La BCE doit-elle s’inquiéter de l’augmentation récente de l’inflation ?

Christophe
Blot
, Caroline Bozou et Jérôme
Creel

En août 2021, l’inflation dans la
zone euro a atteint 3 % en glissement annuel. Un tel niveau n’avait pas
été observé depuis novembre 2011 et dépasse la cible de 2 % que s’est
fixée la BCE. Cette dynamique récente est en partie tirée par le prix du pétrole
mais on observe dans le même temps un rebond de l’inflation sous-jacente, qui
exclut du calcul les indices des prix de l’énergie et du secteur alimentaire. L’inflation
aux États-Unis
renoue également avec des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis
plusieurs années, ce qui y alimente le débat sur un potentiel retour du risque
inflationniste. De par leur mandat orienté vers la stabilité des prix, il est
légitime que les banques centrales s’interrogent sur les sources de ce retour
de l’inflation. Dans un document récent en vue de la préparation du Dialogue
monétaire entre le Parlement européen et la BCE
, nous discutons cependant
du caractère temporaire plutôt que permanent de cet épisode d’inflation.



L’évolution récente de
l’inflation ne peut être dissociée de la conjoncture économique, actuellement
encore fortement marquée par la crise sanitaire. Après une forte chute de
l’activité – le PIB s’est contracté de 6,5 % en 2020 –, les performances
macroéconomiques de la zone euro restent erratiques. La crise a été sans
précédent à la fois par son ampleur mais aussi par ses caractéristiques
sectorielles et par la nature des chocs qui ont affecté les économies de la
zone euro. En effet, la crise de la Covid-19 se caractérise à la fois par un
choc négatif d’offre et de demande (voir Dauvin et
Sampognaro, 2021
).

Les éléments qui expliquent
l’inflation actuelle semblent être de nature temporaire. Un examen des données
récentes suggère en effet que la hausse de l’inflation serait principalement
liée aux prix de l’énergie, aux modifications des taux d’imposition de la TVA
et à la reprise qui suit la récession annuelle la plus spectaculaire depuis la
Seconde Guerre mondiale (figure 1).  Pour
autant, à un niveau désagrégé, il semble que pour la plupart des biens, les
prix sont souvent inférieurs au niveau de décembre 2019 tandis que les prix de
certains services sont plus élevés (figure 2).

Il n’en reste pas moins que les
facteurs qui pourraient influencer l’inflation à moyen terme sont nombreux et laissent
planer quelques incertitudes sur les tensions à venir. Le choc de demande
résultant des mesures de relance budgétaire européenne et des pressions sur le
marché du travail devrait être faible. Le coût en termes d’inflation d’une
baisse du chômage dans la zone euro est désormais très bas – on parle
d’aplatissement de la courbe de Phillips, voir Bobeica,
Hartwig, et Nickel  (2021)
– et le
niveau « élevé » des emplois vacants l’est moins qu’en 2018 alors
qu’aucune crainte d’un retour de l’inflation n’était alors évoquée. Toutefois,
les pressions inflationnistes dues au comportement de désépargne des agents
pourraient présenter une trajectoire plus incertaine. Une poussée de la demande
pourrait alimenter de futures hausses de prix, surtout si les difficultés
d’ajustement de l’offre, observées récemment dans certains secteurs, persistaient.
Du côté des difficultés d’approvisionnement et de la hausse des coûts du
transport maritime, la corrélation forte de ces derniers avec le prix du
pétrole laisse imaginer une baisse lors des deux prochaines années (voir le
bulletin de la US Energy
Information Administration
).  

Pour autant, si on se place dans une perspective plus longue, on peut observer que cette remontée d’inflation ne permet en aucun cas de compenser les nombreuses années au cours desquelles l’inflation fut inférieure à la cible de 2% (figure 3). Ainsi, tant que la poussée observée ces derniers mois reste contenue, ce retour de l’inflation pourrait plutôt être perçu comme une bonne nouvelle par la BCE lui permettant d’atteindre enfin sa cible et même éventuellement de rattraper les sous-ajustements passés.




Une élection allemande placée sous le signe de la transition écologique

par Céline Antonin

Alors que l’économie allemande a
mieux résisté que celle des pays européens voisins en 2020, avec une baisse du
PIB de « seulement » de 4,9% − contre 6,4 % en zone euro et
7,9 % en France −, elle semble repartir moins fort. Au deuxième
trimestre 2021, l’Allemagne affiche toujours un PIB inférieur de 3,3 % à
son niveau d’avant-crise, un chiffre quasi-identique à celui de son voisin
français (-3,2 %).



Dans ce contexte économique
toujours marqué du sceau de la pandémie, l’Allemagne s’apprête à écrire, le 26
septembre 2021, une nouvelle page de son histoire politique après les seize
années de mandat d’Angela Merkel. La CDU, parti de centre-droit, est au cœur de
la vie politique allemande depuis 1949 et totalise 50 années de participation
aux gouvernements de coalition. Demeurera-t-il le premier parti au sein du
Parlement ? Rien n’est plus incertain : Armin Laschet, successeur
d’Angela Merkel à la tête de la CDU, a certes réussi à s’imposer en avril 2021
comme candidat de la droite allemande contre le Ministre-Président de Bavière
Markus Söder, mais les divisions affichées par la droite ont fragilisé le
parti, comme en témoigne le fort recul dans les intentions de vote de la CDU/CSU.
Ainsi, au cours des six derniers mois, deux partis se sont disputés avec la
CDU/CSU la tête des sondages : les Verts emmenés par Annalena Baerbock et,
pour la première fois en 15 ans, le SPD. Ce dernier s’appuie sur la figure du
ministre des finances sortant de la coalition CDU-SPD, Olaf Scholz, qui
apparaît comme un centriste modéré, incarnant une forme de continuité par
rapport au gouvernement actuel. Être en tête des élections revêt une importance
considérable car le parti le plus important au Parlement brigue généralement la
chancellerie.

Les possibilités de coalition sont
nombreuses et les négociations s’annoncent complexes. Le scénario le plus
probable est la poursuite de la grande coalition (CDU/CSU et SPD), expérimentée
à trois reprises par Angela Merkel (2005-2009, 2013-2017 et 2018-2021). Cependant,
une configuration de « coalition jamaïcaine » (CDU/CSU, Verts et FDP)
est possible, de même qu’une « Ampelskoalition »
(SPD, Verts et FDP), voire une coalition plus à gauche dans laquelle le SPD
s’allierait avec, entre autres, le parti de gauche Die Linke.

Lorsque l’on examine les programmes
des trois principales formations politiques (voir tableau), un consensus fort se dégage autour de la transition
écologique, principal thème de la campagne. Sur les autres thèmes, en revanche,
on retrouve le clivage droite/gauche traditionnel. La CDU/CSU se fait le
chantre de la compétitivité des entreprises en plaidant pour une baisse de
l’impôt sur les sociétés et le plafonnement des coûts non salariaux, tandis que
le SPD et les Verts souhaitent l’augmentation du salaire minimum, instauré en
2015. Par ailleurs, la CDU/CSU défend une fiscalité inchangée sur les ménages,
tandis que le SPD et les Verts défendent l’idée d’une contribution accrue pour
les ménages les plus aisés avec le rétablissement de l’impôt sur la fortune et
un alourdissement de l’impôt sur le revenu pour les hauts revenus. Ce clivage
se retrouve sur la question de l’intégration européenne, notamment dans ses aspects
budgétaires.

Un
fort consensus autour de la transition écologique

Un large consensus semble émerger
au sein des principaux partis pour une politique de transition écologique
ambitieuse. Si l’orientation est claire, l’ampleur et la rapidité de la mise en
œuvre dépendront des partis qui formeront la prochaine coalition. Les trois
principaux partis ont confirmé leur engagement en faveur de la neutralité
carbone : la CDU/CSU et le SPD se fixent l’échéance de 2045, année cible indiquée
dans la loi sur la protection du climat votée par la coalition actuelle ;
quant aux Verts, ils se fixent l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en
vingt ans. Le parti libéral (FDP) s’est quant à lui fixé une échéance plus
lointaine, en 2050.

Pour atteindre cet objectif, il
faut une profonde modification du mix énergétique actuel (graphique), qui repose en Allemagne à 78 % sur les énergies
fossiles – contre 48 % en France. La CDU/CSU et le SPD veulent la disparition
du charbon d’ici 2038 (2030 pour les Verts). Or, historiquement, l’Allemagne
avait privilégié les sources de production fossiles, en particulier le charbon
et le lignite qu’elle possède en abondance, ainsi que le gaz, essentiellement
importé. Malgré une baisse importante au cours de la dernière décennie, le charbon
représente encore 17,6 % de l’approvisionnement énergétique en 2019. Ayant
annoncé en 2011 son choix de sortir du nucléaire[1], elle ne peut donc que
compter sur l’essor des énergies renouvelables. C’est pourquoi les grands
partis souhaitent fortement augmenter leur part – actuellement autour de
15 % − dans le mix énergétique allemand. Le SPD souhaite que l’électricité
provienne entièrement d’énergies renouvelables d’ici 2040 : or seul un tiers de l’électricité
est actuellement produite à partir des énergies renouvelables[2].

La stratégie retenue pour atteindre
les objectifs environnementaux diffère néanmoins. Les Verts plaident pour une
politique d’État très volontariste et prévoient 50 milliards d’euros
d’investissement par an dédiés à la transition écologique. Les
chrétiens-démocrates et le FDP privilégient le soutien à l’innovation et s’en
remettent aux mécanismes de marché : ils souhaitent notamment étendre le
marché des quotas d’émissions qui renchérit le prix du CO2 afin de préserver la
compétitivité de l’industrie allemande.

Les
éléments de divergence : compétitivité des entreprises, salaire minimum et
fiscalité des ménages

Les clivages traditionnels
gauche/droite se retrouvent sur la question de la fiscalité des entreprises. La
CDU/CSU, ainsi que son traditionnel partenaire libéral, le FDP, prônent la
baisse du taux d’imposition des sociétés à 25 % au lieu de 30 %. La
CDU/CSU entend également plafonner à 40% de la masse salariale les coûts non salariaux (le coin
socio-fiscal), c’est-à-dire les prélèvements obligatoires et cotisations
sociales payées par les employeurs et salariés. Le parti conservateur souhaite
également supprimer la surtaxe de solidarité[3] (Solidartätszuschlag) pour
les entreprises, contrairement au SPD et aux Verts qui souhaitent son maintien.
Enfin, la CDU/CSU souhaite que le seuil de rémunération des minijobs, seuil qui permet l’accès à une
couverture sociale, soit relevé de 450 à 550 euros.

Alors
que les propositions de la CDU mettent l’accent sur l’allègement de la
fiscalité pour les entreprises dans une optique de compétitivité accrue, le SPD
et les Verts proposent de porter le salaire minimum à 12 euros de l’heure,
soit une augmentation de 15 % par rapport au niveau prévu en juillet 2022[4]. Pour rappel, en 2020, le
salaire minimum représente 51 %
du salaire brut médian pour les salariés à temps plein en Allemagne, contre 58
% au Royaume-Uni et 61 % en France (source : OCDE). Une augmentation du
salaire toucherait un nombre conséquent de salariés : d’après Schulten et
Putsch (2019), entre 9 et 11 millions de salariés − soit entre 27 % et
30 % des salariés allemands − gagnent un salaire horaire inférieur ou égal
au seuil de 12 euros[5].

Sur la question de la fiscalité des
ménages, la CDU/CSU défend une fiscalité inchangée sur les hauts revenus, tandis
que le SPD et les Verts défendent l’idée d’une contribution accrue pour les
ménages les plus aisés avec le rétablissement de l’impôt sur la fortune et souhaitent
une réforme de la progressivité de l’imposition sur le revenu. Les Verts se
prononcent à la fois pour un allègement pour les faibles revenus (via une
augmentation de l’abattement de base), et pour un alourdissement pour les
revenus du haut de la distribution. Ils plaident ainsi pour le relèvement du
taux marginal de 42 à 45 % à partir d’un revenu de 100 000 euros pour les
célibataires et de 200 000 euros pour les couples mariés, et le relèvement du
taux marginal de la tranche supérieure de 45% à 48% à partir de 250 000 euros
pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple marié – cette dernière
proposition étant partagée par le SPD.

La problématique du logement est également
prégnante : les trois partis proposent la construction d’un million à un
million et demi de logements. Le SPD et les Verts souhaitent introduire le
plafonnement des loyers tandis que la CDU souhaite favoriser l’accession à la
propriété.

