
  • un
    couple ayant deux enfants : 14 % d’entre eux ont perçu l’aide, et ils
    représentent 10 % des ménages éligibles ;
  • un
    couple ayant trois enfants : 35 % d’entre eux ont perçu l’aide, et
    ils représentent 11 % des ménages éligibles.

A côté de ces 4 catégories de ménage, nous étudions le cas des personnes seules et couples sans enfant pour mettre en lumière la particularité des familles avec enfant(s). Ces ménages représentent 36% des ménages éligibles et 25% de l’aide versée.

Pour les personnes seules ou couples sans enfant, les couples avec 2 ou 3 enfants et les parents isolés avec 1 ou 2 enfants, nous estimons l’impact du confinement sur le revenu net du coût de l’alimentation lorsque leurs revenus d’activité sont faibles (inférieurs à 1,5 smic) voir nuls, ce qui correspond aux bénéficiaires potentiels des aides exceptionnelles. Nous supposons que les familles n’ont pas eu accès à la cantine durant 3 mois (du 16 mars au 19 juin) et du subir un surcoût de l’alimentation à domicile durant cette même période, en considérant que le nombre de jours de cantine « perdus » dépend de l’activité des parents (centre de loisir du mercredi s’ils travaillent à plein temps uniquement). L’ensemble des hypothèses est présenté de manière détaillée dans l’annexe 1. 

  • Evaluation de la situation des ménages
    selon leur configuration

Les graphiques
2 – cas types 1 à 4- illustrent les pertes supportées par les ménages ainsi que
la compensation plus ou moins importante par les aides exceptionnelles. Le
montant de ces aides versées en une seule fois pour 3 mois de confinement a été
divisé par trois pour être comparable aux revenus mensuels.

Pour les
ménages sans enfant bénéficiaires du RSA avant le confinement (Graphique 2, cas
type 1), l’aide exceptionnelle de l’Etat a permis de couvrir une grande partie
du surcoût de l’alimentation pour les personnes seules mais le niveau de vie
des couples ont été moins protégés puisque le montant de l’aide était le même
pour un ou deux adultes sans enfant. Notons toutefois que le reste à charge a
été estimé en supposant que l’aide alimentaire issue de solidarités
associatives et locales couvrait en temps normal 30% du coût de l’alimentation.
Dans le cas des ménages aux RSA ayant des enfants, l’aide exceptionnelle
nationale n’a pas suffi à compenser le surcoût de l’alimentation dans une ville
comme Paris où la cantine est très peu chère pour ces enfants. Mais l’aide
additionnelle accordé par la ville de Paris a comblé l’écart, les couples avec
enfant restant perdants, au même titre que les couples sans enfant.

Pour les
ménages dans lesquels le ou les adulte(s) gagnai(en)t le smic avant le
confinement, l’aide nationale a pu être versée aux parents isolés et aux
couples avec 3 enfants bénéficiant d’une aide au logement mais pas aux autres
ménages. Seules les familles monoparentales avec 2 enfants pouvaient prétendre
à l’aide de la ville de Paris.

La variation
du revenu liée au confinement dépend du taux de compensation du salaire par
l’indemnité de chômage partiel. En effet, lorsque le salaire horaire est égal
au smic (cas type 2), la compensation est totale alors qu’à revenu mensuel
égal, si le salaire horaire est supérieur au smic, l’indemnité de chômage
partiel ne compense que 84% du salaire (cas type 3 où le parent travaillait à
80% au taux horaire de 1,25 smic). Dans les deux cas, on considère que le
travailleur au chômage partiel a économisé environ 122€ de frais professionnels
(10% de sa rémunération).

A revenu
d’activité inchangé (cas type 2), l’aide nationale a relativement bien compensé
le surcoût de l’alimentation, relativement faible pour les familles
monoparentales avec un enfant et les couples avec deux ou trois enfants pour
lesquels un repas à la cantine est plus cher qu’à domicile pour ce niveau de
revenu (2,28€ contre 1,78€). Les familles monoparentales avec deux enfants qui
doivent quant à elles supporter un coût du repas des enfants plus élevé à
domicile bénéficient de l’aide de la ville de Paris ce qui leur permet, au
total, de ne pas y perdre sur le budget alimentation. Ces familles ayant pu
économiser les frais professionnels pour le travailleur au chômage partiel,
leur revenu net des frais professionnels et du coût de l’alimentation a pu
augmenter dans toutes les configurations familiales. Ce résultat est toutefois
à nuancer par notre hypothèse que les frais professionnels représentent 10% du
salaire, ce qui est probablement une estimation haute pour les ménages gagnant
le smic.

