La décolonisation numérique de l’Europe
Intervenants : Brunessen BERTRAND (Chaire DataGouv, Université de Rennes 1), Julien NOCETTI (Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan & GEODE), Pierre NORO (Learning Planet Institute de l’Université Paris Cité)
Le séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », organisé conjointement par le Cevipof et l’OFCE (Sciences Po), vise à interroger, au travers d’une démarche pluridisciplinaire systématique, la place de la puissance publique en Europe, à l’heure du réordonnancement de l’ordre géopolitique mondial, d’un capitalisme néolibéral arrivé en fin du cycle et du délitement des équilibres démocratiques face aux urgences du changement climatique. La théorie politique doit être le vecteur d’une pensée d’ensemble des soutenabilités écologiques, sociales, démocratiques et géopolitiques, source de propositions normatives tout autant qu’opérationnelles pour être utile aux sociétés. Elle doit engager un dialogue étroit avec l’économie qui elle-même, en retour, doit également intégrer une réflexivité socio-politique à ses analyses et propositions macroéconomiques, tout en gardant en vue les contraintes du cadre juridique.
Réunissant des chercheurs d’horizons disciplinaires divers, mais également des acteurs de l’intégration européenne (diplomates, hauts fonctionnaires, prospectivistes, avocats, industriels etc.), chaque séance du séminaire donnera lieu à un compte rendu publié sur les sites du Cevipof et de l’OFCE.
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La perspective géostratégique : hiérarchiser les niveaux de dépendance numérique de l’Europe
Julien Nocetti, chercheur à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan et à GEODE, souligne que la notion de souveraineté numérique n’est pas appréhendée de la même manière selon les différents acteurs européens. La montée en puissance de la notion de souveraineté numérique peut se dater à partir des révélations d’Edward Snowden en 2013 sur les activités de surveillance et d’espionnage d’Internet et des réseaux de téléphonie mobile opérées par les Etats-Unis via la NSA (National Security Agency), ainsi que la prise de conscience de l’ampleur du pouvoir des plateformes numériques américaines sur les sociétés européennes. En Occident, le thème est dans un premier temps principalement porté par les parlementaires et les entrepreneurs du numérique, beaucoup moins par les gouvernements. Quant aux régimes autoritaires, ils ont pensé de longue date la souveraineté numérique sous le prisme du contrôle de l’information. Il s’agit là d’un biais que nos démocraties européennes doivent bien se garder d’adopter en matière de respect de la vie privée et de tyrannie de la transparence en ligne, au risque d’un certain alignement des pratiques numériques entre démocraties et régimes autoritaires.
La souveraineté numérique européenne correspond à l’idée de projeter l’UE en tant qu’acteur du numérique dans les différentes enceintes internationales. Les Etats membres de l’UE ont désormais bien conscience de l’effet de grignotage ou de dépeçage de leurs prérogatives étatiques produit par la puissance des géants du numériques américains (« GAFAM »), acteurs privés régis par le droit étasunien, et chinois (« BATX »). La souveraineté numérique européenne diffère en cela de l’acception américaine des enjeux du numérique, davantage appréhendés à travers le prisme de la sécurité nationale et des intérêts nationaux, et non de la souveraineté. Cette opposition conceptuelle du sujet entre Européens et Américains se révèle particulièrement dans la difficulté des Européens à penser le phénomène de déspatialisation des relations internationales, avec une grande difficulté à juridiciser cette déspatialisation, quand les Etats-Unis ont été très prompts à comprendre et s’adapter à cette nouvelle donne : en compensant la perte en contrôle effectif de l’espace par le déploiement d’un pouvoir déterritorialisé (la « maîtrise des signes hors sol du pouvoir »).