La
question de l’intégration européenne et de l’investissement public

La
faiblesse de l’investissement public est un problème endémique en
Allemagne : le discours allemand demeure en effet très marqué par
l’importance de la vertu budgétaire qui bride les dépenses de l’État aux fins
d’investissement. Ainsi, la part de l’investissement public dans le PIB n’a
représenté que 2,3% en moyenne entre 1995 et 2020, contre 3,8% en France sur la
même période ; par ailleurs la formation nette de capital fixe du secteur
public a été négative pendant plusieurs années depuis 2004, c’est-à-dire que le
montant de l’amortissement a été supérieur au montant des nouveaux
investissements. Dans une étude conjointe de l’IMK et de l’IW[6], les besoins de
financement dans les infrastructures sont estimés à 450 milliards d’euros sur
les 10 prochaines années. La question de l’investissement public a refait
surface à l’occasion de la crise de la Covid-19. Dès juin 2020, l’Allemagne a
élaboré un plan de relance de grande envergure pour relever le pays de cette
crise à la fois sanitaire et économique. Sur les 130 milliards d’euros – 4
points de PIB – alloués à ce plan, 50 milliards étaient dédiés au volet d’investissement
destiné à s’attaquer aux transformations structurelles.

L’investissement
public est au cœur de la campagne des législatives : les Verts prévoient
500 milliards d’euros – soit 17 % du PIB – d’investissement public au
cours des dix prochaines années, le SPD évoque également un montant de 50
milliards d’euros par an, et la CDU ne donne pas de chiffrage précis. Les
objectifs sont relativement similaires, avec un accent mis sur la transition
écologique (hydrogène vert notamment), la numérisation, le domaine de la santé,
les infrastructures. Les financements ne sont pas toujours clairement définis.
En tout état de cause, cette attention portée à l’investissement public
implique des déficits plus élevés dans les prochaines années. Ces déficits seront
difficilement réconciliables avec le retour à la règle d’or de l’endettement – suspendue pour cause de Covid –
en 2023[7], sauf si l’investissement
est exclu du calcul du déficit, comme le demande le parti écologiste.

Cette
question de l’investissement public, commune à plusieurs pays européens, est liée
à la question de l’intégration européenne. Si l’Allemagne a, en 2020, accepté
le principe d’une mutualisation de la dette publique, c’est à la condition expresse
que ces sommes ne soient utilisées que pour de nouveaux investissements, et non
pour rembourser des dettes préexistantes. Ainsi, la crise de la Covid-19 a
entraîné un changement historique dans la position allemande vis-à-vis de
l’intégration budgétaire. Le vote du cadre financier pluriannuel pour la
période 2021-2027 et le fonds de relance européen « Next Generation
EU » (NGEU) ont mis fin au tabou de la non mutualisation de la dette publique
défendue par l’Allemagne. Ainsi, la Commission européenne a été chargée d’emprunter
elle-même des fonds sur les marchés financiers afin d’alimenter le budget de
relance – d’un volume financier total de 750 milliards d’euros maximum[8].

Pour
autant, il ne faut pas se méprendre sur cette volte-face et cette solidarité
budgétaire. Lors de sa déclaration gouvernementale du 18 juin 2020 au
Bundestag, Angela Merkel a réaffirmé sa position : « Le plan de relance de l’Europe fait explicitement référence à la
pandémie, son action est ciblée et il est limité dans le temps »

[9].
La chancelière a ainsi tenu à
souligner le caractère exceptionnel et la portée limitée du fonds de relance.

Sur la question de l’intégration fiscale et
politique de l’UE, le paysage politique allemand est toujours divisé en deux
camps. D’un côté le SPD, les Verts et la gauche prônent une intégration
européenne toujours plus poussée à travers la refonte des règles budgétaires
européennes existantes. De l’autre, la CDU/CSU et le FDP considèrent que
l’emprunt par émission d’obligations communes pour financer NGEU doit rester
exceptionnel et temporaire et que l’Union européenne ne devrait pas se
transformer en une union de la dette. Au contraire, le SPD souhaite une réforme
du Pacte de stabilité et de croissance en faveur de l’investissement public et une
véritable convergence fiscale. Les Verts souhaitent
quant à eux intégrer le fonds européen de reconstruction dans le budget de l’UE
et le pérenniser pour en faire un instrument d’investissement respectueux du
climat à l’avenir.

Pour conclure ce tour d’horizon, l’analyse des programmes illustre la proximité entre la CDU/CSU et les libéraux du FDP, et semble également montrer une convergence entre le SPD et les Verts, au moins en matière fiscale et d’intégration budgétaire. Cela étant, l’économie n’est qu’une dimension de l’élection. Les questions migratoires et de politique étrangère seront également un axe de clivage ou de rapprochement entre partis, notamment avec la question des relations avec la Russie et la Chine. Par conséquent, il est probable que la formation d’un gouvernement de coalition prendra du temps et que le 26 septembre, l’incertitude ne fera que commencer.


[1]
Neuf
mois après avoir annulé la sortie de l’Allemagne du nucléaire prévue par
l’ancien gouvernement de Gerhard Schröder (coalition SPD-Verts), Angela Merkel
annonce en 2011 le retrait définitif du nucléaire pour 2022 au plus tard,
contre l’avis de sa propre majorité.

[2]
Grâce à l’énergie nucléaire, 90 % de la production électrique en France
métropolitaine est « bas carbone » (reposant sur le nucléaire et les
énergies renouvelables) contre 47 % en Allemagne. Source : Eurostat,
série NRG_IND_PEH.

[3]
Créée à l’origine pour soutenir la reconstruction
économique dans les Länder de
l’ex-RDA, la surtaxe de solidarité est un supplément d’impôt ayant pour
assiette l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les plus-values et l’impôt sur les
sociétés, qui affiche un taux additionnel de 5,5 %. Cette surtaxe a été abolie,
depuis janvier 2021, pour 90 % des contribuables, mais reste en vigueur pour
les entreprises.

[4] Lors de son introduction en 2015, le
salaire minimum légal était de 8,50 euros bruts de l’heure. Il a
régulièrement été augmenté depuis, et atteint 9,60 euros depuis le 1er
juillet 2021. Au 1er janvier 2022, il passera à 9,82 euros et à
10,45 euros le 1er juillet 2022. Sur la question du salaire minimum
en Allemagne, on pourra utilement consulter O. Chagny & S. Le Bayon,
2020, « La loi sur le salaire minimum en Allemagne : un bilan
globalement positif, des enjeux d’application majeurs », La Revue de l’Ires, n° 100, pp. 103-143.

[5] T. Schulten & T. Pusch, 2019, « Mindestlohn von 12 Euro:
Auswirkungen und Perspektiven », Wirtschaftsdienst,
n° 99.

[6]
H. Bardt, S. Dullien, M. Hüther & K. Rietzler, 2019, « Für eine solide Finanzpolitik: Investitionen ermöglichen!  », IMK Report, IMK at the Hans Boeckler Foundation, n° 152-2019.

[7]
La règle d’or selon laquelle recettes
et dépenses doivent s’équilibrer est inscrite dans la loi fondamentale de la
République fédérale (art. 115). Elle est renforcée en 2009, par la loi Schuldenbremse (« frein à
l’endettement »), votée aussi bien par la CDU/CSU que par le SPD. Ce frein supplémentaire
à l’endettement impose des contraintes plus restrictives que les contraintes
européennes et interdit à l’État de s’endetter au-delà de 0,35 % de son PIB
chaque année. Il est inscrit dans la Constitution et demanderait une majorité
de trois cinquièmes au Parlement pour être modifié.

[8]
Le plan
d’investissement allemand est majoritairement financé par le creusement du
déficit public allemand ; il bénéficie toutefois du soutien apporté par le
plan de relance européen de nouvelle génération (NGEU) sous forme de
subventions à hauteur de 23,6 milliards d’euros d’ici à 2026, soit 3 % des
sommes allouées par le NGEU.

[9]
Voir P. Becker, 2021, « Changement
de cap de l’Allemagne en matière de politique européenne : un repositionnement
avec des limites », Allemagne
d’aujourd’hui
, vol. 236, n° 2, pp. 68-78.




Faut-il évaluer les programmes des candidats à l’élection présidentielle ? Le rôle des économistes (et de l’OFCE) dans le débat politique

Par Xavier Ragot, Président de l’OFCE

Les élections présidentielles
sont toujours un moment d’accélération du débat économique en France. C’est le moment
des diagnostics, des bilans et de tous les projets. Des institutions comme
l’OFCE se posent de manière régulière la question de l’évaluation des
programmes économiques des candidats. À la différence des élections de 2017,
l’OFCE a choisi de ne pas évaluer les programmes mais seulement certaines
mesures qui seront discutées dans le débat politique. En revanche, l’OFCE va
apporter des éclairages sur des questions importantes pour le débat de
politique économique comme la question environnementale, les inégalités ou
encore les enjeux européens, l’état du tissu productif, entre autres.



La première contribution portera
sur la dette publique et les évolutions des dépenses et prélèvements publics,
début octobre. Ce choix ne vise ni à dramatiser la question de la dette
publique ni à minimiser son importance mais à reconnaître que la période que
nous avons vécue, avec la crise Covid, a conduit à des politiques inédites en
France et dans le monde, qui ont changé l’état des comptes publics. Que ce
soient des projets de hausse (ou baisses) de dépenses, d’impôts ou de dettes
publiques, les équilibres comptables de base devront être vérifiés et des choix
devront être assumés, quels qu’ils soient.

L’importance de l’enjeu a conduit
l’OFCE à développer un nouvel outil, un simulateur de la trajectoire de la
dette publique, de la croissance, du chômage et de l’inflation, qui permettra à
chacun de simuler les effets macroéconomiques d’un choix de cible de dette
publique. Cet outil permettra de montrer ce qu’est le budget de l’État et les
effets de choix économiques sur la croissance, l’inflation, l’emploi et la
dette.

  Pour
comprendre cette décision de fournir un cadre général et des contributions
spécifiques plutôt que d’évaluer des programmes, il faut mettre en perspective la
question de l’évaluation des programmes. Avant de parler de la situation
française, décentrons le débat pour regarder ce qui se fait dans les autres
pays. Le pays dans lequel l’évaluation économique des programmes des candidats
est la plus développée est les Pays-Bas. Le CPB (Centraal Plan Bureau), qui est
un organisme indépendant pour l’analyse économique, évalue le programme des
candidats depuis 1986 de manière systématique. Dans ce pays, le CPB joue un
rôle singulier. Le CPB a été créé en 1945 et son premier directeur était Jan Tinbergen.
Ce dernier est l’un des principaux fondateurs des modèles macroéconomiques de
prévision et d’évaluation. Cet économiste avait une vision très claire de la
répartition des rôles entre économie et politique :  aux hommes et femmes politiques d’affirmer les
préférences sociales et aux économistes de contribuer aux moyens les plus
efficaces de les atteindre. Cette expérience d’évaluation systématique a permis
aux économistes néerlandais d’affiner leur vision des avantages et
inconvénients de l’évaluation des programmes économiques des candidats et
d’avoir une approche nuancée de leur contribution[1].

Heurs et malheurs de l’évaluation
économique

Commençons par les avantages
d’une évaluation des programmes en résumant les leçons hollandaises. Tout
d’abord, et bien entendu, l’évaluation économique ne consiste pas à donner un
critère unique (que ce soit chômage, croissance, inégalités, écologie) ni à
déterminer le meilleur programme. Elle consiste à faire une évaluation
multicritères et proposer des évaluations sur chacun d’eux, avec une méthode
commune pour les différents programmes.

De ce fait, le gain premier de
l’évaluation des programmes est de révéler les priorités contenues dans chaque
programme qui peuvent parfois différer des discours politiques. Un parti peut
préférer la réduction de la dette (et possiblement des moyens budgétaires à
long terme) à la croissance de court terme, d’autres la réduction des émissions
de CO2 à l’équilibre des comptes sociaux, etc. Dans les deux cas il s’agit d’un
rapport différent au temps et aux risques. L’évaluation comparative permet donc
de révéler des préférences sociales entre lesquelles les électeurs peuvent
choisir suivant leur propre préférence politique.

Quelle différence d’une
évaluation de think tanks qui identifient le meilleur programme et donc le
meilleur candidat ! Cet autre exercice est bien sûr utile pour le débat
politique, mais il est différent. Le think tank affirme et défend des
préférences sociales. Son rôle n’est pas tant d’évaluer que de plaider une
cause ou une vision du monde. L’OFCE est un centre de recherche. Son rôle est
d’éclairer le débat public autour des questions économiques que l’on juge
importantes.

Le deuxième intérêt de
l’évaluation des programmes, selon le CPB, est d’éclairer le lecteur sur
l’évolution de la situation économique si un programme est mis en œuvre. Il
s’agit donc de contribuer à la prévision : quelle serait la dynamique du
chômage, de l’inflation, des inégalités, etc. Dans une période de forte
incertitude (sanitaire au premier chef), identifier les futurs possibles est
une contribution utile, tant les discours catastrophistes peuvent inquiéter (et
assurer une forte visibilité politique).

