Chômage : au-delà des (bons) chiffres de Pôle emploi

Département Analyse et prévision (Equipe France)

La baisse de 60 000 du nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A au mois de mars est exceptionnelle. Il faut en effet remonter à septembre 2000 pour trouver un recul de cette ampleur. Au-delà de la volatilité naturelle des statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois, il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. Sur un an, la hausse du nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A est de 17 000 personnes. Entre mars 2014 et mars 2015, cette hausse était de 164 000 personnes. Mieux encore, sur les six derniers mois, le nombre des inscrits recule de 19 000.

La catégorie A des demandeurs d’emploi reflète toutefois relativement mal les nombreuses dynamiques à l’œuvre sur le marché de l’emploi. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A les demandeurs d’emploi exerçant une activité réduite (catégories B et C), l’embellie de mars est certes visible, mais plus atténuée. Le nombre d’inscrits en catégorie A-B-C diminue ainsi légèrement en mars (–8 700 personnes) mais aussi sur 3 mois (–23 900).

Néanmoins, une fois encore, au-delà du bon résultat de mars, compte tenu de la dégradation continue du marché du travail et de l’émergence de situations de fragilisation vis-à-vis de l’emploi depuis 8 ans, la situation des ménages vis-à-vis de l’emploi ne connaîtra d’amélioration durable que sous réserve d’accumulation de « bons chiffres » à un horizon de moyen terme.

Des sources statistiques plus pertinentes…

Ces chiffres mensuels ne fournissent qu’une représentation partielle du chômage. Ils omettent notamment les personnes en recherche d’emploi mais non inscrites à Pole Emploi. Concernant les inscrits en catégorie A, sont ainsi comptabilisés les personnes ne réalisant pas de réelle recherche d’emploi car proches de la retraite (voir La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !). De plus, les chiffres publiés par Pôle emploi peuvent être perturbés par des changements de pratique administrative et des incidents techniques ponctuels affectant la gestion des fichiers de Pôle emploi.

Les chiffres fournis trimestriellement par l’INSEE constituent une source plus fidèle pour analyser le chômage. Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Selon ce critère, le taux de chômage en France métropolitaine s’établissait au quatrième trimestre 2015 à 10 % de la population active (+871 000 personnes depuis le quatrième trimestre 2007).

…permettant de mieux mesurer la précarisation du marché du travail

Mais cette définition reste encore restrictive. En effet, elle ne prend pas en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage. Au quatrième trimestre, ce halo comptait 1,41 million de personnes (+25 % par rapport au quatrième trimestre 2007, soit 279 000 personnes supplémentaires).

De même, la définition stricte du BIT n’intègre pas les personnes actives occupées mais travaillant à temps partiel et souhaitant travailler davantage ou les personnes en situation de chômage partiel. Au quatrième trimestre 2015, ces situations de « sous-emploi » concernaient 1,7 million de personnes (+18 % par rapport au quatrième trimestre 2007, soit +254 000).

Au total, en intégrant le sous-emploi et le halo à la définition stricte du chômage mesuré par le BIT, ce sont 5,9 millions de personnes qui se trouvent fragilisées vis-à-vis de l’emploi, soit 31 % de plus que 8 ans auparavant et 18,8 % de la population active élargie (graphique 1)[1].

 

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Un chômage multiforme, un marché du travail en transformation

L’analyse du taux de chômage n’englobe donc pas toutes les dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail. La hausse du nombre de personnes en situation de sous-emploi s’explique en partie par l’ajustement de la durée effective de travail, via les politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel, notamment le temps partiel subi. Si ces ajustements ont accru le sous-emploi, ils ont également permis de freiner la hausse du chômage au sens strict entamée mi-2008. Sans ces ajustements, autrement dit si la durée effective du travail était restée stable entre 2007 et 2015, le taux de chômage au sens du BIT aurait été en France métropolitaine de 0,6 point supplémentaire au quatrième trimestre 2015 (graphique 2).

Parallèlement à ces ajustements du temps de travail, la France a également connu, depuis le début de la crise, une augmentation de la population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle de la population totale. Ces évolutions s’expliquent notamment par la mise en place de réformes des retraites retardant la sortie d’activité des seniors. Mécaniquement, sans nouvelles créations d’emplois, ce dynamisme de la population active a eu pour effet d’accroître le taux de chômage. Dans le cas de la France, cet impact est massif. En effet, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait en France métropolitaine, toutes choses égales par ailleurs, de 8,2 %, soit 1,6 point de moins que le taux de chômage observé au quatrième trimestre 2015.

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Il faut tout de même noter que si ces ajustements sont importants, les évolutions sur lesquelles ils reposent ne peuvent être intégralement imputées à la crise. En effet, le temps de travail a baissé tendanciellement depuis 1990. Entre 1990 et 2002, la durée effective du travail a en moyenne diminué de 0,9 % par an. Depuis 2003, cette diminution est certes moins rapide mais se poursuit (–0,2 % par an). Parallèlement, l’accroissement du taux d’activité a été continu, sous les effets cumulés de l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail et des réformes successives du système de retraites. Alors qu’il s’établissait à 67,1 % en 1990, le taux d’activité atteignait 69,7 % en 2007. Au quatrième trimestre 2015, il était en France métropolitaine de 71,5 %.

 

 

[1] Entendue comme la population active à laquelle est ajouté le halo.

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