Le défi de l’instabilité

par Jean-Luc Gaffard

Un grand désordre existe dans la pensée
économique confrontée à la conjonction de crises financière, sanitaire et
écologique. L’idée continue de dominer que ce ne sont là que de simples
parenthèses que l’on devrait pouvoir refermer plus ou moins vite. Pourtant
l’hypothèse d’une profonde transformation du modèle économique n’est pas dénuée
de fondements. À tout le moins, il va falloir accepter que se profile une
accélération des processus de destruction créatrice et de recomposition du
tissu productif qui va se traduire par la formation et l’enchaînement de
déséquilibres sur les différents marchés. Les économistes ne sont pas démunis
de références face à cette réalité s’ils veulent bien retenir les enseignements
tirés de l’observation et de l’analyse d’événements faisant suite à des
ruptures importantes dans le passé, allant à l’encontre de bien d’idées reçues.



La
croyance dans une parenthèse ou le retour en arrière fantasmé

La crise sanitaire a conduit les
gouvernements à prendre une décision administrative exceptionnelle d’arrêt de
l’activité économique assortie de mesures destinées à préserver les revenus de
salariés placés en chômage partiel et à prémunir les entreprises de tomber en
faillite. L’objectif plus ou moins avoué est de se placer dans les conditions
de revenir plus ou moins rapidement au niveau d’activité d’avant-crise.

L’attente d’un retour à la
« normale » favorisé par un gel des effets sur les revenus est censé
être conforté grâce à l’adoption et la mise en œuvre de plans de relance
incluant, entre autres, des mesures visant à accélérer la transition digitale
et la transition écologique. L’usage des modèles économétriques suggère qu’il
est ainsi possible de retrouver l’équilibre perdu en termes de croissance.

Ce retour à la « normale » serait
inscrit dans le surcroît d’épargne censé venir alimenter une reprise de la
consommation à plus ou moins brève échéance obéissant à des préférences
largement inchangées. Il serait permis par la création de dettes sous l’égide
des banques centrales, abandonnant un temps les politiques conventionnelles,
qui doivent doper un redémarrage rapide après avoir contenu les effets
délétères de l’arrêt d’activité. Il existerait un lien direct et unique entre
finance et économie réelle. La liquidité abondamment distribuée, d’abord gelée
sur les comptes des épargnants, se dirigerait, ensuite, naturellement vers la
consommation et l’investissement.

Dans une approche trop exclusivement
macroéconomique, impasse est faite sur la distribution très inégalitaire de ce
surcroît d’épargne qui a forcément des effets sur la structure de la demande
finale pouvant impliquer que plus de certains biens et services et moins
d’autres seront demandés. Impasse est faite, également, sur la formation d’une
épargne de précaution liée à l’incertitude de ceux des ménages qui s’attendent
à être plus touchés que les autres par des chutes d’emplois dans un futur
immédiat. Impasse est faite sur les contraintes de capacité à court terme face à
un rebond assez brutal et inégalement réparti de la demande, que ce soit en
raison d’un manque de main-d’œuvre, ou du fait de contraintes d’endettement
pesant sur l’investissement des entreprises. Plus généralement, impasse est
faite sur la bascule affectant les lieux sectoriels et géographiques de captation
de richesse.

Le gel temporaire d’activité et la croyance
en un retour mécanique à la « normale » conduisent à ignorer l’impact
de déséquilibres de court terme sur le développement à moyen ou long terme. Les
conséquences, à relativement brève échéance, de l’endettement des entreprises
ne sont guère identifiables tant les mécanismes de sélection ont été modifiés.
Nul n’est en mesure de dire vraiment ce qu’il va advenir en termes de faillites
d’entreprises et de perte d’emplois Le risque inflationniste, envisagé par
certains, n’est appréhendé qu’au regard d’un financement monétaire des déficits
publics sans réelle tentative d’analyser la séquence des événements à venir nés
de l’articulation entre action publique et activité privée. L’hétérogénéité des
situations et des comportements est passée sous silence.

Le discours sur le monde d’après tel qu’envisagé
par ceux qui entendent saisir l’opportunité de la crise pour accélérer la
transition écologique n’échappe pas l’illusion d’une convergence sans
véritables heurts vers un nouvel équilibre. Celui-ci est inscrit dans de
nouvelles technologies et de nouveaux comportements sans que soient considérés
les moyens de les connaître et de les atteindre. La relocalisation souhaitée
d’activités et la régression attendue des échanges à l’échelle mondiale s’apparentent
à une sorte de retour en arrière que l’on imagine sans coûts ni dommages.

L’hypothèse
du changement structurel de grande ampleur

La réalité est que la crise sanitaire n’est,
pourtant, pas intervenue dans un monde économique stable. Des mutations
structurelles étaient à l’œuvre dont on peut penser qu’elles vont se trouver
accélérées du fait de l’expérience acquise dans la gestion de cette crise et de
ses contraintes (Dessertine, 2021).  

L’expérience du télétravail augurerait
d’une transformation en profondeur de l’organisation du travail et de
l’entreprise, qui serait elle-même à l’origine d’une transformation des
infrastructures urbaines et de transport. Ces transformations seraient d’autant
plus importantes qu’elles participent d’une nouvelle révolution scientifique et
technologique incarnées dans les nouvelles capacités de captation, de
traitement et d’usage de très grandes bases de données (le « big
data »). Dans cette perspective, la révolution digitale devient beaucoup
plus importante que la révolution énergétique, les producteurs de données prennent
le pas sur les producteurs d’énergies anciennes et nouvelles, les lieux de
création de valeur changent drastiquement. Il pourrait s’ensuivre un retour de
certaines productions à proximité de leurs marchés, une régression des mouvements
de marchandises et d’êtres humains permettant, au passage, de réduire les coûts
environnementaux. Le triptyque mouvement – concentration – hyper-consommation
ne permettant pas un développement durable serait ainsi remis en cause. Encore
faudrait-il que puisse prévaloir une relative égalité de revenus et de
patrimoines, que renaisse une véritable classe moyenne pour que le changement
soit admis socialement et soit créateur de valeur.

Le grand basculement ainsi envisagé ne
remet pas en cause le principe du monde industriel, celui d’une organisation
maximisant le taux d’utilisation des fonds de services (équipements, ressources
humaines, stocks), synchronisant les étapes successives de la production de
biens et de services (Georgescu-Roegen, 1971). La concentration géographique
n’est plus nécessaire pour y parvenir. Les grandes unités n’ont plus lieu
d’être. Cette déconcentration est susceptible de réduire la longueur des
acheminements (les transports de matières et de produits) sans que l’efficacité
productive en soit affectée. Il reste que les mutations structurelles en
question sont de très grande ampleur. De nouvelles communautés, de nouvelles
intelligences collectives vont devoir s’organiser. L’entreprise va devoir
acquérir de nouveaux contours. Les lieux de captation de valeur, tels que les
enregistrent les mouvements boursiers, évoluent déjà fortement au bénéfice des
acteurs du numérique. Il est difficile, dans ces conditions, d’imaginer que
l’instabilité ne soit pas au rendez-vous rendant illusoire toute possibilité
d’un retour à la « normale ».

Sans
aller aussi loin dans la prospective …

Les mutations en cours, affectant
technologies et préférences, restent difficiles à connaître et à prévoir. Elles
ne se dérouleront pas en un jour. Rien n’indique qu’un nouvel état stable
puisse même exister. Il est, en revanche, manifeste, que l’on va assister à une
accélération de la recomposition du tissu productif en raison des effets
combinés de la crise sanitaire et de la crise écologique. Les nouvelles donnes
technologiques et comportementales vont entraîner une accélération du processus
de destruction créatrice. Des secteurs sont d’ores et déjà durablement affectés
par les transformations de la demande tels que le transport aérien ou l’automobile
qui ne sont pas confrontés aux seules conséquences de la transition énergétique.
Sans compter bien sûr les effets en amont comme en aval. Il ne peut être
question d’un retour à un équilibre de longue période effaçant les pertes
subies. Si des relocalisations d’activité se produisent, ce ne sera pas sous la
forme d’un retour à l’identique, mais sur la base de robotisation sans création
de « vieux » emplois pouvant résorber le chômage structurel. Plutôt
que de relocalisation et de raccourcissement des chaînes de valeur, il vaut
mieux parler de leur recomposition, d’un changement de nature de la
mondialisation des échanges.

Les mutations en cours affectent, en tout
premier lieu, la situation des marchés. Excès et pénuries de main-d’œuvre pourraient
s’accentuer du fait de l’hétérogénéité de l’offre de travail et d’une mobilité
professionnelle freinée par un défaut de temps et de moyens financiers
d’apprentissage. Le risque d’une polarisation encore accrue des emplois en
termes de qualification et de salaires est manifeste du fait de la rareté de
l’offre de travail qualifiée et du déversement de la main d’œuvre la plus
touchée vers les emplois peu qualifiés.  Ce
ne peut être que dommageable à la croissance globale en raison de l’effet
produit sur la répartition des revenus et la structure de la demande
possiblement caractérisée par une demande accrue de biens de luxe et d’actifs
financiers au détriment d’une forte demande de biens « salariaux »,
caractéristique de l’existence d’une importante classe moyenne.

Des tensions inflationnistes sont déjà effectives
sur les marchés de matières premières (fer, cuivre, bois, aluminium, blé, soja,
pétrole) et sur les marchés de produits intermédiaires (semi-conducteurs, puces
électroniques), qui vont peser, plus ou moins fortement suivant les secteurs,
sur les coûts de production des entreprises, leurs marges et leurs prix. De
telles tensions sont le fruit des mutations structurelles en cours y compris celles
résultant de la transition écologique. Ainsi à production égale,
l’éolien et le solaire consomment considérablement plus d’acier et de béton que
les centrales thermiques ou nucléaires. L’électrification des objets, à
commencer par la voiture, et le besoin en batteries de stockage qu’elle
implique ne peuvent que faire exploser la demande des matériaux qui les
composent et leurs prix.

Des investissements très élevés sont requis
y compris en raison pour des raisons écologiques (économies de ressources). La mutation
ainsi engagée, comme toute transition, entraîne une hausse des coûts de
construction des nouvelles capacités et, potentiellement une chute relative du
produit brut avec comme conséquence, temporairement ou non, la hausse du taux
de chômage et la diminution des gains de productivité (l’effet machine de
Ricardo décrit par Hicks, 1973). Y parer requiert, à tout le moins, une
politique monétaire et une organisation financière garantissant aux entreprises
un accroissement des crédits à l’investissement productif (Amendola et Gaffard,
1998).

Face à l’inévitabilité des mutations
structurelles et à l’exigence de viabilité, il devient essentiel de développer
de nouvelles qualifications et de nouveaux emplois correctement rémunérés. Ce
n’est pas qu’une affaire d’offre de travail, de formation initiale, générale,
professionnelle et continue. C’est aussi une affaire de demande de travail impliquée
par le développement de nouvelles activités et de nouveaux investissements. La
question se pose alors clairement de l’organisation du système financier et du
mode de gouvernance des entreprises propres à orienter les moyens financiers
disponibles vers les projets les plus porteurs de croissance à long terme dans
la mesure où ils permettent aux entreprises de former des anticipations fiables.

Les économistes sont-ils démunis de repères ?

Ce
n’est pas de la théorie économique conçue pour décrire les périodes de
tranquillité qu’il faut attendre une compréhension des ressorts de l’instabilité
et des conditions de résilience de l’économie de marché. À vrai dire, il vaut mieux
se rapporter aux enseignements tirés de l’observation de périodes passées de
rupture. Deux épisodes retiendront ici l’attention.