Le troisième intérêt de
l’évaluation économique peut sembler anecdotique mais il s’avère important.
L’évaluation des programmes ne consiste pas seulement à faire de l’analyse
économique sur les documents publics. Il consiste à aller voir les équipes de
campagne pour préciser les mesures, les dispositifs et les causalités
supposées. Ce travail d’évaluation, dont le premier est l’évaluation des effets
au premier ordre sur le budget public, permet aux candidats de préciser les
dispositifs et les implications des propositions. Le travail d’évaluation
fournit ainsi un service aux équipes de campagne en leur permettant d’interagir
avec des équipes d’économistes. Il n’a pas échappé aux lecteurs que le degré de
précision des programmes est hétérogène. Une faible précision peut être un
choix politique assumé mais aussi, parfois, le résultat d’équipes de campagne
peu spécialisées sur certains sujets économiques.

Face à de tels arguments, il
pourrait sembler que l’évaluation des programmes par un centre de recherche en
économie comme l’OFCE est d’une utilité évidente pour le débat public. En fait,
il n’en est rien pour ces élections de 2022 : les inconvénients de
l’évaluation sont les miroirs des avantages discutés plus haut.

L’évaluation des programmes et
des mesures peut donner l’illusion de la certitude alors que ces évaluations ex ante sont fondées sur des modèles pas
toujours adaptés aux mesures évaluées. Les résultats de l’évaluation de chaque
mesure sont donc empreints d’incertitudes qui se cumulent dans l’évaluation des
programmes. Cela n’est pas un argument pour ne pas évaluer des programmes, mais
il faut reconnaître qu’une grande pédagogie est nécessaire dans la présentation
des limites des résultats.

Ensuite, les déclarations des
partis, candidats ou candidates ne sont pas toujours évaluables car trop floues.
Ces derniers jouent avec ce flou pour affirmer des valeurs sans s’engager sur
des montants ou des réformes. Prenons par exemple le débat actuel sur la hausse
des salaires nécessaires après la crise Covid. Différentes mesures sont
possibles qu’il faut alors financer. Les économies peuvent être chiffrées, mais
l’effet économique dépend d’un ensemble précis de contreparties financières qui
peuvent permettre d’apprécier l’effet sur le chômage, la croissance et les
inégalités. Enfin, la difficulté d’évaluer les programmes peut pénaliser les
programmes qui se prêtent à l’exercice face à des programmes
inévaluables ! Ces inconvénients avaient été identifiés par l’OFCE lors
des élections 2007 (voir Fitoussi et Timbeau, 2017 et la description des débats
par Lemoine, 2007).

Le dispositif de l’OFCE en 2017

Les évaluations peuvent être utiles
lorsque les programmes sont évaluables et lorsque les précautions de
présentation sont utilisées. De ce fait, l’OFCE en 2017 s’est livré à un
exercice d’évaluation plutôt qualitative des programmes. Le résultat public est
un tableau multicritères qualitatif (OFCE, 2017).

Ce travail prospectif avait été
rendu possible par une situation singulière de la campagne de 2017, qui a été
l’organisation des primaires pour les candidats de droite et du parti
socialiste. Ensuite, le candidat de la France Insoumise avait fourni des
éléments économiques quantitatifs alors que la candidate du Front National
proposait la sortie de la zone euro, qui est une politique économique inévaluable
mais dont on peut discuter les implications économiques (Blot et al., 2017). Le rôle du débat
économique était important en 2017 : le président François Hollande avait
transformé un moment économique en symbole politique, « l’inversion de la
courbe du chômage », le débat européen était vif autour du thème de
« l’austérité ».

L’OFCE a donc fourni en 2017 un
tableau qualitatif comparatif de différents programmes. L’intérêt de l’exercice
était le choix des critères d’évaluation : ils doivent être assez nombreux
pour permettre l’analyse fine au sein d’un espace politique complexe mais
limités pour que les comparaisons soient compréhensibles. Nous avions choisi
quatre thèmes : finances publiques, ménages, entreprises et environnement,
avec dix sous-thèmes.

La situation en 2022

La situation en cette fin d’année
2021 est bien différente. Premièrement, sur le plan économique les séquelles
économiques de la crise Covid sont encore en cours d’évaluation. Quelle sera la
dynamique du chômage après la fin des mesures de soutien de l’économie ?
Comment la croissance sera-t-elle affectée à moyen terme par le recours accru
au télétravail ? Ces discussions ont lieu dans un environnement sanitaire
encore incertain et conditionneront l’orientation des mesures de politique
économique.

Deuxièmement, la gestion de la
crise de la Covid a été bien différente en France, en Europe et dans le monde de
la gestion de la crise des subprime
de 2010 à 2011. Les États ont pris à leur charge, sous la forme d’une dette
publique accrue, une grande partie des pertes de revenus des agents.  Cela permet une reprise forte de l’activité
après crise, avec un État certes plus endetté. Cette gestion est presque
consensuelle parmi les économistes et les acteurs politiques. Il n’y a pas, du
moins à ce stade, de contestation politique de la gestion économique de la
crise Covid. Les débats des grandes options de politique économique sont bien moindres
qu’en 2017.

Troisièmement, des positions
économiques radicales, comme la sortie de la France de la zone euro, ne sont
plus proposées par des partis susceptibles d’aller au second tour des élections.
D’autres formations politiques pourront porter un projet de Frexit, mais il y a
peu de chance que ce projet soit central dans le débat politique français.
Cette inflexion du débat économique sur l’Europe est le signe d’un changement
d’appréciation de la politique européenne. Cette dernière devient moins
clivante. La mise en place dans la crise d’un plan de relance européen
ambitieux, d’une capacité d’endettement commune, de projets d’une fiscalité
carbone aux frontières de l’Union européenne pour éviter le dumping
environnemental, tous ces éléments récents font que la critique de l’Union européenne
(sur le plan économique) porte moins.

De ce fait, le débat économique
en 2022 paraît moins porteur d’enjeux qu’en 2017. Certes, des politiques
économiques seront en débat, comme l’évolution de la fiscalité et des
inégalités, de l’investissement public, de la réforme des retraites, de
l’évolution de la dette publique, les hausses de salaires et du SMIC, le
salaire des enseignants entre autres. Ces éléments donneront probablement lieu
à des propositions évaluables, ce que l’OFCE fera, mais à ce stade, il est peu
probable que les programmes donneront des éléments précis sur tous ces sujets, permettant
une évaluation du programme et donc une prévision de la situation économique si
le ou la candidate était élue.

À ce stade au moins, les partis
politiques cherchent à départager des personnalités porteuses de projets plutôt
que que de programmes clairs. Le Président de la République présentera
probablement tardivement des éléments de programme économique, ce qui est
fréquent pour un second mandat. Le moment n’est pas propice à l’évaluation des
programmes et les inconvénients domineront très probablement les avantages.

Les élections présidentielles doivent
cependant être le moment d’identifier les enjeux importants du débat de
politique économique des prochaines années, voire de la prochaine décennie, en
laissant la place au diagnostic, aux options pertinentes, à la discussion de
différentes mesures possibles.

De ce fait, l’OFCE a choisi de contribuer
en proposant des analyses sur une série de thèmes, à la fois importants pour le
débat économique et au sein de l’observatoire (sans ordre) : dette
publique, vieillissement, conjoncture, marché du travail, protection sociale,
environnement, construction européenne, fiscalité, tissu productif, logement,
genre.
Ces thèmes ne sont pas exhaustifs. L’éducation, thème essentiel, ne sera
qu’indirectement traité. Enfin, le débat économique est une composante à la
fois partielle et essentielle dans le débat politique.  Il faut espérer que ces contributions permettront
d’éviter les faux débats économiques pour se concentrer sur les vrais enjeux
politiques.

Références

  • Fitoussi Jean-Paul et Timbeau Xavier, 2007,
    « Pourquoi nous ne chiffrerons pas les programmes présidentiels : manifeste
    contre une déontologie en rase campagne », Blog OFCE, 23 février.
  • Lemoine Benjamin, 2008, « Chiffrer les programmes
    politiques lors de la campagne présidentielle 2007 : Heurs et malheurs
    d’un instrument », Revue française
    de science politique
    , Vol. 58, n° 3, juin, pp. 403-431.
  • OFCE, 2017,
    « Quelles propositions économiques des candidats
    à l’élection présidentielle ? », OFCE
    Policy Brief
    , n° 16, M. Plane et X. Ragot, coordinateurs, 25 pages.

[1] Pour une présentation
détaillée de l’environnent institutionnel aux Pays-Bas, et de la méthode du CPB
pour évaluer les programmes, voir Graafland et Ross (2003).




Perspectives de rentrée pour l’économie française 2021-2022 : la vague de la reprise

Par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro, sous la direction de Eric Heyer et Xavier Timbeau [1]

L’économie française a connu l’année dernière un choc récessif sans précédent depuis l’après-guerre, enregistrant une perte d’activité de 8 points de PIB. Marqué par le calendrier des mesures prophylactiques depuis le début de la crise sanitaire, le PIB a connu des chutes et des rebonds de grande ampleur, notamment pendant le premier confinement et la période post-confinement du printemps-été 2020. Depuis le troisième trimestre 2020, l’économie fonctionne en sous-régime, avec des pertes particulièrement marquées dans certains secteurs (hôtellerie-restauration, services et fabrication de matériels de transports, services aux ménages), et oscille, depuis un an, à un niveau de PIB trimestriel compris entre – 4 % et – 3 %, par rapport à la période pré-Covid.  C’est bien supérieur aux -18 % du deuxième trimestre 2020, et même aux -6 % du premier trimestre 2020, qui pourtant ne comportaient que 15 jours de confinement. Cette chute de l’activité au premier semestre 2020 a été bien plus marquée que celle de la moyenne de la zone euro et a impacté très négativement l’année 2020. Ainsi, 50 % des pertes accumulées depuis un an et demi ont été réalisées lors du premier confinement qui aura duré 8 semaines.  



Depuis le troisième trimestre 2020, la France enregistre moins de pertes de PIB que la moyenne de la zone euro (hors France) (graphique 1). La gestion sanitaire et économique a largement évolué au cours du temps et le « quoi qu’il en coûte » s’est renforcé couvrant mieux les pertes des entreprises, notamment les charges liées aux coûts fixes. Au deuxième trimestre 2021, les pertes de PIB étaient identiques à celle du troisième trimestre 2020 alors même que les contraintes sanitaires étaient très différentes entre ces deux périodes. Rappelons que le deuxième trimestre 2021 a été marqué par quatre semaines de confinement et un couvre-feu jusqu’au 20 juin alors qu’à l’inverse, à l’été 2020, il y avait peu de restrictions sanitaires. L’économie française a su s’adapter aux contraintes sanitaires au cours du temps, limitant les pertes économiques malgré les mesures prophylactiques. Les pertes sont désormais très concentrées dans les secteurs liés au tourisme et ceux à forte interaction sociale. Ainsi, sur le cumul des six trimestres depuis le début de la crise, plus de 100 % des pertes d’excédent brut d’exploitation (EBE) du secteur marchand non financier étaient concentrées dans quatre branches : services de transport, fabrication de matériels de transport, construction et hôtellerie-restauration. Ces quatre branches ne représentent que 17 % de l’EBE du secteur marchand non financier.

Le « quoi qu’il en coûte » à la rescousse des bilans privés

Depuis le début de la crise, sur la période allant du premier trimestre 2020 au deuxième trimestre 2021, l’économie français a enregistré près de 180 milliards de pertes de revenu (Tableau 1). Plus de 90 % du choc global a été encaissé par les administrations publiques (APU), par le biais des stabilisateurs automatiques et la mise en place des mesures d’urgence et de relance, conduisant à une dégradation du déficit public moyen de 6,3 points de PIB sur la période (par rapport à 2019).

Du côté des ménages, leur RDB a augmenté de 45 milliards au cours des six trimestres (19 milliards si l’on retire les effets de l’inflation). Avec une consommation largement contrainte, les ménages ont accumulé 151 milliards d’ « épargne-Covid » sur la période, avec encore plus de 50 milliards sur le seul premier semestre 2021. Et selon les comptes de patrimoine financier de 2020, 70 % de cette « épargne-Covid » sont des supports liquides et rapidement mobilisables.

Malgré les dispositifs exceptionnels mis en place pour limiter les pertes économiques des agents privés, les entreprises (SNF-SF) ont encaissé une baisse de revenu de 55 milliards au cours des six derniers trimestres. En raison d’une baisse de l’investissement des entreprises de 4 % en moyenne sur la période, les nouveaux besoins de financement des entreprises ont été de 0,6 point de PIB, soit 20 milliards sur six trimestres.

