par Eloi Laurent
L’Union européenne doit absolument tenir le cap à Durban et après le sommet : non seulement réaffirmer son ambition climatique mais plus encore la consolider en maîtrisant davantage ses liaisons carbones (voir la note de l’OFCE : L’Union européenne à Durban : tenir le cap), c’est-à-dire l’impact global de son développement économique. Cela suppose de passer, au besoin seule, d’un objectif de 20% de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 à un objectif de 30% de ses émissions, plus en conformité avec le but qu’elle a par ailleurs fait sien de limitation du réchauffement terrestre de 2°C par rapport à la période pré-industrielle.
De sa détermination dépend la possibilité d’une transition de l’économie mondiale vers l’économie bas-carbone. Premier marché du monde, l’Union européenne possède en effet un très grand pouvoir sur les politiques écologiques des autres pays de la planète : plus elle sera ambitieuse sur le plan climatique et plus, par effet d’influence et d’entraînement, les autres pays le seront aussi.
Mais la poursuite de cette dé-carbonisation de l’économie européenne implique la réforme et l’articulation cohérente des instruments économiques nationaux et européens.
Pour la France, cela signifie atteindre ses objectifs climatiques (le « facteur 4 », c’est-à-dire la division par 4 de ses émissions d’ici à 2050), en instaurant un signal-prix pour contenir ses émissions diffuses de gaz à effet de serre (provenant du logement et du transport) non incluses dans le marché du carbone européen. En clair, il faudra instaurer une taxe carbone dont il conviendra de préciser les modalités d’insertion dans le système fiscal français mais qui, comme le montre une étude récente de l’OFCE, peut parfaitement générer un double dividende, social et environnemental. Le rapport Perthuis est sur ce point tout à fait clair : accompagnée par un signal-prix, la transition climatique française sera créatrice d’emplois. Cette transition ne doit cependant pas négliger les enjeux de justice sociale, à commencer par le problème urgent de la précarité énergétique.
L’Union européenne doit également réformer au plus vite ses marchés du carbone, dont le signal-prix est aujourd’hui quasi-inopérant (la tonne de CO2 est tombée à 7 euros) et qui pourraient être encore plus affectés par l’issue de la conférence de Durban, comme ce fut le cas après celle de Copenhague. Diverses options existent comme celle d’instituer une banque centrale européenne du carbone.
Enfin, l’instauration d’un tarif carbone aux frontières de l’Union européenne pourrait redonner de la cohérence à la politique climatique de la région en traitant le problème des fuites de carbone et des émissions importées et en fournissant une source de financement au Fonds vert, dont l’architecture pourrait constituer le seul véritable acquis de Durban.
Il y a, au fond, trois raisons fondamentales pour lesquelles l’Union européenne doit confirmer et renforcer son ambition climatique à Durban et plus encore après Durban :
- La première tient à la sécurité humaine des Européens : l’UE doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre parce que, comme le montre un rapport récent du GIEC, celles-ci sont et seront à l’avenir plus encore, à l’origine de la multiplication des événements climatiques extrêmes sur notre planète. L’Union européenne a subi près de 350 de ces événements au cours de la seule décennie 2000, près de quatre fois plus qu’au cours de la décennie 1980. La canicule de l’été 2003, a elle seule, aura coûté la vie à 70 000 Européens.
- La deuxième raison tient à la prospérité économique des Européens. L’UE doit consolider son avantage comparatif écologique et se libérer au plus vite du piège des énergies fossiles. La dépendance européenne à l’égard du carbone n’a fait que se renforcer depuis deux décennies. Le taux de dépendance énergétique des pays membres de l’Union européenne a augmenté en moyenne d’environ dix points de pourcentage ces quinze dernières années pour atteindre 53% en 2007, dont 82% pour le pétrole et 60% pour le gaz, qui représentent à eux deux 60% de toute l’énergie consommée dans l’UE. A l’inverse, le coût économique à court terme (sans inclure les bénéfices de plus long terme) du passage d’un objectif de 20% de réduction des émissions à 30% de réduction d’ici à 2020 est minime, de l’ordre de 0,6% du PIB européen par an (estimation de la Commission européenne).
- La troisième raison, peut-être la plus fondamentale, tient au besoin actuel de cohésion politique de l’Union européenne. Il faut aujourd’hui rien moins que reconstruire l’Union européenne qui a été dévastée économiquement et politiquement par la crise globale. La perspective de dépression économique coordonnée proposée actuellement aux citoyens européens par leurs gouvernements signera la dislocation de la zone euro mais aussi par ricochet, on peut le craindre, l’arrêt de la construction européenne, voire son dé-tricotage. La transition écologique peut certes « sauver le climat », mais elle peut aussi sauver l’Europe en lui redonnant un horizon.
Le meilleur espoir de ce qu’il faut déjà appeler « l’après-Durban » réside sans doute dans la constitution d’un axe sino-européen sur le climat : la Chine est en train de prendre conscience que son effet sur le changement climatique n’a d’égal que l’effet du changement climatique sur elle (premier émetteur mondial, elle sera en retour la première victime de ses émissions) ; l’Union européenne peut confirmer, à la suite de la désertion américaine, son rôle de leader climatique global.
Les responsables européens semblent parfois agacés de devoir porter seuls, parmi les pays développés, cette responsabilité et sont fatigués d’essuyer les critiques que l’on réserve à celui qui tient le manche, alors même que l’Union européenne est la seule région du monde à respecter ses engagement de Kyoto, qu’elle est la seule à s’être dotée d’objectifs intermédiaires de réduction de ses gaz à effet de serre (GES), qu’elle est la seule en mesure d’atteindre ces objectifs. Cet agacement européen est déplacé : vu les catastrophes que nous annonce la science, la lutte contre le changement climatique pourrait être la plus grande contribution de l’Europe à l’avenir de l’humanité. Tenir le cap climatique est donc son devoir le plus impérieux. Il se trouve que c’est aussi dans son intérêt.