par Henri Sterdyniak
Tous les candidats devront présenter en 2012 un programme de politique économique pour 5 ans. Seront-ils raisonnables, au prix d’une forte montée du chômage, d’un optimisme aveugle, en minimisant les effets de la politique budgétaire sur l’activité, ou aventureux ? Et auront-ils le choix ?
Tous les candidats devront présenter en 2012 un programme de politique économique pour 5 ans. En 2012, le déficit public français devrait être de l’ordre de 5% du PIB.
Les candidats doivent faire deux choix : le premier, politique, est l’objectif de réduction du déficit public ; le deuxième, économique, est l’hypothèse sur la croissance spontanée de la France, avant la mise en œuvre du programme, sachant que la croissance pourrait être forte (puisque l’on est en période de sortie de crise), mais qu’elle peut être affaiblie par les politiques budgétaires restrictives des autres pays.
Considérons d’abord un candidat raisonnable. Les contraintes européennes, la surveillance des agences de notation et des marchés financiers le contraignent à présenter un programme aboutissant à l’équilibre en 5 ans, soit en 2017. Le candidat fait l’hypothèse raisonnable, conforme à l’opinion de la plupart des économistes et des institutions internationales, que la croissance avec politique budgétaire neutre serait de 2%. Raisonnable, il estime que le multiplicateur budgétaire est de 1 (une baisse des dépenses publiques ou une hausse des impôts de 1% du PIB induit une baisse de 1% du PIB). Il doit alors présenter le programme raisonnable de la première colonne du tableau ci-dessous. Une politique budgétaire restrictive de 1% du PIB par an (de façon à gagner 5 points en 5 ans) ne suffit pas, car celle-ci réduit la croissance économique, ce qui réduit les rentrées fiscales. Il faut donc être encore plus restrictif. A la fin, l’effort budgétaire doit être de 2 points de PIB par an et la croissance ex post est nulle. Le taux de chômage atteint 14,5%. Le programme raisonnable aboutit à la catastrophe économique. De plus, le candidat raisonnable doit annoncer une hausse des impôts de 20 milliards par an et faire passer le taux de croissance des dépenses publiques à 0% (au lieu d’une croissance tendancielle de 2% par an). Sera-t-il possible de maintenir, pendant 5 ans, une croissance nulle des dépenses publiques, compte tenu de la hausse des dépenses de santé, de retraites et de chômage (en raison de la stagnation de l’activité) ?
Comment échapper à cette catastrophe ? La méthode mise en œuvre par le Programme de stabilité présenté par la France à Bruxelles en avril 2011 consiste à nier l’impact des politiques budgétaires restrictives sur l’activité, à prétendre que le multiplicateur budgétaire est nul. Mais comment la restriction budgétaire ne se traduirait pas par une baisse de la demande, dans une situation où les taux d’intérêt ne peuvent guère diminuer, où la France ne peut compter sur une baisse de son taux de change ? Il faut prétendre que les ménages diminueraient fortement leur taux d’épargne alors que la politique mise en œuvre se traduirait par une hausse du chômage, des impôts et une baisse des dépenses sociales. Comment justifier qu’une politique budgétaire expansionniste était nécessaire en 2009 pour soutenir l’activité et qu’une politique restrictive n’aurait pas d’effet dépressif en 2012-2017 ? Est-ce un hasard si les documents du ministère de l’Economie ne présentent plus d’évaluation chiffrée, à l’aide d’un modèle macroéconomique, de l’impact de la politique budgétaire envisagée sur la croissance ? Comment prétendre que la croissance spontanée de la France serait de l’ordre de 2,5% dans une zone euro où tous les pays mettraient en œuvre de fortes politiques d’austérité ? Avec ce déni de la réalité, une croissance ex ante de 2,5 % par an permet d’aboutir à une croissance ex post de 2,5%, malgré un effort budgétaire de 0,75 point de PIB par an. Il suffit alors de trouver 0,25% de PIB d’impôts supplémentaires par an (25 milliards en 5 ans) et de réduire la croissance des dépenses publiques à 1% par an (ce qui, par ailleurs, n’est pas acquis).
On le voit, avec une contrainte de solde public nul ex post, la politique possible dépend fortement des hypothèses économiques. Donner à un « Comité indépendant de politique budgétaire » le pouvoir de fixer les hypothèses de croissance, en s’astreignant à vérifier les contraintes européennes, comme le proposent certains économistes, revient à lui donner le droit d’imposer la politique raisonnable, celle qui conduit à la catastrophe.
Le programme aventureux consiste à oublier l’objectif de solde public, tant que la France n’est pas revenue à un niveau d’emploi satisfaisant. Ne pas viser à réduire le déficit par des politiques d’austérité, mais par le soutien à la croissance, obtenu en augmentant les impôts des plus riches pour financer des dépenses à fort impact sur la demande (prestations sociales) ou sur le potentiel de croissance (soutien aux industries vertes par exemple). Créer un système financier public pour financer un vaste programme d’adaptation à la croissance durable.
Avec une hypothèse optimiste de croissance ex ante de 3%, le déficit serait réduit à 2,5% en 2017, ce qui est suffisant pour stabiliser la dette. Cette hypothèse n’est pas si optimiste qu’il pourrait sembler : en 2012, le PIB devrait être inférieur d’environ 8% au niveau qu’il aurait atteint sans la crise financière : il s’agit de combler 5 de ces 8 points. Aucun effort budgétaire n’est requis. Reste à convaincre les marchés financiers, les agences de notation, nos partenaires européens et les institutions européennes de la crédibilité de cette stratégie, qui sera d’autant plus forte que plus de pays en Europe l’adopteront. Les candidats ont donc le choix entre la raison qui amène à la stagnation économique ; l’optimisme aveugle ou une politique aventureuse.