Enfin, l’économie française enregistre un nouveau besoin de financement vis-à-vis du reste du monde de 2 points de PIB au cours des six trimestres, en raison de sa spécialisation sectorielle dans les matériels de transport et le tourisme, ainsi que de la baisse des revenus tirés du stock d’investissements directs à l’étranger détenus par les résidents.

La levée des contraintes sanitaires génère un vif rebond de l’économie

Les données de la première moitié de l’année 2021 confirment ce que l’on observe depuis le second semestre 2020, c’est-à-dire un découplage entre la consommation en « services contraints », qui regroupent l’hôtellerie-restauration, les services de transport et les services aux ménages, et le reste de la consommation. Avec la levée progressive des mesures prophylactiques depuis la fin juin, et malgré la mise en place d’un passe sanitaire cet été, la consommation des ménages serait, par rapport à la situation pré-Covid, à -2 % au deuxième trimestre 2021[2] (après – 7 % au cours des trois trimestres précédents), soit un niveau identique à celui du troisième trimestre 2020 (Graphique 2). Ainsi, l’essentiel des pertes de consommation sont attribuables aux services contraints qui ne représentent pourtant que 15 % de la consommation des ménages. Le rebond de la consommation au troisième trimestre 2021, tiré par celle en « services contraints » se poursuivrait en supposant un retour à la « normale » pour l’ensemble des secteurs au second semestre 2022, date à laquelle la consommation en services « contraints » retrouverait son niveau pré-Covid. La consommation des autres branches évoluerait sur une « tendance » proche de celle d’avant-crise. La consommation totale serait fin 2021, -0,4 % en-dessous de celle de fin 2019, et atteindrait +2,7 % fin 2022[3].

Il est utile de rappeler que les hypothèses sur la politique publique pour l’année 2022 sont réalisées avec l’information disponible au 16 septembre 2021. L’introduction des éléments du Projet de loi de finances sera réalisée pour la prévision d’octobre 2021.

Malgré le confinement du mois d’avril et le maintien d’un couvre-feu jusqu’en juin 2021, l’investissement total était au deuxième trimestre 2021 revenu à un niveau légèrement supérieur à celui d’avant-crise. Cela révèle le fait que les entreprises n’ont pas anticipé une chute durable de l’activité, considérant que cette crise, bien que très intense, n’était pas durable. L’enquête sur l’investissement dans l’industrie de septembre 2021, qui est très bien orientée, confirme ce sentiment. Cela révèle également que la situation financière des entreprises a été relativement préservée et n’ampute pas significativement leur capacité à investir. La reprise de l’investissement est particulièrement marquée dans l’investissement en information-communication : il était, au deuxième trimestre 2021, 7 % au-dessus de son niveau d’avant-crise, ce qui montre que les entreprises ont profité de cette crise pour accélérer leur transformation numérique et digitale. Cet effet pourrait avoir des conséquences positives sur la productivité du travail et la croissance potentielle.

Au-delà du deuxième trimestre 2021, l’investissement continuerait à augmenter mais à un rythme légèrement moins rapide que celui qu’on observe depuis l’été 2020. Tiré par la baisse des impôts sur la production et le volet investissement du Plan de relance, avec notamment la rénovation thermique des bâtiments et le numérique, l’investissement total serait 3 % au-dessus de son niveau pré-Covid au second semestre 2021 et 7 % au second semestre 2022.

La trajectoire de consommation des ménages et celle de l’investissement pour les trimestres à venir, à laquelle s’ajoute celle de la consommation des APU, tirée par les dépenses de santé, d’éducation et de sécurité, conduiraient à une croissance du PIB de 2,4 % au troisième trimestre 2021 puis une croissance comprise entre 0,7 % et 0,8 % les trimestres suivants. La croissance annuelle du PIB serait de 6,3 % en 2021 et de 4 % en 2022 (Tableau 3). La contribution cumulée du commerce extérieure et des variations de stocks serait nulle sur 2021 et 2022, après avoir contribué négativement de 1 point de PIB en 2020.  Un redressement plus rapide du secteur aéronautique et du tourisme international, notamment d’affaires, pourrait conduire à une contribution positive du commerce extérieur, scénario qui n’a pas été retenu dans notre prévision.

Une croissance sans désépargne

Ce scénario de croissance correspond à un retour progressif du taux d’épargne des ménages à son niveau d’avant-crise d’ici au second semestre 2022. Ainsi, les ménages disposeraient de 177 milliards d’euros d’« épargne-Covid » à la fin de l’année 2021 (et 200 milliards à la fin 2022), soit 11,5 points de RDB annuel (et 12,7 points de RDB annuel) (Graphique 3). Ce scénario dans lequel l’épargne accumulée est thésaurisée et n’est jamais désépargnée sous-tend que les ménages ont un comportement « ricardien » très fort dans lequel ils anticipent que leur « épargne-Covid », résultat de l’intervention publique pour maintenir les revenus dans la crise, serait totalement absorbée par des hausses d’impôts futurs ou des réductions de transferts publics afin d’éponger la dette Covid. C’est le scénario que nous avons retenu ici mais nous analyserons ultérieurement, dans une publication complémentaire, un scénario alternatif dans lequel les ménages désépargneraient 20 % de l’ « épargne-Covid » accumulée. Ce scénario alternatif, tout aussi probable, peut être envisagé pour un certain nombre d’arguments : une grande part de cette épargne est liquide et donc facilement mobilisable pour consommer, elle est « subie » et non « désirée »; les perspectives sanitaires et sur le marché du travail sont favorables, et le gouvernement n’a pas annoncé d’austérité budgétaire ou fiscale. Comme nous le verrons dans la prochaine publication, ce scénario de désépargne conduirait à des effets plus favorables sur la croissance, le marché du travail et les finances publiques mais aussi à une dynamique des salaires et des prix plus élevée.

Un retour sur PIB vers son long terme et la bonne tenue de l’investissement permettent de limiter les pertes sur les capacités de production potentielles

Fin 2021, le PIB serait proche de son niveau d’avant-crise (-0,2 %) et serait, fin 2022, 2,9 % au-dessus de celui-ci. En revanche, par rapport à son évolution tendancielle (+1,2 % / an et sans perte de PIB liée à la crise), le PIB accuserait encore un retard de 3,2 % fin 2021 et de 1,3 % fin 2022 (graphique 4). En revanche, dans le scénario avec 20 % de désépargne que nous étudierons ultérieurement, le PIB pourrait passer au-dessus de son niveau tendanciel, ce qui pourrait être à l’origine d’un regain d’inflation. Par ailleurs, la moindre accumulation de capital productif, privé et public, par rapport à un scénario d’évolution tendancielle de l’économie conduirait à réduire le PIB potentiel de moyen terme de 0,5 % fin 2021. En revanche, la hausse significative de l’investissement net de la consommation de capital fixe conduirait à une progression du stock de capital productif supérieure à celle de la trajectoire du PIB tendanciel en 2022. Ainsi les pertes sur le PIB potentiel de moyen terme se réduiraient et seraient ramenées à -0,3 % fin 2022.

Un déficit qui se réduit en 2022 mais qui reste largement au-dessus de celui d’avant-crise

Sur l’ensemble de la période 2020-2022, selon les informations disponibles au 16 septembre, les mesures d’urgence et de relance représenteraient un coût direct pour les finances publiques, hors prise en charge par le Fonds de relance européen, de 230 milliards d’euros (9,5 points de PIB), dont environ la moitié serait déployée sur l’année 2021 (4,7 points de PIB). Les principaux dispositifs sur la période 2020-22 concernent le soutien aux entreprises (3,5 points de PIB) (Fonds de solidarité, exonérations de cotisations sociales, dispositif de renforcement des fonds propres, baisse durable des impôts sur la production…), les mesures pour soutenir l’emploi (2,2 points de PIB) (Activité partielle, Plan 1 jeune 1 Emploi…) et des mesures exceptionnelles liées à la santé (1,8 points de PIB) (Urgence sanitaire, Ségur de la Santé). Enfin, une part significative du plan de relance est orientée vers l’investissement dans les infrastructures publiques (0,6 points de PIB) (rénovation thermique, numérique…) et l’aide aux ménages modestes (0,6 points de PIB).

En 2021, malgré une croissance que nous prévoyons de 6,3 %, le PIB serait encore en-dessous de la trajectoire du PIB tendanciel pré-Covid-19, dégradant le déficit public conjoncturel de 1,4 point de PIB. Si l’on inclut le coût budgétaire attendu des mesures d’urgence et de relance (4,7 points de PIB), et les effets des mesures prises hors plan de relance (baisse d’IS et de la taxe d’habitation, Ségur de la Santé, revalorisation des salaires des enseignants, Beauvau de la Sécurité…), le déficit public s’établirait à 8,5 % du PIB en 2021. Une partie des dépenses du Plan de relance français doivent être prises en charge par des transferts issus du Plan de relance européen, pour un montant prévu de 0,7 point de PIB (le déficit public, hors financement européen, serait donc de 9,2 % du PIB). La dette publique passerait de 115 %  du PIB en 2020 à 116 % du PIB en 2021 (Tableau 4).

En 2022, avec une croissance attendue à 4 % et des mesures issues du Plan de relance représentant 1,5 point de PIB, le déficit public se réduirait à 4,9% du PIB et la dette publique baisserait à 115 % du PIB. Nous supposons en 2022 une prise en charge équivalente à celle de 2021 du Plan de relance français par les fonds européens, soit 0,7 point de PIB. En revanche, la trajectoire prévue des finances publiques n’intègre pas certaines nouvelles mesures qui auraient un impact significatif sur les comptes publics dès 2022, telles que le Plan d’investissement (entre 20 et 30 milliards sur 5 ans) et le Revenu d’engagement pour les jeunes (entre 1,5 et 2 milliards).

À l’inverse, il est important de noter que la dette brute des APU a davantage augmenté que le déficit public en 2020, en raison de l’accumulation de numéraire et dépôts à l’actif financier des APU pour faire face aux risques et incertitudes liés à la crise (provisions pour risques de défaut sur le PGE, recapitalisations potentielles, prêts…). Cet écart entre déficit et variation de dette représente 75 milliards d’euros (3,1 points de PIB). Dans les années à venir, dans un scénario de stabilisation de l’économie sans défauts massifs, les montants à l’actif des APU devraient être réduits , ce qui devrait diminuer d’autant la dette brute, hypothèse dont nous ne tenons pas compte dans la prévision actuelle.


[1] Cette prévision est réalisée sur la base des informations connues au 16 septembre 2021, avant la publication du Projet de loi de finances pour 2022. En fonction des nouvelles informations budgétaires à venir et de l’évolution de l’environnement économique, cette prévision pourrait être amenée à être révisée d’ici à la mi-octobre, et sera complétée par des nouvelles analyses.

[2] Nous avons calibré à très court terme (de juillet à septembre 2021) la consommation des ménages par branche sur les informations conjoncturelles fournies par l’Insee dans son Point de conjoncture du 7 septembre 2021 : « L’économie passe la quatrième vague ».

[3]  Elle serait donc encore fin 2022 à 1 % en-dessous de son niveau tendanciel si l’on suppose que celle-ci avait évolué comme la croissance du PIB tendanciel d’avant-crise.






Fiscal-Monetary Crosswinds in the Euro Area

By Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco, and Matthieu Tarbé

Abstract

Monetary policy – conventional
or unconventional – has fiscal implications. By affecting interest rates,
inflation and output, it relaxes or tightens the general government budget
constraint. The effect on inflation is then the result of the combined action
of monetary policy and the fiscal response to it via the adjustment of the
primary deficit. In a recent paper, we estimate the fiscal responses to conventional
and unconventional monetary policy in the four largest countries of the euro
area. We find a positive primary deficit response to conventional short-term
interest rate easing. In contrast to this fiscal-monetary coordination in the
conventional case, fiscal responses to unconventional monetary policy easing are
muted. They generate crosswinds, which is consistent with the more modest
impact of unconventional monetary policy on inflation.

Inflation
in the euro area as a joint fiscal-monetary phenomenon

The topic of
coordination between monetary and fiscal policy has become the focus of policy
discussion in recent years (Draghi, 2014, Lagarde, 2020, Schnabel, 2021). One
reason is that there is limited space for traditional monetary policy based on
steering the short-term interest rate when the latter is at or close to the
effective lower bound (ELB). Many recent papers have advocated mechanisms to
implement a coherent a monetary-fiscal policy mix (see for example the policy
report by Barsch et al 2021).

