Après la déclaration de Meseberg…

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Rien n’est facile en Europe. S’il y a un certain consensus sur la nécessité d’améliorer le fonctionnement de l’UE, les projets diffèrent entre la Commission européenne, les États membres et à l’intérieur même des pays de l’UE. Sur la base du rapport des Cinq présidents de juin 2015 : Compléter l’Union économique et monétaire, la Commission propose de nouvelles avancées pour la zone euro, comme finaliser l’Union bancaire, développer l’Union des marchés de capitaux, créer de nouveaux instruments pour inciter les États membres à entreprendre des réformes structurelles ; créer une capacité de stabilisation budgétaire à l’échelle de la zone euro.

Si le projet de rénovation de l’Europe, basé sur l’impulsion du couple franco-allemand, présenté par Emmanuel Macron, en particulier dans son discours de la Sorbonne du 21 septembre 2017, a été reçu avec un grand intérêt, de grandes réserves sont aussi apparues. Beaucoup d’États membres réclament que les 27 soient traités sur un pied d’égalité ; ils rejettent tout projet accentuant les disparités entre les pays de la zone euro et les autres et tout projet créant un « groupe de rénovation » à l’intérieur même de la zone euro. L’approfondissement de l’Union économique et monétaire doit se limiter à ce « qui est nécessaire » et non s’étendre à « ce qui serait agréable d’avoir »[1]. Par ailleurs, beaucoup d’économistes ou personnalités politiques allemands, refusent toute une Europe des transferts, qui organiserait des transferts permanents, sans un montant limité voté par le Parlement allemand et sans une stricte conditionnalité.

La déclaration faite le 19 juin dernier par Angela Merkel et Emmanuel Macron, à l’issue du sommet franco-allemand de Meseberg, était donc très attendue pour préciser les intentions des deux plus grands pays de l’UE, avant le Conseil européen des 28-29 juin. La déclaration[2] est un compromis qui reste souvent vague.

Les deux dirigeants reprennent la proposition de la Commission de développer « les liens entre les fonds structurels et la coordination des politiques économiques », ce qui est contestable si, par coordination, il faut comprendre le respect des règles budgétaires actuelles, et non une véritable coordination des politiques économiques. Les traités prévoient certes des dispositifs de sanctions financières, en l’absence de respect des règles budgétaires, mais ceux-ci ne peuvent consister en des diminutions de fonds structurels.

Les deux dirigeants acceptent de soutenir le projet présenté par la Commission d’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACIS), tout en refusant certains aspects contestables (comme la déduction d’intérêts notionnels sur les fonds propres). Toutefois, la discussion devra être poursuivie sur deux points : la possibilité pour un pays d’introduire ou de maintenir des dispositifs de crédit d’impôt, le rapprochement des taux[3].

Les deux dirigeants envisagent de réviser le Traité sur le mécanisme européen de stabilité (MES). Celui-ci pourrait être incorporé dans le droit de l’UE, comme le demande la Commission, tout en restant un organisme inter-gouvernemental, comme le réclament les pays du Nord. Le MES pourrait changer de nom, mais le nom souvent proposé de Fonds monétaire européen semble écarté. ll n’est pas écrit clairement (contrairement aux souhaits de beaucoup d’économistes et personnalités politiques allemands) que tout pays aidé devra aussi imposer à ses créanciers privés une restructuration de sa dette, mais il est précisé que la soutenabilité de la dette d’un pays aidé devra être examinée ; que des clauses d’action collective pourraient être introduites ; que le MES facilitera le dialogue entre le pays aidé et ses créanciers privés. Certains proposaient que le MES soit chargé de surveiller les politiques budgétaires des États membres, de façon purement technique, pour imposer le respect des traités. La déclaration stipule que le MES devra évaluer la situation économique des États membres (« sans dupliquer le rôle de la Commission et dans le plein respect des traités »). On voit mal comment éviter cette duplication (en fait sans doute une « triplication », compte-tenu du rôle des Comités budgétaires). Un pays aidé par le MES pourrait demander aussi l’aide du FMI (ce qui suppose que l’UE renonce à l’objectif de siège unique au FMI). Une ligne de crédit de précaution pourrait soutenir un pays membre, qui n’a plus accès aux marchés financiers, sans avoir besoin d’un programme complet. La feuille de route précise, bizarrement, que ce soutien serait réservé aux pays économiquement et budgétairement sains.