En revanche,
lorsque l’indemnité de chômage partiel était inférieure au salaire (cas type 3)
toutes les configurations étudiées ont vu leur revenu disponible net des frais
professionnels et du coût de l’alimentation diminuer, à l’exception des
familles monoparentales avec deux enfant. Cela laisse penser que les
dispositifs exceptionnels ont été conçus pour compenser une augmentation
exceptionnelle du coût de l’alimentation plutôt que des pertes de revenu
professionnels nets. On peut noter qu’au niveau du smic mensuel, la variation
de la prime d’activité a pu, selon les configurations, soit compenser en partie
la baisse du revenu soit l’amplifier. Cela s’explique par le profil « en
chapeau » de cette aide : elle est d’abord croissante avec le salaire
puis décroissante, avec un point de maximum dépendant de la configuration
familiale.

Avec un
salaire de 1,5 smic mensuel, seules les familles monoparentales ont pu recevoir
une aide nationale, car elles seules peuvent bénéficier d’une aide au logement
avec ce salaire. Aucune des configurations étudiées n’était éligible à l’aide
de la ville de Paris ce qui s’explique par le fait qu’à ce niveau de revenu,
les repas à la cantine sont plus chers qu’à domicile. (Graphique 2, cas type 4).
Dans la plupart des cas, une augmentation de la prime d’activité a en partie
compensé la baisse du revenu d’activité, mais ce n’est pas le cas pour les
couples sans enfant ou avec 3 enfants qui ne sont pas éligibles à la prime
d’activité à ce niveau de salaire[7].
Malgré la baisse des frais professionnels (estimée à 183e à ce
niveau de salaire), le revenu net des frais professionnels et alimentaires a
baissé dan toutes les configurations familiales, à l’exception des familles
monoparentales avec deux enfants.

Au total, les aides nationale et locale ont permis de compenser l’augmentation du coût des repas pour les ménages modestes, ce qui était en partie l’objectif. L’aide nationale a plutôt compensé la hausse du coût de l’alimentation durant le confinement (moindre recours aux aides alimentaires et augmentation du prix en magasin) tandis que l’aide de la ville de Paris compensait plutôt le surcoût des repas à domicile pour les enfants bénéficiant de tarifs de cantine très avantageux (l’aide était explicitement ciblée sur les ménages bénéficiant des tarifs de cantine scolaire les plus bas). Par contre, les aides nationale et locale n’ont pas compensé la perte de revenus pour les individus subissant un chômage partiel lorsque leur rémunération était supérieure au Smic horaire. Il semble donc que les aides exceptionnelles étaient plutôt destinées à compenser des coûts exceptionnels que des pertes temporaires de revenu nets des frais professionnels. Toutefois, l’indemnité de chômage partiel étant traitée comme un revenu d’activité pour le calcul de la prime d’activité, cette prestation de soutien aux bas salaires a pu dans certain cas compenser en partie la perte due au chômage partiel. Cette possibilité de cumuler partiellement l’indemnité de chômage partiel et la prime d’activité ne s’applique pas à l’allocation chômage classique (ARE). Pour les travailleurs qui ont perdu leur emploi lors de la crise sanitaire que nous traversons, la baisse, voire la perte, de la Prime d’activité pour les chômeurs indemnisés a pu exacerber l’impact de la crise économique sur la pauvreté. Cette question fera l’objet d’une note spécifique.

Annexe 1 : Hypothèses retenues pour les cas types

Les hypothèses retenues
en termes de revenus, de recours aux solidarités et de recours à la cantine
sont les suivantes

Cas
types 1 : des ménages sans revenu primaire

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • le coût des repas à domicile aurait été réduit
      de 30% grâce aux solidarités associatives ou de voisinage ;
    • les enfants auraient été à la cantine 4 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires (centre de loisir) pour
      les écoliers mais pas pour les collégiens.
  • Avec le confinement,
    • le coût des repas à domicile est augmenté du
      fait de l’impossibilité de  recourir aux
      solidarités associatives ou de voisinage ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 2 : des ménages dont les adultes travaillent à temps complet au Smic

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les écoliers auraient été à la cantine 5 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires et les collégiens 4 jours
      par semaine hors vacances scolaires ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • un adulte passe au chômage partiel sans perte
      de revenu car le dispositif couvre l’intégralité de la perte de revenu pour une
      rémunération au smic horaire ; il n’a plus de frais professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% du
      fait d’un moindre accès à des grandes surfaces ;
    • Tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 3 : des ménages dont les adultes gagnent l’équivalent d’un Smic à
temps plein, l’un d’eux travaille à 80% (au taux horaire de 1,25 Smic) et se
trouve au chômage partiel durant le confinement.

