(né le 19 août 1942 à La Goulette (Tunisie), décédé le 15 avril 2022 à Paris)
L’économiste Jean-Paul Fitoussi nous a quittés le 15 avril à Paris. Docteur d’État en sciences économiques et agrégé, il a commencé sa carrière comme professeur à l’Université de Strasbourg puis à l’Institut universitaire européen de Florence avant de rejoindre Sciences Po et de devenir président de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) de 1989 à 2010. Officier de la Légion d’honneur, docteur Honoris Causa de nombreuses universités, ses travaux ont été reconnus par de nombreux prix internationaux. Il a contribué à de nombreuses institutions en France et en Italie où il enseignait également et où sa renommée était aussi très importante.
Jean-Paul Fitoussi était un grand économiste mais aussi un penseur de la société. Il comprenait que nos économies génèrent de fortes instabilités. L’inflation élevée des années 1970, le chômage de masse qui s’installe dans les années 1980, les taux d’intérêt élevés des 1990 du fait de la convergence vers l’euro, la crise financière de 2008, la crise sanitaire, puis la crise géopolitique et énergétique actuelle : l’instabilité économique est la norme, frappe les plus fragiles, et l’intervention publique doit être la constante. Le capitalisme n’est pas un système stable où les femmes et les hommes politiques ne changent que des paramètres techniques, comme un impôt, ou des paramètres du système de retraite, par exemple. Il nécessite une intervention constante par la politique budgétaire et monétaire, avec des instruments à chaque fois adaptés. Ses réflexions les plus récentes portaient sur les effets sur les ménages les plus pauvres de la hausse de l’inflation et des prix de l’énergie depuis l’invasion de l’Ukraine. Comment réduire la dépendance énergétique sans pénaliser les ménages les plus pauvres ?
Jean-Paul Fitoussi a su tirer les implications pour la construction européenne. On ne peut pas construire une gouvernance économique par des règles économiques : les critères de 3% de déficit public et de 60 % de dette publique, en plus d’être arbitraires, détournent la réflexion des déséquilibres qui s’accumulent hors du budget de l’État. Il ne faut pas de règles uniformes mais un lieu de débat pour identifier les déséquilibres et anticiper les crises à venir, un lieu de souveraineté européenne donc. Pour Jean-Paul Fitoussi, la souveraineté européenne n’a pas pour rôle l’affrontement mais la coordination et la gestion de l’exception économique.
Cependant, le but de cette coordination économique ne peut être de maximiser la croissance sans se soucier des inégalités ou de la soutenabilité. Il s’agit de contribuer au bien-être commun. La force intellectuelle de Jean-Paul Fitoussi rencontre ici la modestie de l’économiste. Ce n’est pas à l’économiste de donner le sens de l’économie mais à la démocratie de montrer les futurs souhaitables. Les contributions de Jean-Paul Fitoussi ont donc porté sur la définition et la mesure du bien-être. Au sein de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, il a contribué dès 2009 à élargir les mesures du progrès économique au-delà de la seule croissance du PIB.
Mais Jean-Paul Fitoussi était aussi un constructeur et avait le souci de participer à la vie de la cité. Il est devenu Président de l’OFCE en 1989 et a dirigé l’institut pendant 20 ans, faisant de l’OFCE un centre reconnu internationalement. Tous ceux qui ont travaillé avec lui peuvent témoigner de sa gentillesse, son attention, son humour aussi. Le souci des autres n’était pas qu’une attitude intellectuelle. Pendant 20 ans il était secrétaire général de l’Association internationale des Sciences Économiques, participant à la réflexion internationale avec Arrow, Sen, Phelps, Solow, tous prix Nobel et ses amis.
Enfin, il a contribué à de nombreuses évolutions à Sciences Po, étant un grand architecte de l’établissement. Il a participé à son ouverture sociale et à la création du département d’économie. La pertinence de ses conceptions et son sens de la pédagogie lui ont donné une place particulière dans le débat public. Consulté par tous les gouvernements, jamais avare de son temps pour expliquer les enjeux de politique économique, avec les étudiants comme avec les présidents de la République.
Jean-Paul Fitoussi nous quitte au moment où l’on a le plus besoin de sa pensée. Par sa conception du rôle de l’économiste dans la cité, son attention aux crises et aux difficultés économiques des plus fragiles, on peut qualifier Jean-Paul Fitoussi de keynésien. C’est à la fois juste, mais réducteur. Il faut élargir la focale et mieux le présenter : un honnête homme et un grand économiste.