par Marion Cochard
(Point de vue paru sur le site lemonde.fr, ici)
Après une accalmie d’une année seulement, les chiffres du chômage sont repartis à la hausse depuis avril 2011. On voit se remettre en place l’enchaînement récessif de 2008 : gel des embauches, non-reconduction des contrats d’intérim et des CDD, puis licenciements économiques en fin d’année. En cause bien sûr, le retournement conjoncturel en cours, qui intervient alors que les marges des entreprises françaises sont encore dégradées par le choc de 2008-2009, et particulièrement dans l’industrie. Les entreprises fragilisées n’ont plus aujourd’hui la capacité d’amortir cette rechute comme elles l’avaient fait il y a 4 ans. L’économie française devrait retomber en récession dès le quatrième trimestre 2011, et nous prévoyons une chute de l’activité de 0,2% en 2012. Quand on sait qu’une croissance annuelle de 1,1% est nécessaire pour commencer à créer des emplois, la reprise des destructions d’emplois paraît inévitable. Si l’on ajoute à ce sombre constat une population active toujours dynamique, le nombre de chômeurs franchirait la barre des 3 millions d’ici la fin de l’année.
A l’aube d’un sommet social sous tension, quelles sont donc les options qui permettraient d’amortir l’impact de crise sur le marché du travail ? Dans l’urgence de la crise, le gouvernement dispose de deux principaux leviers très réactifs et peu coûteux : le chômage partiel et les emplois aidés dans le secteur non marchand.
Le chômage partiel, d’abord, permet d’amortir les difficultés conjoncturelles rencontrées par les entreprises et de conserver les compétences au sein de l’entreprise. Il existe des marges importantes pour élargir le dispositif. A titre de comparaison, la durée maximale d’indemnisation au titre du chômage partiel a été portée à 24 mois en 2009 en Allemagne, contre 12 mois en France. En outre, la prise en charge de l’Etat, nettement supérieure en Allemagne, explique en partie le large usage qui y en a été fait : le chômage partiel y a touché 1,5 millions de personnes au pire de la crise, contre 266 000 en France. Une telle orientation pèserait par ailleurs très peu sur les finances publiques, car aux 610 millions d’euros déboursés par l’Etats au titre du chômage partiel en 2009, on peut opposer les indemnités chômage économisées, et la préservation du capital humain.
Mais le chômage partiel profite avant tout aux emplois industriels stables. Or, les premières victimes de la crise sont précisément les emplois précaires et les jeunes. C’est à ces catégories de population que s’adressent les emplois aidés. Là aussi, le gouvernement dispose de marges de manœuvre puisque depuis fin 2010, 70 000 contrats aidés non-marchands ont été détruits –et 300 000 depuis le début des années 2000- et que le dispositif n’est pas très coûteux. La création de 200 000 emplois aidés coûterait ainsi 1 milliard d’euros à l’Etat, à comparer au manque à gagner de 4,5 milliards lié à la défiscalisation des heures supplémentaires, en contradiction avec la logique du chômage partiel. Ciblés sur les catégories de chômeurs les plus éloignées de l’emploi – chômeurs de longue durée, peu qualifiés… – ces dispositifs permettraient de réduire le risque d’éloignement du marché du travail.
Pour autant, si ces outils doivent être mobilisés dans l’immédiat, ils n’en demeurent pas moins des dispositifs de court terme. Le chômage partiel reste circonscrit aux secteurs industriels à 80%, et pour des recours de courte durée. Si la situation économique demeure dégradée, on sait que le dispositif ne fait que retarder les licenciements. De même, les emplois aidés n’ont pas vocation à être pérennisés. Ce sont des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel, qui visent la réinsertion sur le marché du travail mais ne doivent pas constituer une perspective durable.
L’enjeu majeur est donc celui du diagnostic de la situation économique actuelle. En concentrant les négociations sur la question du chômage partiel et de l’emploi aidé, le gouvernement semble faire le pari d’une reprise rapide. Pourtant, c’est bien la conjonction des plans de rigueur à l’échelle européenne qui pèsera sur la croissance dans les années à venir. Et cette politique de réduction des déficits publics, qui coûtera 1,4 point de croissance à la France en 2012, devrait perdurer au moins en 2013. Difficile, dans ces conditions, d’espérer sortir assez rapidement de l’enlisement pour éviter la catastrophe sociale qui s’annonce. A moins d’envisager une nouvelle baisse pérenne du temps de travail et des créations d’emplois publics, la meilleure politique de l’emploi reste l’activité. C’est donc avant tout la question de la gouvernance macro-économique qui se pose aujourd’hui, en France comme dans l’ensemble de la zone euro.