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les enfants auraient été à la cantine 4 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires (centre de loisir) pour
      les écoliers mais pas pour les collégiens ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • l’adulte travaillant à temps partiel passe au
      chômage partiel avec une perte de revenu car le dispositif ne couvre que 84% de
      la rémunération pour ce niveau de salaire horaire mais il n’a plus de frais
      professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 4 : des ménages dont les adultes travaillent à temps complet pour un
salaire horaire de  1,5 Smic

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les écoliers auraient été à la cantine 5 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires et les collégiens 4 jours
      par semaine hors vacances scolaires ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • un adulte est au chômage partiel avec une perte
      de revenu car le dispositif ne couvre que 84% de la rémunération pour ce niveau
      de salaire horaire mais il n’a plus de frais professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Annexe 2 : Coût du repas des enfants sur 3 mois et aides locales à Paris et Dijon

La situation de la ville de Paris étudiée dans cette note est spécifique en raison d’une part du coût des repas à domicile, qui peut être plus élevé qu’en province, et d’autre part de la tarification de la cantine très avantageuse pour les familles à bas revenu. Les graphiques ci-dessous permettent d’illustrer cette spécificité par comparaison avec la ville de Dijon. A Dijon, l’alimentation à domicile est moins chère qu’à Paris mais la tarification de la cantine est un peu plus chère pour les écoliers (voir tableau ci-dessous) et beaucoup plus chère pour les collégiens (tarif unique de 3,7€).

La ville de Dijon a mis en place une aide pour les familles consistant à exonérer de frais de cantine scolaire de janvier à juin. 


[1]
Selon le Département
Analyse et Prévision
, durant le confinement, le télétravail a concerné 9,3
millions de salariés, l’activité partielle, 7,1 millions dont 1,1 pour garde
d’enfants ; 0,6 million d’emplois ont été détruits.

[2]
Jusqu’au 30 avril, les salariés bénéficiant d’un arrêt de travail dérogatoire pour
garde d’enfant étaient indemnisés à hauteur de 90% de leur salaire.

[3]
Dans les collectivités locales qui
appliquent une tarification sociale généreuse des frais de cantine, la perte a
pu être substantielle. En revanche pour les villes dans lesquelles le tarif de
la cantine reste élevé même pour les familles modestes, le confinement a pu
mécaniquement conduire à une baisse des dépenses sur ce poste de consommation.

[4]
Voir https://onpes.gouv.fr/les-budgets-de-reference-618.html
pour les budgets de 2014 en ville moyenne. Ces budgets ont été actualisé comme
l’inflation jusqu’en mars 2020 et un coefficient de 1,065 a été appliqué pour
passer du coût des repas en ville moyenne à celui observé à Paris, conformément
à la méthodologie adoptée par le Credoc pour les budgets de référence dans la métropole
du Grand paris (rapport à paraître).

[5] Ces
coûts sont ensuite corrigés dans les budgets de référence pour tenir compte de
repas pris à l’extérieur du domicile (restaurant, cantine scolaire…).

[6] Dans l’annexe comparant les villes de Paris et de Dijon, on ajoute une variante avec un écolier et un collégien dans les ménages avec 2 enfants.

[7]
Pour les couples avec 3 enfants, cela s’explique par le fait que les
allocations familiales et le complément familial sont déduits de la prime.




La crise du tourisme : c’est aussi une question de confiance

par Christine Rifflart

À l’heure où les pays se
déconfinent et rouvrent leurs frontières[1],
les professionnels du tourisme attendent le retour des visiteurs avec
impatience et inquiétude. Les mois d’été affichent traditionnellement une
activité record dans les secteurs de l’hôtellerie, la restauration, les
transports, les loisirs, toutes ces activités de services ont gravement été impactées
par les fermetures administratives et les mesures de confinement adoptées pendant
les semaines passées. Aujourd’hui, la crise de la Covid-19 n’est toujours pas
finie et la prudence domine dans les comportements. Les déplacements à
l’étranger sont en grande partie différés, les vacanciers préférant rester dans
leur pays. Dès lors, les recettes issues des visiteurs[2]
étrangers ne rentreront pas ou peu cette année, mais les dépenses
habituellement réalisées à l’étranger pourraient être réalisées dans le pays de
résidence.



