Encadrement des loyers : l’ALUR suffit-elle ?

par Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Le 10 septembre 2013, a débuté au Parlement la discussion du projet de loi « Accès au Logement et un Urbanisme Rénové » (ALUR). Cette loi va se traduire par un interventionnisme plus prononcé sur le marché du logement locatif privé et vient compléter le décret, entré en vigueur à l’été 2012, sur l’encadrement des loyers en zones tendues et qui avait marqué une première étape dans la volonté du gouvernement d’enrayer la hausse des dépenses de logement des locataires[1].

La volonté du gouvernement d’encadrer les dérives du marché locatif privé devrait avoir rapidement un impact pour les ménages qui s’installent dans un nouveau logement. Pour les locataires en place, le processus devrait être plus long. Au final, dans une agglomération comme Paris, on peut s’attendre, si les loyers les plus élevés diminuent au niveau du plafond défini par la loi, à une baisse de 4 à 6% du loyer moyen. Si, par un effet d’entraînement, cela se répercute ensuite sur l’ensemble des loyers, l’impact désinflationniste sera plus fort. En revanche, le risque d’une dérive haussière sur les plus bas loyers n’est pas à écarter, même si le gouvernement s’en défend. Enfin, l’impact de la loi dépendra en grande partie du zonage défini par les observatoires des loyers dont la mise en place est en cours.

Le décret d’encadrement : un effet visible … mais minime

Le dernier rapport annuel de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP)[2] nous donne un premier éclairage de l’impact du décret sur l’encadrement des loyers. Pour rappel, le décret contraint les loyers à la relocation à augmenter au maximum au rythme de l’indice légal de référence (IRL), sauf si des travaux importants ont été réalisés (dans ce cas, la hausse est libre). Ainsi, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013, 51 % des logements parisiens proposés à la relocation ont vu leur loyer augmenter plus vite que l’IRL, et ce sans réalisation de travaux importants. Cette part a été moins élevée qu’en 2011 (58,3 %) et 2010 (59,4 %), mais elle demeure à un niveau proche de ceux observés entre 2005 et 2009 (50%), avant l’existence du décret.

L’impact semble un peu plus concluant à partir des données mensuelles. Ainsi, sur la période d’application du décret d’août à décembre 2012, la part des loyers proposés à la relocation et ayant augmenté plus vite que l’IRL a baissé de 25 % en moyenne sur un an, contre seulement 8 % sur les mois de janvier à juillet 2012, comparés à la même période de 2011.

Un « effet décret » a donc bien eu lieu.  Celui-ci aurait permis de faire baisser la part des hausses de loyers à la relocation supérieures à l’IRL d’environ 18%. Pour autant, si l’on considère, qu’en cas de respect total du décret, aucune hausse supérieure à l’IRL n’aurait dû persister, l’impact reste insuffisant. Plusieurs facteurs déjà identifiés dans un document de travail, peuvent expliquer cela : loyers de référence inexistants, manque d’information tant du propriétaire que du locataire, insuffisance des possibilités de recours, etc. Un an après, il s’avère que ces manquements ont joué négativement sur l’application de la mesure.

Une loi à l’envergure plus large

La grande nouveauté du projet de loi ALUR porte sur l’encadrement des niveaux de loyers dans les zones tendues alors que les précédents décrets ne portaient que sur leur évolution. Désormais, une fourchette de niveaux de loyers autorisés sera fixée par la loi et le décret viendra encadrer les évolutions maximales autorisées[3]. Pour cela, le gouvernement fixe chaque année par arrêté préfectoral un loyer médian de référence au m2, par secteur géographique (quartier, arrondissement, …) et par type de logement (1 pièce, 2 pièces,..). Ainsi,

