Par Sarah Guillou
Dans son discours de vœux du 15 Janvier 2017, le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire, parle « d’investissements de pillage » suspectant les investisseurs chinois de vouloir « piller » les technologies françaises. Ces déclarations inscrivent le ministre de l’Economie français dans la filiation du patriotisme économique de Colbert à Montebourg, mais cette fois, elles se situent dans un mouvement plus large de méfiance et de résistance aux investissements en provenance de Chine qui parcourt tous les pays occidentaux. Et si le gouvernement français projette d’élargir le champ du décret qui permet de contrôler les investissements étrangers, de nombreux pays en font de même.
La France n’est pas le seul pays à vouloir modifier sa législation pour renforcer les motifs de contrôle des investisseurs étrangers. L’entrée de capitaux étrangers était avant tout perçue comme un apport de moyens financiers et le signe de l’attractivité du territoire. La France a toujours été bien située dans les classements internationaux en termes de terre d’accueil. En 2015, la France se classait au onzième rang mondial au titre des entrées d’investissements directs de l’étranger pour un montant de 43 milliards de dollars en provenance principalement des pays développés (contre 31 milliards pour l’Allemagne et 20 milliards de dollars pour l’Italie). Et comme les investisseurs résidents français ont, eux, investis 38 milliards de dollars à l’étranger (l’Allemagne et l’Italie, 94 et 25 milliards de dollars respectivement), la balance est en faveur des entrées de capitaux productifs qui dépassent les sorties de capitaux.
Cependant, la France s’est toujours distinguée par une méfiance politique plus marquée à l’égard des prises de participation étrangères, surtout lorsqu’il s’agit de ses « fleurons » industriels. Mais voilà que cette méfiance rencontre un écho dans les pays occidentaux à l’égard des investisseurs chinois, et pas seulement outre-Atlantique où l’ensemble des acteurs politiques ont dû se mettre au diapason du patriotisme économique de l’administration Trump. Les investisseurs chinois sont aussi perçus comme des prédateurs par les Allemands, les Anglais, les Australiens, les Italiens pour ne citer qu’eux.
Il faut dire que la stratégie industrielle de la Chine est très volontariste et les stratégies de croissance externe des entreprises chinoises sont soutenues par une politique de montée en gamme et d’acquisition de technologies par tous les moyens. De plus la présence de l’Etat derrière les investisseurs – c’est le propre de la Chine d’avoir une imbrication forte des intérêts privés et publics et une forte présence de l’État dans l’économie en raison de son passé communiste – crée de potentiels conflits de souveraineté. Enfin, la Chine menace de plus en plus des secteurs dans lesquels les pays occidentaux croyaient détenir des avantages technologiques, ce qui inquiète les gouvernements (voir le Policy Brief de l’OFCE de S. Guillou (n° 31, 2018), « Faut-il s’inquiéter de la stratégie industrielle de la Chine ? »). Enfin, la Chine n’est de son côté pas exemplaire en matière de réception des investissements étrangers érigeant des barrières et des contraintes souvent associées à des transferts de technologie.
Les pays occidentaux réagissent donc en augmentant le champ du contrôle : aux questions de sécurité nationale et d’ordre public sont ajoutées les technologies stratégiques et la propriété des bases de données concernant les citoyens. En France, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé vouloir l’étendre au stockage de données numériques et à l’intelligence artificielle. En Allemagne, l’acquisition de Kuka, fabricant de robots industriels par le chinois Midea a conduit à renforcer le contrôle allemand et notamment au refus du rachat du fabricant de semi-conducteurs Aixtron.
Aux Etats-Unis, c’est bien au motif de l’acquisition de données bancaires que le rachat de MoneyGram par Ant Financial – une émanation d’Alibaba – a conduit le CFIUS (Committee on Foreign Investment of the United States) à émettre un avis négatif très récemment. Le projet européen de la création d’une commission identique au CFIUS n’a pas encore abouti et il ne suscite pas l’adhésion de tous les membres de l’UE tant certains accueillent avec bienveillance les investisseurs chinois.
Cette politique est, sinon coordonnée, au moins commune parmi les principaux récipiendaires des investissements chinois. La France n’est pas la seule à tenir cette position. Une telle unanimité du clan occidental est rare mais elle comporte aussi des risques.
Le premier est celui de l’isolationnisme : trop de barrières conduisent à renoncer à des opportunités de partenariats, en certains domaines, de plus en plus incontournables, et à des opportunités de renforcement des entreprises occidentales. Le second est le risque de contournement des interdictions de prises de participation par les investisseurs chinois. Les acquisitions ne sont pas toujours hostiles et les entreprises en voie d’acquisition sont souvent prêtes à des partenariats qui prendront d’autres formes. Ainsi l’échec du rapprochement d’Alibaba avec l’américain MoneyGram est contrebalancé par de nombreux accords que l’entreprise a scellé avec des partenaires européens ou américains pour faciliter les paiements des touristes chinois et notamment pour permettre d’utiliser la plateforme de paiement Alipay. Elle scellera certainement un partenariat de ce type avec MoneyGram. Ces partenariats conduisent à des transferts de technologie et des partages de compétences, voire de données, sans la contrepartie des apports de capitaux. Le troisième est le déversement des capitaux chinois en Asie et/ou en Afrique par exemple permettant la capture de marchés et de ressources qui handicaperont les acteurs occidentaux. Il faudra bien que le capital chinois disponible s’investisse. L’absence d’acteurs occidentaux partenaires impliquera une perte de contrôle et un isolement qui pourraient s’avérer préjudiciables.
Il faut donc revenir à un contrôle retenu bien qu’exigeant mais absent d’un raisonnement dichotomique qui a prévalu aux déclarations, sinon aux intentions du ministre. Tant que les technologies françaises seront attractives, il faudra s’en réjouir et mesurer les avantages et les inconvénients des alliances. Peu d’années s’écouleront avant que les technologies chinoises deviennent aussi attractives que les françaises. Et les Chinois ne manqueront pas de venir rappeler à Monsieur Le Maire sa position.
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