L’épisode
des années 1970 livre un premier enseignement dès lors que l’on y
reconnaît un changement structurel de grande ampleur. La hausse simultanée du
taux d’inflation et du taux de chômage a conduit à une remise en cause d’une
politique keynésienne strictement macroéconomique, fondée sur la possibilité
d’un arbitrage maîtrisé entre les deux. L’explication qui l’a emporté a reposé
sur la dénonciation d’un déficit budgétaire venant contrarier un état naturel
d’équilibre de long terme. Le principe de séparation entre causes (monétaires)
de l’inflation et causes (réelles) du chômage a été ainsi réhabilité. La
véritable explication de la stagflation est pourtant différente, mettant l’accent
sur les conséquences de la recomposition du tissu productif initiée par la
hausse très forte du prix de toutes les matières premières avant même que ne
survienne le choc pétrolier. L’augmentation simultanée de l’inflation et du
chômage n’est autre que la conséquence de la désarticulation du tissu productif
que traduit la dispersion accrue des demandes et offres excédentaires
(sectorielles) dans un contexte où, faute d’une information suffisante, les
prix s’ajustent plus fortement à la hausse qu’à la baisse (et les quantités
donc les emplois plus fortement à la baisse qu’à la hausse) (Tobin, 1972 ;
Fitoussi, 1973). En présence d’une demande excédentaire de travail, dans
les activités en essor, les entreprises augmentent plutôt les salaires que
l’emploi en raison de la rareté de l’offre de travail et de l’existence d’une
contrainte de capacité. En présence d’une offre excédentaire de travail, dans
les activités en déclin, les entreprises diminuent plutôt l’emploi que les
salaires pour conserver la confiance des salariés qu’ils continuent à embaucher.
La rigidité des prix répond à celle des salaires. Cette asymétrie de
comportement contraint le niveau global de l’emploi et le taux d’inflation.

L’épisode de la reconstruction en Europe
dans les années de l’après-Seconde Guerre mondiale livre un deuxième
enseignement. La situation globale de l’époque est caractérisée par un excédent
de demande de travail et un excédent de demande de biens. La reconstruction
exige la réalisation d’investissements qui doit permettre de combler le déficit
de capacité. Du pouvoir d’achat sous forme de salaires doit être distribué sans
contrepartie immédiate du côté de l’offre, car il faut du temps pour que
l’investissement soit réalisé et donne lieu à une capacité de production
opérationnelle. Il ne peut en résulter, à court terme, que des tensions
inflationnistes et un déficit du commerce extérieur à la fois inévitables,
nécessaires mais porteurs de leur future extinction (Hicks, 1947). Encore
faut-il qu’ils soient engagés, que les entreprises puissent faire des
anticipations fiables, qu’elles disposent des liquidités nécessaires, ce qu’a
permis le plan Marshall.  

S’ils n’offrent pas de solutions toutes
faites, ces enseignements nous éclairent sur la nature des difficultés et
problèmes qui peuvent survenir à plus ou moins brève échéance. Des
déséquilibres ne peuvent qu’apparaître sur les différents marchés (matières
premières, biens intermédiaires et biens finals, travail). Ils ne pourront être
contenus que par des moyens relevant, à la fois, de la politique économique et
de l’organisation des entreprises, permettant de faire face à l’hétérogénéité
des situations et des comportements et de réconcilier le temps long avec le
temps court. L’objectif est de faire en sorte que les anticipations des
entreprises relatives aux investissements soient cohérentes avec les politiques
publiques (Gaffard, Amendola et Saraceno, 2020). Aussi convient-il de revenir à
une problématique en termes de déséquilibre, renoncer à s’en tenir aussi bien à
une politique de l’offre qu’à une politique de la demande pour mettre l’accent
sur l’interdépendance entre l’offre et la demande, au niveau global comme
sectoriel, afin d’identifier les conditions d’une cohérence entre les deux
toujours en devenir. Deux questions fondamentales sont en haut de l’agenda.
Celle de l’incitation à investir et celle conjointe de la relation salariale.
Il s’agit de rechercher les conditions institutionnelles propres à garantir
d’orienter les moyens financiers vers la création une offre correspondant à une
demande finale suffisamment large et à rétablir un partage de la valeur ajoutée
porteur de cette demande. À ces conditions, les choix de politiques
macroéconomiques pourront être en concordance avec les anticipations formulées
par les entreprises comme cela a pu l’être pendant la période dite des
« trente glorieuses » au sein du monde occidental. Reste qu’il faudra
affronter un contexte géopolitique bien différent qui ne se résume pas à la
mondialisation vue comme une extension des marchés.

Références

Amendola M. et J. -L. Gaffard, 1998, Out
of Equilibrium
, Oxford, Clarendon Press.

Dessertine P., 2021, Le grand basculement, Paris, Robert Laffont.

Fitoussi J. -P., 1973, Inflation, équilibre et chômage, Paris, Cujas.

Gaffard J. -L. , Amendola M. et F.
Saraceno, 2020, Le temps retrouvé de
l’économie
, Paris, Odile Jacob.

Georgescu-Roegen N., 1971, The
Entropy Law and the Economic Process
, Harvard, Harvard University Press.

Hicks J. R., 1947, « World Recovery after War: a Theoretical Analysis », The Economic Journal, n° 57, pp. 151-164. Reproduit in J.
R. Hicks, 1982, Money, Interest, and
Wages, Collected Essays on Economic Theory, volume II
, Oxford, Basil
Blackwell.

Hicks J. R., 1973, Capital and
Time
, Oxford, Clarendon Press.

Tobin J., 1972, « Inflation and Unemployment », American
Economic Review,
n° 62, pp. 1-18.




La réforme du Crédit impôt recherche sonne-t-elle le glas des coopérations public-privé de R&D ?

par Pierre Courtioux (Paris School of Business) et Evens Salies

Alors que le Conseil d’analyse économique prône davantage de coopération public-privé en matière de recherche et d’innovation, afin notamment de combler le retard qu’accuse la France dans le secteur pharmaceutique[1], la loi de finance pour 2021 supprime une mesure d’incitation à la sous-traitance publique des activités de R&D privée. Il s’agit de la règle dite du « doublement de l’assiette » du Crédit d’impôt recherche (CIR) qui permet à un donneur d’ordre privé, externalisant une activité de R&D à une entité publique de recherche, de déclarer à l’administration fiscale le double des dépenses facturées par l’entité.



Avec
cette règle, pour l’externalisation d’une même dépense de recherche, une entreprise
bénéficie d’un montant de CIR plus élevé si elle se tourne vers un laboratoire
ou une université publique[2] que si elle se tourne vers
le privé.

À court terme, de (faibles) économies budgétaires

L’idée de
supprimer cette règle n’est pas nouvelle. Elle fut déjà envisagée par la Cour des comptes en 2013 et
le Conseil national de
l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESR) en 2019
comme un moyen de limiter la croissance
des dépenses de CIR. En effet, le CIR qui représentait 4,5 milliards d’euros en
2008, atteint désormais 6,8 milliards[3] !
La DIRDE est passée de 25,7 à 33,9 milliards d’euros (+31,9 %) sur la même
période. Le ratio CIR/DIRDE mesurant le rendement du CIR, a augmenté de 14,6 %, un gain
non-négligeable pour les entreprises ayant une activité de recherche. Les
différents coups de rabot envisagés, dont la suppression du doublement de
l’assiette discutée ici, peuvent apparaître d’autant plus légitimes que le CIR
est loin d’avoir atteint ses objectifs en termes d’entraînement des dépenses de
R&D[4].

L’argument
des économies budgétaires liées à la suppression de cette règle doit cependant
être relativisé. En effet, les 150 millions d’économie
potentiellement dégagés représentent à peine 2,3 % de CIR annuel[5]. Dès lors, on peut légitimement se demander si ces
« petites économies » sur le CIR, aussi appréciables soient-elles à
court terme, ne risquent pas de ralentir les coopérations porteuses
d’externalités positives du public vers le privé et contribuer à asphyxier la
recherche publique par manque de financements à plus long terme.

En
l’absence d’évaluations d’impact claires en la matière, le consensus politique
peut s’avérer plus difficile à trouver. Lors des discussions du projet de loi,
des sénateurs et représentants d’organismes de recherche auditionnés se sont
opposés à la suppression de cette règle, et ont même obtenu que la suppression
ne se fasse pas avant 2023. Ce report est-il une bonne chose et permet-il
de préserver l’écosystème français de R&D ?

La règle du doublement de l’assiette n’a pas développé massivement
de partenariat public-privé de recherche

Le report
de la réforme en 2023 ne nous semble pas une mesure conservatoire porteuse d’enjeux
majeurs, pour la simple raison que les entreprises ont relativement
peu recours à la sous-traitance publique. On peut même se demander si le doublement
de l’assiette n’a jamais incité à la création de nouveaux partenariats
public-privé ! En 2018, sur les 14 milliards d’euros que les entreprises
allouent pour les travaux de R&D en externe, 94 % sont à destination
d’autres entreprises. Dans
son rapport de 2015 préconisant une réforme du CIR, l’ex-sénatrice madame Gonthier-Maurin
avait déjà souligné (p. 217) que les entreprises ont une préférence pour des
sous-traitants faisant, comme elles, une R&D plus proche de la réalisation
de prototypes et de l’innovation (le ‘D’ de R&D). Ainsi, la sous-traitance publique ne représente pas plus de 2 % des
dépenses de R&D déclarées au CIR
(avant doublement).

Si les entreprises trouvaient le doublement de l’assiette incitatif, les effets des réformes de 2004 et 2008 du CIR (respectivement années d’introduction du doublement de l’assiette et de montée en puissance du CIR) se verraient dans les chiffres. Or, comme on peut le constater, le niveau du financement de la recherche publique assuré par la sous-traitance publique reste faible mais stable autour de 5 % depuis 20 ans (la bande noire dans le graphique).

Source : Eurostat, 2021. Dépenses intra-muros de R&D par secteur d’exécution et source de financement. Dernier accès : 30/03/2021. Calculs des auteurs.

La suppression du doublement
de l’assiette aura probablement plus d’impact dans les secteurs où la
sous-traitance publique est concentrée. Il s’agit essentiellement des
entreprises dont les activités sont spécialisées, scientifiques et techniques
(19,7 %) et de l’industrie manufacturière (54,7 %) dans laquelle se trouve
l’industrie pharmaceutique. Certes, les groupes pharmaceutiques ont longtemps
soutenu les laboratoires universitaires ayant la capacité de travailler de
manière continue à la recherche de nouvelles molécules et autres solutions,
avec parfois des applications inattendues (comme les bétabloquants pour
l’hypertension artérielle, ou la thérapie génique basée sur l’ARNm)[6].
Mais la sous-traitance publique ne pèse que 28 millions d’euros en 2016 dans ce
secteur, ce qui n’est rien à côté des activités externalisées vers des
entreprises de cette industrie (758 millions d’euros[7])
ou du CIR versé à certains grands groupes pharmaceutiques[8].

À plus long terme, une sécurisation du crédit impôt recherche

Paradoxalement, dans un contexte européen où la concurrence fiscale
entre pays pour attirer les entreprises ayant une activité de R&D s’est
accentuée[9], l’abandon de la règle du doublement de l’assiette va certainement
contribuer à renforcer le CIR dans le long terme.  

En
effet, selon le gouvernement, cette règle ne serait pas conforme au régime des
aides d’État encadré par l’Article 108 du Traité de fonctionnement de l’UE
(TFUE) en faisant peser une concurrence déloyale sur les entreprises de
R&D. Plus précisément, certains types de sous-traitants publics auraient
une activité marchande trop élevée pour être qualifiés d’organismes de
recherche, au sens du droit de l’UE. En supprimant le doublement de l’assiette,
le gouvernement aligne la règle de la sous-traitance publique sur celle de la
sous-traitance privée, et sécurisant ainsi le CIR au regard de la
règlementation européenne[10].