Empirically,
there is limited knowledge about how the combination of monetary and fiscal
policy affects inflation. This is a complex topic since there are multiple
channels of interaction. Monetary policy, by affecting interest rates, output
and inflation has an impact on the government’s budget constraint. The response
of fiscal authorities via the adjustment of the primary deficit depends on the
fiscal framework or their stabilization objectives. The effect on inflation
depends on the combined effects of fiscal and monetary actions as these affect
the adjustment which is required to satisfy the intertemporal budget constraint
of the consolidated government sector (central bank and governments). This is the
consequence of the constraint being a binding identity which depends on
inflation, returns on government debt and primary surpluses.

In the
governance of the Euro Area (EA), the central bank is an independent
institution and the treaties have delegated to it the responsibility for price
stability. As a consequence, the budget constraints of the central bank and
governments must be thought as separate ex-ante. However – ex-post – what
matters to understand the dynamics of inflation is the consolidated budget
constraint of the central bank and the nineteen fiscal authorities. Therefore,
if we want to understand the causes of the under-shooting of the inflation
target since 2013 in the European Monetary Union (EMU), we need to consider how
primary deficits and returns have responded to monetary policy.

In a recent paper (Reichlin, Ricco, Tarbé,
2021) we estimated empirically the response of fiscal variables, inflation and
the market value of government debt to monetary policy changes affecting the short-term
rate (traditional policy) or long-term rates (forward guidance or quantitative
easing). Beside estimating VAR-based impulse response functions, we used the
intertemporal budget constraint identity to obtain a decomposition of unexpected
inflation (conditional on monetary policy) into several components: the primary
deficit, returns on the market value of government debt, and output growth. We
modelled this relationship using euro area aggregate data and a newly
constructed dataset for France, Germany, Italy and Spain.

Our framework is inspired by Hall and Sargent
(1997) and Cochrane (2019, 2020). Common to their approach is to start from the
general government intertemporal budget constraint as an equilibrium identity
linking the market value of the debt to future discounted primary surpluses.

From that budget constraint, one can obtain a linearized
identity that, in words, is of the following shape:

Inflation
(impact) – Nominal Returns (impact) =


(cumulated Surplus + cumulated Growth)

+
(cumulated future Nominal Returns – cumulated future Inflation),

where each term is to be thought of as an
unexpected change.

The intuition is that an unexpected contemporaneous
increase in inflation – if not matched by a movement in contemporaneous returns
– has to correspond to either a decline in the (cumulated) surplus to GDP
ratios, or a decline in cumulated GDP growth, or a rise in the discount rates[1].
These adjustments in the aggregate can happen as a combination of symmetric or
asymmetric changes at the country level.

Since this identity involves bond returns,
inflation and fiscal variables, it can be used to learn about the
fiscal-monetary adjustment dynamics in an otherwise unrestricted empirical model.

To apply this framework to the euro area we
need to extend it to the case of a single central bank and multiple fiscal
authorities.

We focus on a stylised description of the EMU
in which each country can issue debt and hence faces different market rates
(and returns). Inflation at the euro area level is determined by the aggregate
fiscal and monetary stance, and the aggregate fiscal stance is the sum of the
fiscal positions of individual states that may or may not balance their budgets
independently, and take inflation as given. Such a description is open to
nuances such as divergences in the national inflation rates in the medium-run,
and fiscal transfers across countries to help balancing out national fiscal
imbalances. Whether such mechanisms operate or not is an entirely empirical
matter.

Conventional
monetary policy and the fiscal stance

We identify the shocks in the model using a
combination of sign restrictions, as in Uhlig (2005), and the recently proposed
narrative sign restrictions of Antolin-Diaz and Rubio-Ramirez (2018). In
addition to traditional sign restrictions, we constrain an expansionary
conventional monetary policy shock (MP) to have a negative impact on the short-
and long-term interest rates, a positive impact on output, and a positive
impact on inflation and inflation expectations for the first three quarters (inflation
moving by a larger amount). We separately identify the MP and unconventional
monetary policy shocks (UMP) based on their differential impacts on the yield
curve. The MP shock is assumed to move short term interest rates by a larger
amount than long term rates, leading to a steepening of the yield curve. The
UMP shock has the opposite effect on the slope. We also assume that monetary
policy shocks are neutral and do not affect real GDP, in the long-run.[2]

A first set of results pertains to
conventional monetary policy (Figure 1). GDP and inflation respond as expected:
there is a hump-shaped impact on GDP, peaking at about 0.1% in the second year,
and an immediate impact on inflation and inflation expectations. In line with
the transitory nature of the shock, the impact on long-term yields is both
small in magnitude and short lived.

What is more interesting for our discussion are
the responses of the fiscal variables. For the aggregate we estimate an
immediate decline in the surplus-to-EA-GDP ratio which, as shown in Figure 1,
is driven by France, Germany and Italy, whereas Spain responds with a surplus. The
value of debt-to-EA-GDP ratio falls for all countries in the first two years, although
there is a high degree of uncertainty in these estimates.

Figure 1 – Impulse response functions to a one standard deviation conventional monetary policy shock (easing) in the euro area

Note: The shock is a small cut in the short-term
interest rate, of about 10 basis points. The impulse response of real GDP is
reported in level, i.e. as percentage deviation from the steady state. All
other impulse responses are reported as annualized percentage-point deviations
from the steady state. For details on the quarterly data construction and which
variables enter the estimation, see appendix B of Reichlin et al. (2021). Inflation
and interest rates are in % (annualized). Slope is the German long-term
interest rate minus the euro area short-term interest rate. Returns are nominal
returns in % (annualized) on the portfolio of government debt, inferred from debt
and surplus. Spreads are country long-term interest rates minus the German
long-term interest rate. Debts are 400 times the logarithm of the following
ratio: country debt over quarterly euro area GDP. Surpluses denote 400 times country
primary surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly
euro area GDP at steady state.

The response of the return on government debt
is ambiguous since it is driven by both short- and long-term interest rate
movements, while sovereign spreads do not appear to react significantly to the
conventional MP shock, indicating a symmetric transmission across the euro area.

Long-term results (not shown here) point to a
decomposition of unexpected inflation which is split by fiscal policy easing in
the same direction as monetary policy and a relatively muted response of
returns on the market value of the debt. As we will see in the next section,
this contrasts with the response to unconventional monetary policy. These
results have to be understood as indicative, since long-run estimates are necessarily
imprecise due to the uncertainty in the assumptions on the level of the steady
states.[3]

To summarise, we report evidence of
fiscal-monetary coordination conditional on a conventional monetary policy
easing: in response to the decline in interest rates, the fiscal authorities
allow the surplus-to-EA-GDP ratio to decline. The overall impact of the policy
is an increase in output, an increase in inflation, and an insignificant
decline in the debt-to-EA-GDP ratio.

This is not the case for an unconventional
monetary policy easing driving long-term interest rates down.

Unconventional
monetary policy and crosswinds

A second set of results is reported in Figure
2, for unconventional monetary policy. We observe a small positive reaction of
output and a sizable response of inflation on impact, yet both effects are less
persistent than in the case of a conventional shock. The effect on the
surpluses is negligible and not significant. While the value of the debt
increases on impact for some countries, the response is not significant beyond
the first period. This is associated with an unambiguous response in the
returns on government debt, which explains this increase in the market value of
the debt in Germany and France.

Figure 2 – Impulse response functions to a one standard deviation unconventional monetary policy shock (easing) in the euro area

Note: A one standard deviation shock corresponds to a 10 basis points decline in the long-term yield. The impulse response of real GDP is reported in level, i.e. as percentage deviation from the steady state. All other impulse responses are reported as annualized percentage-point deviations from the steady state. For details on the quarterly data construction and which variables enter the estimation, see appendix B of Reichlin et al (2021). Inflation and interest rates are in % (annualized). Slope is the German long-term interest rate minus the euro area short-term interest rate. Returns are nominal returns in % (annualized) on the portfolio of government debt, inferred from debt and surplus. Spreads are country long-term interest rates minus the German long-term interest rate. Debts are 400 times the logarithm of the following ratio: country debt over quarterly euro area GDP. Surpluses denote 400 times country primary surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly euro area GDP at steady state.

Let us now show results for the inflation
decomposition in the long-run:

Unexpected inflation decomposition in terms of changes to returns
and future cumulated changes to growth, surplus, returns and inflation. The
country columns display numbers weighted by country shares. For details on the
quarterly data construction and which variables enter the estimation, see
appendix B of Reichlin et al (2021). Inflation is in % (annualized). Returns
are nominal returns in % (annualized) on the portfolio of government debt,
inferred from debt and surplus. Surpluses denote 400 times country primary
surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly euro
area GDP at steady state.

The unexpected inflation decomposition
reported in the table shows that the 10 basis points (bps) decline in the
long-term rate due to the unconventional monetary policy shock corresponds to a
large adjustment in the nominal returns, which jump by 95 bps in the short run and
then contract by 69 bps in the future. Overall inflation movements are muted,
about a half of what is seen in the case of conventional monetary policy. We
have a jump by 9 bps in the short run, and then a cumulated decline by 1 bps in
the future. Thus, the real discount rate term is -68 bps. While in the case of
conventional monetary policy we have seen a cumulated deficit in the long-run, here
we have a cumulated primary surplus to GDP ratio response of 14 bps, generating
crosswinds in the aggregate. This long-run finding is mainly to be attributed
to Germany.

The muted fiscal response conditional on an UMP
shock is telling us that when that policy was active, i.e. since the 2008
crisis (first via targeted loans, then via forward guidance and asset
purchases), fiscal authorities did not use the fiscal space afforded by the decrease
in long-term rates. The response of the primary surplus to a monetary policy
easing is insignificant in the short-run and overall positive in the long-run,
unlike in the case of conventional policy (negative both at business cycle
frequency and in the long-run).

These results come with two warnings. First,
as we have seen, estimates are quite imprecise. Second, long run results are also
sensitive to assumptions on the steady state, as already commented. This is a
problem hard to address given the short sample and the evolving policy
landscape.

To sum up, in contrast with the conventional
monetary policy case, the response of inflation and output is muted, and there
is no fiscal expansion.

Conclusions

In the euro area the empirical fiscal-monetary
mix appears to vary depending on the conventional (i.e. affecting the short-term
interest rate) or unconventional (i.e. shifting the long end of the yield curve)
nature of the monetary policy shock.

Key in this difference are two factors: (i)
the movement of the returns on the value of the debt, which depends on the
change in yields at the relevant maturity, and (ii) the response of the primary
surplus, which depends on fiscal policy.

Nonstandard monetary policy has a much larger
effect on returns since, given the average debt maturity, long-term yield
changes have a higher impact on returns than changes in the short-rate. The
long-run price level is lower than in the conventional policy case, while the
primary surplus response is muted and slightly positive in the long-run.

The interpretation of this result is as
follows: when unconventional monetary policy was implemented – post financial
crisis – the combination of high legacy debt and fiscal rules constrained the fiscal
response, determining a situation in which the monetary and fiscal authorities
worked against one another.

Paradoxically, when the economy was at the ELB,
in a situation in which fiscal policy is more powerful than monetary policy,
the responsibility for stabilization fell on the shoulders of monetary policy
alone.

References

Antolin-Diaz, Juan and Juan Francisco Rubio-Ramirez, “Narrative Sign
Restrictions for SVARs,” American Economic Review, October 2018, 108 (10),
2802-29.

Bartsch, Elga, Agnès Bénassy-Quéré, Giancarlo Corsetti, Xavier Debrun “It’s
All in the Mix: How Monetary and. Fiscal Policies Can Work or Fail Together”.
Geneva Reports on the World Economy 23, 2021.

Cochrane, John H, “The fiscal roots of inflation,” Technical Report,
National Bureau of Economic Research 2019.

Cochrane, John H., “The Fiscal Theory of the Price Level”, Unpublished,
2020.

Draghi, Mario, “Unemployment in the euro area,” Speech by Mario
Draghi, President of the ECB, Annual central bank symposium in Jackson Hole,
European Central Bank 2014.

Hall, George J. and Thomas J. Sargent, “Interest rate risk and other
determinants of post-WWII US government debt/GDP dynamics,” American
Economic Journal: Macroeconomics, 2011, 3 (3), 192-214.

Lagarde, Christine, “Monetary policy in a pandemic emergency,”
Keynote speech by Christine Lagarde, President of the ECB, at the ECB Forum on
Central Banking, European Central Bank 2020.

Reichlin, Lucrezia and Ricco, Giovanni and Tarbé, Matthieu,
Monetary-Fiscal Crosswinds in the European Monetary Union (May 1, 2021). CEPR
Discussion Paper No. DP16138.

