par Françoise Milewski et Hélène Périvier
Légiférer pour porter l’égalité
Les lois sur l’égalité salariale et professionnelle ont connu un long cheminement depuis 1972, de l’affirmation du principe d’égalité à la production d’un diagnostic chiffré permettant de donner corps aux inégalités (via le rapport de situation comparée, élaboré dès 1983 dans la loi Roudy) et à l’obligation de négocier. La loi de 2006 a ouvert la voie aux sanctions financières contre les entreprises récalcitrantes, concrétisées par un article de la loi sur les retraites de 2009. Les tentatives d’amoindrir la portée de la loi furent nombreuses jusqu’en 2012 où les choses ont été peu ou prou clarifiées : les entreprises sont désormais contraintes de réaliser un rapport de situation comparée (RSC) qui rend compte annuellement de l’état des inégalités dans des domaines bien définis ; elles doivent entamer une négociation sur l’égalité professionnelle et salariale et, faute d’accord, elles sont tenues de faire un plan d’action unilatéral. Le contrôle est exhaustif, par le dépôt auprès de l’administration des accords ou des plans (et non plus aléatoire comme dans les premières formulations du décret d’application). Les entreprises qui ne seraient pas en conformité avec la loi sont mises en demeure de s’y conformer sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.
L’obligation de négocier active la prise en charge collective de cette question. Depuis 2012, le nombre d’accords signés s’est accru, tout comme les mises en demeure et les sanctions. Certes, le contenu des accords ou des plans est souvent encore trop général, mais c’est un début. La loi-cadre du 4 août 2014 sur l’égalité a complété et renforcé le dispositif.
La simplification : naïveté ou renoncement ?
A l’occasion du projet de loi sur le dialogue social (projet de loi Rebsamen), ce long processus législatif est brusquement remis en cause sous prétexte de simplification. Dans la version initiale du projet de loi, l’obligation de produire le diagnostic chiffré (le RSC) disparaît, en étant fondu dans la base de données unique de l’entreprise. L’obligation de négocier en matière d’égalité professionnelle disparaît également, intégrée à d’autres négociations (qualité de vie au travail).
Devant l’ampleur des réactions (associations, personnalités, syndicats, chercheur-e-s…), les trois ministères concernés ont publié un communiqué qui réaffirme quelques principes, dont le fait que « la transmission de toutes les informations qui existent aujourd’hui dans le RSC demeurera obligatoire ». Des amendements seront déposés en ce sens. Mais rien n’est réglé. Les indicateurs sexués demeurent intégrés à la base de données unique et le RSC perd ainsi sa spécificité. La négociation dédiée sur l’égalité n’est pas rétablie et sa périodicité reste incertaine (annuelle ? triennale ?). Le flou demeure.
Quels que soient les résultats du débat parlementaire qui s’ouvre sur le dialogue social, le signal a été donné aux entreprises que la politique d’égalité peut être mise en cause, que les obligations antérieures ne sont finalement pas si impératives et que les efforts entrepris depuis plusieurs années peuvent être relativisés au nom de la simplification.
Si, en laissant le choix aux partenaires sociaux de négocier sur l’égalité professionnelle, cette question avait émergé d’elle-même et conduit à des progrès importants, aucune loi sur le sujet n’aurait été nécessaire. C’est pour répondre à l’inertie et à la persistance des inégalités que des contraintes ont été imposées aux entreprises. C’est parce que notre société doit faire de l’égalité femmes-hommes un principe fondamental que des lois, assorties de contraintes, ont été votées. La complexité du dialogue social sur ce thème tient à la résistance des acteurs. La simplification est donc au mieux une naïveté, au pire un renoncement à produire des politiques publiques porteuses d’égalité.
Dans le domaine de l’égalité, la vigilance est de mise. Supprimer les contraintes, c’est revenir sur le principe d’égalité. Vouloir l’égalité suppose une volonté politique claire et permanente : la continuité et la cohérence des politiques publiques sont en effet essentielles.
C’est le sens de la tribune que des chercheur-e-s ont publiée sur le site des Echos le 19 mai dernier.