Débarrassé
de son objectif de renforcement du partenariat public-privé, le CIR français a
encore de beaux jours devant lui. Mais la question du financement (notamment
par le privé) de la recherche publique au sein de l’écosystème français de
R&D reste entière. En France, les entreprises contribuent beaucoup moins au
financement de la recherche publique qu’en Allemagne (5 % contre 12 %). Pourtant,
les structures pour aider les entreprises à conclure des contrats de recherche
avec des organismes de recherche publics ne manquent pas (Instituts Carnot et
de Recherche Technologique). Existent également les structures permettant le
transfert des idées issues des milieux universitaires vers de nouveaux projets
(les Sociétés d’Accélération du Transfert Technologique). On peut ajouter les
mesures telles que le dispositif des Jeunes
Entreprises Universitaires depuis 2008, ou celles inscrites dans la Loi de programmation
de la recherche (LPR) votée en décembre 2020, qui augmentent les thèses CIFRE (convention industrielle de
formation par la recherche) et facilitent le cumul d’activités à temps partiel
entre un laboratoire public et une entreprise ou la création d’entreprises de
R&D[11]. Mais, en l’absence de
financement conséquent des laboratoires par des entreprises, peut-on vraiment
parler de partenariat ?

La
réforme du CIR ne sonne pas le glas des coopérations public-privé de R&D, car
elles n’ont, de fait, jamais décollé. Bien évidemment personne ne pense
sérieusement que le Crédit d’impôt recherche pourrait « sauver » le
financement de la recherche publique. Dès lors, continuer à défendre la
« règle du doublement de l’assiette », nous paraît illusoire.


[1].    Loi de Finance pour 2021.

[2].    Les
types de sous-traitants faisant bénéficier du doublement de
l’assiette sont nombreux : universités, organismes de recherche
(CNRS, INSERM, etc.), les fondations de coopération scientifique (par ex., la
Fondation Jean-Jacques Laffont – TSE), les établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel (écoles normales supérieures, COMUE,
établissements expérimentaux, Institut .polytechnique de Paris, …), les
fondations reconnues d’utilité publique (Institut Pasteur, Fondation Sophia Antipolis,
…), des associations de loi 1901 dans le secteur de la recherche, etc.

[3].    MESRI,
2020. Le CIR en 2018
(données provisoires),
MESRI-DGRI, dernier accès : 5/05/2021.

[4].    Salies
E., 2018, Impact du Crédit d’impôt
recherche : une revue bibliographique des études sur données françaises
, Revue
de l’OFCE
, n° 154, février.

[5].    Moga
J.-P., 2020, Projet de loi de finance pour
2021 : recherche et enseignement supérieur – Avis No. 139, 2020-2021
. Rapport fait au nom de la Commission des
affaires économiques du Sénat, nov. Dernier accès : 30/03/2021.

[6].    Voir
Clozel M., 2005, La découverte de médicaments en biotechnologie
: de l’idée au produit – Les relations biotechnologie – Université
, Collège de France. Dernier accès : 30/03/2021.

[7].    Calculs
obtenus à partir de l’enquête annuelle sur les moyens consacrés à la recherche
et au développement dans les entreprises, et de la base GECIR des déclarations
au CIR de la DGFiP.

[8].    Des
montants de plus de 100 millions d’euros sont évoqués dans les débat à
l’Assemblée nationale (PLF 2019 – Amendement
n°II-2029
, déposé le 9
novembre 2018).

[9].    Salies E., Guillou S., 2020, L’Allemagne prise dans
l’engrenage du CIR
, Blog OFCE, juin.

[10] La mise en conformité du dispositif comprend
également un abaissement du plafond. En effet, il existe un plafond, applicable
aux dépenses externalisées par l’entreprise, de 12 à 10 millions d’euros ;
ce montant est la règle pour un sous-traitant privé.

[11].  Lire
plus particulièrement les articles 23 à 25 de la Loi n° 2020-1674 du
24/12/2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et
portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement
supérieur
. Dernier
accès : 30/03/2021.




Financement de Pôle Emploi par l’assurance chômage : une proposition, une révolution

par Bruno Coquet

Parmi les trois propositions qui constituent le Big Bang de l’assurance
chômage que vient d’annoncer le Medef, les deux les plus commentées sont la
création d’un système de solidarité sous la responsabilité de l’État et d’un
régime assurantiel délégué aux partenaires sociaux. Elles occultent la
troisième qui mettrait Pôle Emploi sous la responsabilité exclusive de l’État,
impliquant une baisse drastique de la contribution que verse l’Unedic à Pôle
Emploi, qui diminuerait de 4 milliards à 500 millions par an[1].



Ce serait une avancée essentielle. Car ce ne sont pas les moyens dont
Pôle Emploi doit disposer qui sont en cause mais la manière de les financer,
comme l’expliquait la Note de l’OFCE n° 58 « L’assurance
chômage doit-elle financer le service public de l’emploi
 ? »,
seule étude publiée à ce jour sur ce sujet qui, déjà en 2016, proposait une
évolution aboutissant à un chiffrage similaire à celui de la réforme
aujourd’hui proposée par le Medef.

Depuis 20 ans, la répartition du financement du service public de
l’emploi entre l’État et l’Unedic a biaisé le diagnostic des problèmes de
l’assurance chômage, nourrissant faux débats et malentendus, freinant les
réformes et ouvrant la voie à la reprise en mains par l’État.

Sur un plan théorique, il n’y a pas de raison que l’Unedic finance 80 %
du service public en charge du suivi et de l’accompagnement des chômeurs ou de
la collecte des offres d’emploi. En effet, il s’agit d’un « service public »,
ouvert à tous les employeurs publics ou privés, affiliés ou non, et à tous les chômeurs,
indemnisés ou non. La théorie économique est claire : accessibles à tous, ces
prestations doivent être financées par l’impôt, et si un usager demande un
service spécial, celui-ci est tarifé au coût marginal.

Ce coût marginal est connu et faible : ce sont les « frais
de gestion » que Pôle Emploi
facture aux employeurs publics
non-affiliés à l’assurance chômage. « Ils sont calculés à l’acte sur la
base de deux actes métiers :

  • Le traitement d’un calcul de droit (82,33€) :
    ouverture de droit initiale, rechargement ;
  • Le traitement mensuel de l’actualisation
    (6,67€) : qu’il y ait ou non versement d’une allocation 
    ».

Soit 162 euros par an environ pour un chômeur présent toute l’année. Pour
sa part, l’Unedic est facturée près de 1 500 euros par chômeur indemnisé, donc
dix fois plus cher pour les mêmes services. Au total 450 millions d’euros
suffiraient pour indemniser tout au long de l’année environ 2,7 millions de
chômeurs, quand l’Unedic paye 4,3 milliards. Ce montant pourrait être
financé (comme c’est le cas pour l’APEC) par une taxe dédiée de 0,45% sur la
masse salariale de l’ensemble des secteurs, dans la mesure où tous les actifs et
tous les employeurs peuvent recourir aux services de Pôle Emploi.

La révolution vient de ce que la lecture du financement de Pôle Emploi
qui mène à cette proposition change du tout au tout le diagnostic que l’on peut
faire du problème de l’assurance chômage, des réformes à accomplir.

De 2008 à 2019 l’Unedic a transféré 42 milliards d’euros à Pôle Emploi,
alors qu’avec la formule au coût marginal proposée par le Medef le transfert
n’aurait été que de 5,2 milliards d’euros. Dans ces conditions l’Unedic
n’aurait pas accumulé dans sa dette ces 27,5 milliards d’euros de déficit, mais
13,5 milliards… d’excédents ! Avec une focale un peu plus longue, car le
problème existait déjà avant 2008, il apparaît qu’avec des modalités de
financement claires de Pôle Emploi, l’Unedic n’aurait jamais eu de dette.

Ce prélèvement s’est fait aux dépens des allocations chômage. En effet,
ce sont pour le moment les chômeurs indemnisés qui assument l’essentiel de
cette charge, car le versement à Pôle Emploi est prélevé sur le budget
normalement dédié aux allocations, lui-même financé par des contributions prélevées
au motif de l’assurance-revenu. Ces contributions s’élèvent à 6,4% de la masse
salariale privée sous plafond, soit le même taux depuis 2003 (la part employeur
a même légèrement augmenté de 0,05% en 2017 et le remplacement de la cotisation
salariale par la CSG a déplafonné l’assiette). Les gains de productivité issus
de la fusion Assédic-ANPE et du transfert du prélèvement des cotisations à
l’Urssaf n’ont pas bénéficié à l’Unedic, et la part du budget de Pôle Emploi
couverte par l’Unedic n’a jamais cessé de progresser (de 60% à 80% en 10 ans).

Changer le mode de financement de Pôle Emploi change donc toute la
perspective, le point de départ et les objectifs des réformes à
accomplir : en réalité il le problème n’était pas de résorber un déficit
structurel lié à la « générosité » supposée des allocations, ni de
rembourser la dette ainsi créée, mais de gérer un excédent financier
structurel, obtenu malgré un nombre record de chômeurs indemnisés.

Grâce à cette révolution, l’objectif des réformes redeviendra ce qu’il
aurait toujours dû être durant toutes ces années, la recherche d’efficience
plutôt que la recherche d’économies.


[1] A ce
stade les propositions du Medef n’ont pas fait l’objet d’un document officiel,
ce billet de blog se fonde donc sur les éléments largement relayés par la presse,
mais non-détaillés à ce stade, à la suite de l’audition du président du Medef
par l’AJIS.




La politique santé-environnement : priorité d’une renaissance sanitaire mondiale

par Éloi Laurent, Fabio Battaglia, Alessandro Galli, Giorgia Dalla Libera Marchiori, Raluca Munteanu

Le 21 mai, la présidence
italienne du G20 et la Commission européenne co-organiseront le sommet mondial
sur la santé à Rome. Quelques jours après, l’Organisation mondiale de la santé
tiendra son assemblée annuelle à Genève. De toute évidence, les deux événements
seront centrés sur la tragédie du Covid et les réformes susceptibles de
prévenir de telles catastrophes à l’avenir. « Le monde a besoin d’un nouveau
départ en matière de politique de santé. Et notre renaissance sanitaire
commence à Rome » a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula
von der Leyen, le 6 mai. Nous partageons cet espoir et nous voulons le voir
aboutir.



En tant que membres de la société
civile, nous avons été appelés à contribuer à la réflexion collective qui doit conduire
à la rédaction de la « Déclaration de Rome ». Sur la base d’un rapport
que nous publions aujourd’hui dans le cadre de la Well-being Economy Alliance

(WeALL) nous pensons que la notion de politique santé-environnement devrait
figurer au cœur de la Déclaration de Rome et, au-delà, inspirer la renaissance
des politiques de santé à tous les niveaux de gouvernement. En substance, nous
appelons les délégués de ces deux sommets cruciaux à reconnaître les
interdépendances fructueuses entre l’environnement, la santé et l’économie.

Le principe-clé est de faire du
lien entre la santé et l’environnement le cœur même de la santé planétaire et
évoluer de la logique coûts-bénéfices vers des politiques co-bénéfices. Notre
incapacité à répondre efficacement aux crises jumelles sanitaire et écologique vient
en grande partie de l’idée que nous nous faisons des coûts qu’une telle action
résolue auraient sur « l’économie ». Mais nous sommes l’économie et l’économie
n’est qu’une partie de la source véritable de notre prospérité qui est la
coopération sociale. La transition santé-environnement a certainement un coût
économique, mais il est visiblement inférieur au coût de la non-transition. Les
limites de la monétarisation du vivant sont chaque jour plus évidentes, les
arbitrages supposés entre santé, environnement et économie apparaissent chaque
jour plus erronés et contre-productifs. À l’inverse, les gains en matière de
santé, d’emplois, de liens sociaux, de justice des politiques co-bénéfices sont
considérables. Les systèmes de santé sont les institutions stratégiques de
cette réforme, à condition de mettre beaucoup plus l’accent sur la prévention,
mais d’autres domaines de la transition sont concernés : production et
consommation alimentaires, systèmes énergétiques, politiques sociales
(notamment lutte contre les inégalités et l’isolement social), politiques
d’éducation.