Schnabel, Isabel, “Unconventional fiscal and monetary policy at the zero
lower bound,” Keynote speech by Isabel Schnabel, Member of the Executive
Board of the ECB, at the Third Annual Conference organised by the European
Fiscal Board on “High Debt, Low Rates and Tail Events: Rules-Based Fiscal
Frameworks under Stress”, European Central Bank 2021.

Uhlig, Harald, “What are the effects of monetary policy on output?
Results from an agnostic identification procedure,” Journal of Monetary
Economics, March 2005, 52 (2), 381-419.


[1] Cochrane (2019) then further decomposes the contemporaneous nominal
return term, between a future inflation term and a future real discount rate
term, by assuming a geometric maturity structure. Unexpected
inflation has to correspond to a decline in expected
future surpluses, or a rise in their discount rates.

[2] We complement the restrictions on impulse responses with narrative
sign restrictions, following Antolin-Diaz and Rubio-Ramirez (2018). In
particular we assume that: (i) a contractionary (negative) conventional
monetary policy shock happened on the third quarter of 2008 and the first
quarter of 2011, and it was the single largest contributor to the unexpected
movement in the short-term interest rate during those two periods; (ii) an
expansionary (positive) unconventional monetary policy shock took place on the
first quarter of 2015, and it was the single largest contributor to the
unexpected movement in the term spread between the German long-term interest
rate and the short-term interest rate during that period.

[3] Our steady state assumptions are consistent with the
debt-to-Euro-Area-GDP ratios of each of the countries being equal to their
historical average, and the primary surpluses being zero in the long run. We
also impose that the steady state inflation rate is equal to 1.9%, `below but
close to 2%’ as specified by the ECB’s inflation objective. For real GDP
growth, we fix the steady state at 1.5%, close to the sample average.
Consistent with our choice for the steady state surplus, we fix the
steady-state returns on the government debt portfolio at

.

Finally,
the short-term real interest rate is assumed to be 1% in steady state, the
spread between the long- and short-term interest rates to be 100 basis points,
the sovereign spread to be 50 basis points for France, and 100 basis points for
Italy and Spain.




La domination de Google dans la publicité : ébranlée mais bien ancrée

par S. Guillou, F. Marty et J. Torregrossa

Le 7 juin
2021,l’Autorité de la concurrence a
rendu une décision historique, sanctionnant Google pour abus de position
dominante sur le marché de la publicité en ligne, qui pourrait marquer le début
d’une longue série[1].
Au-delà de l’amende de 220 millions d’euros, cette décision est assortie
d’engagements de nature à répondre à des préoccupations de concurrence de
l’Autorité[2].
Cette décision est l’occasion de se pencher sur le fonctionnement du marché de
la publicité en ligne, source de financement majeure des plateformes et nœud
des enjeux d’information, de financement des médias et de respect de la vie
privé.  



La place de la publicité en ligne
sur le marché publicitaire

La
publicité en ligne, via internet, est un marché en pleine croissance qui
capture aujourd’hui 20% des dépenses des annonceurs. Il se distingue depuis une
dizaine d’années par un taux de croissance annuel moyen de 8%  et a subi récemment une nette accélération[3].
 C’est presque un tiers des recettes
publicitaires des médias qui provient de la publicité en ligne en 2019, les
moteurs de recherche et les réseaux sociaux se placent en tête sur ce segment.  

Cette croissance
a deux raisons principales. La première est que l’acte de consommer passe de
plus en plus par internet et c’est donc sur ce marché que les annonceurs ont
intérêt à être présents. La seconde est que l’activité d’éditeur de contenus
publicitaires qui permet aux annonceurs (marques, entreprises, organisations…)
de faire de la publicité est une source de financement essentielle des
plateformes dont le modèle économique repose sur le marché de l’attention. Et
les deux faces de ce marché s’auto-entretiennent : plus les plateformes
ont des usagers et plus les annonceurs ont un intérêt à être présents sur ces
plateformes.

De
nombreuses plateformes (Google, Facebook, YouTube…), mais aussi de nombreux
sites webs et applications mobiles se financent par la publicité des marques à
laquelle l’usager de la plateforme peut rarement échapper.

Le taux de croissance
de ce marché augmente au détriment des autres supports de la publicité
(télévision, journaux, magazines). Si on suppose que la quantité des dépenses
des annonceurs n’est pas illimitée, il y a alors un transfert vers le support
en ligne qui questionne le financement des autres médias et notamment des
journaux d’informations. Cependant les médias ont tous une présence en ligne.
Mais ce qui change, c’est que ces médias qui maîtrisaient complétement le
support de la publicité doivent passer par l’intermédiaire de nouveaux acteurs,
dont Google, quasiment incontournable.

Pour les
annonceurs traditionnels, le web offre plusieurs supports : les réseaux
sociaux (la publicité liée à l’affichage sur les réseaux − le social), les
moteurs de recherche (la publicité liée aux recherches − le search), les sites ou les applications d’autrui
(la publicité liée à l’affichage sur des sites tiers − le display) comme le site du journal Le Monde par exemple.

Un marché singulier dominé par
quelques grandes plateformes

Google et Facebook
apparaissent ici comme les détenteurs de supports importants pour les
annonceurs. Ces deux grandes plateformes se partagent 75% des parts du marché
de la publicité en ligne (Perrot et al., 2020). Facebook, détenant le
réseau social le plus utilisé, joue un rôle central dans la publicité dite
« sociale » et Google, détenant à la fois le moteur de recherche le
plus utilisé et des services de distribution essentiels pour les éditeurs
(voir : annexe S, CMA, 2020), joue un rôle central dans la publicité dite
« search » mais également dans la publicité dite
« display »[4].

Pour ce
dernier support (le display), Google
se place du côté des éditeurs en ligne et cherchera à capter le gros des
annonceurs. Mais, on l’a vu précédemment, il est aussi celui qui contrôle
l’allocation des annonces sur internet. Il est donc à la fois
commissaire-priseur et pourvoyeur de la marchandise[5] !

Cette situation
par laquelle une même entité qui contrôle une plateforme essentielle pour des
firmes tierces est également leur concurrente n’est guère inédite dans
l’économie numérique et pose des problèmes d’accès au marché et de concurrence
à égalité des armes sur celui-ci. Il peut en résulter des problèmes
d’auto-préférence, comme tente de le prévenir la proposition de Digital
Markets Act
de la Commission européenne du 15 décembre 2020.

Cet univers
en ligne se différencie de son homologue hors-ligne à bien des égards. Outre le
passage d’une publicité contextuelle à une publicité ciblée, cet univers est
porteur d’une innovation majeure : un processus d’achat automatisé.  Les achats d’espaces à la télévision, dans la
presse ou au cinéma résultent exclusivement de négociations bilatérales entre
l’éditeur ou sa régie et l’annonceur ou son agence. Une chaîne de télévision
telle que M6 acquiert et diffuse toutes sortes de programmes et ce, en partie
grâce à la vente des espaces publicitaires associés aux programmes diffusés, au
même titre que les éditeurs de contenus en ligne. Le groupe M6 dispose de sa
propre régie publicitaire intégrée, M6 Publicité, avec laquelle un annonceur
qui souhaiterait diffuser une annonce sur l’une des chaînes du groupe prendra
contact pour négocier le prix à payer pour la diffusion de l’annonce. Le prix
dépendra, dans la majorité des cas, d’une estimation du nombre de clients qui
visualiseront l’annonce. À l’inverse, dans l’univers en ligne, le prix de la
publicité sera plus proche du nombre réel de clients ayant visualisé l’annonce :
l’annonceur paiera un coût par clic (« CPC ») sur l’annonce. Ce
montant sera proposé par l’annonceur dans le cadre de négociations bilatérales,
comme dans l’univers hors-ligne, ou dans le cadre d’un processus automatisé,
propre à l’univers en ligne. Dans ce dernier cas, c’est à l’issue de la
réalisation consécutive de trois enchères[6],
prenant place sur des plateformes dont le fonctionnement repose sur des
algorithmes, que l’annonceur gagnera le droit de diffuser son annonce
(voir : Michael Sweeney & Paulina Zawiślak, 2020). Cette
automatisation est de plus en plus répandue : plus de la moitié des
recettes perçues par les régies en ligne proviennent d’un achat automatisé
(Observatoire de l’e-Pub, 2021).

Google est
intégré verticalement tout au long de ce processus d’achat et domine chacun des
marchés de services d’intermédiation permettant la réalisation des enchères
grâce à sa détention de services publicitaires destinés tant aux annonceurs
qu’aux éditeurs et de sa propre plateforme de vente. Cette position lui
permettrait de réduire l’attractivité des solutions publicitaires concurrentes
tout en s’avantageant lors de chaque transaction à travers les fonctionnalités
de ses propres solutions.

« Venir au secours » des
plus petits acteurs

Il
semblerait que tous souffrent de la position de Google sur ces marchés. Les
concurrents, eux-mêmes intégrés verticalement tels que Xandr ou Smart AdServer,
souffrent d’un manque d’interopérabilité entre leurs solutions publicitaires et
celles de Google, pourtant primordiale au développement de leurs activités. Les
clients, annonceurs ou éditeurs, semblent quant à eux souffrir d’un processus
d’achat opaque où s’enchaînent plusieurs enchères sans aucune transparence, les
empêchant notamment de connaître la part de revenus conservée par
l’intermédiaire. L’annonceur ne participe qu’à la première enchère qui a lieu
sur les plateformes côté demande puis sera « représenté » par les
intermédiaires ensuite qui, en se basant sur l’enchère de l’annonceur gagnant
enchériront à nouveau (les plateformes côté demande puis côté offre). Ainsi,
l’annonceur (la marque par exemple) connaît le montant de son enchère et
l’éditeur (le site web par exemple) connaît sa rémunération sans que l’un des
deux ne sache quels sont les montants négociés tout au long du processus. Les
outils d’analyse de l’efficacité de l’annonce souffrent de la même opacité en
raison notamment du manque d’indépendance des entités qui réalisent ces
analyses. Google fournit à l’annonceur une analyse de l’efficacité de l’annonce
qu’il a lui-même vendu, acheté et dont il a géré la vente. Cette opacité
associée au manque de concurrence pour l’achat des espaces pourrait conduire à
la fois à un prix payé par l’annonceur trop élevé et une rémunération perçue
par l’éditeur trop faible. En somme, l’éditeur ne disposerait pas de la
rémunération nécessaire à ses investissements et l’annonceur se trouverait
contraint à investir massivement dans la publicité au détriment de ses investissements
dans l’innovation et de ses consommateurs qui subiront l’augmentation des prix
associée.

Dans ce
contexte la décision n°21-D-11 de l’Autorité de la concurrence rendue publique
le 7 juin 2021 trace des pistes pour un fonctionnement plus équilibré du
marché. Rappelons succinctement les faits : trois éditeurs, News Corp (le
groupe Murdoch), le groupe La Voix (qui contrôle entre autres La Voix du Nord) et Le Figaro (qui s’est désisté en cours de procédure) ont saisi
l’Autorité pour des pratiques alléguées d’abus de position dominante mises en
œuvre par Google sur le marché des technologies publicitaires.

Deux
pratiques étaient reprochées à Google. La première pratique tenait à une
réduction artificielle de l’interopérabilité entre les serveurs publicitaires
concurrents du sien (Double-Click for Publishers − DFP) et sa plateforme de
marché de mise en vente des espaces publicitaires (Double-Click Ad Exchanges –
AdX[7]).
Celle-ci conduisait à réduire les possibilités de mettre AdX en concurrence
avec des plateformes tierces. La seconde pratique résidait en une stratégie
d’auto-préférence (self-preferencing)
privant les serveurs concurrents d’une réelle concurrence par les mérites.
Selon l’Autorité, le contrôle de DFP permettait d’informer AdX des prix proposés
par les plateformes concurrentes : cette information privilégiée
permettait de faire varier stratégiquement la commission exigée pour supplanter
des concurrents tels que Smart AdServer ou Xandr.

Un double
dommage pouvait naître de ces pratiques : un dommage aux concurrents qui
ne pouvaient se livrer à une concurrence à égalité des armes et qui donc
étaient susceptibles d’être évincés du marché ; un dommage aux éditeurs (i.e. aux partenaires commerciaux) qui
pouvait prendre la forme d’un abus d’exploitation, d’autant plus dommageable
que les recettes publicitaires sont déterminantes pour assurer leur équilibre
économique.

La sanction
s’inscrit dans une procédure de transaction (qui diffère d’une procédure contentieuse)
qui est telle que l’entreprise mise en cause ne conteste pas les griefs mais ne
reconnaît pas pour autant les faits qui lui sont reprochés. Une sanction
pécuniaire est alors prononcée et l’entreprise prend des engagements de nature
à mettre fin au dommage à la concurrence. L’intérêt de la procédure
transactionnelle est d’entraîner une modification rapide des comportements
dommageables.

