par Christine Rifflart
Après deux semaines de shut down, et au bord de la cessation de paiement si aucun accord durable n’est trouvé avant la fin octobre, l’administration américaine est confrontée à une combinaison de crises sans précédent. Les coupes brutales sur les dépenses non votées dans le budget 2014 dont l’exercice fiscal a commencé le 1er octobre vont porter un coup fatal à la croissance du quatrième trimestre. La menace d’un défaut de paiement agite les marchés financiers, inquiète à juste titre les détenteurs de bons du Trésor et autres titres publics et fait planer le doute d’une nouvelle crise financière qui serait autrement plus grave pour l’économie mondiale que la crise de 2008. Enfin, le pays est en train de sombrer dans une crise institutionnelle sans précédent dont on a du mal à imaginer une issue positive. Car la proposition faite vendredi par les républicains (voir article du Financial Times du 11 octobre) de relever le plafond de dette pendant une période de six semaines pour désamorcer la crise autour du défaut aura fait long feu, puisque dès samedi elle était rejetée par le Président (voir article du 12 octobre). Cet épisode est apparu davantage comme une secousse supplémentaire à ce séisme qui n’en finit pas qu’un début de réponse crédible à la situation.
Pour commencer, il faut rappeler que le plafond de la dette est la limite statutaire fixée par le Congrès sur le montant d’emprunts que le Trésor peut émettre pour satisfaire à ses obligations légales (remboursement de la dette fédérale, paiement des intérêts, dépenses budgétaires, …). Dans la mesure où le budget voté par le Congrès est en déficit, il génère un besoin de financement qui doit être couvert par une nouvelle dette[1]. Si la dette atteint la limite autorisée, le Trésor ne peut plus émettre de nouveaux titres, sauf dans la limite où d’anciens titres arrivent à maturité. Le Congrès doit alors relever le plafond de dette pour permettre l’application de la politique budgétaire, ou bien voter un budget qui dégage un excédent budgétaire primaire suffisant pour couvrir les obligations légales du Trésor. C’est bien dans cette problématique que se trouve actuellement l’administration américaine.
Depuis le 19 mai 2013[2], le plafond de la dette est atteint. Ne pouvant plus émettre de nouvelles dettes, le Trésor finance ses opérations par des mesures exceptionnelles (en recourant notamment aux réserves des Fonds de pension des fonctionnaires du gouvernement fédéral, du service postal, ou encore du Fonds de Stabilisation des changes) lesquelles, selon le Secrétaire américain au Trésor, seront épuisées le 17 octobre. Au-delà, le Trésor ne devrait plus disposer que de ses recettes fiscales perçues quotidiennement et d’un peu de cash pour continuer à honorer ses engagements normalement. La cessation de paiement pourrait être prononcée entre le 18 octobre et le 1er novembre, selon le Bipartisan Policy Center. Le Congressional Budget Office situe cette date au 22 octobre.
La proposition d’un relèvement du plafond de dette pendant six semaines devait reporter d’autant l’échéance d’un défaut et donner du temps au Congrès pour négocier un nouveau budget. Mais cela changeait-il vraiment la donne ?
Même en l’absence d’un vote au Congrès, d’importantes dépenses sont déjà engagées sur le budget 2014. Ainsi, dans la version révisée du Budget du Président de juillet dernier, sur les 3 642 milliards de dollars de dépenses fédérales prévues, 2 236 milliards sont des dépenses obligatoires (mandatory programs), principalement au titre des programmes sociaux (sécurité sociale, Medicare, Medicaid), 614 milliards sont destinés à la Défense et ont été votées dans les précédents budgets, et 222 milliards sont des charges d’intérêts. Or, les recettes fiscales étant insuffisantes pour couvrir ces dépenses déjà actées, le Trésor devra s’endetter pour les financer et sans relèvement suffisant du plafond, il ne pourra pas le faire.
L’objectif des républicains est donc bien de revenir sur les programmes sociaux. Mais là non plus le Congrès ne peut revenir sur des programmes qui ont déjà été votés et dont il a pris l’engagement de les respecter.
On voit bien la guerre politique qui se joue désormais. Le plafond de la dette s’est placé au cours des deux dernières années, au cœur de la politique budgétaire américaine[3] pour devenir aujourd’hui un puissant outil d’injonction. Pis encore, un outil d’injonction contradictoire ! Le refus du Congrès de relever le plafond de la dette contraint le Trésor et le gouvernement américain à enfreindre leurs obligations respectives. Le Congrès se soustrait à la responsabilité budgétaire qui est la sienne soit en n’autorisant pas le Trésor à financer des dépenses qu’il a lui-même votées, soit en reniant ses propres engagements. Ce faisant, il force le Président Barack Obama à s’engager dans une crise politique majeure autour de l’interprétation de la constitution et de la séparation des pouvoirs qu’elle implique.
Dès lors, si les républicains restent aussi fermés sur leurs objectifs de réduction des dépenses publiques, ce ne sont pas six semaines qui vont changer la nature du conflit. Les fondements mêmes des institutions sont attaqués. Au-delà des conséquences dramatiques que cette crise pourra avoir aux niveaux économique et financier, c’est bien tout l’édifice de la puissance américaine qui vacille.
[1] Dette t – Dette t-1 = Solde budgétaire primaire t + taux d’intérêt t * Dette t-1
[2] Le 31 décembre 2012, le plafond était atteint et le 4 février 2013, le Président signait le No Budget, No Pay Act qui supprimait cette contrainte pendant une période de deux mois. Réintroduit le 19 mai sur la base de l’ancien plafond augmenté du montant des nouveaux emprunts réalisés entre le 4 février et le 18 mai 2013, le nouveau plafond a été fixé à 16 699 milliards de dollars. Mais, dès sa remise en application, le nouveau plafond a posé problème puisqu’il correspondait par construction au montant de la dette fédérale existant à cette date.
[3] Le relèvement du plafond signé le 2 août 2011 par le Président dans le cadre du Budget Control Act of 2011 était directement lié à l’engagement de réduire de 1 200 milliards de dollars les dépenses budgétaires à l’horizon de 10 ans, et dont les premiers effets ont commencé en mars dernier avec les coupes automatiques (séquestrations).