Pour ne prendre que l’exemple de
l’énergie, il est parfaitement clair que le système énergétique mondial actuel,
à 80% fossile, n’a pas de sens du point de vue du bien-être humain dès lors
qu’il détruit simultanément la santé actuelle et la santé future. La pollution
de l’air résultant de l’utilisation de combustibles fossiles joue ainsi un rôle
décisif dans la vulnérabilité sanitaire des Européens confrontés au Covid-19 (à
l’origine de 17% des décès selon certaines
estimations
), tandis que l’atténuation de la pollution de l’air dans les
villes européennes apporterait un co-bénéfice-clé pour la santé : celui de
réduire le risque de comorbidité face aux chocs écologiques à venir tels que
les maladies respiratoires mais aussi les canicules, qui deviennent de plus en
plus fréquentes et intenses sur le continent. Lorsque tous les co-bénéfices
sont pris en compte, au premier rang desquels la réduction de la morbidité et de
la mortalité liées à la pollution de l’air (qui, selon des études récentes,
sont bien plus élevées que les estimations précédentes, on compte chaque année 100 000
décès prématurés en France
), le passage aux énergies renouvelables conduit
à économiser de l’ordre de quinze fois le coût de leur déploiement.

Il y de nombreux autres domaines,
au-delà de ceux que nous avons identifiés, où la santé, l’environnement et
l’économie se renforcent mutuellement. Ils forment ensemble un socle sur lequel
bâtir des politiques qui visent la pleine santé sur une planète vivante. À
l’approche du Sommet de Rome et de l’assemblée de l’OMS, nous voulons donc
interpeller leur(e)s participant(e)s avec deux questions simples : et si la
meilleure politique économique était une vraie politique sanitaire ? Et si la
meilleure politique sanitaire était une vraie politique environnementale ?
Comme les pays européens le savent, les crises sont le berceau de nouvelles
visions du monde, les catalyseurs de nouvelles approches qui peuvent trouver
leur élan. Rome ne s’est pas faite en un jour, mais l’approche co-bénéfices
peut montrer la voie de la renaissance sanitaire.




Les effets des réformes des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants depuis 2008

Pierre Madec, Muriel Pucci-Porte et Laurence Rioux (Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge)

Comment les réformes
socio-fiscales intervenues depuis 2008 ont-elles modifié les dépenses publiques
consacrées aux enfants au titre de la politique familiale ? Quels effets
ont-elles eu sur le niveau de vie des familles avec enfants selon la
configuration familiale, le nombre d’enfants et la place dans l’échelle des
niveaux de vie ?



Pour évaluer précisément ces effets
redistributifs, la microsimulation est un outil particulièrement adapté. Deux
exercices de chiffrage des effets des réformes ont été menés. Le premier
utilise une maquette de cas-types permettant de comparer finement les barèmes
des législations de 2008, 2013 et 2020. Le second exercice, mené sur un
échantillon représentatif de l’ensemble de la population à l’aide du modèle de
microsimulation Ines[1], a pour objectif d’évaluer
l’effet (à comportements inchangés) des réformes des dépenses publiques
consacrées aux enfants intervenues entre 2008 et 2018 sur le niveau de vie des
familles avec enfants.

Les résultats détaillés de notre étude
sont à retrouver dans le Document de travail de l’OFCE disponible ici.
Les principales conclusions mises en évidence sont les suivantes :

L’évaluation par cas-type montre que, à la
suite des différentes réformes intervenues depuis 2008, le montant cumulé des
dépenses socio-fiscales par enfant présente en 2020 les caractéristiques
suivantes :

  • une forte variabilité du montant de
    dépenses par enfant selon les configurations familiales, le nombre et l’âge des
    enfants, et le revenu d’activité total du ménage ; les écarts pouvant
    aller de un à sept ;
  • un montant plus élevé pour les familles
    monoparentales et les familles nombreuses, ce qui résulte en partie des
    réformes menées depuis 2008 ;
  • à configuration familiale et nombre
    d’enfants donnés, un profil plus chahuté qu’en 2008 de la courbe des dépenses
    publiques par enfant en fonction du revenu d’activité. Cela provient de
    l’empilement des différents dispositifs sociaux et fiscaux liés aux enfants,
    qui se chevauchent en partie mais ont des finalités différentes. Le « supplément
    enfant » de prime d’activité, en particulier, explique pour une bonne part
    le profil erratique de la dépense par enfant dans le bas de l’échelle des
    revenus du travail.

L’évaluation à l’aide du modèle Ines montre que :

  • Les réformes des prestations familiales
    mises en œuvre depuis 2008 se sont traduites par un transfert des prestations
    d’entretien universelles vers des prestations d’entretien ciblées et
    majoritairement sous conditions de ressources. Elles ont amélioré la situation
    des familles monoparentales et des familles les plus modestes, mais ont dégradé
    la situation des familles appartenant aux 20 % des ménages les plus aisés ;
  • les réformes de l’IR (pour l’essentiel les
    baisses du plafond du quotient familial en 2013 et 2014) ont conduit à une
    nette hausse du montant d’IR acquitté par les familles appartenant aux
    20 % des ménages les plus aisés ;
  • Les réformes des « suppléments enfant »
    des prestations sociales se sont, elles, traduites par une forte hausse des
    dépenses consacrées aux enfants et ne font quasiment que des gagnants, situés
    dans la 1re moitié de l’échelle des niveaux de vie. Les familles
    appartenant aux 20 % des ménages les plus modestes et les familles
    monoparentales en particulier en ressortent gagnantes ;
  • En quelques années, un double basculement
    s’est donc produit :

    • au cœur de la politique familiale a eu
      lieu un transfert des prestations d’entretien universelles vers des prestations
      d’entretien ciblées et majoritairement sous conditions de ressources ;
    • au sein de l’ensemble des dépenses
      sociales et fiscales consacrées aux enfants, s’est produit un transfert des
      dépenses relevant de la politique familiale (prestations familiales et prise en
      compte des enfants dans le calcul de l’impôt) vers celles à la frontière de la
      politique sociale et de la politique familiale (liés aux « suppléments enfants »
      de prestations sociales) ;
  • Prises dans leur ensemble, les réformes des dépenses consacrées aux enfants intervenues entre 2008 et 2018 (ou
    entre 2013 et 2018) n’ont pas modifié le niveau de vie moyen des
    familles avec enfant(s). Mais cette stabilité d’ensemble masque de fortes
    variations à la hausse pour certaines familles et à la baisse pour d’autres,
    les pertes importantes des perdants compensant au total les gains élevés des
    gagnants ;
  • Les réformes ont conduit à une
    redistribution des dépenses entre configurations familiales, des couples avec
    deux enfants ou plus vers les familles monoparentales. 42 % des couples
    avec deux enfants ou plus se retrouvent ainsi perdants à la suite des réformes
    intervenues entre 2008 et 2018, alors que 73 % des familles monoparentales
    avec deux enfants ou plus sont gagnantes ;
  • Les réformes ont également conduit à une
    redistribution verticale des familles les plus aisées vers les plus modestes.
    Les familles appartenant aux 30 % des ménages les plus aisés ont en
    moyenne perdu à la suite des réformes, en particulier celles situées au-dessus
    du 8e décile de niveau de vie. Les familles avec enfant(s)
    appartenant aux 60 % des ménages les plus modestes ont en moyenne bénéficié
    des réformes (et plus particulièrement les plus pauvres situées en dessous du 3e
    décile de niveau de vie). Mais les réformes ont aussi fait des perdants parmi
    les plus modestes : 20 % des familles en dessous du 1er
    décile de niveau de vie ont ainsi perdu à la suite des réformes intervenues
    depuis 2013.

[1] Ces travaux ont été menés respectivement par
Muriel Pucci (Université Paris 1 et OFCE) et Pierre Madec (OFCE) pour et en
collaboration avec le secrétariat général du HCFEA dans le cadre d’un rapport
disponible ici.




La « théorie moderne de la monnaie » est-elle utile ?

par Xavier Ragot

Le débat macroéconomique est actuellement très animé. Le changement de politique économique aux États-Unis après l’élection de Joe Biden suscite un débat sur les résultats à attendre de la Bidenonics. Dans le débat d’idées, des propositions keynésiennes radicales sont défendues par la « théorie moderne de la monnaie » (MMT). Ce courant défend l’idée de plans de relance massifs et de monétisation des dettes publiques. Ce billet discute les propositions de la MMT à travers la recension de deux livres récents : Stephanie Kelton, Le mythe du déficit, Editions Les liens qui Libèrent, 2021 et Pavlina Tcherneva, La garantie de l’emploi, Editions La Découverte, 2021.



Avant d’en faire la
critique, on peut résumer simplement les propositions de la MMT : la
première idée-force est la promotion d’une politique monétaire au service de la
politique budgétaire. Elle défend le rachat systématique des dettes publiques
par les banques centrales, ce que l’on appelle la dominance fiscale de
la politique monétaire, afin de permettre une hausse des dépenses publiques.
Pour les économistes, la dominance fiscale est opposée à la dominance
monétaire
, qui défend l’idée que le rôle premier de la politique monétaire
doit être le contrôle de l’inflation et laisser à l’impôt le soin de financer
les dépenses et la dette publiques.

La seconde
proposition est la promotion d’un État employeur en dernier ressort. L’État
devrait être en charge de fournir des emplois d’utilité publique à tous les
chômeurs : un service public de l’emploi pour éviter la bascule dans la
pauvreté.

On peut
résumer la critique suivante, plutôt bienveillante, de la théorie moderne de la
monnaie :  on a du mal à voir des choses
vraiment nouvelles. Il ne s’agit pas d’une théorie de la monnaie, et elle n’est
pas moderne, même si elle permet de stimuler le débat d’idées !

Faut-il financer les dettes publiques par la monnaie  ?

Tout d’abord, ne boudons pas notre plaisir. Le livre de Stephanie Kelton est un bon livre d’économie grand public, et une introduction, polémique et vivante, à la macroéconomie. Bien sûr, le livre n’est pas parfait, mais avant les critiques, il faut souligner le plaisir de lecture. La thèse de Stephanie Kelton est que la création monétaire se fait pour le compte des États, pour des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne qui n’appartiennent pas à des unions monétaires.  Dans ces pays, l’État peut demander à la banque centrale de racheter la quantité de dette publique qu’il veut en créant de la monnaie : ce sont les États qui fixent les statuts de leur banque centrale nationale. Cette souveraineté monétaire permet à l’État de financer des politiques ; la seule contrainte est l’inflation. Pour la MMT, la politique monétaire devrait être au service de la politique budgétaire, cette dernière devant gérer les risques inflationnistes en stabilisant la demande agrégée.  L’intérêt de l’approche est de rappeler quelques vérités économiques, et même simplement comptables. J’en prendrai deux, avant de préciser la critique.

La première est tout d’abord
que la dette publique est détenue par quelqu’un : la dette de l’État est
la richesse de quelqu’un d’autre. En conséquence, cela n’a pas de sens d’écrire
que « nous » sommes endettés, parce que l’État est endetté. C’est le
contraire, nous sommes riches de la dette publique que nous détenons sur
l’État.  L’effet sur notre richesse
dépend non pas de la dette elle-même, mais de la répartition du financement des
intérêts. Cette manière de penser conduit à rétablir les comptes d’agents.
Quand l’État émet des dettes, d’autres acteurs les détiennent, et recevront
l’intérêt sur les dettes et le remboursement éventuel du principal.
L’endettement public contribue donc à la formation du patrimoine d’autres
acteurs

L’intérêt du livre de Stephanie Kelton est de présenter ces relations comptables sous une forme vivante et polémique, en attaquant directement les acteurs politiques aux États-Unis qui ne comprennent pas ces réalités macroéconomiques. En effet, il ne faut pas croire que la compréhension de ces effets macroéconomiques soit générale. En France, il y a encore des personnes  qui croient que la dette publique est un « endettement auprès des générations futures », ce qui fait peu de sens, comme on en a discuté ailleurs. Le combat de Stéphanie Kelton pour la macroéconomie est donc salutaire, et beaucoup reste à faire.