  • – pour les nouvelles locations ou les relocations, le loyer ne pourra excéder le loyer médian de référence majoré au plus de 20%, sauf à justifier d’un complément de loyer exceptionnel (prestations particulières,…). Ensuite, l’augmentation ne pourra excéder l’IRL conformément au décret d’encadrement dans les zones tendues (sauf travaux) ;
  • – lors du renouvellement de bail, le loyer pourra être réajusté à la hausse ou à la baisse en fonction du loyer médian de référence majoré ou minoré[4]. Ainsi, un locataire (respectivement un bailleur) pourra engager un recours en diminution (resp. en augmentation) de loyer si ce dernier est supérieur (resp. inférieur) au loyer médian majoré (resp. minoré). En cas de hausse de loyer, un mécanisme d’étalement de cette hausse dans le temps est prévu. S’il y a un désaccord entre locataires et bailleurs, un règlement à l’amiable pourra être engagé, préalablement à la saisine d’un juge dans des délais strictement déterminés. A l’intérieur de la fourchette, la hausse est limitée à l’IRL ;
  • – en cours de bail, la révision annuelle du loyer se fait comme actuellement sur la base de l’IRL ;
  • – les locations meublées seront désormais concernées par l’encadrement : le préfet fixera un loyer de référence majoré et la révision sera limitée à l’IRL.

L’introduction de ces loyers médians de référence présente trois avancées majeures. D’une part, ils seront calculés à partir des informations recueillies par les observatoires des loyers sur l’ensemble du stock du parc locatif, et non à partir des seuls logements vacants et disponibles à la location, c’est-à-dire des loyers dits « de marché ». Or, ces loyers de marché sont supérieurs de près de 10 % à la moyenne de l’ensemble des loyers, elle-même supérieure à la médiane des loyers. Ce mode de calcul entraînera donc inéluctablement une baisse des loyers (de marché et moyens).

De même, le choix opéré de la médiane et non de la moyenne comme loyer de référence va dans le sens d’une plus grande stabilité de la mesure. Dans l’hypothèse où l’ensemble des loyers supérieurs de 20% à la médiane (donc au loyer de référence majoré) vient à baisser et où les autres loyers restent inchangés, la médiane reste identique. Dans le cas d’un ajustement de l’ensemble des loyers, la médiane viendrait à baisser mais dans des proportions moindres que la moyenne, par définition plus sensible à l’évolution des valeurs extrêmes.

Enfin, l’obligation d’inscrire dans le bail les loyers médian et médian majoré de référence, le dernier loyer pratiqué et si nécessaire, le montant et la nature des travaux effectués depuis la signature du dernier contrat, accroît la transparence et établit un cadre réglementaire plus strict qui devrait entraîner un plus grand respect de la mesure.

Quelles évolutions sont à attendre ?

En 2012, sur les 390 000 logements mis en location à Paris, 94 000 ont un loyer supérieur au loyer médian majoré (3,7 euros/m² de plus en moyenne) et 32 000 ont un loyer inférieur de plus de 30% au loyer médian de référence (2,4 euros/m² de moins en moyenne). En considérant que seuls les loyers supérieurs au loyer médian majoré seront corrigés, la baisse du loyer moyen pourrait être de 4% à 6% selon les zones et le type de logement. Cette diminution, bien que non négligeable, permettrait au mieux de revenir aux niveaux de loyers observés en 2010, avant la forte inflation des années 2011 et 2012 (+7,5% entre 2010 et 2012). Cet ajustement des loyers pourrait néanmoins prendre du temps. Propriétaires et locataires pourront facilement faire valoir leurs droits au moment d’une relocation[5] , mais les réévaluations lors du renouvellement de bail pourraient être plus lentes à mettre en place. Malgré un accès à l’information et un cadre réglementaire plus favorables au locataire, le risque d’un conflit avec le propriétaire et la concurrence exacerbée sur le marché locatif dans les zones où s’applique la loi, peuvent encore dissuader certains locataires de faire valoir leurs droits.

