par Bruno Ducoudré
Face à l’urgence de la crise sanitaire et pour aider les entreprises à faire face aux conséquences des mesures de confinement et de fermeture administrative des commerces non essentiels, le gouvernement a largement étendu le dispositif de chômage partiel : ouverture du dispositif à des salariés auparavant non éligibles (VRP, journalistes pigistes, …) et prise en charge de l’indemnité de chômage partiel jusqu’à 4,5 smic horaire, rétroactivité et extension des délais de dépôt des demandes. Où en-est-on du recours à ce dispositif par les entreprises ?
Depuis le début du mois d’avril, la Dares (le service statistique du Ministère du Travail) publie chaque semaine un ensemble de données portant notamment sur les demandes d’autorisation des entreprises à recourir au chômage partiel pour leurs salariés.
Nous comparons dans le graphique 1 ci-dessous les demandes reportées par la Dares au 14 avril 2020 à notre estimation du nombre potentiel de salariés concernés par le chômage partiel. Les chiffres rapportés par la Dares sont généralement supérieurs à notre évaluation. Globalement, au 14 avril 2020 la Dares comptabilisait 8,7 millions de salariés concernés par une demande d’autorisation de recours au dispositif (graphique 1). Nous estimons à 6,5 millions le nombre de salariés potentiellement concernés par le chômage partiel (avant application d’un taux de recours), compte tenu de la chute d’activité estimée, de la possibilité de recourir au télétravail et de l’existence du dispositif de garde d’enfant. Ces différences proviennent pour une large part de raisons d’ordre méthodologique.
Les effectifs reportés par la Dares peuvent être supérieurs à notre évaluation du nombre de salariés effectivement concernés par le chômage partiel :
- Nous faisons l’hypothèse que les heures demandées le sont au prorata du temps de travail moyen par salarié dans la branche. Dans notre cas de figure, si une entreprise réduit de 50% l’activité, cela entraîne 50% des emplois de l’entreprise en chômage partiel. Par contre, dans le cas des chiffres reportés par la Dares, d’autres combinaisons sont possibles : si une entreprise fait face à une réduction de 50% de son activité, elle peut mettre 50% de ses salariés au chômage partiel pour 1 mois ou, par exemple, mettre 100% de ses salariés en chômage partiel la moitié du mois ;
- Compte tenu du niveau élevé d’incertitude, les entreprises peuvent anticiper un recours futur au dispositif pour des salariés qu’elles ne placent pas pour le moment en chômage partiel. La demande porte sur plusieurs mois et peut aller jusqu’à 1 600 heures de chômage partiel autorisées par salarié ;
- Il peut aussi exister des effets d’aubaine : des entreprises profiteraient du dispositif pour faire travailler leurs salariés tout en bénéficiant du chômage partiel.
Les heures demandées en autorisation de chômage partiel par les entreprises (graphique 2) sont aussi plus élevées que le nombre d’heures retenu dans notre estimation, qui portent sur un mois de confinement :
- Dans les faits, tous les effectifs ne sont pas à temps complet : les heures demandées pour les salariés à temps partiel donnent la possibilité d’étaler dans le temps les heures demandées. Ainsi 151,67 heures autorisées correspondent à un mois de chômage partiel pour un salarié à temps plein mais à deux mois pour un salarié travaillant habituellement à temps partiel 50% ;
- Les volumes d’heures demandées portent sur plusieurs mois potentiellement, puisque le plafond d’heures s’élève à 1 600h par an et par salarié. Le nombre d’heures moyen demandé par salarié s’élève à 425 heures ;
- Les entreprises peuvent anticiper/ne pas connaître parfaitement dans quelle mesure elles auront besoin de recourir au dispositif dans les mois à venir ;
- Il existe généralement un écart entre le volume d’heures autorisées et le volume d’heures consommées (le recours effectif au dispositif). En 2008, seulement 50% des heures autorisées ont été consommées (graphique 3). Cela peut également signifier que les entreprises font une demande pour certains salariés qui ne seront pas mis in fine au chômage partiel.
D’un côté les chiffres reportés par la Dares portent donc sur des demandes d’autorisation et non des heures (et des salariés) effectivement déclarées en chômage partiel. Elles constituent donc un maximum potentiel et non un nombre effectif de salariés en chômage partiel. Notre estimation porte sur un nombre de salariés qui seraient potentiellement concernés par le chômage partiel, auquel nous appliquons ensuite un taux de recours moyen de 75% de la part des entreprises[1], compte tenu de notre évaluation de l’impact sur la valeur ajoutée sectorielle des chocs affectant l’économie. Elle peut sous-estimer le nombre de salariés concernés dès lors qu’une partie des salariés est mise en chômage partiel pour une part seulement des heures travaillées mensuelles.
La Dares a également publié les résultats d’une enquête auprès des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole, et portant sur leur situation et les conditions d’emploi de la main- d’œuvre à fin mars. Les résultats de cette enquête nous renseignent sur le recours effectif des entreprises au chômage partiel. Nous comparons dans le graphique 4 le pourcentage de salariés au chômage partiel d’après cette enquête au pourcentage de salariés concernés calculé à partir de notre évaluation avec un taux de recours effectif de 75% (soit 5,3 millions de salariés). L’enquête Acemo porte sur un champ de 15 millions de salariés. Sur ces 15 millions de salariés, 3,7 millions de salariés étaient effectivement en situation de chômage partiel la semaine du 23 mars 2020. Si des écarts existent au niveau sectoriel, ils peuvent provenir pour partie du fait que l’enquête n’inclut pas les TPE de moins de 10 salariés. Au niveau agrégé, notre estimation de salariés effectivement en chômage partiel, compte tenu d’un taux de recours de 75% au dispositif, est très proche : 22,5% de salariés estimés en chômage partiel en période de confinement contre 24,7% de salariés en chômage partiel en moyenne la semaine du 23 mars selon l’enquête Acemo.
In fine, il apparaît que le recours des entreprises au chômage partiel est massif durant le confinement, ce qui limite les destructions d’emplois[2] qui pourraient approcher 460 000 au premier mois du confinement. Nous estimons le coût du dispositif à 11,9 milliards d’euros d’indemnités prises en charge par les administrations publiques auxquels s’ajoutent 7,4 milliards d’euros de cotisations sociales perdues par mois de confinement.
Les destructions d’emplois se
concentrent dès lors massivement sur les salariés les moins protégés : ceux
en transition entre deux emplois et ceux en contrats de travail à durée très
courte (CDD de moins d’un mois, missions d’intérim). D’après l’enquête de la
Dares, 11% des entreprises ont diminué leurs effectifs, le plus souvent par le
non renouvellement de CDD (48,5% des entreprises ayant diminué leurs effectifs)
et/ou l’annulation ou le report d’embauches prévues (51,3% des entreprises
ayant diminué leurs effectifs).
[1] Nous supposons que le taux de recours moyen effectif des branches au chômage partiel est de 75%. Il est de 100% pour les salariés des branches concernées par les fermetures administratives. Cf. Policy Brief n°65 pour un detail de la liste des secteurs impactés par l’arrêté du 15 mars 2020.
[2] Pour mémoire, au plus fort de la crise financière, 430 000 emplois avaient été détruits du troisième trimestre 2008 au deuxième trimestre 2009 inclus, pour une baisse du PIB de 3,1% entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009.
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