La seconde vérité comptable
est plus intéressante pour le débat public. Dans nos économies, les banques
centrales appartiennent aux États qui ont le monopole d’émission de la monnaie
centrale, comme les billets, les pièces et la monnaie détenue par les banques.
Cette monnaie ne peut pas être refusée dans les transactions, par contrainte
légale. L’existence des cryptomonnaies ne remet pas en cause de manière
significative ce monopole dans un futur proche. D’ailleurs, on peut attendre
une réponse vigoureuse des États pour garder, par leur banque centrale, le
contrôle de l’émission de la monnaie. 
Dans la zone euro, ce monopole public est aussi valide, mais la BCE
« appartient » à différents États. 
Cependant, la création monétaire globale se fait au profit des États.
Comment pense un macroéconomiste ? À un niveau abstrait, l’État peut se
financer soit par émission de la dette publique, soit par émission de monnaie.
Cette dernière possibilité est appelée seigneuriage dans la littérature
économique, car elle provient de ce monopole d’émission du souverain monétaire.
Cette vision générale est une évidence en économie monétaire. Par exemple, le
manuel le plus standard d’économie monétaire lui consacre un chapitre entier
(voir le chapitre 4 in Carl Walsh, Monetary
Theory and Policy
, MIT Press). Le fait que la dette publique soit détenue
par des non-résidents ne change pas la logique car on paie ces derniers en
monnaie nationale.  Tant que l’inflation
est faible et peu volatile (et c’est bien le sujet !), la monnaie nationale
est acceptée dans l’échange. Le problème du financement monétaire est qu’il
peut créer des effets déstabilisateurs et générer de l’inflation, ce qui réduit
le pouvoir d’achat des ménages, avec des effets complexes sur les inégalités.
On dirait aujourd’hui qu’une inflation prévisible est un bien public car elle
permet à chacun d’éviter des fluctuations imprévisibles de son revenu.

Ainsi, il n’y pas vraiment
de théories nouvelles dans la MMT. Je crois que l’enjeu de cette
« théorie » est tout autre et n’a pas pour but de convaincre le
macroéconomiste ou le théoricien de la monnaie. Il s’agit de promouvoir une
politique économique alternative, stimulant l’activité par des dettes publiques
élevées et une monétisation éventuelle des dettes publiques, en acceptant un
risque inflationniste plus élevé. Le livre défend l’orientation économique de
l’après-guerre, la politique que l’on qualifie de keynésienne traditionnelle
qui consiste à mobiliser les outils budgétaires pour atteindre le plein emploi,
même si cela conduit à une inflation modérée. Stéphanie Kelton réhabilite en
cela Abba Lerner qui est le promoteur, dès les années 1940, des politiques que
l’on qualifiera ensuite de keynésiennes, et qu’il qualifiait de finance
fonctionnelle
. Abba Lerner souligne sa contribution qui est de présenter la
cohérence de la pensée keynésienne : le but de la politique économique est
le plein emploi, les moyens la dette publique et la création monétaire, le
risque est l’inflation et non l’insoutenabilité des dettes publiques, du fait
de la possibilité d’émettre de la monnaie. Sa conception est présentée en quatorze
page
s
dès 1943, sous une forme très accessible. 
L’histoire de l’inflation dans les années 1970 a montré que
l’utilisation de ces politiques pour relancer des économies avec des
contraintes de production (liées alors au pétrole) pouvait conduire à une
inflation élevée et volatile. L’identification claire du choc de demande est
nécessaire pour contrôler l’inflation.

Encore une fois, rien de
radicalement nouveau aux États-Unis où la banque centrale a comme mandat de
veiller à une inflation basse et à l’emploi maximum. C’est dans la zone euro
que cette affirmation conduit à une évolution profonde, car la BCE a pour seul
mandat la stabilité des prix et nullement l’activité économique. L’évolution du
mandat de la BCE est un sujet ancien que l’on évoque ici en passant, et traité
plus longuement ici à l’issue
de la crise financière de 2008.

Venons-en à une critique du
livre. La limite de la monétisation des dettes ou du financement monétaire des
dépenses publiques est l’inflation, comme le rappelle l’auteure. Cependant,
rien de précis n’est dit sur le lien entre politique économique et inflation. Ce
lien est pourtant essentiel pour bien calibrer le montant et le format du plan
de relance aux États-Unis et qu’il nous faut construire en Europe. La BCE détient
environ
23% de la dette publique de la France. Jusqu’où peut-on aller ?
Quels sont les coûts économiques et sociaux d’une hausse de l’inflation ? Comment
s’assurer que les anticipations d’inflation ne s’accroissent pas
dangereusement ?

C’est un sujet très étudié,
sous des angles variés. La relation entre l’activité économique et l’inflation,
la fameuse courbe de Phillips, par exemple ici pour un article récent. La
relation entre quantité de monnaie et inflation est aussi le sujet de
nombreuses analyses, par exemple
ici
.
Pour comprendre les effets de l’inflation, il faut finement étudier qui détient
de la monnaie et pourquoi, ce que l’on
fait ici
.

Les travaux de Stéphanie
Kelton et des économistes de la MMT évitent soigneusement de citer les travaux
d’autres approches pour faire croire à une nouvelle école de pensée économique.
À ce stade, cela n’est pas le cas. Le livre de Stéphanie Kelton est une bonne
introduction pour ceux qui veulent découvrir le débat de politique
macroéconomique par des sujets d’actualité sous un angle polémique. Mais
critiquons la MMT pour sa relative naïveté macroéconomique et sa faiblesse
empirique.

La seconde affirmation des
auteurs de la MMT est la promotion d’une garantie de l’emploi pour tous les
salariés. Ce second volet est indépendant de la gestion macroéconomique de la
demande agrégée et du financement du déficit public. Il concerne la partie
résiduelle du sous-emploi qui existerait dans le cycle économique. La
proposition détaillée par Pvalina Tcherneva est simple : il s’agit de
proposer un outil supplémentaire, une offre d’emplois publics rémunérés au
moins au salaire minimum (que Pvalina Tcherneva veut augmenter à 15$ pour les
États-Unis). Ces emplois ne seraient pas obligatoires, mais fournis à toute la
population, comme un droit universel. Enfin, ils sont associés à une formation,
qualification et un apprentissage, ayant comme objectif que les salariés dans
ces emplois en sortent aptes à trouver un emploi dans le secteur privé. Selon
l’auteure, ces emplois n’ont pas comme objectif de concurrencer ni l’emploi
public avec des objectifs identifiés ni l’emploi privé, qui répond à une
demande solvable.

          Pour le lecteur français, ces emplois sont familiers :
il pourrait s’agir d’emplois aidés qualifiants dans le secteur non-marchand,
dont on sait qu’ils peuvent augmenter le retour à l’emploi, lorsque la
qualification est effective, comme le montrent des évaluations. La
proposition est de rendre endogène le nombre de ces emplois par la demande des
travailleurs dans le cycle. Si une réforme profonde du système de formation et
d’apprentissage est nécessaire, la proposition d’une utilisation contracyclique
de ce type d’emploi est intéressante, et déjà partiellement utilisée.

          Paradoxalement peut-être, l’intérêt est de penser non pas
une opposition à l’économie de marché, mais une politique de stabilisation, ce
qui suscite des critiques radicales de la MMT !
Le déficit d’emplois conjoncturels est compensé soit par une gestion vigoureuse
et potentiellement inflationniste de la demande agrégée, soit par une politique
de production d’emplois publics. Ces politiques keynésiennes sont développées
au sein d’une approche que l’on appelle post-keynesienne, qui est
une des 50 nuances du keynésianisme (néo- keynésien, keynésien historique, post-keynésien,
circuitiste, etc.).

MMT, post-keynésianisme et la nouvelle politique économique de Joe Biden

On assiste à une évolution profonde de la politique économique américaine avec des projets de plans de relance d’investissement, une augmentation de la fiscalité des entreprises et des ménages les plus aisés, un projet d’augmentation du salaire minimum fédéral, le tout avec une banque centrale accommodante qui semble peu se soucier des tensions inflationnistes à court terme. Cette évolution va dans le sens des recommandations de la MMT (sans reprendre toutes les recommandations). La question légitime est d’identifier le rôle de ce courant dans cette évolution. L’on ne pourra qu’imparfaitement répondre à cette question, tant les arcanes de la politique économique sont obscurs, parfois pour les décideurs eux-mêmes. Les propositions de la MMT sont tout d’abord reprises par Bernie Sanders, dont Stephanie Kelton était la conseillère économique pour la campagne de 2017, qui anime l’aile gauche du parti démocrate. Ainsi, les propositions se sont diffusées dans le débat économique américain.

Cependant, on peut tracer
une tout autre généalogie intellectuelle du changement de politique économique
aux États-Unis, à partir du courant soit néo-keynésien soit keynésien, et qui
me semble plus réaliste. Les travaux de Paul Krugman sur la
trappe à liquidité au Japon, de Lawrence Summers sur la
stagnation séculaire, les travaux d’Olivier Blanchard sur le
rôle des multiplicateurs (parmi bien d’autres) ont conduit à des évolutions au
sein du FMI et de l’OCDE en un sens bien plus keynésien depuis plusieurs
années. Ces évolutions sont indépendantes de la MMT qui présente des
propositions moins empiriques que certains travaux cités. Ainsi, le tournant
économique de Biden me semble bien plus imprégné de l’expérience pragmatique du
réel qui d’un nouveau corpus théorique « alternatif ». Ce que l’on
qualifie de pragmatisme est en fait surtout une approche empirique des
mécanismes économiques, dans un contexte de taux d’intérêt bas qui donnent une capacité
d’endettement nouvelle aux États
.

Leçons européennes ?

Pour conclure, quelles sont les leçons européennes de la MMT (et du tournant keynésien de la politique américaine) ? L’utilisation expansionniste de la politique fiscale et le financement monétaire des déficits publics ne peuvent bien sûr qu’avoir lieu au niveau de la zone euro, car ce sont les banques centrales de l’Eurosystème qui ont le monopole d’émission de la monnaie. De ce fait, le problème n’est pas tant économique que politique. La diversité des situations économiques de la zone euro conduit à des besoins de relance différents. L’économie allemande est stimulée par une demande externe importante du fait notamment d’un taux de change interne favorable. La dette publique allemande est attendue autour de 65% dans les prochains trimestres. L’économie italienne connaît une croissance faible et une dette publique de 160%. Plus que le débat théorique, c’est la divergence économique et politique qui paralyse l’Europe. L’utilisation judicieuse de plans de relance européens peut permettre une re-convergence et une création d’emplois, mais cela est un tout autre sujet.




