Par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé
En cette mi-avril 2021, la France franchit le cap des 100000 morts attribués à la Covid-19. Au même moment, L’Union Européenne (avec le Royaume Uni) en est à près de 780000 morts. Après plus d’un an de crise sanitaire, que savons-nous de cette pandémie, de ses facteurs ? Une comparaison des taux de mortalité des principaux pays d’Europe de l’Ouest offre certaines réponses. Cette dernière confirme et actualise des résultats obtenus lorsque la France franchissait les 50000 morts fin novembre 2020 (« La crise de la Covid-19 dans une Europe vieillissante », Gannon, Le Garrec et Touzé, in L’économie européenne 2021, Collection Repères, La Découverte).
Parmi les rares certitudes, les données épidémiologiques montrent que ce sont les personnes âgées qui développent les formes graves possiblement mortelles. Ainsi, pour la France, l’INSEE a établi que la surmortalité pour l’année 2020 est de 10% et 8% respectivement pour les hommes et les femmes de plus de 65 ans, et est négligeable en deçà de cet âge. Dans le même ordre d’idée, on observe dans les principaux pays d’Europe de l’Ouest que près de 95% des morts ont plus de 60 ans.
Cela ne veut pourtant pas dire que la situation est identique dans tous ces pays. Lorsqu’on décompte le nombre de morts engendrées par cette maladie, les situations nationales sont en effet nettement tranchées. Au moment où la France enregistre un taux de mortalité de 1530 morts par million d’habitants, celui de la Norvège est de 130 morts (voir Tableau 1). A l’inverse, à cette même date, la Belgique enregistre 2030 morts par million d’habitants, soit un des pays les plus impactés du monde, avec une mortalité relative près de 16 fois supérieur à la Norvège. Entre ces deux extrêmes, la plupart des pays du nord de l’Europe – Danemark, Allemagne, Pays-Bas et Autriche – résistent mieux avec des taux respectifs de 422, 954, 984 et 1085 morts. L’exception est la Suède, avec un taux de 1356 morts. Enfin, outre la Belgique, l’Italie, le Portugal et l’Espagne au sud de l’Europe ainsi que le Royaume-Uni sont les plus impactés avec des taux de 1920, 1664, 1644 et 1866 morts par million d’habitants.
Puisque les morts de la Covid-19 sont âgés, en toute logique un pays à la population plus âgée devrait être d’autant plus impacté. C’est en effet ce que l’on retrouve dans les données : le poids des plus de 65 ans comme critère d’âge de la population est significativement corrélé (0,51) au taux de mortalité de la Covid-19 (Tableau 1). Si l’on se concentre sur la population des plus de 80 ans, la corrélation est d’autant plus forte (0,66) et significative. Ainsi, les trois pays présentant les plus forts pourcentages de plus de 80 ans sont l’Italie, l’Espagne et le Portugal, avec 6,9% pour le premier et 6,2% pour les deux suivants, qui par ailleurs sont trois des pays aux plus forts taux de mortalité due à la Covid-19. A l’inverse, Norvège et Danemark sont les deux pays présentant à la fois la plus faible proportion de personnes de plus de 80 ans, avec respectivement 4,2% et 4,4% de leur population, et les taux de mortalité les plus bas. Bien que corrélé, ce facteur démographique est loin d’être suffisant pour capter l’intégralité des différences de mortalité entre les pays d’Europe de l’Ouest.
Pour caractériser l’état de santé d’une population et ses comorbidités, il est nécessaire d’appréhender la multiplicité des maladies associées aux cas graves, telles que le diabète, l’hypertension, les cancers, l’insuffisance respiratoire, … La prévalence de l’obésité, état associé à un Indice de Masse Corporelle (IMC) supérieur à 30, est un indicateur intéressant car il est associé à un risque majeur pour les maladies cardio-vasculaires, le diabète et certains cancers. Le constat est que les pays qui présentent les taux d’obésité dans leur population les plus élevés sont le Royaume-Uni et l’Espagne avec respectivement 29,7% et 27,1%, deux pays qu’on a pu qualifier de durement impactés par la Covid-19 en termes de mortalité. Par contre, les pays qui suivent dans l’ordre du taux d’obésité sont l’Allemagne et la Norvège, avec respectivement 25,7% et 25%, qui sont parmi les pays européens les moins touchés par la pandémie. En définitive, même si la corrélation observée (égale à 0,16) va dans le sens d’un lien positif entre la prévalence de l’obésité et la mortalité, ce lien est trop faible pour être significatif.
Pour approfondir le lien entre santé de la population et mortalité due à la Covid-19, l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans exprimé en proportion de l’espérance de vie est censée être un indicateur pertinent. Les données reportées dans le Tableau attestent bien d’une corrélation entre cet indicateur et la mortalité négative (-0,55) et significative.
Dans l’état des connaissances actuelles, la Covid-19 se propage par des gouttelettes respiratoires entre personnes qui sont en contact direct et étroit (moins d’un mètre de distance) les unes avec les autres, ainsi que par aérosolisation dans les lieux clos. En tout état de cause, la diffusion du virus est favorisée par la fréquence des contacts humains. Les deux préconisations sanitaires, limitation des contacts humains et respect des distances barrières, semblent plutôt discriminantes pour limiter la pandémie. Ces contacts sont a priori d’autant plus facilités dans des communautés fortement urbaines que dans des zones rurales ou intermédiaires. De façon très singulière, les deux pays à la plus faible proportion de population urbaine sont le Danemark et la Norvège avec des taux de 22,9% et 24,5% quand la moyenne des pays étudiés est de 47,4%. En résumé, la proportion de population urbaine apparaît fortement et significativement corrélée à la mortalité dans les principaux pays d’Europe de l’Ouest avec un taux de 0,61. Il faut néanmoins rester prudent avec l’interprétation de cette corrélation. En effet, les pays étudiés diffèrent également dans de nombreuses autres caractéristiques comme le climat, la propension à la distanciation sociale, …
1) L’article manque d’une synthèse, d’une analyse multi-factorielle.
2) Dans tous les pays étudiés, l’espérance de vie à la naissance est compris entre 82 et 83 ans. Les énormes différences dans les EVSI du tableau (par exemple entre Autriche et Suède) ne reflètent pas des écarts objectifs entre système de santé, mais des ressentis subjectifs du sentiment de santé.
3) Les chiffres de % de population urbaine sont fantaisistes. Ainsi, selon la Banque mondiale, le % de population urbaine est de 98% en Belgique (et pas de 53%) ; 88% au Danemark (et pas de 23%) ; de 80% en France (et pas de 35,4% ? ). Le biais n’est pas uniforme : ce pourcentage est de 83% au RU (et pas de 74%).