par Henri Sterdyniak
La France a signé le Pacte de Stabilité en 1997 et en 2005 puis le Traité budgétaire en 2012. Selon ces textes, le déficit public d’un pays de la zone euro ne doit pas dépasser les 3 points de PIB ; dès que le déficit public dépasse cette limite, le pays est soumis à la procédure de déficit excessif et doit revenir sous les 3% selon un calendrier accepté par la Commission.
La France s’était engagée à revenir en dessous des 3% en 2012, puis en 2013 ; elle a obtenu, en juin 2013, la possibilité de reporter à 2015 le passage sous les 3%. Mais, selon le budget présenté fin septembre 2014, le déficit public de la France sera toujours de 4,3% du PIB en 2015 ; le passage sous les 3% est reporté à 2017.
En décembre 2012, la France s’était engagée à faire un effort budgétaire de 3,2 points de PIB sur les trois années 2013-14-15 ; selon le nouveau budget, l’effort ne sera que de 1,4 point, soit de 1,1 point en 2013, 0,1 point en 2014, 0,2 point en 2015. Ainsi, la France ne fera même pas en 2014 et 2015 l’effort de 0,8 point de PIB auquel elle s’était engagée en juin 2013 ; elle ne fera pas non plus, durant ces 2 années, l’effort de 0,5 point de PIB, qui s’impose à tous les pays dont le déficit structurel est supérieur à 0,5 point de PIB.
Au lieu de prendre des mesures pour se rapprocher de la trajectoire de solde public annoncée par la Loi de Programmation des Finances Publiques votée en 2012, le gouvernement va faire voter une nouvelle LPFP, ce qui est contraire à l’esprit du Traité budgétaire. Bref, soit Bruxelles sanctionne la France, soit elle renonce à faire respecter les principes du Pacte et du Traité.
Certes, sur le plan technique, une partie de l’écart s’explique par le fait que le gouvernement français a accepté l’estimation de la Commission d’une croissance potentielle de la France limitée à 1% par an en 2013-2015 ; avec une croissance potentielle estimée de 1,6%, l’effort estimé serait plus élevé de 0,3 point par an. Mais le Traité budgétaire précise bien que ce sont les estimations de la Commission qui s’imposent. Sur le plan économique, compte tenu de la situation conjoncturelle, le gouvernement a choisi de privilégier le soutien de la croissance par les baisses d’impôts et de cotisations figurant dans le Pacte de Responsabilité et de Croissance, par rapport au respect des règles européennes. Mais cela n’est pas autorisé par les traités : un pays ne peut décider seul de s’affranchir des règles.
Pour rentrer dans les clous, la France devrait faire en 2015 un effort supplémentaire de baisse des dépenses publiques de l’ordre de 1,4% du PIB, soit de 28 milliards. En même temps, cet effort aurait un impact récessif sur le PIB : au lieu de la croissance de 1,0% en 2015, que prévoit le gouvernement, la France connaîtrait une baisse du PIB de l’ordre de 0,4%[1], de sorte que les rentrées fiscales diminueraient et que l’objectif de 3% de déficit ne serait pas atteint non plus et nous replongerions en récession. Bref, la France a raison de désobéir.
Ainsi, la Commission pourrait-elle infliger à la France une amende de 0,2% de son PIB, soit de 4 milliards d’euros chaque année. Elle pourrait lui imposer de rendre compte tous les 3 mois de l’exécution de son budget. Elle pourrait lui demander de s’engager fermement sur des réformes structurelles (réforme des retraites, baisse des indemnités chômage, réduction des allocations familiales, diminution du nombre de fonctionnaires). Mais cela rendrait l’Europe encore plus impopulaire pour les Français.
La France n’a aucune difficulté à trouver des financements pour sa dette publique. Elle s’endette à des taux d’intérêt nuls à 1 an, de 1,3% à 10 ans. Elle contribue à garantir les dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Elle fait un important effort militaire en Afrique et au Moyen-Orient dont beaucoup de pays de l’UE s’exemptent. La France contribue pour 22 milliards au budget de l’UE et sa contribution nette est de l’ordre de 6 milliards. Son déficit public n’a aucune conséquence néfaste pour ses partenaires européens ; au contraire, il soutient leur activité. De sorte que la sanction apparaîtrait comme absurde : on pénaliserait un pays pour ne pas respecter une limite arbitraire de 3%. Non pour des motifs économiques, mais pour faire un exemple, pour renforcer la crédibilité des traités en vigueur.