Six mesures d’urgence pour l’emploi et contre la pauvreté

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Pierre Madec

En 2021, malgré le
rebond de l’activité attendu et la mise en œuvre de mesures exceptionnelles
pour l’emploi …

Le quatrième trimestre 2020 a été marqué par un recul de l’activité
économique moins marqué qu’attendu (-1,4% par rapport au troisième trimestre
2020). En conséquence l’ajustement de l’emploi a été largement atténué par
rapport aux destructions d’emplois attendues : 400 000 emplois ont
été détruits entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020. Dans
son dernier exercice de prévision, l’OFCE anticipe une croissance du PIB de 5%
en 2021 en moyenne annuelle[1].
Une partie de ce rebond s’explique par la prise en compte des effets du plan de
relance et notamment des mesures pour l’emploi (contrats aidés, insertion par
l’activité, prime à l’embauche d’un jeune de moins de 25 ans, mesures pour
l’alternance, Garantie Jeune, service civique, formations). Hors activité
partielle, ces mesures auraient contribué à la sauvegarde ou à la création de
75 000 emplois en 2020 et près de 70 000 emplois en 2021[2]
pour un coût de 6,7 milliards d’euros. L’activité partielle a permis la
préservation de 1,4 million d’emplois ETP en 2020 pour un coût budgétaire de
26,5 milliards d’euros. En 2021, 950 000 emplois ETP seraient encore
préservés en moyenne sur l’année pour un coût de 13,4 milliards d’euros, dans
l’hypothèse d’une baisse des taux de prise en charge à partir du troisième
trimestre 2021.



… nous anticipons une
hausse significative du chômage…

Malgré ce rebond et la prise en compte des mesures exceptionnelles
engagées par le gouvernement, l’emploi est attendu en baisse en 2021 par
plusieurs instituts de conjoncture (UNEDIC, Rexecode) ou stable (Banque France). L’OFCE prévoit une progression de
l’emploi en 2021 (+95 000 emplois en moyenne annuelle), mais une
progression plus rapide de la population active du fait du retour sur le marché
du travail de personnes découragées ou empêchées de chercher un emploi pendant
la crise sanitaire. Cela se traduirait par une hausse du chômage dont le taux
pourrait atteindre 8,7% fin 2021.

… qui induira une
hausse de la pauvreté globale…

Cette hausse du chômage va faire monter la pauvreté. Dans une étude menée en 2010 pour l’ONPES, l’OFCE indiquait qu’une hausse de 100 chômeurs pendant une crise
économique conduirait à une augmentation d’environ 43 pauvres au seuil de
pauvreté à 60%  et d’environ 22 ménages
allocataires du RSA-socle 5 ans plus tard.

… notamment chez les
jeunes 

La crise sanitaire et économique débutée en 2020 touche plus
particulièrement certains groupes, et notamment les jeunes. Le fait que les
jeunes soient plus touchés par le chômage n’est pas une surprise : ils
sont plus souvent en intérim et CDD et dans les crises, ces contrats ne sont
souvent pas renouvelés. Ils peuvent aussi être victimes du manque d’embauches.
La part de jeunes dans le halo du chômage a aussi légèrement augmenté sur 1 an
(de 4,5 à 4,7%).

Une typologie des
jeunes en difficulté
 

La situation des 18-24 ans (on compte 5,2 millions de personnes âgées
de 18 à 24 ans[3])
est particulièrement préoccupante à plusieurs titres :

  1. Soit parce qu’ils éprouvent des difficultés à s’insérer dans l’emploi
    à la sortie des études ;
  2. Soit parce qu’ils sont exposés aux destructions d’emplois, et n’ont
    pas forcément de revenus de remplacement (étudiants qui travaillent pour
    financer leurs études, jeunes actifs qui perdent leur emploi).

Il est possible alors de distinguer 3 catégories de jeunes en
difficulté :

Catégorie 1 : cohorte de jeunes qui
arrivent sur le marché du travail au moment d’une crise économique
(750 000 jeunes chaque année)

Des travaux récents menés à l’OFCE rappellent que les premières années de
vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus
en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très
dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les
trajectoires professionnelles des jeunes sortant du système éducatif. Bien
entendu, une distinction doit être faite entre jeunes diplômés et non diplômés.
Pour la première catégorie, cela se traduit par un accès à l’emploi en CDI plus
tardif et moins fréquent tandis que pour la seconde, cela implique une très
nette dégradation de leur insertion sur le marché du travail.

Catégorie 2 : Jeunes actifs, ayant
terminé leurs études, qui ont perdu leur emploi et sans revenu de remplacement
(de 50 000[4] à 435 000
[5]

Les jeunes actifs en emploi
(930 000) sont particulièrement exposés au choc entraîné par la crise sanitaire :
210 000 sont en CDD ou en contrats saisonniers. Parmi ces contrats
« précaires », 90 000 jeunes (30%) sont employés dans l’un des
secteurs les plus touchés par la crise (hébergement, restauration, culture,
transport, habillement, …). Parmi les « CDI », ce sont plus de
225 000 jeunes qui travaillent dans l’un des secteurs les plus touchés
soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée indéterminée. Enfin, sur le
million d’actifs (en emploi ou non) âgé de 18-24 ans, près de 300 000
jeunes étaient en cours d’étude un an auparavant.

En 2020, l’ajustement de l’emploi salarié s’est concentré sur l’emploi
temporaire (CDD et intérim). Les 15-24 ans sont largement surreprésentés dans
l’emploi temporaire : s’ils comptaient pour 12% de l’emploi salarié en
2018 (hors fonctionnaires et assimilés), 40% des emplois temporaires étaient
occupés par des salariés appartenant à cette tranche d’âge (54% dans le
commerce, 45% dans l’hébergement-restauration).

En 2021, l’ajustement de l’emploi ne serait plus concentré sur les
contrats courts mais aussi sur des contrats à durée indéterminée. Or, d’après
les mouvements de main-d’œuvre au troisième trimestre 2020, ce sont les
salariés de moins de 30 ans qui sont les plus concernés par les licenciements
économiques du fait d’une moindre ancienneté.

Catégorie 3 : Jeunes actifs,
étudiants, en contrat court non renouvelé et sans revenu de remplacement (250 000)
;

Selon l’enquête ENRJ, menée par la DREES en 2014, ce sont 250 000
jeunes qui cumulent études et emploi à temps partiel ou à temps plein. Or, aujourd’hui
la protection sociale couvre très mal la catégorie des 18-24 ans. Ainsi, plus
de 8 jeunes sur 10 au chômage ne perçoivent aucune allocation chômage. Le fait
que les moins de 25 ans ne puissent pas accéder aux minima sociaux fait peser
un risque lourd de très forte précarisation sur cette population du fait de la
crise économique.

 

Face à cette diversité
de situation, nous proposons six mesures d’urgence

Parmi les six mesures, trois sont non ciblées et trois sont ciblées
sur les jeunes

Trois mesures non ciblées sur les jeunes

  1. Reporter la baisse du taux de prise en
    charge de l’activité partielle par l’État et l’Unedic
    à la fin de la crise sanitaire
    permettrait de préserver un maximum d’emplois en 2021. Au cours de l’années
    2020, à l’instar d’un grand nombre de pays européens, la France a utilisé
    l’activité partielle comme principal instrument de sauvegarde de l’emploi face
    à la pandémie de la Covid-19. En préservant le capital humain dans les
    entreprises ainsi que le revenu des salariés et en socialisant son coût, ce
    dispositif était parfaitement adapté à la situation rencontrée l’année dernière
    et favorisera une reprise de l’activité une fois les mesures prophylactiques
    levées. Or il est prévu une baisse des taux de prise en charge de l’activité
    partielle à compter du 1er juillet 2021 (dès le 1er mai
    pour les secteurs non protégés). Nous estimons à 13,5 milliards d’euros le
    montant nécessaire à la prise en charge de l’indemnisation de l’activité
    partielle par l’État et l’Unedic en 2021 si le dispositif est maintenu dans ses
    contours actuels et à prévision d’emploi inchangée. Mais baisser le taux de
    prise en charge alors que les mesures prophylactiques ne sont pas toutes levées
    pourrait se traduire par des destructions d’emplois en 2021. Certes, si ce
    dispositif est parfaitement adapté à une période courte en temps de crise, son
    maintien pendant une période longue et dans tous les secteurs y compris dans
    ceux qui connaissent une nette amélioration de leur conjoncture pourrait
    engendrer des effets plus négatifs (effet d’aubaine, mauvaise réallocation de
    la main-d’œuvre…). En outre, si le dispositif d’aide à la formation du Fonds
    national de l’emploi – FNE-Formation – a été renforcé afin d’accompagner
    les entreprises en activité partielle, le maintien pendant une période longue
    de l’activité partielle peut entraîner une déqualification d’une partie de la
    main-d’œuvre ou ralentir le parcours des salariés désireux de se reconvertir.
    Si le maintien dans l’emploi est assuré par l’activité partielle, ce statut
    peut enrayer l’accès à une formation qualifiante ou la mise en place de mesures
    d’accompagnement par rapport au statut de demandeur d’emploi. Autoriser l’accès
    des salariés en activité partielle à l’accompagnement proposé par Pole Emploi
    pour les demandeurs d’emploi de catégorie D ou E permettrait de répondre en
    partie à cette potentielle demande d’accompagnement.
  2. Mettre en place un moratoire sur la
    réforme de l’Assurance chômage
    tant que la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son
    niveau qui prévalait avant la crise (taux de chômage à 7% ou difficultés de
    recrutement à leur niveau de 2019).
  3. Prévoir une enveloppe de contrats aidés
    additionnels pour les personnes de plus de 25 ans ayant perdu leur emploi en
    2020.
     L’idée que,
    durant cette crise économique, l’État puisse devenir « Employeur en
    dernier ressort » permettrait d’éviter toute augmentation du chômage qui
    laisserait des traces durables dans l’économie. Sur la base de notre dernière
    prévision, cela correspond à la création de 500 000 emplois aidés fin 2021
    à déployer dans le secteur du CARE notamment (soutien scolaire, portage de repas
    à domicile pour les personnes âgées, logistique de la gestion de l’épidémie,
    …). Ces 500 000 contrats aidés à temps plein pris en charge à 50% par l’État
    (soit un coût annuel par contrat de 9 328 euros) représenteraient un coût
    annuel de 4,7 milliards d’euros.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait à près de 18,5 milliards
d’euros annuel (0,8% du PIB).

Trois mesures ciblées pour les jeunes

  1. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 1, nous proposons de renforcer le plan « 1
    jeune 1 solution »
    . Le plan actuel offre 1,3 million de « solutions » ciblées
    sur les jeunes de moins de 26 ans, pour un afflux cumulé de 1,5 million de
    jeunes sur 2020-2021. Pour faire face à cet afflux arrivant sur le marché du
    travail ou tombant dans l’inactivité en 2021, nous proposons une augmentation
    de 200 000 du volume de contrats aidés PEC ciblés sur les moins de 26 ans, pour
    un coût de 2,5 milliards d’euros annuels. Un premier pas a déjà été fait en
    augmentant les entrées prévues dans le dispositif de la Garantie Jeunes en 2021
    et en repoussant la fin des aides à l’embauche de jeunes de moins de 26 ans,
    mais cela ne garantit pas une solution aux 1,5 million de jeunes arrivant sur
    le marché du travail en 2020 et 2021. Ce plan pourra ainsi faire davantage de
    place aux emplois aidés pour « les jeunes décrocheurs » : en
    France, environ 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire
    sans formation ni qualification et viennent alourdir le nombre de
    « décrocheurs sans emploi ne suivant ni études ni formation ». Cette
    catégorie, désignée par l’acronyme NEET, représente près de 2 millions de
    jeunes dont la moitié serait sans aucun diplôme: si l’on veut réellement le
    combattre, il est urgent de mettre en place une stratégie dans laquelle les
    emplois aidés ont un rôle important à court terme : ce dispositif des
    emplois aidés doit être ciblé sur les personnes les plus en difficulté (NEET),
    ce qui permettra de réduire les effets d’aubaine, de diminuer les effets
    d’enfermement dans ce type de contrat et d’augmenter les gains d’employabilité.
    Par ailleurs, ces contrats doivent être d’une durée longue (au moins
    2 ans), dans le secteur non marchand, être associés à un volet de
    formation important, ciblés sur un métier d’avenir et peu éloignés des emplois
    auxquels le bénéficiaire est susceptible de postuler ultérieurement. En effet, une étude de
    terrain menée en 2017
    a mis en avant l’intérêt des chefs d’entreprises du secteur privé
    pour des jeunes ayant effectué une formation certifiante dans un contrat aidé
    dans le secteur non marchand.
  2. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 2, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (435 000 jeunes au maximum)
    . Cette aide interviendrait
    en complément des revenus que certains pourraient toucher via les plans
    d’accompagnement vers l’emploi. Elle nous paraît nécessaire au minimum tant que
    la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son niveau qui
    prévalait avant la crise. Le coût maximum de cette mesure s’élèverait ainsi à
    240 millions d’euros par mois au maximum.
  3. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 3, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (250 000 jeunes)
    . Cette aide interviendrait en
    complément des prestations d’allocation chômage dont ils pourraient bénéficier.
    Le coût estimé approche 140 millions d’euros par versement au maximum. Ce
    versement devrait intervenir mensuellement tant que la situation sur le marché
    du travail n’est pas revenue à son niveau qui prévalait avant la crise.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait au maximum à 7 milliards
d’euros annuel (0,3% du PIB).