Dans le cas
présent, outre les 220 millions d’euros, qui sont en deçà du plafond de
sanction défini par les textes, les engagements pris par l’entreprise doivent
permettre de garantir l’interopérabilité des serveurs publicitaires éditeurs
(SSP) avec son serveur DFP et de mettre fin aux possibles pratiques
d’auto-préférence en mettant en place un mandataire indépendant chargé de
vérifier l’absence de distorsion de concurrence.

Notons que
la correction comportementale diffère des mesures structurelles − très rares en
droit de la concurrence de l’Union européenne – qui reviendraient à requérir
des entreprises de céder certaines de leurs activités et de s’astreindre à une sorte
de principe de spécialité. Le démantèlement des conglomérats appartiendrait à
ce champ de mesures. Ici l’effet des sanctions se mesurera à la fin des
pratiques qui avaient suscité des préoccupations de concurrence.

Une décision participant à l’enjeu
de régulation des plateformes

L’attention
portée à Google, et aux plateformes de manière plus générale, ne réside pas
exclusivement dans leurs positions sur le marché de la publicité. Cette
décision fait écho à un ensemble plus vaste de problématiques représentatif de
cette notion d’écosystèmes dans lesquels ces plateformes évoluent sur une
multitude de marchés. En plus de fournir aux éditeurs des outils pour valoriser
et financer leurs contenus, une plateforme telle que Google entretient un
rapport de distribution algorithmique avec eux, également source de conflits
qui viennent s’annexer aux conflits publicitaires. À l’origine de ce
contentieux, le refus des plateformes de rémunérer les éditeurs ou encore les
tentatives de prise de contrôle sur les données générées[8].
Les relations entre plateformes et acteurs du marché ne sont pas les seules qui
sont conflictuelles. Celles entretenues avec les États occupent également une
part importante du débat, en témoignent les projets de réformes fiscales. Que
ce soit en termes de distribution, de droits d’auteurs, de concurrence ou de
fiscalité, on observe un mouvement visant à empêcher les plateformes d’échapper
continuellement et systématiquement aux règles du jeu.

Ces
plateformes opèrent sur des marchés en pleine mutation où l’encadrement
réglementaire ne cesse de s’adapter. Ainsi, les plateformes de partage de
vidéos, telles que YouTube, se verront imposer les mêmes contraintes que la
télévision pour la publicité (voir Ministère de la Culture, 2021). Les politiques
environnementales visant notamment la fin des prospectus pourraient conduire à
des reports d’investissements vers la publicité en ligne comme vers la
publicité traditionnelle afin d’échapper à une éventuelle taxe. Enfin, le
passage de la publicité télévisuelle de contextuelle à une publicité ciblée
pourrait engendrer de nouvelles stratégies d’investissements pour les
annonceurs. Reste à savoir si ces mutations assainiront le marché ou le
rendront davantage problématique. Une certitude, le marché de la publicité en
ligne va continuer de croître. En outre, son architecture complexe, qui repose
notamment sur des relations algorithmiques entre une multitude
d’intermédiaires, pourrait se généraliser aux marchés publicitaires
traditionnels, comme la télévision avec le passage à une publicité ciblée. Appréhender
le fonctionnement de ce marché et rendre plus transparent ses mécanismes sont
essentiels. C’était un des enjeux de cette décision.

Références

Autorité
de la concurrence, 2020, Décision 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des
demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de
la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et
l’Agence France-Presse.

Autorité
de la concurrence, 2021, Décision 21-D-07 du 17 mars 2021 relative à une
demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive
Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des
Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le
secteur de la publicité sur applications mobiles sur iOS.

Autorité
de la concurrence, 2021, Décision 21-D-11 du 7 juin 2021 relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet.

Competition & Markets Authority, 2020, Online
Platforms and Digital Advertising, Market Study Final Report. Appendix S: The
Relationship between Large Digital Platforms and Publishers.

Michael Sweeney & Paulina Zawiślak, 2020,
21 avril, Programmatic Advertising: The Definitive Guide for 2021 | Clearcode
Blog. Clearcode | Custom AdTech and MarTech Development. https://clearcode.cc/blog/programmatic-advertising/

Ministère
de la culture, 2021, Consultation publique sur un projet de décret fixant les
principes applicables aux communications commerciales audiovisuelles fournies
sur les plateformes de partage de vidéos et modifiant le décret n° 92-280 du 27
mars 1992 relatif à la publicité́́ télévisée.

Perrot A., Emmerich M., Jagorel Q., 2020, Publicité́ en ligne : pour un
marché à armes égales. Rapport pour le Ministère de la culture et le
Secrétaire d’Etat chargé de la transition numérique et des communications
électroniques.

SRI,
UDECAM, & Oliver Wyman, 2021, 23ème Observatoire de l’e-pub SRI.


[1]
En témoigne notamment
l’ouverture d’une enquête sur ce marché par la Commission européenne : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_3143

[2]
L’Autorité
est donc la première à publier une décision condamnant Google pour ses
pratiques sur le marché de la publicité en ligne. Cette décision est cependant
loin d’être surprenante : l’Autorité s’intéresse à ce marché depuis
plusieurs années et cet intérêt s’est également manifesté du côté ministériel
avec un rapport visant à approfondir la compréhension du marché (voir Perrot et al., 2020). De nombreuses autres
autorités de concurrence à travers le monde ont scruté de très près ce marché.

[3]
Source : France Pub,
IREP, & Kantar Media. Baromètre Unifié du Marché Publicitaire 2012 à
2021.

[4]
La publicité dite « display » correspond à la publicité liée à
l’affichage que l’on retrouve sur les sites web et applications mobiles. Lors
de l’ouverture d’une page par un utilisateur un espace publicitaire se crée (à
côté du texte ou dans le texte de la page par exemple) et un annonceur dispose
de la possibilité d’y insérer son annonce via le processus automatisé.

[5]
Google propose des solutions publicitaires aux annonceurs et aux éditeurs ainsi
qu’une place de marché où les annonceurs et les éditeurs se rencontrent.

[6]
Les annonceurs enchérissent un coût par clic (« CPC ») sur les
plateformes côté demande. Celles-ci enchérissent ensuite un coût par mille
impressions (« CPM ») sur les places de marché. Enfin, ces dernières
enchériront à nouveau un CPM sur les plateformes côté offre.

[7]
Double-Click a été rachetée par Google en 2007 pour la somme qui paraissait
alors peu concevable de 3,1 milliards USD. Cela illustre une stratégie
d’acquisition non pas tueuse mais consolidante. Google prenait alors le contrôle
d’un complémenteur essentiel qui lui permettra de valoriser ses données et sa
position de marché sur le marché de l’attention. L’acquisition était donc
déterminante pour le bouclage de son modèle économique

[8]
Voir à ce sujet :
décision 20-MC-01 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le
secteur des éditeurs de presse et décision 21-D-07 relative à une demande de
mesures conservatoires dans le secteur de la publicité sur applications mobiles
iOS.




Licenciements économiques et reclassement : du CSP au CSP+

Par Bruno Coquet

Le licenciement économique est un mode de rupture du contrat
de travail devenu marginal sous l’effet conjoint de la diversification des
contrats et des formes de rupture disponibles. Les dispositifs de reclassement étant
réservés à la formule du licenciement économique de salarié en CDI, ils sont
par conséquent devenus marginaux.



Les deux dispositifs de reclassement existants, Congé de
reclassement
et Contrat de Sécurisation professionnelle (CSP), sont
très inégaux du point de vue de l’accès à l’information, des droits, de la
sécurité financière et des résultats obtenus, sans que ni le profil ni le
comportement des salariés concernés le justifient.

Sur la base d’un diagnostic comparatif étayé, ce nouveau
document de travail « Reclassement
des salariés licenciés économiques : velléités et bonnes pratiques
 
»
propose d’élargir le champ du CSP : un CSP+ pour que tous les salariés
aient accès aux mêmes possibilités de reclassement, les plus efficaces, sans
coût supplémentaire pour l’employeur.

Deux dispositifs très inégaux, mais impossible de choisir
le meilleur

Les deux dispositifs existants dépendent de l’effectif et de
la situation juridique de l’entreprise qui licencie :

  • Le Congé de reclassement dans les
    entreprises plus grandes, dispositif obsolète, basé sur des attendus dont l’État
    ne vérifie plus la réalité, puisque le dispositif n’est plus suivi ni financé
    plus depuis longtemps, si bien que le salarié ne connaît pas les conséquences
    positive ou négatives de son choix.
  • Le CSP, pour les entreprises de moins de
    1000 salariés ou en redressement judiciaire, piloté par l’Unedic, dont les
    évaluations existantes montrent qu’il sécurise le chômeur et favorise son
    reclassement.

Contraints par les caractéristiques de leurs employeurs, les
salariés ne choisissent pas le meilleur dispositif : ils peuvent seulement
choisir d’accepter ou non le dispositif que leur employeur a l’obligation de leur
proposer, et sont très inégalement informés des alternatives qui s’offrent à
eux et des conséquences de leur choix. Et face à ce choix, l’accès à ces aides
au reclassement n’est sont pas forcément décisif aux yeux des salariés
éligibles. En effet, l’alternative de la rupture conventionnelle rencontre
un réel succès depuis sa création en 2008, cependant que la réintroduction de
la dégressivité des allocations chômage a encore compliqué les termes du choix
entre les différentes options.

Converger vers la bonne pratique et donner le choix au
salarié

A court terme des réformes simples pourraient rétablir
l’équité et augmenter les chances de reclassement à la suite d’un licenciement
économique. Dans l’immédiat, la réforme pourrait s’aligner sur la meilleure
pratique, c’est-à-dire le CSP :

  • La procédure d’adhésion (informations
    disponibles, délai de réflexion, déclenchement du préavis, inscription à Pôle
    Emploi, etc.) doit gagner en transparence et être homogène dans les différents
    dispositifs de reclassement.
  • Les salariés éligibles au Congé de
    reclassement
    doivent être clairement informés de leurs droits, et des
    conséquences (financières, juridiques, reclassement) du choix qui leur est
    proposé et des alternatives possibles. Cela permettrait par ricochet d’éclairer
    le choix de préférer ou non recourir à une rupture conventionnelle.

Proposer le CSP à
tous les salariés licenciés économiques serait la voie la plus simple pour
mettre en place les deux propositions ci-dessus, et leur garantirait un choix
équitable au salarié, surtout si le licenciement intervient hors du cadre d’un
Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE). Elle aurait évidemment pour inconvénient
de supprimer l’incitation des entreprises de plus de 1000 salariés à proposer
un Congé de reclassement mieux doté que le CSP, donc plus coûteux pour elles.

Le législateur pourrait être réticent à renoncer au principe
fondateur du Congé de reclassement –même s’il est devenu une fiction
dans les faits– selon lequel la responsabilité de l’employeur permet de lui
imposer des obligations croissantes avec la taille de l’entreprise, et donc
avec sa capacité contributive supposée. Dans ce cas il serait possible
d’ajouter aux propositions ci-dessus :

  • Des modalités minimales du Congé de
    reclassement
    alignées sur celles du CSP :
    durée minimale de 12 mois, taux de remplacement à 75% et droits sociaux
    afférents, garantie minimale de moyens alloués à la cellule de reclassement et
    à la formation, etc. Ainsi l’alternative entre ce que propose l’employeur et le
    CSP serait claire.
  • Une contribution à l’accompagnement croissante
    avec la capacité contributive de l’entreprise (son effectif n’étant qu’un
    indicateur imparfait) pour les cas où le salarié préférerait le CSP et l’accompagnement par Pôle Emploi au
    Congé de reclassement proposé par l’employeur.

Penser le reclassement dans le marché du travail
contemporain

A court terme l’objectif du CSP+ est de sortir du réseau actuel
de contraintes, d’échappatoires et de mauvaise information des parties
prenantes, pour améliorer les chances de reclassement des salariés. En
simplifiant les dispositifs existants le CSP+ peut se faire dans l’intérêt
conjoint des individus, des employeurs et de la collectivité.

A moyen terme il reste que l’employeur qui met fin à un
contrat de travail le fait pour des raisons économiques dans l’immense majorité
des cas, même si ces raisons ne sont pas forcément explicites dans le motif de
rupture –d’autant moins que des obligations spécifiques y sont attachées. Les ruptures
de contrats de travail engendrant des besoins de reclassement liées au
fonctionnement normal d’une économie n’ont donc pas diminué. Le changement
tient au fait que les actions de reclassement auparavant imposées à
l’entreprise et financées par elle se sont déplacées vers le service public de
l’emploi et ses prestataires. Cette évolution s’est faite par défaut et au fil
de l’eau, mais il est clair qu’il existe là un domaine de réflexion et de
réforme à travailler, dans un cadre bien plus large que celui des dispositifs
de reclassement réservés aux salariés licenciés économiques.




