L’obsession de la compétitivité revient sur le devant de la scène avec la campagne électorale. Elle traduit une réalité : les entreprises françaises souffrent effectivement d’une perte de compétitivité qui explique la dégradation du commerce extérieur depuis presque une décennie. Cette perte est manifeste vis-à-vis des pays émergents et explique les délocalisations. Elle est également effective vis-à-vis d’entreprises appartenant à d’autres pays développés, principalement au sein de la zone euro et, singulièrement, vis-à-vis des entreprises allemandes. Cette dernière est d’autant plus grave qu’elle met en cause la cohérence de la construction européenne (cf. OFCE, note n°19 : Compétitivité et développement industriel : un défi européen).
L’écart de compétitivité qui s’est créé avec l’Allemagne est, à l’évidence, un écart de compétitivité-hors prix dont l’une des raisons d’être est la supériorité de son modèle industriel caractérisé par le maintien d’un tissu local fait d’entreprises de toutes tailles centrées sur leur cœur de métier et la fragmentation internationale de la production. Ce modèle est particulièrement adapté au développement d’entreprises s’adressant à des marchés mondiaux et prémunit largement le pays d’origine de ces entreprises du risque de désindustrialisation.
Ce serait, cependant, une erreur que d’ignorer qu’il s’est également produit une évolution défavorable de la compétitivité-prix du fait, à la fois, des réformes du marché du travail en Allemagne, qui ont abaissé relativement le coût salarial, et des stratégies de segmentation de leur production et de délocalisation des segments intermédiaires qui ont également permis une baisse des coûts de production.
Ainsi l’Allemagne est parvenue à la quasi stabilisation de ses parts de marché à l’exportation au niveau mondial grâce à leur augmentation réalisée dans l’Union européenne (+1,7% au cours des années 2000) et plus encore dans la zone euro (+2,3%), quand la France a perdu des parts de marché dans ces mêmes zones (respectivement 3,1% et 3,4%).
La France a subi deux évolutions peu favorables à son industrie. Le tissu des PME industrielles s’est délité. Celles-ci ont souffert moins de barrières à l’entrée que de barrières à la croissance. Leurs managers ont trop souvent été enclins ou incités à les céder à de grands groupes plutôt que d’en assurer la croissance. L’absence de partenariat véritable avec ces groupes en est l’une des causes en même temps que les difficultés rencontrées auprès des banques et des marchés pour obtenir un financement pérenne. De leur côté, les grandes entreprises industrielles, qu’elles soient présentes sur une multitude de marchés locaux ou sur des marchés internationaux, ont fait le choix de la croissance externe et d’un éparpillement territorial de leur implantation ainsi que de celle de leurs fournisseurs d’équipements ou de services. Cette stratégie, conçue pour répondre au déplacement géographique de la demande, mais aussi pour faire droit à des impératifs de rentabilité immédiate exigée par un actionnariat volatile, s’est faite, en partie, au détriment du développement de tissus productifs locaux. Elle a été réalisée grâce un vaste mouvement de fusions et acquisitions mobilisant des compétences avant tout financières. Les institutions financières se sont, de leur côté, converties au modèle de banque universelle, délaissant en partie leurs métiers traditionnels de banque de crédit mais aussi de banque d’affaires. Ces évolutions concomitantes se sont révélées désastreuses pour la compétitivité de l’ensemble, d’autant que dans le même temps les coûts salariaux horaires dans l’industrie augmentaient.
Rétablir la compétitivité des entreprises françaises et favoriser, ainsi, une ré-industrialisation du territoire repose alors sur une double exigence. La première est de permettre une maîtrise immédiate des coûts salariaux et le rétablissement des taux de marge, notamment au moyen de mesures fiscales impliquant de réviser le mode de financement d’une partie de la protection sociale. La deuxième exigence est de peser en faveur d’une réorganisation industrielle impliquant la constitution d’un tissu de relations stables entre les différents acteurs du processus industriel, notamment au moyen d’aides conditionnées à la coopération entre grandes et petites entreprises au sein des pôles de compétitivité.
Cet effort à moyen terme restera largement vain si des politiques coopératives ne sont pas mises en œuvre à l’échelle de l’Europe, qui relèvent aussi bien de la stimulation de l’offre grâce à la mise en œuvre de programmes de développement technologique que du soutien des demandes internes là où elles sont manifestement insuffisantes au regard des capacités de production.