Ce que révèle le programme économique de Donald Trump

par Xavier Ragot

Les élections américaines sont un grand révélateur, au sens photographique du terme, des clichés économiques. Trois perspectives différentes sur ces élections livrent trois éclairages sur l’état de l’économie américaine tout d’abord, sur l’état de la pensée des économistes ensuite, et sur la nature de la relation entre les économistes et les politiques enfin.

Les primaires américaines ont été marquées par la « résistible ascension » de Donald Trump, et l’émergence de Bernie Sanders qui a bousculé Hilary Clinton sur sa gauche sans parvenir à s’imposer.

Le succès de Donald Trump, qui a contourné le parti républicain, repose sur des ressorts politiques qui utilisent une certaine paranoïa quant à la perte d’identité des Etats-Unis face aux concessions économiques faites à la Chine, politiques à l’Iran, militaires en Irak. Le thème du déclassement américain est réel aux Etats-Unis. Le succès de ce thème provient aussi de la réalité de la situation économique des classes moyennes et populaires aux Etats-Unis. Les cicatrices sociales induites par les inégalités aux Etats-Unis, magnifiquement étudiées par Thomas Piketty, se voient dans la rue, tant l’inégalité d’accès au système de santé est réelle (et incompréhensible pour un Européen). Si ce thème des inégalités est l’axe central de la campagne de Bernie Sanders, la colère populaire s’est aussi exprimée dans le camp républicain.

Le programme économique de Donald Trump a le charme poétique et inquiétant d’un inventaire à la Prévert. Il est difficile de l’identifier de droite, d’extrême droite ou de gauche, selon les critères européens. Le programme fiscal formel est ici, mais des interventions médiatiques l’ont considérablement « enrichi ». Donald Trump est en faveur de l’investissement dans les infrastructures et dans les dépenses militaires, pour la réduction des impôts, pour une hausse du salaire minimum, pour la fin de l’Obamacare et une totale privatisation de la santé, pour la taxation des riches, pour la réduction de l’immigration notamment provenant du Mexique (construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique), pour une agressivité commerciale envers la Chine accusée de dumping et, plus récemment, pour un défaut partiel sur les dettes publiques américaines. Ce dernier point fait des remous assez profonds chez les républicains. Les Etats-Unis étant un des rares pays au monde à n’avoir jamais fait défaut sur leurs dettes publiques, que le candidat républicain évoque publiquement cette possibilité est un choc.

Sur ce dernier point, l’auteur de ces lignes pense que le défaut sur les dettes publiques est une très mauvaise idée. Cela revient à une taxe non-assumée politiquement et non-maîtrisée avec un effet d’instabilité bancaire additionnelle. Autant assumer une taxe après un débat démocratique. Par ailleurs, pour soulager les dettes publiques, il est toujours possible de faire baisser les taux réels sur les dettes publiques pendant de nombreuses années, ce qui est possible avec une politique monétaire accommodante et sans répression financière (voir ce texte de Blanchard et co-auteurs).

Peu d’économistes défendent ce programme, même sur sa partie la plus strictement économique. Récemment une interprétation assez positive du programme de Donald Trump a été remarquée car émanant d’un économiste reconnu et respecté, Narayana Kocherlakota. Le texte est ici. Avant de préciser les raisons d’un soutien (très relatif) à Trump, il faut revenir sur la trajectoire de Narayana Kocherlakota, afin de penser comment la crise change la pensée des économistes. Kocherlakota est un économiste formé à l’Université de Chicago, et on lui doit des contributions fondamentales et très techniques en théorie financière, théorie monétaire, et en théorie dynamique des finances publiques, qui reposent sur l’application des outils de la théorie des contrats intertemporels. Du très sérieux académique! Kocherlakota a écrit un texte sur l’état de la pensée macroéconomique après la crise qui est très intéressant car reposant sur une vision large d’un chercheur qui ne reconnaît pas sa discipline dans les manuels d’économie (pour ne pas parler des livres grands publics). Kocherlakota est devenu président de la Réserve fédéral de Minneapolis en 2009 (pour quitter ce poste le premier janvier 2016). La FED de Minneapolis est connu comme étant un noyau dur et actif intellectuellement de la pensée « anti-keynésienne », pour aller vite. A ce poste Kocherlakota a vécu une profonde évolution intellectuelle et il a réalisé un tournant keynésien assez radical (Voir ici une contribution théorique originale), qui a entraîné des conflits avec ses collègues. Qu’est-ce qui manquait aux productions académiques de Kocherlakota? Quels sont les faits économiques qui l’ont à ce point déstabilisé?

La réponse à ces questions est évidemment difficile. Cependant, on peut avancer l’idée que ses propres travaux ne permettaient pas de penser l’efficacité des politiques monétaires non-conventionnelles et l’effet des plans de stimulation budgétaire d’Obama. En effet, le gouvernement américain a mené une politique monétaire et budgétaire très keynésienne (baisse d’impôt et création monétaire massive), qui a eu des effets positifs que les modèles de la Fed de Minneapolis ne permettaient pas de penser. L’ingrédient important qui manquait était les rigidités nominales qui donnent un rôle potentiellement important à la demande agrégée. La question des rigidités nominales en macroéconomie n’est pas un détail. J’ai écrit un texte sur le retour de la pensée keynésienne autour de la question des rigidités nominales.

Ainsi, l’indulgence de Kocherlakota pour le programme de Trump n’est pas celle d’un libéral dur, mais au contraire celle d’un keynésien converti, dont la foi semble un peu extrême. Kocherlakota vente la relance keynésienne de Trump par les dépenses publiques, par la baisse des impôts. La seule inquiétude de Kocherlakota est qu’il voudrait être sûr que Trump accepte une inflation plus élevée de l’ordre de 4% plutôt que 2%…

Ainsi, le programme de Trump contribue à brouiller les repères entre politique économique de gauche et de droite. Le thème des inégalités et de l’appauvrissement domine les débats dans les classes moyennes et populaires. Le problème mondial de manque de demande et de sous-emploi préoccupe les économistes sous le nom de stagnation séculaire. L’émergence de Bernie Sanders, le boubiboulga du programme économique de Trump (la violence de ses propos sur l’immigration n’est pas l’objet de ce texte), et à une autre échelle, l’évolution de Kocherlakota, révèlent la difficulté de l’émergence d’un paradigme économique cohérent et assis sur une base sociale large. Le politique (du côté républicain ou démocrate) cherche à tâtons une articulation différente entre l’Etat et le marché, un retour cohérent et efficace de la politique économique (monétaire et budgétaire) pour stabiliser les économies de marché et réduire les inégalités. Ce débat sera identique, mais avec une forme différente du fait de la question européenne, dans les élections présidentielles en France.

1 Comment

  1. « Les cicatrices sociales induites par les inégalités aux Etats-Unis, magnifiquement étudiées par Thomas Piketty, »

    Qui a été magnifiquement débunké.

    « se voient dans la rue, tant l’inégalité d’accès au système de santé est réelle (et incompréhensible pour un Européen). »

    Trop drôle; les inégalités en France, il n’y a que science po pour ne pas les voir!

    « Le programme économique de Donald Trump a le charme poétique et inquiétant d’un inventaire à la Prévert. »

    Non, il est assez cohérent : moins de vexations pour les entreprises américaines et des barrières douanières pour se protéger de la prédation.

    « La seule inquiétude de Kocherlakota est qu’il voudrait être sûr que Trump accepte une inflation plus élevée de l’ordre de 4% plutôt que 2%… »

    Donald Trump n’acceptera jamais l’inflation, comme tous les gens raisonnables.

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  1. Revue de presse mai / juin

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