Les deux dirigeants acceptent le projet d’Union des marchés de capitaux. Ils acceptent le principe de renforcement de l’Union bancaire, mais, selon le souhait allemand, les risques des systèmes bancaires nationaux actuels devront être réduits avant d’être partagés. Le MES devrait établir une ligne de crédit, servant de filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique, de taille légèrement inférieure à celle du fonds lui-même. Les éventuelles contributions de cette ligne à des banques en difficulté seront remboursées par le secteur bancaire en 3 (voire 5) ans. Son entrée en vigueur, avant 2024, dépendra donc de l’évolution des risques des secteurs bancaires nationaux. La négociation politique sur la garantie européenne des dépôts pourrait débuter dès juin 2018 ; sa mise en place dépendra elle-aussi de la réduction des risques.

La feuille de route franco-allemande rejette nettement le projet de la Commission de mettre en place un actif synthétique, déclaré comme sans risque, élaboré à partir d’un portefeuille titrisé de titres publics. Par contre, elle est silencieuse sur l’autre projet de la Commission, celui de décourager les banques de détenir trop de titres publics émanant de leur pays, en les obligeant à les considérer comme risqués, de sorte qu’elles auraient été incitées à détenir cet actif synthétique. Ces deux propositions auraient affaibli la capacité des États membres à se financer et auraient fait augmenter les spreads en Europe.

L’Allemagne s’est ralliée à la proposition française de mettre en place un budget de la zone euro pour promouvoir « la compétitivité, la convergence et la stabilité ». Cependant, la taille de ce budget n’est pas précisée (plusieurs centaines de milliards d’euros ou quelques dizaines ?). Il serait financé par des contributions nationales, des contributions européennes et des ressources spécifiques : une taxe sur les transactions financières (selon le modèle français, donc uniquement sur les achats d’actions), la taxation des entreprises numériques et une partie des ressources de l’impôt sur les sociétés, une fois l’ACIS mise en place. Il est précisé que les dépenses viendront en substitution des dépenses nationales et que la réduction du ratio dette publique/PIB reste une priorité. Il n’est pas dit que ce budget pourrait être déficitaire. Il est précisé que la fonction de stabilisation n’induira pas des transferts permanents : la déclaration envisage un simple report des contributions au budget de la zone euro du pays frappé par un choc (mais cela suppose que ces contributions soient importantes) ou un Fonds européen de stabilisation du chômage qui prêterait de l’argent au système d’indemnisation du chômage d’un pays frappé par une perte importante d’emplois. Cela ne serait qu’un prêt de taille limité ; on en voit mal l’intérêt pour des pays qui empruntent sans problème sur les marchés financiers. Le texte précise que les décisions stratégiques concernant la zone euro seront prises par les pays de la zone euro, mais les dépenses seront effectuées par la Commission.

Selon le Financial Times, Wopke Hoekstra, le ministre des Finances néerlandais, aurait adressé le 22 juin au président de l’Eurogroupe, une lettre au nom de douze pays de l’UE (les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Finlande, l’Irlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Autriche, Malte, le Danemark et la Suède) se déclarant hostiles au projet de budget de la zone euro, refusant toute hausse des dépenses de l’UE et tout impôt commun.

Il n’est pas simple de « rénover l’Europe ». Certains pays refusent toute avancée institutionnelle, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Tout projet créant plus de solidarité se heurte aux pays qui refusent toute hausse des transferts. Enfin, les pays réticents refusent aussi toute Europe à plusieurs vitesses.

 

 

[1] Déclaration du 6 mars 2018 des ministres des Finances de huit pays du Nord (Pays-Bas, Irlande, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Danemark, Suède).

[2] Elle est complétée par une feuille de route franco-allemande.

[3] Voir la Position commune de la France et de l’Allemagne sur la directive ACIS.

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