Il faut relever une évolution significative de la compréhension du numérique en Europe, entre 2010 et aujourd’hui. Il y a dix ans, la question était de savoir qui contrôlait Internet. Aujourd’hui, avec l’extension exponentielle du champ du numérique, l’attention se focalise sur la maîtrise des technologies émergentes critiques (5G, IA, quantique, approvisionnement en semi-conducteurs, maîtrise d’algorithmes sensibles), avec en arrière-fond constant la dimension de l’autonomie stratégique numérique, véritable « buzz word » qui s’est répandu au sein de la bulle bruxelloise. Les Etats membres du Nord et de la baltique ont une approche plus prosaïque du sujet, avec l’enjeu de maintenir une capacité d’action européenne dans ces domaines et d’identifier les dépendances numériques les plus critiques (les semi-conducteur), ce qui suppose être en mesure de hiérarchiser les niveaux de dépendance (et de dépasser ainsi une approche trop strictement centrée sur l’idée de « décolonisation numérique »). Car le débat européen, spécifiquement en France, peut avoir tendance à se focaliser de manière obsessionnelle sur les GAFAM[1], sans percevoir toute la complexité du sujet.
La perspective juridique : du marché unique du numérique à la transition numérique
Brunessen Bertrand, professeure de droit public et titulaire de la Chaire DataGouv à l’Université de Rennes 1, expose l’évolution du sujet du point de vue du droit européen. Pendant longtemps, le prisme a été celui du marché unique du numérique avec la question de l’adaptation des législations européennes à l’économie numérique. Un changement notable a lieu à partir de 2020 et la nouvelle Commission Von der Leyen qui substitue le paradigme de la transition numérique à celui du marché unique du numérique. L’Europe prend conscience de son retard, possiblement irrattrapable, en matière numérique et en fait alors un axe prioritaire et structurant de sa politique. On assiste aujourd’hui à un déblocage des compétences européennes. La pandémie du Covid-19 a précipité l’expansion des usages numériques comme des cyberattaques. Dans un laps de temps record, l’UE s’est dotée en matière de numérique d’une constellation normative (régulation des plateformes, des services numériques et des données, intelligence artificielle, droits et principes du numérique), d’une « boussole numérique », d’une politique budgétaire et d’un début de politique industrielle. L’UE cherche un modèle qui se distingue du modèle américain et du modèle chinois : un modèle fermement arrimé aux droits et aux valeurs européennes. On passe d’un objectif très économique à une véritable politique publique européenne du numérique.
Sur le plan de la base juridique, en l’absence de véritable transfert de compétence des États membres à l’UE en matière de numérique (sauf en matière de protection des données à caractère personnel), l’UE mobilise un ensemble très varié de dispositions des traités. Par exemple, l’UE peut aborder le numérique via sa compétence en matière de recherche et développement technologique et de l’espace (Article 4 § 3 TFUE)[2]. Plus généralement, l’UE instrumentalise la notion de marché intérieur au travers de la notion de marché unique du numérique. La base juridique semble fragile, mais la démarche générale est cohérente.
Sur le plan de relance européen, celui-ci affirme très fortement l’ambition de souveraineté numérique européenne qui se décline dans les dimensions du marché intérieur, de la politique de défense, de la politique économique et commerciale, de la politique industrielle, et de la défense des valeurs européennes. Chez les juristes, l’idée n’est plus taboue (même s’il n’est pas question de souveraineté au sens strict). Il s’agit bien de rendre aux États leur souveraineté dans l’espace numérique (selon une logique d’« empowerment » des États). Cette prise de conscience politique de grande difficulté à exister seul dans le cyberespace a permis de débloquer l’européanisation du secteur numérique, à la base très national et malgré un contexte de montée des populismes et de sentiment anti-européen.
La stratégie normative de l’UE dans le numérique s’appuie aujourd’hui sur une ambition juridique forte, avec la mobilisation d’outils d’extraterritorialité. 2020 est marqué par un foisonnement de productions institutionnelles et juridiques : livre blanc sur l’intelligence artificielle, stratégie numérique, stratégie sur les données, Digital Market Act, plan pour l’éducation numérique, actions dans les secteurs des fintechs et de la cybersécurité. L’UE démontre ainsi un fort tropisme juridique avec l’instrumentalisation du droit du marché intérieur et la revendication des principes et des valeurs consacrées dans les traités européens. L’enjeu est d’adapter sur le plan légistique les ambitions politiques, avec l’objectif de présenter une grande loi européenne par grand sujet numérique, et d’avoir ainsi une législation européenne identifiable dans le monde entier, comme emblème ou porte-drapeau, comme façon d’être au monde, en assumant l’extraterritorialité des lois européennes (pour l’accès au marché intérieur européen). L’UE semble ainsi esquisser les contours d’une diplomatie numérique qui assume un certain unilatéralisme en la matière, en jouant sur le « Brussels effect » (l’effet d’entrainement de la régulation européenne au niveau mondial).