Le PIB du tourisme[3]
représente en moyenne 4,4 % du PIB des pays de l’OCDE en 2018. L’Espagne tient
le haut du pavé avec un taux atteignant 12,3% du PIB espagnol. La
consommation touristique intérieure représente cette année-là 12,8 % du PIB en
Espagne, suivie de près par l’Italie et la France avec respectivement 8,9 % et
7,3 % du PIB. La reprise du tourisme est un enjeu majeur pour ces pays. Quelle
peut être la perte économique en cas de non reprise du tourisme ?

Le déconfinement au niveau national comme préalable à
la reprise du tourisme local

Après les 8 à 11 semaines
de confinement, le retour à la libre circulation des personnes à l’intérieur
des frontières nationales s’est progressivement amorcé dans les pays qui
avaient mis en place de telles mesures. En France, les premières mesures de
déconfinement ont débuté le 11 mai, avec des restrictions encore fortes et des
déplacements autorisés seulement dans un rayon de 100 kilomètres. Depuis le 2
juin, la libre circulation est possible sur l’ensemble du territoire. Le
déconfinement s’est achevé le 3 juin en Italie. Il a fallu attendre le 21 juin
pour que l’Espagne rouvre ses provinces.

La levée des contraintes de
déplacement constituait le préalable à toute reprise du tourisme domestique. Or,
ce sont respectivement 190 millions de voyages de touristes français, 140
millions de voyages de touristes espagnols et 63 millions de voyages de touristes
italiens, avec nuitées, qui ont été effectués dans le pays de résidence en 2018.
Les dépenses générées par ce tourisme domestique occupent une place importante dans
les dépenses touristiques totales. En Espagne, elles atteignent 4,6 % du PIB. En
Italie et en France, bien que leur poids soit plus faible dans l’économie (près
de 4 % du PIB), elles représentent plus de la moitié des dépenses touristiques
totales. En 2020, une part importante de ces dépenses potentielles n’aura pas
lieu. D’une part, celle qui aurait dû avoir lieu pendant la période de
confinement ne sera pas reportée sur les autres mois de l’année. Par ailleurs,
même si les déplacements sont autorisés, de nombreuses manifestations sont
annulées, notamment les événements culturels et le maintien des règles de
distanciation dans les lieux touristiques réduit le nombre de visiteurs.

Le retour des touristes étrangers : un pari loin
d’être gagné 

Après la levée des barrières aux déplacements internes, le déconfinement des pays a constitué un autre préalable à la reprise du tourisme international. Si l’Allemagne a amorcé le processus dès le mois de mai, la réouverture des frontières intérieures de l’UE et de l’espace Schengen dans les pays qui avaient mis en place des mesures de contrôle s’est installée plus largement en juin. Le 3 juin, l’Italie a rouvert ses frontières, suivi le 15 juin par plusieurs autres pays européens et le 21 juin par l’Espagne (sauf celle avec le Portugal). Au 1er juillet, le mouvement s’amplifie et les frontières intérieures sont rouvertes entre la plupart des pays (notamment entre l’Espagne et le Portugal), avec encore quelques restrictions levées à la mi-juillet  au Rouaume-Uni, en Irlande, et dans les pays nordiques[4]. Par ailleurs, les frontières européennes s’ouvrent à une quinzaine d’autres pays, jugés suffisamment sûrs sur le plan sanitaire. Sont exclus de la liste les États-Unis et la Russie – et la Chine pour des raisons de réciprocité.

Cette réouverture des
frontières a été jugée très favorable par les professionnels du tourisme,
particulièrement dans les pays les plus visités. De fait, la France, première
destination mondiale en termes d’arrivées touristiques, a reçu en 2018, 89,3
millions de touristes étrangers, suivie par l’Espagne avec 82,8 millions. L’Italie
arrive en quatrième position avec 61,6 millions[5].
Si l’on rajoute à ces touristes, les visiteurs d’un jour (excursionnistes), ce
sont alors plus de 200 millions de visiteurs étrangers accueillis en 2018 en
France et environ 100 millions en Espagne et en Italie (tableau 1). Le
Royaume-Uni et les pays limitrophes constituent une part très importante du
tourisme étranger. Les touristes britanniques représentent 15 % de la clientèle
étrangère en France, 9 % en Italie et 22 % en Espagne, et les touristes
allemands 22 % en Italie, et 14 % en France et en Espagne.

