par Bruno Ducoudré
A la suite du tremblement de terre qui a frappé le Japon en mars 2011, le gouvernement a évalué le coût du sinistre à 16,9 trillions de yens (3,6 points de PIB). Ce choc exogène nécessite en réponse un déficit structurel qui entre en contradiction avec la volonté du gouvernement de mettre en œuvre une politique d’austérité budgétaire afin de réduire ce déficit. Ces besoins de financement additionnels arrivent donc au plus mauvais moment, en pleine crise économique, débutée en 2008, qui s’est accompagnée d’une forte dégradation de la situation des finances publiques rendue nécessaire pour soutenir l’activité.
Sur le front de la croissance, l’année 2011 fut difficile pour le Japon, après un rebond de 4,4% du PIB en 2010 suivant une chute du PIB de 5,5% en 2009. Alors que l’économie avait retrouvé le chemin de la croissance au 3e trimestre 2011 (+1,9% de croissance du PIB en variation trimestrielle) après deux trimestres de baisse du PIB, en fin d’année les inondations en Thaïlande ont à nouveau rompu les chaînes d’approvisionnement des entreprises japonaises, et l’économie a vacillé (croissance nulle au 4e trimestre et -0,7% de croissance pour l’année 2011). En 2012 débute la période de reconstruction.
Dès l’année fiscale 2011, quatre budgets additionnels ont été votés pour un montant total de 3,9 points de PIB afin principalement de faire face aux dépenses d’urgence (pour 1,3 point de PIB) et préparer la reconstruction (pour 2,3 points de PIB). Les services de l’Etat ont estimé le budget total de celle-ci à 23 trillions de yens (4,8 points de PIB). La reconstruction s’étalera sur les dix prochaines années, le principal de l’effort étant concentré sur la période 2012-2016. Le gouvernement a décidé d’allouer 0,8 point de PIB à la reconstruction pour l’année fiscale 2012, financé aux trois-quarts par l’endettement (tableau).
Contrairement à ce qui était attendu, les plans successifs votés en 2011 ne se sont pas rapidement traduits par une forte hausse de la dépense publique : la consommation publique a cru de 2,1% en 2011, soit autant qu’en 2010 et moins qu’en 2009, et l’investissement public s’est contracté de 3,1% en 2011. Les dépenses de reconstruction se sont pour partie substituées à d’autres dépenses. De plus une partie des budgets votés a aussi été mise de côté et commence donc tout juste à être dépensée. Les commandes publiques de travaux de construction ont augmenté de 20% au 4e trimestre 2011 en glissement annuel, et les travaux publics en cours ont fortement progressé en fin d’année. Ainsi, les dépenses additionnelles liées à la reconstruction qui sont déjà votées s’étaleront pour partie sur les prochains trimestres mais aussi au-delà de l’année fiscale 2012.
De fait, la situation budgétaire japonaise apparaît précaire. Ces dépenses nécessaires à la reconstruction des régions dévastées ont été décidées dans un contexte de forts niveaux de déficit et de dette publique liés à la crise. Le déficit budgétaire s’est en effet fortement dégradé depuis le début de la crise, passant de 2,2% du PIB en 2008 à 8,1% en 2010, tandis que la dette progressait de 31,2 points de PIB depuis 2007, pour atteindre 199% du PIB en 2010. En 2011, le déficit public s’est encore creusé, à 9,3% du PIB principalement sous l’effet de la hausse de la charge de la dette, de la hausse des dépenses de sécurité sociale et de la baisse du PIB en 2011. Le gouvernement a donc annoncé qu’une partie des plans serait financée par des restrictions dans d’autres postes de dépenses, des surplus de rentrées fiscales liés à l’amélioration de l’activité en 2010, et par des réserves accumulées sur les budgets passés (pour un quart des budgets dédiés à la reconstruction sur 2011-2012).
A court terme, le gouvernement a néanmoins choisi de privilégier la croissance à la consolidation budgétaire. Nous prévoyons ainsi une impulsion budgétaire de 0,4 point de PIB en 2012 et de 0,5 point de PIB en 2013, et l’économie japonaise devrait croître de 1,9% en 2012 et de 1,5% en 2013 en moyenne annuelle (voir « Japon : le temps de la reconstruction » dans notre dossier de prévision). Dans ces conditions, le déficit budgétaire serait stable à 9,2% du PIB en 2012, et se dégraderait à 9,8% du PIB en 2013.
En revanche, au-delà de 2013, l’incertitude sur les orientations de politique économique du gouvernement demeure. Dans sa stratégie fiscale de moyen terme, décidée en 2010, le gouvernement japonais avait pour objectif de diviser par deux le déficit primaire des administrations centrale et locales à l’horizon 2015 par rapport à celui atteint en 2010 (6,4% du PIB), et d’atteindre l’équilibre à l’horizon 2020. D’après nos calculs, équilibrer le solde structurel primaire impliquerait la mise en œuvre d’une politique de consolidation budgétaire importante, de l’ordre de 1,1 point de PIB par an d’impulsion budgétaire négative à partir de 2014, à un rythme néanmoins plus lent que les politiques de consolidation prévues en zone euro en 2012-2013 (voir « Qui sème la restriction récolte la récession » dans notre dossier de prévision) A cette fin, une hausse de 5 points de la taxe à la consommation doit être débattue lors de la session courante de la Diète, le parlement japonais, session qui s’achèvera en juin. Cette hausse interviendrait en deux temps et rapporterait 2,5 points de PIB de rentrées fiscales. D’après les dernières projections à moyen terme du gouvernement japonais, elle ne suffirait pas à respecter ces objectifs (graphique 1). De plus, les moyens d’atteindre l’équilibre d’ici 2020 n’ont pas été précisés et le gouvernement n’a pas indiqué de quelle façon serait remboursée la dette contractée pour financer la reconstruction. Enfin, étant donné la progression continue de la dette publique, la charge d’intérêt, faible actuellement (1,8 point de PIB en 2011), pèsera à l’avenir de plus en plus sur les finances de l’Etat. Cela accroîtra les difficultés du gouvernement à mettre en œuvre tout ajustement budgétaire ayant pour objectif de stabiliser le ratio de dette publique rapporté au PIB à l’horizon 2020 et de le faire décroître par la suite.
Cependant, une consolidation budgétaire brutale n’apparaît pas nécessaire, le Japon empruntant à des taux d’intérêt bas (0,86% lors de la dernière émission d’obligations à 10 ans). Par ailleurs, la part de la dette détenue par les non-résidents reste faible – elle s’élevait à 6,7% au 4e trimestre 2011 – et l’épargne abondante des ménages japonais, ainsi que le programme d’achats de titres de la Banque centrale du Japon, limitent considérablement les risques d’une crise de dette souveraine telles que celles rencontrées en zone euro.
Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.