Financement de la protection sociale : à la recherche d’une réforme miracle…

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par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Peut-on réformer le financement de la protection sociale pour renforcer la compétitivité des entreprises, sans nuire au pouvoir d’achat des ménages et des retraités ? La réponse est non, et nous expliquons ici pourquoi.

La France est le pays du monde où les cotisations sociales sont les plus fortes. Ceci s’explique par la générosité de son système de protection sociale. Le salarié français n’a pas à épargner pour sa retraite et sa santé. Il reçoit des prestations famille et chômage relativement généreuses. A revenu disponible donné, son salaire net peut ainsi être plus faible que dans les pays où il doit financer sa santé et sa retraite (ce qui compense la hausse  du coût salarial induit par les cotisations sociales employeurs). Depuis 1984, la part des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée a assez nettement diminué de sorte qu’on ne peut guère les accuser d’être responsables des pertes récentes de compétitivité de l’économie française.

Depuis 40 ans, le financement de la Sécurité sociale a donné lieu à de nombreuses études. Des réformes importantes ont été engagées : déplafonnement des cotisations ;  allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires ; suppression des cotisations maladie des salariés et création de la CSG ; mise en place de prélèvements sociaux sur les revenus du capital et du forfait social sur les rémunérations extra-salariales. En  2006-2007, le débat a rebondi : le remplacement de points de cotisations employeurs par une Contribution sur la Valeur Ajoutée (CVA), par une TVA sociale ou par une hausse de la CSG a été envisagé puis écarté, à la suite de plusieurs rapports administratifs.

Pour l’avenir, on peut rendre totalement indépendantes les questions de protection sociale et de compétitivité des entreprises en décidant que les éventuelles futures hausses de ressources porteront sur les cotisations sociales salariés (retraites) ou la CSG (maladie, famille) [1].

Les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite, allocation maladie de remplacement) reposent sur une logique contributive : les droits et les montants dépendent des cotisations versées. Ils doivent donc obligatoirement être financés par les revenus d’activité des personnes couvertes. Comment justifier que les personnes ayant eu de plus forts revenus reçoivent plus de prestations, sinon que par le fait qu’elles ont acquis ce droit par leurs cotisations ? Les cotisations salariés ne financent aujourd’hui que de telles prestations, ce qui rend impossible leur remplacement par des impôts (comme la CSG). Il ne serait, en effet, pas légitime de faire payer des cotisations chômage ou retraite aux retraités ou aux revenus du capital des ménages, puisque ces cotisations n’ouvriraient pas de droit.

Par contre, les prestations universelles (famille, maladie) devraient être financées par l’impôt. Pour des raisons historiques, ce principe n’est pas respecté en France où elles restent, en partie, financées par des cotisations employeurs. En novembre 2011, le Medef a relancé le débat. Son objectif récurrent est de faire diminuer les cotisations employeurs, famille et maladie, pour augmenter le profit et la compétitivité des entreprises françaises. Mais, ceci suppose de faire payer les ménages, ce que le Medef cherche à masquer.

Quatre projets sont sur la table. Les deux premiers, que le Medef récuse, n’amélioreraient pas la compétitivité globale des entreprises, mais pourraient favoriser l’emploi. Les deux autres supposent une baisse des revenus des ménages.

Instaurer une CVA consisterait à changer l’assiette des cotisations sociales de façon à taxer l’ensemble de la valeur ajoutée, donc aussi les machines au lieu de taxer seulement l’emploi. Les entreprises seraient incitées à ralentir la substitution du capital au travail ; les entreprises de main d’œuvre ne seraient plus défavorisées par rapport aux entreprises plus capitalistiques. Cette mesure a été rejetée en 2006 ; on lui a reproché de surtaxer l’industrie, de nuire à l’innovation. Mais les innovations qui consistent à remplacer des emplois par des machines sont-elles justifiées en situation de chômage de masse ?

La taxe carbone pourrait être utilisée pour réduire les cotisations employeurs. Ainsi, les entreprises seraient-elles incitées à utiliser moins d’énergie et plus de travail. Ceci ferait courir le risque de provoquer la délocalisation d’industries fortement émettrices de carbone. C’est une mesure nécessaire à terme, mais il faudra l’instaurer dans le cadre de l’UE et de l’OMC. Cette substitution suppose d’utiliser les ressources dégagées par l’instauration d’une taxe carbone pour réduire le coût du travail et non pour indemniser les ménages et les entreprises les plus frappés par la taxe ou pour financer les investissements en économies d’énergie en France ou dans les pays émergents (comme il est envisagé dans les négociations internationales).

