Par Bruno Coquet
Les conséquences de la crise sanitaire sur l’emploi et le chômage s’aggravent et deviennent de plus en plus hétérogènes d’une région à l’autre, comme nous avons récemment illustré (Blog de l’OFCE du 4 mars 2021).
L’un des faits les plus remarquables réside dans le prix particulièrement lourd que paie l’Ile de France à cette crise : en 2019, la région rassemblait 23,4% de l’emploi salarié et 16,9% des chômeurs inscrits à Pôle Emploi, mais depuis le début de la crise sanitaire elle concentre 30,6% de la baisse de l’emploi, 40,2% de la chute des embauches, et 32,3% à la hausse des DEFMabc dans l’ensemble du pays en 2020.C’est donc pour le moment le marché du travail francilien qui subit l’essentiel des difficultés consécutives à la situation sanitaire.
Le choc est aussi rude qu’inhabituel, car l’Ile de France est depuis de nombreuses années une région parmi les plus dynamiques de métropole, comme l’illustre l’accroissement continu de +1,5% son poids dans l’emploi salarié du pays au cours des années 2010 (graphique 1). Mais sous l’effet de la crise sanitaire, deux trimestres ont suffi à effacer les gains des 18 derniers mois : la région ne pesait plus que 23,3% de l’emploi du pays au 3ème trimestre 2020, soit son niveau de fin 2018.
A la fin du troisième trimestre 2020 ce sont au total 90 000 emplois qui ont été détruits en 3 trimestres depuis la fin 2019 en Ile de France. Une légère progression dans les services non-marchands (+7 000 emplois) dans l’agriculture ou la construction (+6 000, soit près du tiers des emplois créés par ce secteur dans le pays), compensent un peu la baisse de -97 000 emplois dans le tertiaire marchand. Ces secteurs de services marchands subissent en effet fortement la crise du fait des mesures de confinement sévères dont nombre d’entre eux sont l’objet, directement ou indirectement (restaurants, tourisme, culture, événementiel, etc.). L’Ile de France est plus spécialisée dans ces secteurs, puisqu’elle concentrait 29,8% des emplois tertiaires marchands fin 2019, et que ceux-ci y représentait 63% de l’emploi en 2019 contre 45% dans le reste de la France. Néanmoins l’intensité de la crise va encore au-delà de cette forte exposition, puisque l’Ile de France contribue à 33,6% de la baisse de -289 000 emplois enregistrée en France dans les services marchands à la fin du 3° trimestre 2020. (A l’image de la baisse du tourisme, plus marquée en IDF ?)
L’évolution de l’emploi intérimaire confirme ce diagnostic. La reprise qui a succédé à l’effondrement généralisé d’avril 2020, coïncide avec une forte disparité des situations régionales et un recul très marqué en Ile de France. Au niveau national le nombre de contrats a diminué de 4,1 millions (-21%) sur les onze premiers mois de l’année : on comptait 711 000 intérimaires employés fin novembre 2020, soit 83 000 de moins qu’un an auparavant. L’Ile de France qui représentait 16,8% de l’emploi intérimaire en 2019, enregistre une baisse de 19,1% l’emploi dans l’intérim, contre -8,7% pour l’ensemble des dans le reste du pays, si bien qu’elle concentre près du tiers (31,1%) des pertes d’emploi dans ce secteur.
En amont de cette contraction de l’emploi on observe un tarissement des flux d’embauches : les offres d’emploi collectées chaque trimestre par Pôle Emploi ont été 40% moins nombreuses en 2020 que les années précédentes (graphique 2). Les déclarations d’embauches recensées par l’Acoss ont chuté du même ordre de grandeur entre 2019 et 2020 (graphique 3). La dépression des embauches affecte plus fortement les contrats courts que les contrats longs, mais quel soit le type de contrat le recul est toujours été nettement plus prononcé en Ile de France que dans le reste du pays : au total l’Acoss a recensé 19,2 millions d’embauches hors intérim en 2020 soit 7 millions de moins qu’en 2019, et la part de l’Ile de France est passée de 31,1% à 27,1% de ces déclarations embauches soit une baisse de 8,2 à 5,3 millions de contrats en 2020, soit une chute de -2,9 millions d’embauches dont 80% de contrats de moins de 1 mois. Ces évolutions reflètent la spécialisation de la région Ile de France dans les activités de services marchands à la fois fortement utilisatrices de contrats courts et très impactées par les mesures prophylactiques.