Différents scénarios liés à la confiance

Si ces touristes ne
reviennent pas malgré la réouverture des frontières, cela représente un manque
à gagner considérable. En 2018, les dépenses touristiques des non-résidents ont
représenté 6,6 % du PIB en Espagne, 3 % en Italie et 2,7 % en France (tableau
2), les principales dépenses étant destinées à l’hébergement (entre un quart et
un tiers des dépenses totales).

Si les voyages
internationaux seront faibles cet été et probablement d’ici à la fin de l’année,
la contrepartie est que ces visiteurs qui renoncent à partir à l’étranger prendront
leurs vacances dans leur pays de résidence. Ils devraient alors s’ajouter aux flux
de touristes domestiques. Pour autant, cela ne suffira pas à compenser le
manque à gagner pour les professionnels car le nombre de résidants sortants est
bien inférieur à celui des entrées de touristes étrangers en Espagne, en Italie
et en France. En 2018, 33,3 millions de résidents italiens ont voyagé à
l’étranger, 26,9 millions de résidents français et 16,4 millions de résidents
espagnols. Dans ces trois pays, les dépenses touristiques de ces résidents voyageant
à l’étranger ont représenté 2 % du PIB domestique en 2018. En cas de
substitution des dépenses entre les flux entrants des touristes non-résidents et
les flux sortants de touristes résidents (on considère que le tourisme
international est à l’arrêt complet mais que les touristes résidents dépensent
localement), le manque à gagner pour l’économie serait de 4,6 % du PIB en Espagne,
0,7 % en France en 2018 et 0,8 % pour l’Italie (scénario 1 du tableau 2).

Le manque à gagner serait
évidemment moindre si une timide reprise du tourisme international s’amorçait.
Dans le scénario 2, nous supposons que la réouverture des frontières permet de
retrouver 20 % de la dépense effectuée habituellement par des visiteurs étrangers.
Dans ce cas, l’économie domestique capterait aussi 80 % des dépenses faites par
des visiteurs résidents qui habituellement partent à l’étranger. La perte
s’élèverait alors à 3,7 % du PIB en Espagne mais serait à peine plus faible en
Italie et en France que dans le scénario 1.  La perte serait par contre beaucoup plus
importante dans un scénario catastrophe si le tourisme international était à
l’arrêt et qu’une partie des résidents, en dépit du déconfinement, décidaient
de rester chez eux pour des questions de prudence sanitaire. Sous l’hypothèse
que les déplacements touristiques soient réduits de moitié (1 visiteur sur 2
renonce à bouger), le manque à gagner dans l’ensemble de l’économie attendrait
alors près de 8 % du PIB en Espagne, 4 % en Italie et 3,5 % en France (scénario
3).

Dans tous les cas, les secteurs de l’hébergement surtout mais aussi de la restauration devraient être les plus frappés par la crise touristique (Graphique). En France, les touristes étrangers ont dépensé en 2018 plus de la moitié de leur budget dans ces services, ce qui n’est pas le cas pour les touristes domestiques, qui séjournent davantage en famille ou entre amis. D’autres secteurs par contre pourraient s’en sortir moins mal. En conclusion, les mesures de soutien prises par le gouvernement ne suffiront pas à éviter une crise majeure pour les entreprises liées au tourisme. Malgré le retour de l’autorisation de déplacements des personnes, la prudence face à la pandémie est un barrage bien plus important qui devrait perdurer encore plusieurs mois.


[1] Les
mesures de déconfinement et de reconfinement sont complexes et peuvent être
modifiées rapidement compte tenu de l’évolution de l’épidémie. La note s’appuie
sur les informations disponibles à la date de la publication.

[2] Par définition,
on appelle visiteur un voyageur effectuant un voyage vers une destination
différente de son lieu habituel pour un motif autre que de travailler dans le
pays ou lieu visité. Un visiteur est un touriste si son voyage comprend une
nuitée ; sinon, un visiteur est un excursionniste.

[3] Le PIB
du tourisme correspond à la part du PIB générée par l’ensemble des secteurs en
réponse à la consommation du tourisme intérieur

[4] La liste
des pays européens autorisés à entrer librement en Norvège et en Finlande n’est
pas encore totale au 16 juillet.

[5] Derrière
les États-Unis,
selon les données de l’OCDE.