Augmenter les taux de TVA et baisser les cotisations sociales employeurs (la TVA sociale) se traduiraient par une hausse des prix à la consommation. Même si les prix des produits français vendus en France restaient fixes (la hausse de la TVA compensant la baisse des cotisations que les entreprises répercuteraient en totalité), les prix des produits importés augmenteraient pour les consommateurs (en raison de la hausse de la TVA). La réforme ne serait pas payée par nos fournisseurs étrangers, mais bien par les ménages français qui devraient payer plus cher les produits importés. Au final, soit les salaires et les prestations augmenteraient à la suite de ces hausses de prix, ce qui ferait progressivement disparaître les gains immédiats de compétitivité ; soit, il faudrait bloquer salaires et prestations et imposer aux salariés et aux retraités d’accepter une baisse de pouvoir d’achat au nom de la compétitivité. Dans ce deuxième cas, les gains de compétitivité seraient durables, mais ils seraient obtenus au prix de pertes de pouvoir d’achat des ménages.

La mesure la plus transparente serait de baisser les cotisations employeurs et d’augmenter simultanément la CSG du même montant en disant clairement aux Français : « Acceptez des pertes de pouvoir d’achat pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises ». La hausse de la CSG devrait porter sur tous les revenus. On ne peut frapper spécifiquement les revenus du capital (qui viennent déjà d’être touchés par la hausse du prélèvement libératoire de 19 à 24%) ou les retraités (qui ne bénéficient pas de hausses de pouvoir d’achat). Mais comment garantir que les entreprises augmenteraient bien l’investissement et l’emploi en France ? La hausse de l’investissement et le gain en commerce extérieur compenseraient-ils la baisse inéluctable de la consommation ? Si elle était généralisée, cette politique de dévaluation déguisée, à l’allemande, nuirait à la demande et donc à la production, de la zone Euro. Chaque pays doit-il se lancer dans une stratégie d’exportation de son chômage ?

Le Medef[2] propose deux mesures. Une baisse de 4,5 points des cotisations salariés (en négligeant que ces cotisations financent des prestations contributives) serait compensée par une hausse de la CSG (qui devrait être de 3 points). La hausse de 2 % des salaires nets serait payée par une baisse de 5% des revenus du capital des ménages et de 3,3% des retraites (qui supporteraient les 2/3 du coût de la mesure)[3]. Une baisse de 7,5 points des cotisations employeurs serait compensée par une hausse de 5 points de la TVA ; la Medef précise que les entreprises seraient libres d’utiliser cette baisse pour réduire leurs prix, améliorer leurs marges ou augmenter les salaires. Par contre, il oublie que cette mesure sera fortement inflationniste, en tout état de cause du fait de la hausse du prix des importations et d’autant plus que les entreprises françaises augmenteraient leurs marges ou les salaires. Cette inflation diminuera le pouvoir d’achat des ménages, ce qu’il faudra compenser par des hausses de salaires et de retraites qui annuleront les gains de compétitivité.

On l’aura compris, il n’existe pas de réforme miracle du financement qui améliorerait la compétitivité des entreprises françaises sans dégrader le pouvoir d’achat des ménages.


 [1]Il serait aussi souhaitable de supprimer les niches sociales : faire passer de 8 à 30% le forfait social, qui frappe les éléments extra-salariaux des rémunérations, comme la participation, l’intéressement (ce qui rapporterait 4 milliards d’euros), taxer à la CSG les loyers implicites (8 milliards), mettre fin aux exonérations des heures supplémentaires (6 milliards) fourniraient 18 milliards de recettes à la Sécurité sociale.

[2] Nous discutons ici le troisième scénario  du « nouveau pacte fiscal et social pour la compétitivité de la France » proposé par le MEDEF le 15 novembre 2011 (http://www.medef.com/nc/medef-tv/actualites/detail/article/le-nouveau-pacte-fiscal-et-social-pour-la-competitivite-de-la-france.html).

[3] Cette première mesure n’a aucun effet sur la compétitivité des entreprises ; son objectif est de compenser la baisse du pouvoir d’achat des salariés qu’induirait la seconde, mais ceci se ferait au détriment des retraités qui subiraient une double peine : hausse de la CSG et inflation.