La confiance numérique est une autre dimension essentielle du sujet, avec les conditions d’utilisation et d’appropriation du numérique par les usages. L’UE travaille sur les questions d’intermédiaires de confiance, de création d’une identité européenne sécurisée, ainsi que sur la cybersécurité et les certifications numériques.
Un dernier aspect du sujet est la défense, avec l’accent mis sur le double usage civil et militaire des technologies numériques. Lancé en 2021 et doté de 7,9 Md€ (pour la période 2021-2027), le Fonds européen de défense (FED) intègre ainsi une stratégie d’articulation entre les enjeux de défense et les enjeux technologiques numériques, avec une attention accrue aux chaines de valeurs européennes entre défense et innovations technologiques critiques. Il a vocation à soutenir les projets de synergie entre industries civiles, spatiales et de défense. Dans cette même logique, il est à noter que la « Boussole stratégique » européenne[3] accorde une place importance à la cyberdéfense.
La perspective décoloniale : sortir l’Europe de sa dépendance épistémologique
Pierre Noro, du Learning Planet Institute de l’Université Paris Cité et ancien coordinateur de la chaire « Digital, Gouvernance et Souveraineté » à Sciences Po, après avoir nuancé l’expression de « colonisation numérique », affirme néanmoins la pertinence de la pensée décoloniale pour penser la dépendance européenne en matière de numérique. Outre sa dépendance aux outils numériques, l’Europe est confrontée à une dépendance épistémologique. Ses besoins numériques ne sont pas définis en fonction des besoins européens, mais selon les outils numériques américains existants (prenons l’exemple de l’attribution à Microsoft de l’hébergement de la base de données médicales de l’État français, sans appel d’offre et donc sans définition des besoins). Cette dépendance épistémologique se nourrit du phénomène de pantouflage, avec des aller-retours de hauts fonctionnaires et de décideurs politiques français entre la sphère étatique et les grandes entreprises du numérique et les cabinets de conseil privé. Les GAFAM sont ainsi en mesure d’imposer à l’Europe un « impérialisme des besoins » qu’ils sont à même de définir selon leurs propres intérêts stratégiques. L’Europe connaît ainsi une « dépossession de ses propres besoins numériques ». Par exemple, il est impossible en France de contester la stratégie nationale de déploiement de la 5G, alors que la couverture Internet à haut débit est supérieure en France par rapport à celle des États-Unis. Le metaverse de Facebook est également un besoin qui n’est pas validé par les utilisateurs (mais avant tout un besoin des entreprises).
L’impérialisme numérique va plus loin puisqu’il produit une désappropriation des futurs en déterminant par lui-même les futurs possibles, rendant alors difficile d’ancrer le numérique dans les valeurs et les besoins européens. Par exemple, en France, l’enjeu du cloud souverain débouche systématiquement sur l’idée de créer des GAFAM à la française, sans même questionner la pertinence en France et en Europe du modèle des GAFAM américain (et alors que les États-Unis eux-mêmes questionnent aujourd’hui le modèle des GAFAM). N’est-ce pas en effet un combat perdu d’avance que de créer des copies européennes (en open source) des GAFAM et autres applis américaines ? Mais pour sortir de la dépendance épistémologique européenne, il est impératif de se détacher des discours de l’urgence, et de ramener la marge au centre, en pensant les usages numériques davantage en termes de convivialité. L’Europe y parvient par le droit, en jouant de sa puissance de marché et de l’affirmation de l’extraterritorialité du droit européen (exemple du Règlement général sur la protection des données et ses effets sur les politiques de cookies).
De même, l’Europe est capable de porter des projets comme GAIX-X relatif au développement d’une infrastructure de données en nuage (même si là encore des GAFAM américains et des BATX chinois font partie du projet), le European Blockchain Services Infrastructure (EBSI) centré sur la souveraineté des utilisateurs, l’identité numérique européenne (avec une réforme du règlement eIDAS) et le Self-sovereign identity (identité numérique contrôlée par les utilisateurs et validée par des certificateurs européens et qui permet de se passer des instruments d’authentification Google).
