par Mathieu Plane
A la suite des déclarations du Ministre de l’Economie et des finances, le gouvernement semble avoir fait le choix de renoncer à atteindre l’objectif de déficit public de 3 % du PIB en 2013. Outre le virement de bord de la politique annoncée jusqu’à présent, qui était celle de ramener « coûte que coûte » le solde public à -3% en 2013, nous pouvons légitiment penser que la France a raison de renoncer à cet objectif et pouvons avancer plusieurs arguments. Si dans ce billet, nous ne revenons pas sur les conséquences économiques liées à la politique budgétaire menée en France et dans la zone euro, dictée par des objectifs de déficit nominaux qui ne tiennent pas compte de la décomposition structurel/conjoncturel et qui présentent un caractère dangereusement pro-cyclique, nous présentons en revanche plusieurs arguments auxquels pourraient être sensibles la Commission européenne :
1 – Selon les derniers chiffres de la Commission européenne du 22 février 2013[1], la France est le pays de la zone euro qui ferait le plus fort ajustement budgétaire en 2013 d’un point de vue structurel (1,4 point de PIB), juste derrière l’Espagne (3,4) et la Grèce (2,6). Et sur la période 2010-2013, la réduction du déficit structurel de la France représente 4,2 points de PIB, ce qui fait de la France le pays de la zone euro, avec l’Espagne (4,6 points de PIB), qui a fait le plus de restriction budgétaire parmi les grands Etats de la zone, devant l’Italie (3,3 points de PIB), les Pays-Bas (2,6) et bien sûr l’Allemagne (1,2) (graphique 1).
2 – En 2007, avant la crise, selon la Commission européenne, la France avait un solde public structurel de -4,4 points de PIB, contre -2,1 pour la moyenne de la zone euro et -0,9 pour l’Allemagne. En 2013, celui-ci atteint -1,9 point de PIB en France, -1,3 pour la zone euro, +0,4 pour l’Allemagne, ce qui représente une amélioration du déficit structurel de 2,5 points de PIB pour la France depuis le début de la crise, soit trois fois plus que la moyenne de la zone euro et deux fois plus que l’Allemagne (tableau 1). Et hors investissement public, le solde public structurel de la France en 2013 est positif et plus élevé que celui de la moyenne de la zone euro (1,2 point de PIB en France contre 0,8 pour la moyenne de la zone euro et 1,9 pour l’Allemagne). Rappelons que la France consacre 3,1 points de PIB à l’investissement public en 2013 (0,2 point de moins qu’en 2007) contre seulement 2 points en moyenne dans la zone euro (0,6 point de moins qu’en 2007) et 1,5 en Allemagne (équivalent à 2007). Or l’investissement public, qui a des effets positifs sur la croissance potentielle, et qui a pour contrepartie d’augmenter les actifs publics, ne modifiant ainsi pas la situation patrimoniale des administrations publiques, peut raisonnablement être exclu du calcul de solde public structurel.
3 – En 2013, le déficit public, même à 3,7 % du PIB selon la Commission européenne, retrouve un niveau proche de celui de 2008, similaire à celui de 2005, inférieur à celui de 2004 et à toute la période 1992-1996. Le chiffre de déficit public attendu pour 2013 correspond à la moyenne observée sur les trente dernières années, ne faisant plus figure de situation exceptionnelle, ce qui desserre la pression que pouvait subir la France vis-à-vis des marchés financiers. A l’inverse, selon la Commission européenne, le taux de chômage de la France en 2013 atteindrait 10,7 % de la population active et devrait être très proche de son pic historique de 1997 (graphique 2). Avec un taux de chômage en 2013 supérieur de 1,3 point à la moyenne des trente dernières années, la situation exceptionnelle se situe désormais plus du côté du marché du travail que du côté du solde public. Si de nouvelles mesures d’austérité permettraient de réduire péniblement le déficit public, en raison de la valeur élevée du multiplicateur budgétaire à court terme, elles conduiraient en revanche à dépasser largement notre pic historique de chômage. En effet, comme nous l’avons montré dans notre dernière prévision d’octobre 2012, si la France cherche à respecter « coûte que coûte » son engagement budgétaire pour 2013, il faut un nouveau tour de vis budgétaire de plus de 20 milliards d’euros, en plus des 36 milliards d’euros programmés, qui conduirait à une récession de -1,2 % du PIB et 360 000 destructions d’emplois (au lieu d’une croissance prévue à 0 % et environ 160 000 destructions d’emplois) débouchant sur un taux de chômage à 11,7 % de la population active fin 2013.
Pour redresser ses comptes publics depuis 2010, la France a donc fait un effort budgétaire historique, bien supérieur à la moyenne de ses partenaires européens, ce qui lui a coûté en termes de croissance et d’emploi. Rajouter une couche d’austérité en 2013 à une austérité déjà historique nous conduirait tout droit vers la récession et une dégradation sans précèdent du marché du travail pour cette année. Si on a le choix, quelques dixièmes de points de déficit public en moins valent-ils un tel sacrifice ? Rien n’est moins sûr. Il paraît donc incontournable de reporter l’objectif de réduction du déficit public à 3 % du PIB au moins à 2014.
[1] Nous avons une évaluation différente de la mesure du déficit public structurel. Par exemple, pour 2013, nous évaluons l’amélioration du solde public structurel de la France à 1,8 point de PIB mais pour ne pas biaiser l’analyse nous retenons les chiffres fournis par la Commission.