La BCE étend son programme de QE et brouille sa communication

par Paul Hubert

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé ce jeudi 10 mars, à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs, une série de mesures supplémentaires d’assouplissement de sa politique monétaire. L’objectif est d’éviter que la déflation ne s’installe et de tenter de soutenir la croissance en zone euro. L’innovation majeure réside dans le programme de financement des banques à taux négatifs. Si les mesures ont été favorablement accueillies par les marchés au moment de leur annonce, une erreur de communication de Mario Draghi, pendant la conférence de presse qui suit la réunion du Conseil des gouverneurs, a largement réduit une partie de l’effet attendu des décisions prises.

Quelles décisions ont été prises ?

– Les trois taux directeurs fixés par la BCE ont été réduits. Le taux principal de refinancement baisse de 0,05 % à 0 %, tandis que le taux des facilités marginales passe de 0,30 % à 0,25 %. Enfin, le taux des facilités de dépôts, qui rémunère les réserves excédentaires que les banques déposent au bilan de la BCE, baisse lui de –0,30% à –0,40%. Le coût pour une banque à avoir des liquidités au bilan de la BCE augmente donc.

– Le programme d’assouplissement quantitatif (QE) est étendu en termes de taille – les achats de titres passent de 60Mds€ à 80 Mds€ par mois – mais surtout en termes de types de titres financiers éligibles à l’achat. Alors que la BCE achetait jusqu’à présent des titres publics (obligations souveraines et/ou de collectivités locales), elle achètera des obligations d’entreprises de bonne qualité, selon les critères des agences de notation. Cette mesure est une réponse directe à l’assèchement de l’offre de titres publics et devrait permettre de peser directement sur les conditions des entreprises qui émettent sur les marchés obligataires.

– L’innovation majeure réside dans le nouveau programme de TLTRO (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) dont le but est de réamorcer le canal du crédit bancaire et d’octroyer des financements aux banques conditionnellement à leur financement de l’économie réelle. Ces prêts aux banques se feront à des taux nuls, voire négatifs, en fonction de différents critères parmi lesquels les montants de prêts que les banques accordent aux ménages et aux entreprises. En d’autres termes, la BCE va payer les banques remplissant ces critères pour qu’elles prêtent à leur tour.

Quels effets en attendre ?

L’effet à attendre de telles mesures dépend de la situation sur le marché du crédit. En temps normal, de nombreuses études montrent que ces mesures ont un effet positif sur l’économie. Cependant, cela ne se vérifiera que si c’est l’offre de crédit qui est aujourd’hui contrainte en zone euro. A l’inverse, si le problème réside dans la demande de crédit des ménages et des entreprises dont les perspectives en termes de revenus et profits sont faibles, alors ces mesures n’auront que peu d’effet. En accordant des conditions si favorables aux banques, on peut imaginer que la BCE fait le pari d’augmenter la demande solvable de crédit, c’est-à-dire que la BCE fournit des incitations fortes aux banques à prêter à des ménages et individus qui apparaissaient comme non-solvables aux conditions antérieures. Un autre effet attendu de la baisse du taux sur les facilités de dépôts et de l’augmentation du QE passe par la baisse du taux de change de l’euro, de manière à favoriser les exportations de la zone euro et à augmenter l’inflation importée et donc l’inflation globale de la zone euro. Ce canal est potentiellement d’autant plus important que la Réserve fédérale a enclenché un cycle de resserrement monétaire.

Il n’empêche qu’une politique économique plus pertinente consisterait à utiliser la politique budgétaire – d’autant plus que les conditions de financements des Etats sont à des niveaux historiquement faibles : l’Etat français gagne en 2016 de l’argent à s’endetter à moins de 4 ans – pour soutenir la demande. La politique monétaire n’en aurait alors que plus d’effet.

Pourquoi annoncer que les marges de manœuvre sont épuisées ?

Mario Draghi, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du Conseil des gouverneurs, a annoncé que « la BCE ne réduirait plus les taux d’intérêts », ce qui a eu pour effet de modifier intégralement l’interprétation des marchés financiers des décisions communiquées un peu plus tôt. Alors que ces décisions, très expansionnistes, ont pour but de desserrer plus encore les conditions monétaires et financières et de faire baisser le taux de change de l’euro, l’annonce que les évolutions futures de la politique monétaire de la BCE ne pouvaient être que restrictives a transformé les anticipations des investisseurs.

Parce qu’un des principaux canaux de la transmission de la politique monétaire passe par les anticipations, plusieurs études réalisées sur données américaines[1], anglaises[2] ou de la zone euro[3] montrent que la communication de la banque centrale doit être cohérente avec ses décisions au risque de réduire les effets attendus de la politique monétaire. On parle alors d’un effet de signal de la politique monétaire. La simple phrase formulée par Mario Draghi en est l’exemple. Le graphique suivant montre le taux de change de l’euro vis-à-vis du dollar sur la journée du 10 mars. La forte baisse du milieu de journée correspond à la publication des décisions prises lors du Conseil des gouverneurs, tandis que la hausse tout aussi brutale correspond au message contradictoire prononcé quelques minutes plus tard lors de la conférence de presse. On constate alors qu’une série de mesures très expansionnistes – dont l’un des buts est de faire baisser l’euro – vient d’être annoncée, que l’euro aura finalement augmenté vis-à-vis du dollar comme si des mesures restrictives avaient été mises en place.

Cela ne veut pas forcément dire que ces décisions n’auront pas d’effets mais qu’une partie des effets sera amoindrie, voire potentiellement nulle. D’autres canaux de transmission que l’effet de signal restent opérants. Alors que le canal du taux de change se trouve maintenant réduit par l’effet restrictif généré par le canal des anticipations, nous verrons dans les semaines et mois à venir si les mouvements de capitaux induits par les décisions prises auront l’effet attendu sur le taux de change de l’euro.

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[1] Hubert, Paul (2015), “The Influence and Policy Signalling Role of FOMC Forecasts”, Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 77(5), 655-680.

[2] Hubert, Paul, and Becky Maule (2016), “Policy and Macro Signals as Inputs to Inflation Expectation Formation”, Bank of England Staff Working Paper, No. 581.

[3] Hubert, Paul (2015), “ECB Projections as a Tool for Understanding Policy Decisions”, Journal of Forecasting, 34(7), 574-587, ou encore Hubert, Paul (2016), “Disentangling Qualitative and Quantitative Central Bank Influence”, OFCE Working Paper, No. 2014-23.

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