Réduire significativement le taux de pauvreté des familles monoparentales

Hélène Périvier et Muriel Pucci

Aujourd’hui on compte plus 1,45
million de foyers monoparentaux (hors
résidence alternée), soit plus de 21% des familles comprenant des enfants
mineurs. Ces familles sont les plus affectées par la précarité avec un taux de
pauvreté de plus de 35% (Insee,
France Portrait social, 2020
).
Les gouvernements successifs ont cherché à améliorer la situation de ces
familles tant du point des prestations sociales, que de l’accès aux services
publics (mode de garde des jeunes enfants par exemple). Les
familles monoparentales constituent la catégorie
de ménages ayant le plus bénéficié
des mesures socio-fiscales
prises au cours de la décennie 2008-2018 : trois
quarts de ces familles ont vu leur niveau de vie augmenter (de 4,4% en moyenne)
. Malgré ces efforts en direction des parents
isolés, leur précarité persiste.



Ceci tient en partie au fait que le système
fiscal et social traite moins favorablement les parents isolés à bas revenu –
qui perçoivent le RSA ou la prime d’activité – que les plus aisés – qui sont
imposables. En effet, la prise en compte des pensions alimentaires dans plusieurs
bases ressources de prestations sociales (RSA, prime d’activité et aides au
logement) conduit à ce que, pour 1 euro de pension perçu certains parents
isolés perdent plus d’1 euro de prestations sociales. Pour ceux qui ne
perçoivent pas de pensions alimentaires de la part de l’autre parent et bénéficient
à ce titre de l’allocation de soutien familial (ASF), l’articulation avec les
autres prestations sociales est là encore défavorable aux plus modestes.

Pour
corriger ces incohérences et plus largement pour soutenir le niveau de vie des familles
monoparentales ayant de faibles revenus, nous proposons une réforme simple et
facile à mettre en œuvre : elle
réduirait le taux de pauvreté des familles monoparentales (seuil de 60% du
revenu médian) de 4,5 points de pourcentage et permettrait de faire sortir de
la pauvreté plus de 140 000 enfants de moins de 18 ans. Cette réforme consiste
à :

  • Exclure
    l’Allocation de soutien familial (ASF) des bases ressources du RSA et de la
    prime d’activité afin d’en garantir le bénéfice intégral aux parents isolés
    sans ex-conjoint ou dont l’ex-conjoint est hors d’état de verser une pension et
    ceci quel que soit leur revenu ;
  • Appliquer un abattement à hauteur de l’ASF sur
    la pension alimentaire incluse dans les bases ressources des prestations
    sociales afin de garantir que le revenu disponible soit toujours plus élevé
    lorsque la pension alimentaire est perçue.

Pour moins d’un milliard
d’euros par an, cette réforme accroît l’efficacité du système socio-fiscal tout
en améliorant significativement le niveau de vie des parents isolés les plus
modestes et donc de leurs enfants.

Pour accéder à l’étude
complète :

Périvier
Hélène et Muriel Pucci, 2021, « Soutenir le niveau de vie des parents
isolés ou séparés en daptant le système socio-fiscal », Policy Brief
OFCE
, n° 91.




La zone euro doit-elle s’en remettre aux États-Unis ?

par Christophe Blot, Caroline Bozou et Jérôme Creel

La pandémie de Covid-19 a conduit
les gouvernements et les banques centrales à mettre en œuvre des politiques
budgétaires et monétaires expansionnistes partout dans le monde. Les États-Unis
se distinguent par un soutien budgétaire conséquent, bien plus important que
celui mis en œuvre dans la zone euro. Dans un document récent en vue de la
préparation du Dialogue
monétaire entre le Parlement européen et la BCE
, nous revenons sur ces différentes
mesures et discutons de leurs retombées internationales. Étant
donné l’ampleur des plans de relance et le poids de l’économie américaine, nous
pouvons effectivement anticiper des retombées significatives sur la zone euro. Celles-ci
dépendent cependant non seulement de l’orientation des politiques économiques
mais également de la nature précise des mesures adoptées (transferts, dépenses
et articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire).



La politique monétaire
expansionniste est généralement perçue comme une politique du chacun pour soi
puisqu’une baisse du taux d’intérêt américain devrait entraîner une
dépréciation du dollar américain défavorable aux partenaires commerciaux des États-Unis.
Cependant, la littérature montre que le canal du taux de change peut être
dominé par un canal financier et par l’augmentation de la demande issue de
l’économie américaine, tous deux générant des retombées positives (cf. Degasperi,
Hong et Ricco, 2021
).

Les retombées internationales de
la politique budgétaire devraient également être positives, via là encore des effets de demande,
mais également via une appréciation
attendue du dollar (voir Ferrara,
Metelli, Natoli et Siena, 2020
) ou via
des effets d’anticipations de retour à l’équilibre des finances publiques à la Corsetti, Meier et Müller
(2010)
. L’impact favorable pour le reste du monde peut aussi être atténué
si l’expansion budgétaire américaine se traduit par une hausse du taux
d’intérêt mondial. In fine, l’ampleur
des retombées internationales de la politique budgétaire américaine devrait
dépendre de la réaction du taux de change et du taux d’intérêt. Faccini,
Mumtaz et Surico (2016)
confirment l’importance des effets financiers mais montrent
cependant que le taux d’intérêt réel pourrait baisser après un choc
expansionniste américain.

Dans ce document, les simulations
réalisées à partir d’un modèle macroéconomique et l’analyse empirique
confirment les effets positifs d’une politique monétaire expansionniste aux États-Unis
sur le PIB de la zone euro. Toutefois, il existe une incertitude sur le calendrier
et la durée de ces retombées positives.

En ce qui concerne la politique
budgétaire, l’analyse empirique suggère des retombées positives des mesures
américaines mises en œuvre depuis le déclenchement de la crise du Covid-19, au
moins à court terme (au cours des deux premières années). Compte tenu de
l’ampleur de l’impulsion budgétaire, ces retombées ne seraient pas
négligeables.

Les retombées mondiales des
politiques macroéconomiques américaines devraient donc être positives mais des incertitudes
persistent au-delà de 2022.

Il faut cependant garder à
l’esprit que la croissance de la zone euro dépendra d’abord de l’orientation de
son propre policy mix. Par
conséquent, elle ne devrait pas seulement s’appuyer sur les politiques
américaines pour consolider et accélérer la reprise. Les impulsions budgétaires
contrastées en 2020 et 2021 entre les États-Unis et la zone euro indiquent déjà
un risque de divergence croissante entre les deux régions.

Nous discutons également
brièvement du fait que les principaux effets d’entraînement des États-Unis
peuvent ne pas provenir des politiques macroéconomiques mais des risques
financiers. Les prix des actifs ont fortement augmenté en 2020, laissant craindre
un risque de bulle financière, du moins aux États-Unis. Ce risque pourrait avoir
un impact important sur la zone euro à moyen et long terme.




Offre et demande : dans les coulisses des confinements

par Magali Dauvin et Raul Sampognaro

La crise déclenchée par l’épidémie de la Covid-19 est unique dans l’histoire économique récente par la forme qu’elle a prise et par son ampleur. En avril 2020, la mise en place d’un confinement très sévère a fait chuter l’activité économique de près de 31 % en France. En novembre, après un semestre de vie avec le virus, la mise en place d’un deuxième confinement s’est traduite par une baisse de l’activité « de seulement » 7,5 %. Comme le rappelle Bénassy-Quéré (2021), dès le déclenchement de l’épidémie la compréhension des mécanismes de la crise a fait débat parmi les économistes. La simultanéité des chocs d’offre (salariés empêchés d’accéder à leur emploi ou ruptures des chaînes d’approvisionnement) et de demande finale (épargne de précaution, achats retardés pour éviter les interactions sociales) perturbent les outils d’analyse traditionnels. Par ailleurs, les différents chocs sont très hétérogènes entre les secteurs. Afin de répondre à une crise si spéciale, nous avons développé un nouvel outil, un modèle « mixte », permettant de prendre en compte ces spécificités, présenté dans une étude spéciale associée à la dernière prévision de l’OFCE et dont les fondements théoriques ont été détaillés dans Dauvin et Sampognaro (2021).



Les confinements de 2020 : les agents privés et publics s’adaptent

Nous avons décomposé l’impact sur l’évolution de la valeur ajoutée des mois d’avril et de novembre des quatre chocs suivants à l’aide du modèle mixte : (i) fermetures administratives ; (ii) indisponibilité de la main-d’œuvre (notamment liée à la fermeture des écoles, aux personnes vulnérables, aux malades de la Covid-19, …) ; (iii) autres chocs d’offre y compris des problèmes d’approvisionnement ; (iv) modification des comportements de demande (substitution et épargne de précaution).
Selon notre évaluation, les fermetures administratives expliqueraient à elles seules 12 points de la baisse d’activité du mois d’avril 2020 et 5,5 points en novembre. D’un côté, les chocs d’offre liés aux difficultés de main-d’œuvre ou d’approvisionnement ou à l’adaptation aux contraintes sanitaires expliqueraient 10 points de la baisse de la valeur ajoutée au pire moment de la crise en avril. Ils seraient sans effet significatif en novembre. De l’autre le choc de demande finale expliquerait 11 points de la baisse du PIB observée pendant le confinement du mois d’avril et 2 points de la baisse de novembre. Enfin, le redéploiement de la production des emplois intermédiaires vers les emplois finaux aurait permis de préserver le PIB de 2 points en avril (Tableau 2).
Ces résultats suggèrent que l’ensemble des acteurs − publics et privés − ont adapté leurs comportements, ce qui se traduit par des confinements ayant un moindre impact sur l’activité économique. Nous constatons que les différentes sévérités des mesures prophylactiques, telles que mesurées par le nombre d’activités fermées administrativement ou les décisions concernant le système scolaire, explique une grande part de la meilleure résistance de l’activité en novembre par rapport au premier confinement d’avril. Toutefois, mais ce n’est pas le seul facteur. L’adaptation des comportements des agents privés permettant de maintenir la production et la demande finale joue aussi un rôle important : organisation des processus productifs au contexte sanitaire, développement du e-commerce et du click-and-collect, réorientation des budgets des ménages en faveur de certains biens (électroniques notamment, graphique 1).

Première analyse du confinement d’avril 2021 : plus de secteurs contraints par la demande mais un impact du choc de demande en retrait

Si les pertes se cumulent, les nouveaux chocs se concentrent de plus en plus sur un nombre limité d’acteurs (branches, entreprises, groupes sociaux). En avril 2020, six branches étaient contraintes par des facteurs d’offre (représentant 45 % de la valeur ajoutée de 2019), tandis qu’en novembre 2020 elles ne sont que trois (pesant 16 % de la valeur ajoutée d’avant-Covid). Selon une première analyse, reposant sur les prévisions de l’Insee publiées dans leur note de conjoncture du mois de mai, seulement deux branches auraient été contraintes par l’offre (6 % de la VA) (Tableau 1) lors du dernier confinement.

Notre analyse portant sur le mois d’avril 2021 confirme les tendances constatées entre les deux premiers confinements. Les mesures sanitaires sont plus ciblées et pénaliseraient moins la croissance que lors du premier confinement (-3 points de contribution, concentrées dans les services marchands). De son côté le choc de demande finale pèse de 2 points sur le niveau de l’activité, autant qu’en novembre 2020 (Tableau 2), mais ceci masque le fait que davantage de secteurs sont exclusivement contraints par la demande des utilisateurs finaux – graphique 2).

Plus la crise de la Covid-19 dure, plus elle change de nature. Alors que les contraintes d’offre avaient un poids prédominant lors du premier confinement, avec le temps ces contraintes se concentrent sur un nombre chaque fois plus limité de secteurs. En parallèle, la demande finale pèse sur l’activité de certaines branches de façon significative − l’activité d’avril 2021 restait pénalisée à hauteur de 2 points de PIB − mais ce poids diminue avec le temps. Malheureusement, notre méthodologie n’est pas en mesure d’identifier l’ampleur du choc de demande dans les secteurs contraints par l’offre. Pourtant, la vigueur de la demande finale dans les secteurs actuellement contraints par l’offre (hébergement-restauration et les autres activités de services, incluant notamment les services liés aux loisirs des ménages) marquera précisément le tempo de la reprise. Le type de réponse de politique publique pour accompagner cette reprise nécessitera de bien identifier les facteurs bloquants dans cette reprise qui sera – à l’image de la crise – atypique.