par Henri Sterdyniak
La crise financière de 2007-2012 a provoqué une forte hausse des déficits et dettes publics puisque les États ont dû intervenir pour sauver les systèmes financiers, pour soutenir l’activité et surtout ont enregistré une forte baisse de leurs recettes fiscales en raison de la chute du PIB. Début 2012, alors qu’ils sont loin d’être rétablis des effets de la crise (qui leur a coûté en moyenne 8 points d’activité par rapport à la tendance d’avant-crise), ils sont confrontés à un choix délicat : faut-il continuer à soutenir l’activité ou tout faire pour réduire les dettes et les déficits publics ?
Une note détaillée développe neuf points d’analyse :
– La croissance des dettes et des déficits n’est pas une spécificité française ; elle a eu lieu dans tous les pays développés.
– Les administrations publiques françaises sont certes endettées mais elles possèdent aussi des actifs physiques. Globalement, la richesse nette des administrations représentait 26,7 % du PIB fin 2010, soit 8 000 euros par Français. Par ailleurs, il faut considérer l’ensemble de la richesse nationale (actifs physiques moins endettement à l’étranger) : le nouveau-né français est riche en moyenne, à sa naissance, de 202 000 euros (la richesse nationale divisée par le nombre d’habitants).
– En 2010, la charge nette de la dette était de 2,3 % du PIB ; soit un taux d’intérêt moyen sur la dette de 3,0 %, nettement en dessous du taux de croissance nominal potentiel. A ce niveau, le vrai coût de la dette, c’est-à-dire l’excédent primaire nécessaire pour stabiliser la dette, est nul, voire légèrement négatif.
– La vraie « règle d’or » des finances publiques stipule qu’il est légitime de financer les investissements publics par l’endettement public. Le déficit structurel doit donc être égal à l’investissement public net. Cette règle autorise pour la France un déficit de l’ordre de 2,4 % du PIB. Il n’y a aucune raison de fixer une norme d’équilibre des finances publiques. L’État n’est pas un ménage. Immortel, il peut avoir une dette en permanence ; il n’a pas à la rembourser mais seulement à garantir qu’il pourra toujours en servir la charge.
– Le déficit public est nocif pour les générations futures quand il s’agit d’un déficit déséquilibrant provoqué par des hausses excessives de dépenses publiques ou des baisses excessives des impôts ; il provoque alors une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt et nuit à l’investissement et à la croissance. Ce n’est pas le cas du déficit actuel ; celui-ci est un déficit de régulation, nécessaire pour soutenir l’activité, en situation de bas taux d’intérêt, en raison d’un fort taux d’épargne des ménages et d’un refus des entreprises d’investir davantage.
– Pour certains, les 8 points de PIB perdus pendant la crise sont perdus à tout jamais ; il faut se résigner à un chômage durablement élevé, celui-ci étant structurel. Comme l’objectif doit être d’équilibrer le solde public structurel, la France doit encore faire un effort important de l’ordre de 4 points de PIB de son déficit public. Pour nous, le déficit soutenable est de l’ordre de 2,4 points de PIB. Le déficit structurel de 2011 est déjà en dessous de ce chiffre. C’est la croissance qui doit permettre de résorber le déficit conjoncturel. Il n’est pas nécessaire de faire d’effort budgétaire supplémentaire.
– Le 9 décembre 2011, les pays de la zone euro se sont accordés sur un nouveau Pacte budgétaire : le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance de l’UEM. Ce pacte contraindrait fortement les politiques budgétaires à l’avenir. Le déficit structurel de chaque pays membre devra être inférieur à 0,5% du PIB. Un mécanisme de correction automatique devra se déclencher si le déficit est excessif. Cette contrainte et ce mécanisme devront obligatoirement être intégrés de façon contraignante et permanente dans les procédures budgétaires de chaque pays. Les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB devront faire diminuer leur ratio de dette d’au moins un vingtième par an de l’écart avec 60 %.
Ce projet est dangereux sur le plan économique. Il impose des objectifs de moyen terme (un solde budgétaire équilibré, une dette revenant en dessous de 60 % du PIB) qui sont arbitraires et ne sont pas compatibles a priori avec les nécessités de l’équilibre économique. De même, il impose une politique budgétaire incompatible avec les nécessités de la régulation conjoncturelle. Il interdit toute politique budgétaire discrétionnaire. Il prive les gouvernements de tout instrument de politique budgétaire.
– Si la croissance des dettes et des déficits publics dans les pays développés a été la réponse au creusement des déséquilibres mondiaux, on ne peut réduire les dettes et les déficits sans s’attaquer aux causes de ces déséquilibres. Sinon, la mise en œuvre simultanée de politiques budgétaires restrictives dans l’ensemble des pays de l’OCDE se traduira par une stagnation de la production, une baisse des recettes fiscales, une dégradation des ratios d’endettement sans parvenir à rassurer les marchés financiers.
– Une économie mondiale plus équilibrée nécessiterait des pays excédentaires qu’ils basent leur croissance sur leur demande intérieure et que leurs capitaux prennent le risque de l’investissement direct. Dans les pays anglo-saxons, de plus fortes progressions des revenus salariaux et sociaux comme la réduction des inégalités de revenus rendraient moins nécessaire le gonflement des bulles financières, des dettes des ménages et des dettes publiques. La zone euro a besoin de retrouver les 8 points de PIB perdus du fait de la crise. Au lieu de se polariser sur les soldes publics, les instances européennes devraient présenter une stratégie de sortie de crise, basée sur la reprise de la demande, tout particulièrement sur les investissements préparant la transition écologique. Cette stratégie doit comporter le maintien de bas taux d’intérêt et des déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité.