Par Bruno Coquet
Depuis 2018, les entrées en apprentissage battent record sur record. L’enthousiasme suscité par cet engouement est tel qu’il a conduit à viser un million d’entrées en apprentissage par an.
Même si cet objectif peut sembler relativement proche avec 830 000 nouveaux apprentis en 2022, il est cependant difficilement réalisable et évidemment intenable en régime de croisière avec des générations qui comptent environ 800 000 personnes, quand bien même 100% des jeunes passeraient par l’apprentissage. Et surtout cette politique coûte très cher : la dépense publique pour l’apprentissage a atteint 21 milliards d’euros pour l’année 2022, en hausse de 270% depuis 2018[1].
Pour autant que l’objectif du million d’entrées puisse être atteint une fois, le surcoût pour les finances publiques serait de 6 milliards d’euros (0,2 point de PIB), qui pour l’heure ne sont pas budgétés dans le PLF 2024 (qui vise 901 000 nouveaux contrats) ni à l’horizon 2027 dans le Programme de stabilité.
Aides, subventions, prise en charge : un effet cocktail
La réforme de 2018 a simplifié et redynamisé le dispositif, et créé un terrain favorable au développement de l’apprentissage. Mais le déclencheur de la hausse foudroyante des entrées est l’aide exceptionnelle créée mi-2020 dans le cadre du volet « 1 jeune 1 solution » du plan de relance.
Jamais une aide à l’emploi n’a atteint un tel niveau en France : même réduite de 8 000 à 6 000 euros depuis le début 2023[2], elle annule le coût du travail pour un très grand nombre d’apprentis, et le réduit fortement pour les autres, alors que les contrats d’apprentissage bénéficient déjà des allégements généraux de cotisations sociales patronales, tout en étant exonérés de cotisations sociales salariales et d’impôt sur le revenu.
Reconduite plusieurs fois malgré la rapide reprise du marché du travail, cette aide très élevée est aussi et surtout non-ciblée, c’est-à-dire accessible à la plupart des profils d’apprentis et d’employeurs. Par conséquent, l’attractivité de l’apprentissage est demeurée à peu près inchangée pour la cible prioritaire des jeunes sortis sans diplôme ni qualification du système scolaire ; elle s’est très fortement accrue pour les étudiants du supérieur car leurs études sont alors en partie financées par France Compétences en plus du salaire qu’ils perçoivent et des droits sociaux dont ils bénéficient au même titre que les autres salariés. De fait, les apprentis préparant un diplôme du supérieur sont plus de quatre fois plus nombreux en 2022 qu’en 2018 (38,3% du stock de bénéficiaires en 2018, 62,5% en 2022).
Ce cocktail hyper-incitatif a produit des résultats spectaculaires mais son coût semble incontrôlé, d’autant que le niveau de prise en charge des formations va croissant avec le niveau de diplôme préparé.
Le prix du million
Si le million de nouveaux contrats était atteint en 2024, à réglementation inchangée de l’aide unique et des niveaux de prise en charge par France Compétences, la dépense totale pour l’apprentissage atteindrait 24,1 milliards d’euros en 2024, contre un coût total estimé de 22,6 milliards en 2023[3].
Mais cette dépense supplémentaire de 1,5 milliard d’euros l’année où le million d’entrées serait atteint ne représente que 25% des dépenses induites (graphique 1). En effet, 90% des entrées annuelles en apprentissage ayant lieu au cours du second semestre de l’année, dont 50% pour le seul mois de septembre, l’essentiel des coûts (64%) serait reporté l’année suivante et la durée moyenne des contrats étant de l’ordre de 18 mois, une part de ces dépenses (11%) s’imputerait aussi sur l’année n+2 (graphique 1).
Au total la dépense publique qu’il serait nécessaire d’engager pour atteindre l’objectif de 1 million d’entrées en apprentissage au cours d’une seule année, serait d’environ 6 milliards d’euros.
Ce chiffrage a un bon degré de fiabilité. En effet, le calcul prend en compte l’effet en année pleine de la réduction de l’aide unique, n’inclut pas le coût des droits sociaux des apprentis (prime d’activité, allocations chômage, trimestres de retraites acquis, etc.) et ne tient pas compte d’effets potentiels de l’inflation sur les coûts de formation, ni du fait que le coût unitaire moyen s’élèverait car les étudiants dont les formations sont plus chères seraient majoritaires parmi les nouveaux entrants. Par ailleurs cette dépense n’engendrerait que peu d’économies car elle irait principalement vers des jeunes étudiants du supérieur : en effet, si d’un côté l’apprentissage interdit de percevoir une bourse, d’un autre côté le budget de l’enseignement supérieur a continué d’augmenter alors que le nombre d’étudiants non-apprentis baisse. S’ils n’étaient pas apprentis, la plupart de ces jeunes suivraient la voie scolaire, seraient rarement en emploi aidé, peu exposés à l’indemnisation chômage et aux minima sociaux, etc. compte tenu de leur profil.
Graphique 1 – Surcoût de dépenses publiques pour atteindre 1 million d’apprentis
[1] Coquet B. (2023) « Apprentissage : un bilan des années folles », OFCE Policy brief, n° 117, juin. Les données rendues disponibles depuis ont conduit à revoir à la hausse le coût du dispositif estimé dans cette publication.
[2] Depuis le début de 2023, pour afficher la fin de son caractère « exceptionnel », l’aide est de nouveau dénommée « aide unique » bien qu’elle soit très différente (champ, montant, durée) de celle créée par la réforme de 2018.
[3] La méthode de calcul est celle utilisée dans Coquet B. (2023), en intégrant les données les plus récentes publiées depuis cette publication.