[1] Cf OFCE Policy Brief n°89 : « Perspectives
économiques 2021-2022 : résumé des prévisions du 14 avril 2021
 », Eric
Heyer, Xavier Timbeau, Christophe Blot, Céline Antonin, Magali Dauvin, Bruno
Ducoudré, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Catherine Mathieu Christine Rifflart,
Raul Sampognaro, Mathieu Plane, Pierre Madec, Hervé Péléraux, 14 avril 2021.

[2] Hors effet de l’extension de la prime à l’embauche
d’un jeune au-delà du 31 janvier 2021.

[3] Parmi eux, 1,6 million vivent dans un ménage qui n’est
pas celui leurs parents. Parmi eux, 350 000 sont étudiants, 140 000 sont
chômeurs, dont 84 000 ne perçoivent pas d’allocation chômage, 160 000 sont
inactifs, et 930 000 sont en emploi au sens du BIT.

[4] Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie
A, B ou C et âgés de moins de 25 ans a augmenté de 50 000 entre le quatrième
trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020.

[5] Les 435 000 se
décomposent en : 210 000 en CDD ou en contrat saisonniers (8% de
moins d’1 mois, 15% entre 1 et 3 mois, 25% entre 3 et 6 mois et 30% entre 6
mois et 1 ans) ; 225 000 jeunes en CDI qui travaillent dans l’un des
secteurs les plus touchés soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée
indéterminé.




Crise de la Covid-19 : le cap des 100000 morts en France au regard des principaux pays d’Europe de l’Ouest

Par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

En cette mi-avril
2021, la France franchit le cap des 100000 morts attribués à la Covid-19. Au
même moment, L’Union Européenne (avec le Royaume Uni) en est à près de 780000
morts. Après plus d’un an de crise sanitaire, que savons-nous de cette
pandémie, de ses facteurs ? Une comparaison des taux de mortalité des
principaux pays d’Europe de l’Ouest offre certaines réponses. Cette dernière
confirme et actualise des résultats obtenus lorsque la France franchissait les
50000 morts fin novembre 2020 (« La crise de la Covid-19 dans une Europe
vieillissante », Gannon, Le Garrec et Touzé, in L’économie européenne
2021, Collection Repères, La
Découverte).

Parmi les
rares certitudes, les données épidémiologiques montrent que ce sont les
personnes âgées qui développent les formes graves possiblement mortelles. Ainsi,
pour la France, l’INSEE a établi que la surmortalité pour l’année 2020 est de
10% et 8% respectivement pour les hommes et les femmes de plus de 65 ans, et
est négligeable en deçà de cet âge. Dans le même ordre d’idée, on observe dans
les principaux pays d’Europe de l’Ouest que près de 95% des morts ont plus de
60 ans.

Cela ne veut pourtant pas dire que la situation est
identique dans tous ces pays. Lorsqu’on décompte le nombre de morts engendrées par cette maladie, les
situations nationales sont en effet nettement tranchées. Au moment où la France
enregistre un taux de mortalité de 1530 morts par million d’habitants, celui de
la Norvège est de 130 morts (voir Tableau 1). A l’inverse, à cette même date,
la Belgique enregistre 2030 morts par million d’habitants, soit un des pays les
plus impactés du monde, avec une mortalité relative près de 16 fois supérieur à
la Norvège. Entre ces deux extrêmes, la plupart des pays du nord de l’Europe – Danemark,
Allemagne, Pays-Bas et Autriche – résistent mieux avec des taux respectifs de 422,
954, 984 et 1085 morts. L’exception est la Suède, avec un taux de 1356 morts.
Enfin, outre la Belgique, l’Italie, le Portugal et l’Espagne au sud de l’Europe
ainsi que le Royaume-Uni sont les plus impactés avec des taux de 1920, 1664,
1644 et 1866 morts par million d’habitants.

Puisque les morts de la Covid-19
sont âgés, en toute logique un pays à la population plus âgée devrait être
d’autant plus impacté. C’est en effet ce que l’on retrouve dans les données :
le poids des plus de 65 ans comme critère d’âge de la population est significativement
corrélé (0,51) au taux de mortalité de la Covid-19 (Tableau 1). Si l’on se
concentre sur la population des plus de 80 ans, la corrélation est d’autant
plus forte (0,66) et significative. Ainsi, les trois pays présentant les plus
forts pourcentages de plus de 80 ans sont l’Italie, l’Espagne et le Portugal,
avec 6,9% pour le premier et 6,2% pour les deux suivants, qui par ailleurs sont
trois des pays aux plus forts taux de mortalité due à la Covid-19. A l’inverse,
Norvège et Danemark sont les deux pays présentant à la fois la plus faible
proportion de personnes de plus de 80 ans, avec respectivement 4,2% et 4,4% de
leur population, et les taux de mortalité les plus bas. Bien que corrélé, ce
facteur démographique est loin d’être suffisant pour capter l’intégralité des
différences de mortalité entre les pays d’Europe de l’Ouest.

Pour caractériser l’état de santé d’une population et ses comorbidités, il est nécessaire d’appréhender la multiplicité des maladies associées aux cas graves, telles que le diabète, l’hypertension, les cancers, l’insuffisance respiratoire, … La prévalence de l’obésité, état associé à un Indice de Masse Corporelle (IMC) supérieur à 30, est un indicateur intéressant car il est associé à un risque majeur pour les maladies cardio-vasculaires, le diabète et certains cancers. Le constat est que les pays qui présentent les taux d’obésité dans leur population les plus élevés sont le Royaume-Uni et l’Espagne avec respectivement 29,7% et 27,1%, deux pays qu’on a pu qualifier de durement impactés par la Covid-19 en termes de mortalité. Par contre, les pays qui suivent dans l’ordre du taux d’obésité sont l’Allemagne et la Norvège, avec respectivement 25,7% et 25%, qui sont parmi les pays européens les moins touchés par la pandémie. En définitive, même si la corrélation observée (égale à 0,16) va dans le sens d’un lien positif entre la prévalence de l’obésité et la mortalité, ce lien est trop faible pour être significatif.

Pour approfondir le lien entre santé de la population et mortalité due à la Covid-19, l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans exprimé en proportion de l’espérance de vie est censée être un indicateur pertinent. Les données reportées dans le Tableau attestent bien d’une corrélation entre cet indicateur et la mortalité négative (-0,55) et significative.

Dans l’état des connaissances actuelles,
la Covid-19 se propage par des gouttelettes respiratoires entre personnes qui
sont en contact direct et étroit (moins d’un mètre de distance) les unes avec
les autres, ainsi que par aérosolisation dans les lieux clos. En tout état de
cause, la diffusion du virus est favorisée par la fréquence des contacts
humains. Les deux préconisations sanitaires, limitation des contacts humains et
respect des distances barrières, semblent plutôt discriminantes pour limiter la
pandémie. Ces contacts sont a priori d’autant
plus facilités dans des communautés fortement urbaines que dans des zones
rurales ou intermédiaires. De façon très singulière, les deux pays à la plus
faible proportion de population urbaine sont le Danemark et la Norvège avec des
taux de 22,9% et 24,5% quand la moyenne des pays étudiés est de 47,4%. En
résumé, la proportion de population urbaine apparaît fortement et
significativement corrélée à la mortalité dans les principaux pays d’Europe de
l’Ouest avec un taux de 0,61. Il faut néanmoins rester prudent avec
l’interprétation de cette corrélation. En effet, les pays étudiés diffèrent
également dans de nombreuses autres caractéristiques comme le climat, la
propension à la distanciation sociale, …




Climat : l’urgence de la justice

Par Éloi Laurent et Paul Malliet

A la veille du sommet sur le climat organisé par l’administration Biden les 22 et 23 avril prochains auquel participent 40 chefs d’Etat et de gouvernement, nous proposons ici l’embryon d’une réflexion sur la question incontournable des négociations climatiques internationales : comment répartir l’effort de réduction d’émissions entre les pays dans le cadre des Nations Unies ?



Les nouvelles sur le front de
l’urgence climatique en ce début d’année 2021 sont mitigées, ce qui n’est pas
si mal : la volonté de la nouvelle administration américaine d’assumer un
leadership sur l’agenda climatique, et ce dans un cadre multilatéral, tranche
avec l’obstructionnisme obscurantiste de la précédente. Par ailleurs, 110 pays
ont annoncé vouloir s’engager à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, la
Chine partageant cet objectif, mais à l’horizon 2060[1].

Mais ces dynamiques géopolitiques
encourageantes doivent absolument s’accélérer pour combler l’écart entre la
vitesse acquise par les systèmes naturels et l’inertie inhérente aux systèmes économiques
et politiques. A cet égard, un indicateur clé est la distance qui sépare le
statu quo des politiques actuelles (business
as usual
) de la réalisation intégrale des engagements pris dans la foulée de
l’Accord de Paris : si tous les engagements actuellement formulés et décrits
dans les contributions nationales respectives des États étaient bel et bien
tenus, nous irions vers 2,6° de réchauffement d’ici à la fin du siècle ;
si tout continue comme aujourd’hui, nous allons vers un réchauffement de 2,9°[2].
L’Accord de Paris (qui a permis des avancées indéniables) ne vaut donc, en
l’état, que 0,3 degré, soit environ une décennie et demie de réchauffement au
rythme annuel observé depuis 1981[3].

Il faut donc imaginer et mettre
en œuvre une nouvelle stratégie climatique globale, laquelle doit porter ses
fruits dès la COP 26, en novembre prochain, à Glasgow. Engager cette dynamique,
voilà l’objet du sommet organisé par l’administration Biden les 22 et 23 avril
prochains auquel participent 40 chefs d’Etat et de gouvernement.  Dans la lignée de l’American
Jobs Plan
, l’ordre
du jour de cette réunion
met l’accent sur les gains économiques attendus
d’une action climatique résolue. Mais il fait l’impasse sur sa nécessaire
coordination : comment les efforts nationaux de réduction d’émissions
doivent-ils être répartis entre les pays du monde ? Sur la base de quels
critères ? Autrement dit, comment tracer le chemin qui mène vers la
direction indiquée par l’Accord de Paris ?

Nous proposons ici l’embryon
d’une réflexion (que nous détaillerons plus avant à l’approche de la COP 26)
sur la question qui est à nos yeux désormais la raison d’être des négociations
climatiques internationales : comment répartir l’effort de réduction
d’émissions entre les pays dans le cadre des Nations Unies ?

A la lumière du rapport du GIEC « SR
1,5° » paru en 2018, nous déterminons un budget carbone mondial qui en
2019 s’élève à 945 GtCO2e et correspond à une cible intermédiaire
entre le budget 1,5° et 2° associée au 67ème percentile de TCRE[4]
(Transcient Climate Response to Emissions), conforme à l’ambition énoncée à
l’Article 2 de l’Accord de Paris.