La question est beaucoup plus complexe pour les 32 000 logements dont les loyers sont inférieurs au loyer de référence minoré. Si la qualité de certains logements peut justifier cet écart (insalubrité, localisation,…), on sait également que la sédentarité des locataires est le principal facteur explicatif de la faiblesse de certains loyers. Ainsi, selon l’OLAP, à Paris, un logement occupé depuis plus de 10 ans par le même locataire a en moyenne un loyer inférieur de 20 % au loyer moyen de l’ensemble des locations. Dès lors, la question de la réévaluation de ces loyers se pose. En effet, la loi permet au propriétaire, en contradiction d’ailleurs avec le décret[6], de réévaluer, lors d’une relocation ou d’un renouvellement de bail, à hauteur du loyer médian minoré. Une fois ce dernier atteint, l’évolution ne pourra excéder l’IRL. A terme, certains logements aux caractéristiques équivalentes seront donc sur le marché à des loyers très disparates, pénalisant ainsi les bailleurs de locataires sédentaires. A contrario, les locataires présents depuis longtemps dans leur logement ont le risque de voir leur loyer fortement réévalué (supérieur à 10%). Les taux d’effort[7] de ces ménages risquent alors d’augmenter, poussant ainsi ceux à la contrainte budgétaire trop forte à émigrer vers des zones moins tendues.

Néanmoins, la possibilité de réajuster le loyer au niveau du loyer de marché, dans le cas d’une sous-évaluation manifeste, existe déjà dans le cadre de la loi actuelle du 6 juillet 1989 (article 17c) au moment du renouvellement de bail. En 2012, à Paris, 3,2 % des propriétaires ont eu recours à cet article. Avec la nouvelle loi, si les réajustements devraient être plus nombreux, l’impact inflationniste devrait être plus faible puisque la référence (le loyer médian minoré) est largement inférieure au loyer de marché.

Dès lors, la question du zonage est centrale. Plus le découpage sera fin, plus les loyers de référence correspondront aux caractéristiques réelles du marché local. Dans l’hypothèse d’un large découpage du territoire, les loyers médians de référence risquent d’être trop élevés pour les quartiers les moins chers et trop bas pour les quartiers les plus chers. Parallèlement, les faibles loyers seraient peu revalorisés dans les quartiers chers et plus franchement dans les quartiers qui le sont moins. Cela pourrait entraîner alors un rapprochement des loyers « inter quartiers » – indépendamment des caractéristiques locales – et non « intra quartiers ». Conséquences néfastes tant pour le propriétaire bailleur que pour le locataire.

La loi en discussion actuellement pourrait avoir d’autant plus d’impact sur les loyers que les prix immobiliers ont entamé une baisse en France en 2012 et que la conjoncture actuelle morose freine déjà les hausses de loyer. Mais, faut-il encore le rappeler, seule la construction de logements dans les zones tendues (y compris via une densification[8]) résoudra les problèmes structurels de ce marché. Les mesures d’encadrement des loyers ne sont qu’un moyen temporaire de limiter la hausse des taux d’effort mais elles ne sont pas à elles seules suffisantes.

 


[1] Pour plus de détails, voir le post « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre?« .

[2] Le territoire couvert par ce rapport est composé de Paris, la petite couronne et la grande couronne parisienne.

[3] Le décret d’encadrement des loyers n’ayant pas le même champ d’action que la loi (38 agglomérations contre 28), certains territoires ne seront soumis qu’à l’encadrement des évolutions et non des niveaux.

[4] Si le projet de loi restait flou sur le calcul du loyer de référence minoré, un amendement adopté en juillet par la Commission de l’Assemblée propose que le loyer médian minoré soit inférieur d’au moins 30 % au loyer médian de référence. Un autre amendement précise qu’en cas de réajustement à la hausse, le nouveau loyer ne pourra excéder ce loyer médian minoré.

[5] En 2012, seul 18% des logements du parc locatif privé ont été l’objet d’une relocation.

[6] Lors du renouvellement de bail et de la relocation, le décret d’encadrement permet au propriétaire de réévaluer son loyer de la moitié de l’écart qui le sépare du loyer de marché.

[7] Il s’agit de la part du revenu du ménage consacré au logement.