Du côté du chômage, on sait que la mesure du taux de chômage est fortement affectée par la crise (cf. Insee). Néanmoins dans tous les départements de la région le taux de chômage augmentait de 1 à 1,5 point, significativement plus qu’en moyenne en France (+0,9 point), et ce qu’il ait été faible avant la crise, comme à Paris (6,2%) ou élevé comme en Seine Saint-Denis (10,5%) (graphique 4).
La contribution de l’Ile de France à la hausse des inscriptions en DEFMabc à Pôle Emploi est particulièrement forte (32,3%). Dans six des huit départements de la région la contribution à la hausse des DEFMabc observée en France est deux fois plus importantes que leur part dans les DEFMabc fin 2019. Plus en détails on observe également une forte contribution de l’Ile de France à la hausse nationale des DEFMa (37,8%) alors que la région ne pesait que pour 18,4% de cette catégorie en France en 2019. On note aussi que les DEFMc diminuent dans tous les départements franciliens, alors même qu’elles augmentent dans le reste du pays. On note également que le nombre de DEFMc (activité réduite longue) baisse de -7,2% quand il augmente de +1,6% hors Ile de France, tandis que les DEFMb (activité réduite courte) baissent de -5,6 mais de seulement -1,4% dans le reste de la France.
Les évolutions comparées des inscriptions en DEFMabc et celles du taux de chômage, peuvent refléter des comportements d’activité et des réponses aux enquêtes différents d’un département à l’autre. Ces écarts peuvent également être le fruit de la combinaison de répartition sectorielle des emplois, des contrats qui leur sont associés et des mesures d’urgence telle que l’activité partielle pour les salariés en emploi stable et l’éligibilité élargie à l’assurance chômage (accès, prolongation des droits, etc.). Par exemple, si l’on considère que les actifs vivant en Seine Saint-Denis sont fortement exposés aux contrats courts et disponibles pour travailler, on pourrait s’expliquer que le nombre de DEFMabc habituellement élevé dans ce département augmente relativement peu, et qu’à l’opposé le taux de chômage au sens du BIT augmente beaucoup en raison d’un nombre relativement faible d’actifs en CDI susceptibles de bénéficier de l’activité partielle. D’autre part 20,8% des nouveaux inscrits sur les listes de Pôle Emploi a moins de 25 ans, alors que la part des jeunes DEFMabc était de 9,3% avant le déclenchement de la crise sanitaire (ce ratio étant même supérieur à 3 dans les hauts de Seine), ce qui apparaît cohérent avec la forte proportion de jeunes habituellement constatée en contrats courts dans les services marchands. Une analyse détaillée des comportements d’activité est toutefois nécessaire pour asseoir ces hypothèses.
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Au total la situation de l’Ile de France est inhabituellement dégradée dans cette crise. Ces constats soulèvent des questions : ces évolutions présagent-elles ce qui pourrait advenir dans les autres ? Ne sont-elles que transitoires en attendant un fort rebond de l’emploi dans les secteurs confinés du tertiaire marchand dès lors que la situation sanitaire s’améliorera ? Des éléments complémentaires sont nécessaires pour le dire. A ce stade il est néanmoins sûr que la répartition régionale des moyens consacrés aux mesures d’urgence, de relance, de soutien aux individus et aux entreprises, peut d’ores et déjà tenir compte de la situation extrêmement dégradée de l’Ile de France, d’autant que l’activité a souvent été un moteur essentiel de la croissance pour l’économie française dans son ensemble.
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