par Pierre Madec
Lors de la présentation du Budget 2016 en Conseil des ministres, a été actée la baisse de 225 millions des aides personnelles au logement. Prise en compte du patrimoine lors de l’allocation des aides, exclusion des loyers jugés « abusifs » ou encore meilleure intégration du revenu réel des jeunes actifs dans le calcul sont autant de mesures annoncées.
Au vu de l’importance des montants distribués, plus de 40 milliards d’euros au titre de l’ensemble de la politique du logement (aides à la pierre et à la personne), dont 20 milliards d’euros pour les seules aides personnelles en 2014, et des résultats observés depuis 10 ans – pénurie de logement dans les zones les plus tendues, secteurs locatifs (privé comme social) en panne de mobilité, taux d’effort des locataires en hausse continue depuis le début des années 2000, 3,5 millions de ménages mal logés – la question de l’efficience de la politique du logement, et particulièrement des allocations logement, semble se poser légitimement.
Des aides de plus en plus coûteuses ?
La première critique adressée à l’endroit des aides à la personne concerne leur coût. Certes les 20 milliards d’euros distribués au titre des aides personnelles au logement en 2014 représentent un montant important, supérieur aux montants versés au titre du RSA (moins de 10 milliards d’euros en 2014) ou des allocations familiales (moins de 15 milliards d’euros en 2014). Pour autant, la part qu’occupent les aides à la personne dans le PIB n’a, elle, que très peu évoluée depuis près de 20 ans (voir graphique).
En 2014, la France a consacré 1 % de son PIB aux allocations logement, soit une part similaire à celle consacrée depuis 1996. Malgré la crise économique, le nombre de bénéficiaires n’a d’ailleurs que très peu évolué depuis la fin des années 1990 (+190 000 depuis 1996). L’idée selon laquelle la « défaillance » du système actuel des aides à la personne serait relativement récente et impossible à contenir semble donc déraisonnable.
Des aides de moins en moins efficaces ?
Si l’efficacité des aides personnelles au logement s’effrite peu à peu, c’est dû en grande partie à la déconnexion qui existe entre le calcul des aides et la réalité du marché locatif. En 2014, près de 90 % des locataires du parc privé avaient un loyer supérieur aux plafonds servant de base au calcul des aides. Cette situation touchait plus d’un locataire du parc social sur deux. En effet, si l’évolution des montants distribués a pu être maintenue à des niveaux soutenables pour les finances publiques, cela a été rendu possible par une sous-indexation massive des aides, comparativement aux loyers de marché. Entre 2000 et 2010, alors que le loyer moyen des bénéficiaires des aides augmentait de 32 %, les loyers plafonds n’étaient eux revalorisés que de 16 %. Cette sous-indexation des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides a également eu pour effet d’exclure un certain nombre de ménages du champ des potentiels bénéficiaires. En effet, l’absence d’actualisation des barèmes a pour effet direct de réduire les seuils de revenus relativement au SMIC par exemple, excluant ainsi de fait les ménages se situant à son voisinage et expliquant pourquoi le nombre de bénéficiaires n’a que peu progressé au cours des dernières années.
Outre l’érosion de leur impact solvabilisateur, de nombreuses études ont également montré l’important effet inflationniste des aides à la personne sur les loyers (G. Fack, 2005 ; A. Laferrère et D. Le Blanc, 2002). Les estimations suggèrent qu’une grande partie (entre 50 et 80% selon Fack) des allocations perçues par les bas revenus est absorbée par des augmentations de loyers et l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes augmente la demande sur le marché locatif. Compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logement à court terme, cela alimente d’autant l’effet inflationniste.
Cet effet peut évidemment être fortement atténué par une politique de construction ambitieuse. Pour autant, cette augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale, est, dans les zones les plus tendues, complexe à mettre en œuvre. La mise en place d’un dispositif d’encadrement des loyers tel que celui initialement prévu par la loi ALUR pourrait permettre d’enrayer en partie ces phénomènes de captation.
Les allocations logement demeurent malgré tout, de par leur ciblage sur les ménages les plus modestes, l’une des aides les plus redistributives. Du fait du barème, seuls les ménages des trois premiers déciles de revenu peuvent prétendre aux allocations logement. Après transferts sociaux, elles représentent près de 20 % du revenu disponible des ménages appartenant au premier quintile de revenus (les 20 % les plus pauvres). Même si les montants alloués au titre des allocations logement sont bien supérieurs aux montants distribués au titre du RSA ou des allocations familiales, leur efficacité, bien qu’en diminution, n’est plus à prouver puisque, selon l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), elles permettent à elles seules de diminuer le taux d’effort des allocataires de 36 % à 20 % et de faire baisser leur taux de pauvreté de 3 points. Les aides au logement constituent de fait un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté.
Quelles pistes de réforme ?
Parmi les pistes d’économies proposées par le gouvernement figure notamment la possibilité d’intégrer dans le calcul des aides au logement une fraction du patrimoine des ménages. Evidemment, les aides au logement ne doivent pas pouvoir bénéficier à des ménages au patrimoine élevé mais rappelons que le revenu d’exclusion des aides pour un ménage de deux personnes avec deux enfants se situe aux alentours de deux SMIC (contre 2,12 SMIC en 2001). Il paraît peu probable que ces ménages aient un patrimoine excessivement important. L’Inspection générale des finances chiffrait d’ailleurs à 4 % le nombre de bénéficiaires d’aides ayant un patrimoine global (financier et immobilier) supérieur à 75 000 euros.
A contrario, l’instauration de maxima de montant de loyer serait à même de concerner un nombre relativement important d’allocataires. La sous-indexation massive des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides, associée à la hausse continue des loyers dans les zones les plus tendues, a de fait entraîné l’acquittement de loyers « abusifs » par les locataires les plus modestes. Malgré tout, réduire les aides allouées à ces ménages ne peut être une solution. A titre d’exemple, le loyer plafond à Paris pour un ménage ayant 2 enfants est de 445 euros en 2015.
Si les propositions faites venaient à être mise en œuvre, tout ménage s’acquittant d’un loyer supérieur à 890 euros verrait son allocation logement diminuer, augmentant d’autant son reste à charge en matière de dépenses de logement.
Bien qu’une refonte globale du système d’allocations logement soit à terme indispensable (revalorisation des plafonds de loyers, meilleure territorialisation des montants alloués, ciblage plus strict pour un certain nombre d’allocataires tels que les étudiants), elle doit avoir lieu dans le but d’une meilleure redistribution et non dans l’espoir de faire des économies.
Pour un état des lieux plus complet, voir « Faut-il réformer les aides personnelles au logement », dans L’économie Française 2016, Repères, La Découverte.