La question de la juste
répartition de ce budget carbone mondial a fait l’objet de nombreuses études (pour
une synthèse et des propositions, voir par exemple Bourban,
2021
) mais il n’existe pas aujourd’hui de travaux qui intègrent une vision
complète des trois critères de justice identifiés dans la littérature
académique – l’équité,
la responsabilité et la capacité
– pour en déduire une répartition
opérationnelle des efforts nationaux afin d’éviter la catastrophe climatique.

Dans cette optique, nous
concentrons ici notre analyse sur les 20 principaux pays émetteurs[5] qui
représentent 77% des émissions en 2019. Nous supposons que l’objectif de réduction
des émissions sera partagé par l’ensemble des pays à l’horizon 2050 et que donc
le budget carbone concerne les 30 prochaines années ce qui se traduit par un
budget annuel moyen d’environ 30 GtCO2e (à titre de comparaison, 36GtCO2e
ont été émises en 2019). Nous prenons comme point de départ une répartition
égalitaire entre tous les membres de l’humanité en 2019 d’une dotation initiale
de 122,5 tCO2e d’ici 2050, soit environ 4 tCO2e par an (le
budget d’un pays étant l’agrégation des dotations individuelles de sa
population totale).

Nous interprétons le critère
d’équité comme l’égal accès des citoyen(e)s du monde à la capacité de stockage
des gaz à effet de serre (GES) par l’atmosphère (il correspond à une dotation
universelle en carbone corrigée pour chaque grand émetteur de sa population et
de la dynamique de celle-ci à horizon 2050).

Notre critère de responsabilité
est la quantité déjà émise de GES depuis 1990 en consommation, ce qui permet de
combiner un critère de justice spatial à un critère temporel, reflétant la
responsabilité globale aussi bien qu’historique des différents pays.

Enfin, le critère de capacité est ici exprimé par l’indicateur de Développement Humain (IDH) des Nations Unies, compris par construction entre 0 et 1, que nous rapportons pour chaque pays au niveau moyen mondial (qui en 2019 était de 0,737). Ainsi, les pays dont l’IDH est inférieur à cette moyenne mondiale voient leur budget être augmenté proportionnellement à leur sous-développement humain, et inversement pour les pays développés qui voient leur budget diminuer dans le sens inverse (Figure 1).

Le critère d’équité procède de
manière générale à une réallocation des pays connaissant une démographie en
baisse vers ceux qui auront à affronter une croissance de leur population plus
importante, quasi-intégralement localisés en Afrique subsaharienne. A ce titre
la Chine se voit amputer 44 GtCO2e (soit une réduction de presque
25%), tandis que le reste du monde bénéficie à l’aune de ce critère d’une
hausse de 86 GtCO2e de son budget. Le critère de responsabilité apparaît
comme le principal déterminant qui procède à une réallocation du budget mondial
entre pays, avec un transfert de près de 263 GtCO2e depuis les pays du
groupe OCDE, vers les pays dits en développement. Le critère de capacité
conduit de même à une réallocation vers les pays en développement, mais bien moindre
(presque 34 GtCO2e au total)[6]

Ainsi chaque critère joue dans un sens différent (soit par la nature du rééquilibrage, soit par son degré), suggérant que ce jeu relativement simple de trois critères permet bien de traduire différentes acceptions ou conceptions de la justice climatique pour aboutir à une répartition de la charge de l’effort d’atténuation (Figure 2).

Lecture du graphique : Chaque barre indique pour chacun des critères pris indépendamment des autres leur effet sur le budget carbone annuel moyen par pays. A titre d’exemple, alors que chaque citoyen américain dispose d’une dotation initiale de 4 tCO2e, le critère d’équité conduit à ce que ce budget soit réduit à 3,73 tCO2e, l’application du principe de responsabilité conduit à ce que la dotation initiale devienne négative et corresponde à une dette de 13 tCO2e, le critère de capacité réduit la dotation initiale à 3,25 tCO2e. L’agrégation de ces différents critères se traduit par un budget total négatif[7] de 9,5 tCO2e par habitant et par an.

Cependant, cette représentation
ne nous dit rien sur les trajectoires d’émissions futures des différents pays,
sur les instruments qui seront mis en œuvre et sur les critères de justice
propres à chaque pays qui présideront au déploiement de ces instruments. Dans
une seconde étape de notre analyse, nous proposerons des répartitions possibles
du budget globalement déterminé pour la France afin de saisir les enjeux de
justice climatique du global vers le national et enfin vers l’individuel. Cette
première étape nous renseigne en tout cas sur ce que pourrait être une
répartition juste à même de transcrire de manière plus explicite le principe
directeur de la communauté internationale depuis le sommet de Rio en
1992 : la « responsabilité partagée mais différenciée ».

A l’aune de cette première
analyse, un point semble parfaitement clair : si la nouvelle
administration américaine entend effectivement assumer de nouveau un leadership
climatique mondial, en association avec l’Union Européenne, elle ne pourra pas
faire l’économie de la reconnaissance d’une dette climatique à l’égard du reste
du monde. Compte tenu de son niveau, il est illusoire de croire qu’elle pourra être
compensée par des émissions négatives hypothétiques, et devrait donc faire
l’objet d’une compensation[8] sous une
forme ou autre, par exemple au moyen de montants beaucoup plus significatifs
que ceux actuellement versés dans le cadre du Fond Vert pour le Climat qui
reste toujours largement sous doté par rapport à l’ambition initiale affichée
d’atteindre un budget de 100 Mds de $ en 2020.

Un deuxième point apparent est
que la Chine ne peut plus désormais se prévaloir dans le cadre des négociations
climatiques du rôle de grand pays émergent dont la trajectoire d’émissions explosives
s’inscrit dans un droit au développement et à la croissance économique. En
2020, et en retenant l’ensemble des critères retenus, son budget carbone, avec
21 Gt, serait proche de celui de l’Indonésie qui a une population pourtant cinq
fois moindre.

Il semble que l’administration
Biden souhaite marquer le « jour de la Terre », le 22 avril, par des
annonces de deux ordres : de nouvelles ambitions climatiques à horizon
2030 pour les Etats-Unis et de nouvelles réductions d’émissions de la part des
chefs d’État et de gouvernements invités. Ces annonces ne seront pleinement
crédibles que si les Etats-Unis parviennent à réconcilier leur ambition
nationale et leur responsabilité globale et que, partant, ils convainquent la
Chine de faire de même.


[1] Ce qui
représente environ 50% de la population ainsi que des émissions globales de GES

[2] Climate
Action Tracker, projection décembre 2020 https://climateactiontracker.org/publications/global-update-paris-agreement-turning-point/

[3]
Source : NOOA.

[4] Le TCRE traduit
la variation moyenne de température moyenne avec le stock de carbone présent
dans l’atmosphère avec une probabilité associée. Ce qui dans notre analyse se
traduit de la manière suivante : Il y a 67% de chance pour que le budget
carbone considéré conduise à une hausse des températures limitée à 1,75°.

[5] Les
vingt principaux pays émetteurs étaient en 2019 les suivants ; États-Unis,
Canada, Arabie Saoudite, Australie, Allemagne, Japon, Russie, Royaume-Uni,
Italie, Corée du Sud, Pologne, France, Afrique du Sud, Iran, Chine, Mexique,
Turquie, Brésil, Indonésie, Inde. Nous y incluons également l’Union
Européenne à 27 États-membres pour fournir des éléments de comparaison.

[6] A noter
que parmi les pays que nous distinguons, seule l’Inde voit son budget
augmenter, mais de seulement 3%.

[7] Un
budget négatif traduit ici le fait que les émissions historiques prisent en
compte via le critère de responsabilité est supérieur à leur budget carbone
actuel alloué en fonction des autres critères. e

[8] La
question de la valorisation monétaire des émissions passées est un sujet de
recherche en soi que nous n’abordons pas dans ce texte. A titre illustratif,
une valorisation de la tonne de CO2 à 1$ conduirait à un montant global de 263
milliards de $ et pour une valorisation à 20$, celui-ci serait de 5260
milliards de $.




L’économie européenne 2021

par Jérôme Creel

L’ouvrage L’économie européenne 2021 qui vient tout juste de paraître se concentre sur l’impact de la crise de la Covid-19 et des mesures prophylactiques en Europe. L’introduction du précédent volume, il y a un an, commençait par ces mots : « En 2020, Mesdames Lagarde et von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de l’Europe (…) dans un environnement européen et international compliqué ». Il faut bien avouer que nous ne savions pas alors à quel point l’année 2020 serait effectivement compliquée.



Au plan économique et social, la
pandémie n’a pas seulement conduit à la plus grande récession
mondiale
de l’après-guerre, mais elle a aussi accru le risque de voir les
enjeux structurels, tels que la lutte contre le changement climatique, passer
au second plan, et pour longtemps, des priorités des gouvernements. Les chocs
macroéconomiques infligés par la pandémie et par les mesures prophylactiques
mises en œuvre pour y faire face ont été d’une telle ampleur que les réponses
de politique économique ont elles aussi été d’une vigueur inaccoutumée.  Bien que proportionnées aux enjeux
conjoncturels de court terme, ces réponses pourraient obérer les chances de
voir l’Europe s’engager résolument dans une trajectoire soutenable et équitable
de ses niveaux de vie, conformément aux objectifs du traité sur l’Union
européenne. De quelles marges de manœuvre dispose encore l’Europe après une
hausse des dettes publiques de 15 points de PIB depuis 2019 et une longue
période de politiques monétaires ultra-accommodantes de la banque centrale
européenne ? A l’inverse, quels risques font peser les tentations de
« normalisation » des politiques économiques sur l’économie
européenne ? A défaut de répondre précisément à ces questions, l’ouvrage
propose des pistes de réflexion qui permettent en filigrane d’appréhender les
marges d’amélioration du processus européen d’intégration en accordant la
priorité aux objectifs plutôt qu’aux moyens.

Evaluer les conséquences qu’aura
la pandémie sur la trajectoire économique, sociale et environnementale de
l’Europe réclame, en guise de préalable, un diagnostic complet sur ses
conséquences à court terme. L’ouvrage présente ainsi un état des lieux
conjoncturel d’une zone euro soumise à une grande incertitude quant à la
persistance de l’épidémie et à celles des politiques budgétaires et monétaires
mises en œuvre pour y faire face. Il dresse une typologie des facteurs
contribuant à la mortalité due à la Covid-19 et présente un premier bilan des
conséquences de l’épidémie sur les marchés du travail européens, sur les
politiques publiques et budgétaires et sur les liens de ces dernières avec
l’action de la banque centrale européenne.

Il expose également les avancées
de la gouvernance budgétaire européenne avec l’adoption d’un nouvel outil de
gestion, Next
Generation EU
, en juillet 2020 et s’interroge sur le cadre budgétaire
commun qui sortira éventuellement de cette crise. L’adaptation du Green Deal aux nouveaux enjeux
sanitaires, les avancées timides en faveur d’une politique européenne de santé
publique et la question non encore résolue des ressources propres pour financer
le budget européen sont tour à tour discutées en lien avec ce nouvel
instrument. Next Generation EU a certes ouvert une brèche dans la gestion
budgétaire européenne en mêlant responsabilité politique nationale (chaque Etat
membre choisit les projets financés et les soumet à l’approbation de la
Commission européenne), solidarité (une partie des fonds européens est une
subvention) et relance budgétaire. Reste à savoir si les moyens qu’il alloue
seront suffisants pour atteindre ses objectifs et, avant cela, s’il sera
effectivement mis en œuvre après l’ordonnance de la Cour
constitutionnelle
d’en suspendre la ratification en Allemagne.