La France n’est pas le seul pays à ne pas respecter les critères européens de finances publiques. En 2014, par exemple, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, mais aussi, en dehors de la zone euro, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon ont des déficits publics supérieurs à 3 % du PIB. La quasi-totalité des pays de l’OCDE ont des dettes publiques supérieures à 60% du PIB. De toute évidence, ces critères sont mal pensés.
La France a fait des efforts budgétaires importants depuis 2009, de l’ordre de 4,5 points de PIB[2], soit un peu plus que la moyenne des pays de la zone euro. Les pays qui ont fait des efforts plus importants (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande) sont dans des situations économiques préoccupantes en termes de chômage et d’écart de production. Il est légitime que la France, où les investissements publics sont particulièrement importants (4 points de PIB) conserve un certain déficit public.
Lorsque tous les pays de la zone font en même temps des politiques d’austérité, le PIB de la zone est lourdement affecté et les objectifs de finances publiques ne peuvent être atteints. C’est ce que l’on voit en Europe depuis 2012, mais la Commission refuse de renoncer à sa politique d’austérité, malgré ses résultats désastreux, qui avaient d’ailleurs été annoncés dès 2011[3].
En fait, les objectifs européens n’ont aucun fondement économique : les limites de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette sont arbitraires. Il est légitime qu’un pays qui investit beaucoup et qui est en récession ait un déficit public relativement important. Il serait suicidaire d’ajouter une politique trop restrictive à une situation déjà déprimée par la crise financière, puis par la crise des dettes des pays du sud de la zone euro, puis par les politiques d’austérité mises en œuvre.
Le problème est que les gouvernements français successifs ont eu tort d’accepter de signer le Pacte de Stabilité puis le Traité Budgétaire, ont eu tort de prendre des engagements stupides sur le plan économique, impossibles à tenir. La France apparaît aujourd’hui comme un partenaire non digne de confiance, incapable de tenir ses engagements. Il aurait été plus courageux et plus honnête de refuser de signer.
Sur le plan du droit européen, la France n’aurait pas le droit de ne pas tenir compte des sanctions de l’UE. Le refus de la France de modifier son budget ouvrirait une grave crise en Europe. Il mettrait en cause les fondements de la coordination budgétaire que l’UE a mis en place : la norme de 3%, la procédure de déficit excessif, l’objectif de solde équilibré, le pilotage par le semestre européen, etc. Cette coordination a été imposée par l’Allemagne et les pays du Nord en échange de leur acceptation de la monnaie unique.
En sens inverse, cette pseudo-coordination par des règles arbitraires se révèle totalement contreproductive ; la politique d’austérité pilotée par la Commission a tué la reprise qui s’esquissait en 2010-11 ; la zone euro reste une zone de faible croissance, de chômage de masse et de déséquilibres entre les Etats membres. A l’évidence, la priorité aujourd’hui est de mettre un terme aux politiques d’austérité et de coordonner des politiques de relance en adoptant des mesures spécifiques pour les pays en déséquilibre (plus de salaires et de protection sociale en Allemagne, des investissements productifs dans les pays du Sud).
De sorte que la question se posera : ne faudrait-il pas que la France ait le courage de dire clairement qu’elle refuse de se plier à des règles budgétaires contre-productives et qu’elle demande une rupture franche dans les politiques de l’UE ?
[1] En prenant un multiplicateur de dépenses publiques égal à 1.
[2] Selon les estimations de l’OCDE, Economic Outlook data base, table 30, ou de l’OFCE (Voir, « France, ajustements graduels », Revue de l’OFCE, avril 2014, page 91)
[3] Voir dans la Revue de l’OFCE, janvier 2011, n°116, les articles : Mathieu C. et H. Sterdyniak : « Finances publiques, sorties de crise » ; J. Creel, E. Heyer E. et M. Plane : « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps ».