Que faire pour assainir les finances publiques lorsque tout (ou presque tout) semble déjà avoir été fait en matière de baisses des dépenses et de hausses d’impôts? Depuis la mi-novembre 2013, c’est ce problème délicat que le gouvernement de la Croatie tente de résoudre après qu’une procédure pour déficit excessif (PDE) a été lancée contre le pays. En quelques mots : la PDE signifie que le déficit public de la Croatie dépasse aujourd’hui les 3% du PIB, que le dépassement n’est ni exceptionnel ni temporaire et que, de ce fait, le gouvernement croate se doit de prendre des mesures afin de respecter à terme la fameuse norme des « 3 % ».
Le 28 Janvier 2014 constitue une nouvelle étape pour le gouvernement croate puisque le Conseil de l’UE lui proposera un délai afin de faire repasser son déficit en dessous des 3% du PIB ainsi que des montants annuels moyens de réduction du déficit sur la période. En outre, le Conseil de l’UE invitera officiellement le gouvernement croate à proposer des mesures concrètes afin de réduire son déficit public à moins de 3 % du PIB.
Le problème auquel est confronté le gouvernement croate n’est pas simple car les mesures proposées ne doivent pas davantage mettre à mal l’économie du pays. Actuellement, la reprise en Croatie est timide et encore très incertaine. Le taux de chômage se situe à un niveau élevé (16,5% de la population active). Le pays est l’un des membres les plus pauvres de l’UE : son PIB par tête équivaut à 62 % de celui de l’UE-28.
Le Briefing Paper n°6 présente une liste de mesures qu’un pays de l’UE sous PDE peut envisager lorsqu’il se trouve dans la nécessité d’assainir ses finances publiques. Pour chaque mesure, nous présentons tout d’abord, dans des termes généraux, les principaux arguments en faveur et contre. Puis, nous discutons de la pertinence de chaque mesure pour la Croatie. Cette liste de mesures est appropriée pour tout type de pays de l’UE, qu’il soit avancé dans son processus de développement ou moins avancé. Plus généralement, cette liste peut être utilisée pour tout pays confronté à un problème de finances publiques et dans la nécessité d’y apporter une solution.
Dans le cas de la Croatie, trois mesures (sur sept) nous semblent particulièrement pertinentes :
– les concessions de services publics;
– la privatisation de certaines entreprises publiques ;
– une meilleure collecte de l’impôt.
A l’opposé, des mesures telles que la baisse des salaires dans le secteur public ou celle des taux d’imposition sur les sociétés ne nous semblent pas appropriées pour assainir les finances publiques de la Croatie.
Revenons sur les mesures que nous préconisons. Les deux premières mesures sont liées à la nécessité de restructurer les entreprises publiques, celles dont la gestion est inefficace[1]. Notamment, les entreprises publiques qui ne sont ni des monopoles naturels, ni d’une importance stratégique (par exemple dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture) pourraient être privatisées. La privatisation des autres entreprises publiques devrait être envisagée avec davantage de prudence, mais pas exclue. La Croatie est le premier pays à adhérer à l’UE avec une part d’entreprises publiques aussi élevée (25%). A long terme, les privatisations stimuleront la croissance économique du pays. A court terme, cependant, des coûts en termes de licenciements ne peuvent être exclus du processus de restructurations.
Les concessions de services publics sont une autre façon de restructurer les entreprises publiques inefficaces. L’impact sur les finances publiques en est, toutefois, très différent. Les contrats de concession de services constituent une source régulière de revenus pour le gouvernement (par le biais des redevances de concessions) et/ou d’économies (par la baisse des subventions gouvernementales). En revanche, les privatisations procurent des fonds disponibles immédiatement, et potentiellement, d’un montant important.
Recommander une restructuration des entreprises publiques en Croatie n’est pas une nouveauté. A plusieurs reprises, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Commission européenne ont déclaré que le processus des privatisations ou des concessions de services devrait être accéléré. Actuellement, le gouvernement croate participe activement à l’accélération du processus, en particulier pour les concessions de services. Parmi les concessions récentes, citons l’aéroport de Zagreb et le port de Rijeka tandis que le gouvernement a ouvert la procédure d’appels d’offre pour les autoroutes croates et l’île de Brijuni.
Les citoyens croates sont loin d’être tous favorables au processus de restructuration. Sans aucun doute, la communication auprès du grand public doit être améliorée. Notamment, les autorités budgétaires doivent expliquer ce qu’elles font, pourquoi elles le font, et quels seront à long terme les avantages de leurs actions. Sinon, les privatisations et concessions de services continueront d’être perçues comme des cadeaux au secteur privé. Enfin, le processus de restructuration doit impérativement être contrôlé pour éviter des abus et conflits d’intérêts. Cela signifie donc aussi qu’une lutte active contre la corruption soit menée[2].
Une meilleure collecte de l’impôt est la troisième mesure que nous préconisons en vue de réduire le déficit public de la Croatie. Selon l’Institut des finances publiques, les recettes fiscales non perçues en Croatie s’élèvent (en cumul) à 40 milliards de kunas (ou 5,2 milliards d’euros), ce qui représente plus de deux fois le déficit public prévu pour 2014 (19,3 milliards de kunas). Si le gouvernement pouvait en collecter ne serait-ce qu’une partie, cela aiderait à renflouer les finances publiques… En Croatie, améliorer la collecte de l’impôt signifie plusieurs choses étroitement liées: lutter contre l’économie souterraine (puisque les revenus non déclarés sont des revenus non taxés), poursuivre judiciairement la fraude fiscale (sinon, les lois et procédures ne sont d’aucune utilité). Là encore, améliorer la collecte de l’impôt signifie lutter contre la corruption.
Plus de détails peuvent être trouvés à l’adresse: http://www.ofce.sciences-po.fr/en/publications-en/briefing.php
[1] On pourra consulter Cuckovic, Jurlin et Vuckovic (2011) pour une évaluation des services publics croates.
[2] La corruption est, de fait, un problème endémique en Croatie. Voir Antonin et Levasseur (2012).