En adoptant une approche de l’innovation numérique ancrée dans les valeurs européennes, l’Europe n’est pas désarmée (elle n’est pas en situation d’ex-colonie) grâce au droit européen et ses moyens technologiques, à la condition de rompre avec l’injonction de l’urgence et de mettre la marge au centre.
Julien Nocetti juge hypothétique une troisième voie européenne en matière de numérique, entre deux écosystèmes prédateurs (la vision libertarienne américaine et la vision techno-autoritaire chinoise). Certes, le positionnement européen est très marqué par les valeurs européennes, mais est-ce suffisant pour constituer une Europe puissance dans le domaine du numérique ? D’autre part, sur les termes employés, il est également question de protection de la démocratie (Thierry Breton parle de « souveraineté informationnelle » de l’Europe). En relations internationales, il faut faire attention à ne pas emprunter des termes qui ne sont pas les nôtres, mais américains ou chinois. Sur le « Brussels effect » : l’Europe possède en effet une puissance normative, mais avec une limite car le positionnement normatif européen joue un peu le rôle d’arbitre. Or les arbitres en Relations internationales ne gagnent pas. Aux Etats-Unis, on observe une décorrélation entre les actions de régulation interne et le soutien étatique à l’international accordé aux GAFAM.
Brunessen Bertrand revient sur l’enjeu de la blockchain qui sont des anti-plateforme (du fait de la désintermédiation propre à la blockchain). Comment concilier l’industrie du minage (blockchain) et la transition énergétique ? Comment appliquer le RGPD à la blockchain ?
Pierre Noro juge que le positionnement sur les valeurs n’est pas suffisant, mais nécessaire, au risque de courir derrière les États-Unis pris comme référentiel qui n’est pas le nôtre. Ainsi, les tentatives d’entreprises européennes dans le cloud souverain, qui cherchaient à copier les exemples américains, ont fait long feu. En ancrant le numérique européen dans les valeurs et les besoins européens, l’Europe pourrait se retrouver en « avance de phase » dans l’innovation technologique et industrielle numérique. Le problème des Européens est en effet que l’Europe « court mal » dans cette course, alors qu’elle est confrontée à des asymétries budgétaires majeures avec les Américains et les Chinois. Il faut alors chercher des raccourcis, des disruptions, pour être en avance de phase, qui pourraient être trouvés dans l’éthique (avec l’importance commerciale croissante des sujets éthiques dans le numérique), par la création de navigateurs ou d’applications qui respectent des valeurs et/ou qui répondent à l’exigence de sobriété énergétique. D’autre part, pour pallier la faiblesse européenne en matière de capital-risque, l’Europe se doit d’être très offensive en matière d’investissements publics. Or, en France notamment, la doctrine de la commande publique, qui est un levier de soutien financier majeur, est très déficiente, avec des marchés publics destinés à être remportés par des entreprises non-françaises ou non-européennes (label « Cloud de Confiance »). Enfin, la « décolonisation » numérique de l’Europe implique des investissements massifs en infrastructures (comme l’équipement en centres de données).
Maxime Lefebvre, diplomate, souligne que si l’Europe a fait beaucoup de choses en termes de régulation, la question demeure de savoir comment développer des acteurs du numériques européens qui parviennent à la taille critique. Visiblement l’Europe n’arrive pas à rattraper les GAFAM américain. Il faudrait à ce sujet étendre nos discussions avec les entreprises françaises et européennes.
Brunessen Bertrand répond à la question de Jérôme Creel, directeur du département des études de l’OFCE, sur la neutralité de la Commission européenne vis-à-vis des politiques industrielles numériques nationales. La Commission européenne n’est pas vraiment neutre, mais procède par encouragement. Elle déploie un faisceau d’instruments, fait de droit souple, de « bacs à sable » règlementaire et de coordination, en mobilisant ses compétences d’appui pour progressivement européaniser les compétences nationales en matière de numérique. D’autre part, en matière de R&D, l’Europe propose beaucoup de canaux de financement, comme des partenariats public-privé et des entreprises communes dans le quantique ou les semi-conducteurs.
Adeline Wintzer, doctorante au Cevipof, demande s’il existe des outils d’évaluation du niveau des investissements en Europe. Sont-ils suffisants ? Quid d’un protectionnisme européen dans le domaine numérique ? D’autre part, les objectifs commerciaux européens dans le numérique ne semblent pas aussi clairs que ceux des États-Unis et de la Chine.
Sarah Guillou, économiste à l’OFCE, remarque que pour le numérique, et alors que l’objectif de compétitivité est traditionnellement premier dans l’UE, la dimension de souveraineté tend à prendre le pas sur celle de la compétitivité, avec une volonté affichée de financer les investissements nécessaires dans le numériques et des incitations à la digitalisation des États (avec un arbitrage entre se digitaliser rapidement en recourant à des prestataires hors UE ou prendre le temps de construire une politique industrielle numérique européenne).
Julien Nocetti estime que l’emboîtement des ambitions et des projets européens dans le numérique se reflète dans le cadre financier pluriannuel (CFP) avec un changement d’échelle, avec le programme Horizon 2020 qui cible le numérique, le programme Europe numérique, le mécanisme d’interconnexion en Europe et dans le domaine spatial. Il reste que l’Europe est confrontée à une asymétrie majeure sur le plan de l’effort budgétaire consacré à la R&D vis-à-vis des GAFAM (le programme Horizon 2020 équivaut à 2% des investissements R&D de Amazon). Le financement de l’innovation est la grande faiblesse de l’Europe qui dépend très fortement de capital-risqueurs américains ou israéliens, ce qui pénalise l’essor de start-up européennes capables de passer à l’échelle tout en restant européennes. Enfin, il y a un lien entre décolonisation et captation des cerveaux européens, avec la multiplication des laboratoires de recherche américains et chinois en Europe dans des domaines sensibles comme l’IA, le quantique ou les algorithmes. La dimension des ressources humaines est sous-estimée. Elle emporte trois enjeux : 1/ l’enjeu de formation (être en mesure de former nos propres chercheurs et experts), 2/ l’enjeu de retenir ces compétences et 3/ l’enjeu de capter des cerveaux non-européens.
Xavier Ragot, président de l’OFCE, remarque que la question du numérique a fait voler en éclat la pensée de l’intervention publique, avec la difficulté persistante de l’Europe pour la production d’acteurs numériques. Le numérique est un bien d’expérience : le consommateur ne connaît pas la valeur du produit sans l’avoir au préalable essayé, ce qui limite la capacité de la puissance publique d’influer sur les usages des consommateurs (sauf en santé publique). Pour l’Europe, il semble difficile d’aller au-delà d’une articulation fine entre politique de la concurrence et politique d’environnement du financement.
Julien Nocetti juge que l’Europe doit accepter de « perdre du temps », malgré un contexte d’accélération du temps. Il remarque d’autre part que le débat sur le numérique en Allemagne a du mal à comprendre l’approche par la souveraineté : il est davantage question du prisme de l’auto-détermination des individus.
[1] Voir par exemple la tribune du député (Modem) Philippe Latombe, « Face aux agressions des Gafam, l’écosystème tech doit s’unir », La Tribune, 6 avril 2022. Le député y parle de « guerre d’occupation numérique » des GAFAM.
[2] Article 4 § 3 du TFUE : « Dans les domaines de la recherche, du développement technologique et de l’espace, l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en œuvre des programmes, sans que l’exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer la leur. » L’UE peut également mobiliser ses compétences en matière de politique industrielle (art. 173 TFUE), de politique de la concurrence (art. 101 et 109 TFUE), de politique commerciale (art. 206 et 207 TFUE), de réseaux transeuropéens (art. 170 et 172 TFUE), de recherche et développement technologique et d’espace (art. 179 et 190 TFUE), de politique énergétique (art. 194 TFUE), de rapprochement des législations dans le but d’améliorer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur (art. 114 TFUE), de libre circulation des marchandises (art. 26 et 28 à 37 TFUE), de libre circulation des personnes, des services et des capitaux (art. 45 et 66 TFUE), d’éducation, de formation professionnelle, de jeunesse et de sport (art. 165 et 166 TFUE), et de culture (art. 167 TFUE).
[3] Adoptée le 21 mars 2022, la Boussole stratégique dote l’UE d’un plan d’action pour renforcer la politique de sécurité et de défense de l’UE d’ici à 2030.